04 juillet 2020

Whirlwind Recordings (1/3)

Le moindre que l’on puisse dire, c’est qu’en dix ans d’existence et cent cinquante disques au catalogue, Whirlwind Recordings, le label londonien fondé par le contrebassiste américain Michael Janisch, n’a pas chômé ! Ci-dessous, voici huit des quinze disques sortis en 2018, qui donnent la parole aux saxophonistes Jure Pukl, Zhenya Strigalev, Walter Smith III et Julian Siegel, à la formation d’Ingrid Jensen et Steve Treseler, au quintet In Common, au quartet NYSQ et au trio NuYorx.


Ingrid Jensen & Steve Treseler
Ingrid Jensen (tp, electro), Steve Treseler (ts,cl, bcl), Geoffrey Keezer (p), Martin Wind (b) et Jon Wikan (d), avec Katie Jacobson (voc) et Christine Jensen (ss).
Whirlwind Recordings – WR4729
Sortie le 26 octobre 2018

Décédé en septembre 2014, l’éclectisme, le son et les compositions de Kenny Wheeler ont influencé moult musiciens. Ingrid Jensen et Steve Treseler sont de ceux-là. Dans Invisible Sounds: For Kenny Wheeler, ils rendent donc hommage au trompettiste canadien.

Jensen et Treseler jouent avec la section rythmique habituelle de la trompettiste : Geoffrey Keezer au piano, Martin Wind à la contrebasse et Jon Wikan à la batterie. La chanteuse Katie Jacobson et la saxophoniste Christine Jensen (et sœur de la trompettiste) sont invitées sur trois morceaux. Le répertoire tourne évidemment autour de Wheeler, avec huit de ses thèmes, mais également un titre de chacun des leaders du quintet.

Après une introduction à la fois élégante – les contrepoints de la trompette, du saxophone ténor et du saxophone soprano - et mystérieuse, comme les affectionne Wheeler, « Foxy Trot » décolle, avec des soufflants touffus et des rythmes aux consonances latines – suites d’accords du piano, riffs entraînants de la contrebasse et batterie en mode percussion avec de nombreux rim shot.

Jensen joue une ligne aérienne pour introduire « Kind Folk », bientôt rejointe par Treseler à l’unisson, sur une rythmique toujours vive et légère. La trompette, la contrebasse et le ténor prennent ensuite chacun un chorus velouté, portés par un piano sur le qui-vive et une batterie énergique, sans excès.

« 546 » commence par une ode exposée à l’unisson par la trompette et le ténor auxquels s’ajoutent les vocalises de Jacobson et l’archet de Wind. Le piano change de direction, avec un chorus aux contours bop, soutenu par une walking frétillante et un chabada serré.

L’ostinato de Keezer, les phrases sombres de Wind à l’archet, les vocalises solennelles de Jacobson, les mailloches de Wikan et les contre-chants majestueux du ténor et de la trompettent donnent à « Gentle Piece » un caractère particulièrement majestueux, dans la continuité de « 546 ». Wind et Keezer détendent ensuite l’atmosphère, appuyés par Wikan, discret, avant que Jensen et Treseler ne se mettent à croiser leurs phrases avec délicatesse. La deuxième partie du morceau, lancée par Keezer, en verve, revient à une ambiance cool, walking et chabada à l’appui.

« Old Time » porte bien son nom : la rythmique vigoureuse et sautillante, la trompette bouchée et ses effets dirty, le ténor avec ses accents bluesy, le foisonnement des voix et le thème dansant renvoient les auditeurs dans un Barrel House de La Nouvelle-Orléans.

Petits échanges heurtés et dynamiques qui se concluent sur des contrepoints majestueux entre la trompette et le ténor, « Duet » est un interlude signé Treseler.

Sur une rythmique dense et un piano expressif, la trompette et le ténor déroulent « Everybody’s Song But My Own » dans une ambiance faussement nonchalante. Le piano prend un chorus inspiré, soutenu par la walking de la contrebasse et le chabada de la batterie.

Keezer introduit joliment « Where Do We Go From Here » sur une rythmique gracile – walking et shuffle de Wind et balais de Wikan, tout en souplesse –, puis les croisements de voix de Treseler et Jensen évoquent une ambiance West Coast, à peine infléchie par le chorus du piano.

Deuxième intermède du disque, de la plume de Jensen, « Ingalude » est un mouvement d’ensemble d’une gravité noble.

