26 octobre 2019

La Dynamo fait le pont…

Vendredi 18 octobre 2019 The Bridge fête son sixième anniversaire à La Dynamo, après être passé par le Musée d’Aquitaine et le Rocher de Palmer à Bordeaux, et avant d’investir l’Espace Cardin à Paris. Quelque chose comme un festival… propose des concerts, bien sûr, mais aussi des rencontres professionnelles et un colloque autour de W.E.B. DuBois.

Depuis 2013 The Bridge établit un pont musical entre des artistes français et américains en organisant des tournées de Chicago à Paris et vice-versa... L’association produit on seulement des concerts, plus de cent musiciens y ont participé, mais aussi des événements très variés : master-class, conférences, débats, spectacles de danse, magie, cirque, poésie… En 2017, The Bridge s’est doté d’un label – The Bridge Sessions – et d’une agence artistique – Passerelle. De 2019 à 2025, The Bridge entame un deuxième cycle qui s’annonce aussi fournit que le premier.

Pour le double concert de La Dynamo, The Bridge programme deux quintets : The Bridge #12 - Sea Angels et The Bridge # 3 - The Turbine!. En ouverture de la soirée, dans le grand hall de La Dynamo, une vingtaine d’adolescents de l’After School, Maters de Chicago donne un concert enjoué, qui laisse présager de belles vocations. Invitée d’honneur, une cinquantaine de jeunes assiste à la soirée, applaudisse copieusement les musiciens, surjoue leur enthousiasme et mette une ambiance plutôt incongrue dans un concert de musique d’avant-garde, mais l’écoute est respectée.



Sea Angels
The Bridge #12

Ce premier quintet présente la particularité de n’être constitué que de musiciens d’air : Lisa E. Harris au chant et au thérémine, Nicole Mitchell aux flûtes, Christian Pruvost aux trompettes, Lionel Garcin aux saxophones et Christophe Rocher aux clarinettes. C’est en 2016 que The Bridge #12 est formé, avec David Boykin aux saxophones et clarinettes, mais sans Harris. Le quintet vient de se baptiser Sea Angels, les anges de mer, des petits mollusques (autour de cinq centimètres) quasiment transparents qui nagent au large… Tout un symbole ! Pendant le set, des vidéos et autres images marines sont projetées derrière les musiciens. Les musiciens dialoguent sans discontinuer pendant une trentaine de minutes. 


Des bribes de phrases noyées dans des cris, sanglots, éructations, aboiements et autres vocalises écorchées... Des esquisses de mélodies étouffées dans les envolées tonitruantes des flûtes, les volutes débridées des trompettes, les nappes mystérieuses du thérémine, les cavalcades impétueuses des clarinettes et les effets échevelés des saxophones… D’un foisonnement déchaîné à un caquètement effréné, avec juste quelques accalmies en « trompe-l’oreille », la musique de Sea Angels n’a rien d’un long fleuve tranquille, mais bien d’un périple océanique mouvementé !

Une sensibilité à fleur de doigts et un expressionnisme sans concession : Sea Angels passe de hurlements « ayleriens » à des discours contemporains, dans un maelstrom de sculptures sonores inouïes.


The Turbine!
The Bridge #3

L’instrumentation du deuxième quintet diffère totalement du premier, mais reste tout aussi inhabituelle : deux contrebasses et trois batteries ! Créé en 2014 à l’occasion de Sons d’hiver, The Bridge #3, alias The Turbine!, rassemble Harrison Bankhead et Benjamin Duboc aux contrebasses, Hamid Drake et Ramón Lopéz aux batteries, et, pour la première, Marc Ducret à la guitare. Cinq ans plus tard, Ducret n’est pas de la partie, Bankhead, retenu pour des raisons de santé, est remplacé par Thibault Cellier, et Mike Reed se joint à Drake et López.


Comme le souligne avec humour Alexandre Pierrepont, infatigable animateur de The Bridge, « The Turbine à la Dynamo… c’est un peu une machine à sons... » : pendant près d’une heure, les cinq hommes ferraillent sans temps morts. Quand Drake crépite, López cingle et Reed bruisse, tandis que Cellier gronde et Duboc vibre. Aux passages musclés succèdent quelques courts moments plus tranquilles portés par les complaintes des archets, le grincement des cymbales, le crissement des peaux et le tintement du métal, dans un foisonnement mystérieux proche de la musique contemporaine. Puis le moteur repart de plus bel et quand Drake lance ses roulements furieux, López lui répond par des cliquetis effrénés, Reed rétorque avec des tintinnabulements cristallins, Cellier réplique à coup d’ostinatos furibonds et Duboc riposte par des vrombissements boisés.

Soixante minutes extatiques, entre frénésies rythmiques et dialogues percussifs contemporains, The Turbine porte bien son nom et propulse implacablement les auditeurs dans la stratosphère musicale !


La surprise

Même si tout le monde s’y attendait plus ou moins, c’est une belle surprise de voir les Sea Angels rejoindre The Turbine pour une vingtaine de minutes d’improvisation totale. La pression monte progressivement, portée par les gémissements des soufflants, les plaintes des contrebasses et les roulements des tambours. Le mouvement d’ensemble va crescendo, dans une atmosphère où mystère et majesté se disputent la vedette, puis, tandis que la rythmique installe un grondement puissant en arrière-plan, voix, flûte, saxophone, trompette et clarinettes se livrent un ballet de courses-poursuites qui passent du forte au pianissimo et d’élans débridés à des bribes de motifs mélodiques.


Les dix musiciens connaissent parfaitement le jeu des questions-réponses spontanées et leurs échanges sont intenses de la première à la dernière note.

The Bridge est une initiative formidable et souhaitons que le deuxième cycle soit aussi fructueux et passionnant que ne le fut le premier.