21 mars 2020

A la découverte de Mehdi Nabti

Docteur en anthropologie, Mehdi Nabti est un spécialiste du soufisme, de la musique berbère et, plus généralement de la musique d’Afrique du nord. Musicien, il construit une œuvre qui fusionne subtilement le jazz contemporain et les traditions musicales du Maghreb. Une voie originale qui mérite une découverte plus approfondie…


La musique

J’ai commencé par la guitare classique au conservatoire de six à quatorze ans. A cette époque, un de mes oncles m’a offert une compilation de Charlie Parker sur une cassette. J’ai adoré ! En 1989, ce même oncle m’a amené voir Miles Davis au Zénith de Paris, et, en 1990, Grover Washington à La Villette. Voilà pourquoi j’ai voulu jouer du saxophone…


Mehdi Nabti (c) D.R.

J’ai découvert le jazz quand j’étais enfant car mes oncles écoutaient un tas de musiques : du jazz bien sûr – Bird, John Coltrane, Sonny Rollins, Washington, Davis... –, mais aussi de la musique funk afro-américaine – James Brown, Earth Wind & Fire, Michael Jackson, George Benson –, du reggae, du disco et du hip-hop. Dans les années quatre-vingt, l’un de mes oncles jouait de la guitare basse et prenait des cours à Montreuil avec le batteur Kenny Clarke, qui avait joué, entre autres, avec Bird, Dizzy Gillespie, Davis, Thelonious Monk, Coltrane... J’avais une dizaine d’années et parfois, j’accompagnais mon oncle : Clarke apprenait des standards à ses élèves, mais revisités au goût du jour. Pour moi, le jazz a toujours été une des nombreuses facettes de la musique populaire afro-américaine. Et c’était la musique qu’on écoutait le plus en famille, avec le folklore maghrébin, particulièrement berbère.

Jusqu’à dix-neuf ans, j’ai appris le saxophone classique, puis j’ai étudié avec Francois Jeanneau de 1997 à 2000. Entre 2000 et 2002, j’ai suivi des cours avec Philippe Sellam, Andy Emler et Steve Coleman. Pour le saxophone Bird reste ma référence ultime car il a tout... J’aime aussi énormément certains albums de Trane et de Monk. En réalité je suis bon public ! J’aime beaucoup de saxophonistes dans des styles très différents : Washington, Albert Ayler, Manu Dibango, Jackie McLean, Steve Coleman, Eddie Lockjaw Davis, Johnny Griffin, Dexter Gordon, Jeanneau... sans compter tous les autres ! J’en aime trop, je les aime tous ! La liste serait évidemment incomplète sans les nombreux musiciens classiques qui m’inspirent, à commencer par Johann Sebastian Bach et Béla Bartók, mais aussi des musiciens du Maghreb qui m’ont considérablement influencé comme l’Orchestre national de Barbès, Oudaden, Nass El Ghiwane, Jil Jilala et, surtout, les musiciens de transe rituelle Aïssawa – Said Berrada, Abdellah Yaakoubi, Hadj Azzedine Bettahi – et Hamadcha – Abderrahim Amrani.

De 2003 à 2007, j’ai intégré le groupe de percussions du batteur compositeur Eric Beaudet. Il m'a appris énormément sur le phrasé et l'arrangement rythmique. J’y jouais de la clave, du saxophone, de la flûte et de la ghayta, le hautbois marocain. Pendant quelques années, à Paris, j'ai aussi participé à de nombreux groupes de folklore et de transe maghrébins, mais aussi de funk et de house. De 2004 à 2008, j'ai créé Aissawaniyya, un orchestre franco-marocain de jazz-world qui réunissait des musiciens de jazz et des musiciens soufis marocains. Avec Aissawaniyya, nous avons donné des master-classes, enregistré des sessions inédites au Maroc, en Espagne et en France, et joué dans différents festivals en Europe, au Maghreb et au Canada. Depuis 2012, je produis et publie régulièrement des albums de mes divers groupes – Nass Lounassa, Pulsar3, Pulsar4, NeoDuo et Prototype – sous licence SOCAN et disponibles sur Bandcamp. En 2015, le label de jazz anglais F-IRE a publié une compilation – Multiple Worlds – de treize compositions personnelles interprétées avec mon groupe Pulsar4. 




Cinq clés pour le jazz

Qu’est-ce que le jazz ? Jazz = Improvisation + Groove + Invention + Beau son...

Pourquoi la passion du jazz ? Chaque musicien apporte sa pierre, selon ses capacités, et la pose sur la pyramide du jazz.

Où écouter du jazz ? Seul... avec un casque ou un bon système hifi.

Comment découvrir le jazz ? Il faut en écouter beaucoup ! Et chercher ce qui vous plaît car le jazz a plus de cent ans et il est particulièrement vaste... Ne vous arrêtez jamais sur un album ou un artiste qui vous a déplu, continuez à chercher et vous finirez par trouver !

Une anecdote autour du jazz ? Coltrane est chez Monk et ils travaillent une composition de Monk. Ce dernier joue un accord sans tierce. Coltrane lui demande :
– Qu’as-tu joué ?
Un sol mineur sans tierce.
Comment sais-tu que c’est un accord mineur s’il n’y a pas de tierce ?
Parce que je le dis : c’est un accord mineur sans tierce.
Mais moi je joue quoi alors ?
– Tu te débrouilles...


Les bonheurs et regrets musicaux

Ma plus belle réussite est d’avoir continué la musique sans me décourager. Le fait d’avoir pu composer, produire et diffuser moi-même mon travail est une réussite car mes débuts en France furent extrêmement difficiles ! Je me suis heurté au milieu musical parisien : dans les années 1990–2000, socialement, humainement et musicalement l’environnement était très hostile au jeune musicien outsider que j’étais. Il fallait que je trouve des musiciens qui veuillent bien jouer mes compositions... Ce ne fût d’abord possible qu’au Maghreb et, depuis 2009, au Canada.

Sinon, je regrette de ne pas savoir jouer de piano... mais je m’y suis mis il y a peu de temps !


Sur l’île déserte…

Quels disques ? Bird, Bach et Bartók,

Quels livres ? Le Cycle des robots d’Isaac Asimov.

Quels films ? Je ne regarde jamais de films !

Quelles peintures ? Tout William Turner.

Quels loisirs ? Le cyclisme.




Les projets

Mes projets sont de toujours avoir assez d’énergie et d’imagination pour continuer à jouer, composer et enregistrer.