C’est une version live de « Foxy Trot » qui conclut le disque, sans le soprano, mais avec la même vivacité que la version enregistrée en studio et davantage de lâcher-prise dans les chorus.

Raffiné, réfléchi et bien dans son époque, Invisible Sounds: For Kenny Wheeler lui aurait certainement beaucoup plu.

Liste des morceaux

01. « Foxy Trot » (07:40).
02. « Kind Folk » (07:20).      
03. « 546 » (03:51).
04. « Gentle Piece » (10:45).
05. « Old Time » (08:07).
06. « Duet », Steve Treseler (01:15).       
07. « Everybody's Song But My Own » (07:37).
08. « Where Do We Go From Here » (08:13).
09. « Ingalude », Ingrid Jensen (01:56).
10. « Foxy Trot » (09:16).

Tous les morceaux sont signés Wheeler sauf indication contraire.


In Common: Walter Smith III & Matthew Stevens
Walter Smith III (ts), Matthew Stevens (g), Joel Ross (vib), Harish Raghavan (b), Marcus Gilmore (d).
Whirlwind Recordings – WR4728
Sortie le 19 octobre 2018

En 2017, Walter Smith III et Matthew Stevens montent In Common, un quintet avec Joel Ross au vibraphone, Harish Raghavan à la contrebasse et Marcus Gilmore à la batterie. Leur premier album sort en octobre 2018 chez Whirlwind Recordings, avec dix compositions originales.

Les mélodies sont soignées (« Unconditional Love »), plutôt placides (« YINZ »), en mode ballade (« Foreword ») ou thème-riff (« Baron »). Raghavan et Gilmore maintiennent une carrure solide (« Unsung ») et régulière (« ACE »). La paire rythmique alterne des lignes énergiques (« Baron »), des cliquetis accompagnés de motifs minimalistes (« 13th Floor »), une walking et un chabada exemplaires (« About 360 »)... Le vibraphone de Ross swingue gaiement (« Unsung »), joue son rôle de carillon (« ACE »), dialogue avec le saxophone et la guitare (« YINZ ») et met en valeur sobrement le discours des solistes (« Foreward »). Smith et Stevens ancrent leurs propos dans un néo-hard-bop efficace (« Unsung »), sans effusion virtuose : unissons abrupts (« About 360 »), questions-réponses avisées (« YINZ »), contre-chants adroits (« Foreword ») et duo mélodieux (« ACE »).

In Common ne met pas le jazz sens dessus dessous, mais Smith et Stevens parviennent à relire le hard-bop avec une pâte personnelle.

Liste des morceaux

01. « Freefive » (01:14).        
02. « Unsung » (05:40).         
03. « YINZ » (03:17).
04. « ACE » (05:04).
05. « Foreword » (04:04).
06. « Baron » (02:14).  
07. « 13th Floor » (04:38).    
08. « About 360 » (03:42).    
09. « Unconditional Love » (05:19).
10. « ACE » (01:52).

Tous les morceaux sont signés In Common.


NYSQ
Tim Armacost (ts, ss), David Berkman (p), Ugonna Okegwo (b) et Gene Jackson (d).
Whirlwind Recordings – WR4727
Sortie le 21 septembre 2018

Créé en 2006, le New York Standards Quartet reprend à sa sauce des thèmes classiques du jazz. Le saxophoniste Tim Armacost, le pianiste David Berkman et le batteur Gene Jackson constituent le noyau dur du quartet. Si Daiki Yasukagawa en est le contrebassiste historique, Michael Janisch (fondateur de Whirlwind Recordings) ou Yosuke Inoue l’ont déjà remplacé à l’occasion. Pour Heaven Steps to Seven, c’est Ugonna Okegwo qui tient la contrebasse.

Le titre de l’album fait évidemment référence au Seven Steps to Heaven de Miles Davis, enregistré en 1963. Les huit morceaux sont tous des tubes : « Tonight » de  Leonard Bernstein, tiré, évidemment, de West Side Story (1957) ; « Cheryl » de Charlie Parker (1947) ;  « Peace » d’Horace Silver (1959) ; « If I Should Lose You », composé en 1936 par Ralph Rainger et Leo Robin pour Rose of the Rancho ; « Every Time We Say Goodbye » (1950) et « I Love You » (1944) de Cole Porter ; « I'll Keep Loving You » de Bud Powell (1950) ; « Eye of the Hurricane » d’Herbie Hancock (1966).

Le saxophone ténor introduit en douceur « Tonight » avant que le quartet ne démarre dans une veine bop : walking, chabada et accords plaqués soutiennent le chorus véloce et onduleux du ténor et celui du piano, rapide et tendu. Après l’exposition a capella de « Cheryl » par Armacost, Okegwo et Jackson installent un décor rythmique dense, sur lequel le ténor déroule le thème de Bird en volutes sinueuses. Avec un solo élégant a capella, la contrebasse annonce la deuxième partie du morceau qui, avec ses touches bluesy, prend une direction plus hard-bop, renforcée par le solo de Berkman, un peu dans le style de Silver. Justement, « Peace » est une jolie ballade du pianiste des Jazz Messengers : rythmique apaisée, lignes relaxes du piano et ténor flegmatique… Sur un riff du piano, un motif sourd de la contrebasse et une batterie foisonnante, le saxophone soprano expose « If I Should Lose You ». La batterie, qui ne décolère pas, les cordes de contrebasse, qui grondent, et les accords acides du piano poussent le soprano à sortir de ses gongs. S’ensuit un chorus plein de swing du piano, bien aidé par une walking et un chabada entraînants. Après un chorus puissant de Jackson, retour au calme avec « Every Time we Say Goodbye » : la contrebasse et le piano se mettent en mode minimaliste, la batterie reste touffue, mais réduit les décibels, et le ténor brode nonchalamment sur la mélodie de Porter, bientôt suivi par le piano, malicieux. Okegwo introduit avec gravité « I Love You » et débouche sur un ostinato, repris par Berkman, puis, avec les cliquetis de Jackson en arrière-plan, Armacost interprète avec goût cette belle mélodie de Porter. A tout seigneur, tout honneur, il revient à Berkman de présenter « I’ll Keep Loving You » de Powell. La ballade est magnifiée par la sonorité veloutée du ténor et ses phrases langoureuses, la souplesse de la rythmique, le solo mélodieux de la contrebasse et le chorus du piano, avec son balancement irrésistible. Heaven Steps to Seven s’achève sur le dynamique « Eye of the Hurricane », morceau hard-bop propulsé par une running bass et un chabada explosif. Berkman et Armacost s’en donnent à cœur joie et s’abandonnent à des propos impétueux, tout comme Jackson et ses stop-chorus.

NYSQ revisite les bop – be ou hard – avec une conviction convaincante et un peps contagieux !


Liste des morceaux

01. « Tonight », Leonard Bernstein (06:11).
02. « Cheryl », Charlie Parker (08:39).     
03. « Peace », Horace Silver (04:12).       
04. « If I Should Lose You », Ralph Rainger & Leo Robin (08:17).  
05. « Every Time we Say Goodbye », Cole Porter (05:52).  
06. « I Love You », Cole Porter (08:03).    
07. « I'll Keep Loving You », Bud Powell (09:57).        
08. « Eye of the Hurricane », Herbie Hancock (05:06).


Jure Pukl
Jure Pukl (ts), Melissa Aldana (ts), Joe Sanders (b) et Gregory Hutchinson (d)
Whirlwind Recordings – WR4724
Sortie le 25 mai 2018

Pour Doubtless, qui sort en mai 2018, le saxophoniste ténor Jure Pukl réunit un « quartet intime » avec son épouse, la saxophoniste Melissa Aldana, et deux amis proches : Joe Sanders à la contrebasse et Gregory Hutchinson à la batterie.

Pukl signe six morceaux, Aldana et Sanders ont apporté chacun un titre et le quartet interprète également « InterSong » d’Ornette Coleman. La peinture avec le quartet – entre naïve, primitive et enfantine – qui orne la pochette de Doubtless est une œuvre de Cécile McLorin Salvant, qui a plus d’une corde à son arc !

Pukl et Aldana sont sur la même longueur d’onde : des contre-chants relevés (« InterSong »), des questions-réponses du tac au tac (« Doubtless »), des dialogues piquants (« Compassion »)… Les deux saxophonistes jouent des phrases aux courbes élégantes (« InterSong ») entre modernité (« Elsewhere ») et néo-bop (« Bad Year – Good Year »), avec quelques échappées échevelées (« Doves »). Les exposés à l’unisson d’airs dissonants (« Doves ») sur une rythmique dense ne sont pas sans rappeler Ornette Coleman (« The Mind and The Soul »). La plupart des mélodies sont entraînantes (« Bad Year – Good Year ») et bien tournées (« Where Are You Coming From? »). Sanders et Hutchinson maintiennent une sacrée pulsation, avec une réactivité particulièrement précieuse. La contrebasse répond avec finesse (« Doubtless »), place des contrepoints subtils (« Where Are You Coming From? »), montre beaucoup de musicalité (« Compassion »), servie par une sonorité chaleureuse (« Doubtless »), et ses lignes habiles garantissent une carrure souple (« Doves ») et chaloupée (la walking dans « InterSong »). La batterie démontre la même perspicacité : répliques astucieuses (« Elsewhere »), à propos de tous les instants (« InterSong »), foisonnements légers (« Doves »), frappes pleine de swing (« Compassion »), balancements vifs (« Elsewhere »)…

D’une modernité élégante et dynamique, il ne fait aucun doute que Doubtless est un disque à ne pas manquer…

Liste des morceaux

01. « Doubtless » (05:13).     
02. « Doves » (07:09).
03. « InterSong », Ornette Coleman (04:31).    
04. « Elioté », Joe Sanders (04:33).
05. « Compassion » (04:12). 
06. « Elsewhere », Melissa Aldana (06:45).       
07. « The Mind And The Soul » (04:15).   
08. « Where Are You Coming From? » (02:33).  
09. « Bad Year - Good Year » (04:13).

Tous les morceaux sont signés Pukl sauf indication contraire.


Trio NuYorx
Gabriel Guerrero (p), Carlo De Rosa (b) et Gene Jackson (d).
Carlo De Rosa - double bass
Whirlwind Recordings – WR4723
Sortie le 6 avril 2018

Gene Jackson sort Power Of Love, son premier disque en leader, en avril 2018 chez Whirlwind Recordings. Pour l’occasion, Jackson a monté le Trio NuYorx avec Gabriel Guerrero au piano et Carlo De Rosa à la contrebasse.

Dans Power Of Love Guerrero signe trois morceaux, tandis que Jackson et De Rosa en signent deux chacun. Le trio interprète aussi des standards : « I Love You » de Cole Porter, « Played Twice » et « Ugly Beauty » de Thelonious Monk.

Power of Love s’inscrit dans une lignée be-bop et en respecte les principaux canons : la structure des morceaux reprend le classique thème – solos – thème (« Lighting ») ; dans la plupart des cas les thèmes sont exposés tout de go (« I Love You ») et les chorus fusent (« Neptune ») ; la section rythmique aligne des walking pimentées de shuffle et chabadas ponctués de pêches, dans la plus pure tradition (« Before Then ») ; des stop-chorus de batterie interrompent les dialogues (« Played Twice )…

Les mélodies du Trio NuYorx sont hétéroclites : heurtées (« Great River »), sous forme de riffs (« Before Then »), lyriques (« A Peaceful Tremor »), aux accents latins (« Lapso ») ou cérémonieuses (« Land of the Free »). Le développement des morceaux repose sur des interactions rythmiques denses (« Great river »), parfois étirées et lentes (« A Peaceful Tremor »), mais suivies de montées en pression, sous la poussée du jeu syncopé du piano et des lignes puissantes de la contrebasse et de la batterie (« Lighting »). En dehors de la base rythmique be-bop propre à la plupart des morceaux (« Played Twice »), le trio part dans des lignes chaloupées qui évoquent les musiques latines (« Before Then »), une valse (« Ugly Beauty ») ou des envolées aux intonations free, suivies d’un passage emphatique avec le piano et son ostinato, la contrebasse et le grondement de son archet et la batterie frémissante (« Land of the Free »).

Lyrique (« A Peaceful Tremor »), mais sans sucre (« Lapso »), Guerrero démontre un sens du swing efficace (« Lighting »), une virtuosité maîtrisée (« Before Then ») et des velléités de liberté (lcrépitements dans « Land of the Free »). Minimaliste (« Great River »), mobile (« I Love You ») et dansant (« Lighting »), De Rosa s’adapte en souplesse à ses comparses (« Neptune ») et ses chorus, mélodieux et véloces, parcourent tout l’ambitus de la contrebasse (« Before Then »). Quant à Jackson, son drumming est tantôt touffu et allègre (« Neptune »), tantôt puissant et dense (« Great River »), mais il sait aussi se montrer tranquille, quand ses balais frottent les peaux (« Ugly Beauty »). Le batteur en met volontiers partout (« I Love you ») et ses poly-rythmes sont entraînants (« Lapso »). Ses solos, imposants à force de roulements furieux et de splash furibonds (« Lighting »), apportent une énergie salutaire.

Si NuYorkx reprend l’instrumentation be-bop classique piano – contrebasse – batterie, Power of Love doit son potentiel de séduction à la personnalité brillante du trio.

Liste des morceaux

01. « I Love You », Cole Porter (07:47).    
02. « Great River », Gene Jackson (04:39).       
03. « A Peaceful Tremor », Carlo De Rosa (05:05).     
04. « Lighting », Gabriel Guerrero (08:35).       
05. « Played Twice », Thelonious Monk (05:44).
06. « Land of the Free », Gabriel Guerrero (10:06).    
07. « Neptune », Carlo De Rosa (05:36). 
08. « Ugly Beauty », Thelonious Monk (04:54). 
09. « Before Then », Gene Jackson (06:14).      
10. « Lapso », Gabriel Guerrero (08:38).


Zhenya Strigalev
Zhenya Strigalev (as, ss, electro), Federico Dannemann (g), Linley Marthe (b, kbd) et Eric Harland (d)
Whirlwind Recordings – WR4720
Sortie le 9 mars 2018

En mars 2018, le saxophoniste Zhenya Strigalev sort Blues For Maggie, son quatrième disque chez Whirlwind Recordings. Comme dans les précédents opus, Eric Harland est derrière les fûts. C’est Linley Marthe qui tient la basse et le guitariste Federico Danneman complète le quartet.

Blues For Maggie est un hommage à Maggie Black, écossaise, fan de jazz et pilier de club. Au programme, six titres composés par Strigalev et « Pinky », de Pete Cochrane.

Strigalev s’appuie sur des thèmes plutôt courts (« Happy Professors »), des mélodies-riff (« Pinky », « Take Off Socks »), souvent exposés à l’unisson (« Little Struggle »). Si les ambiances penchent clairement vers le funk (« Coda of No Upset »), la Nouvelle-Orléans (« Wondering About Swing ») et les îles (« Happy Professors »), le néo-bop s’invite également dans la danse (« Take Off Socks »). Les lignes du saxophone sont tendues et plutôt sèches (« Not Upset »), les phrases sont brèves et vives (« Take Off Socks ») ou parfois comme un bourdonnement (« Wondering About Swing »). Strigalev s’envole volontiers dans les aigus (« Take Off Socks ») avec des cris de shouter (« Little Struggle »). Il utilise l’électro pour des effets de distorsion, des nappes en suspension (« Coda of Not Upset ») ou un foisonnement sonore (« Happy Professors »). Robson alterne des séries d’accords discrètes, avec une sonorité cristalline (« No Upset »), et des arrière-plans aériens (« Wondering about Swing ») ou lointains et saturés (« Take Off Socks »). Ses envolées virtuoses ont des accents bluesy (« Little Struggle ») ou un parfum bop (« Wondering About Swing ») qui font monter la tension (« Pinky »). En matière d’intensité et de pression, Strigalev et Dannemann peuvent faire confiance à Marthe et Harland ! La basse gronde, sourde et agile (« Pinky »), d’un riff entêtant (« Little Struggle ») à des motifs slappés (« Coda of Not Upset »), en passant par une ligne parsemée de shuffle qui débouche sur une walking entraînante (« Wondering About Swing »). Fidèle à sa réputation de batteur musclé (son solo dans « Take Off Socks » est éloquent), Harland met au service des solistes ses frappes mates (« Little Struggle ») ou luxuriantes (« Pinky »), et sa puissance (« Coda of Not Upset »), accentuée par les rythmes binaires (« Not Upset ») et funky (« Take Off Socks »).

Avec sa rythmique vigoureuse, Blues For Maggie va faire dodeliner plus d’une tête !

Liste des morceaux

01. « Not Upset » (05:26).
02. « Pinky », Pete Cochrane (06:34).      
03. « Wondering About Swing » (05:30). 
04. « Take Off Socks » (20:25).       
05. « Happy Professors » (06:56).  
06. « Little Struggle » (06:09).        
07. « Coda of Not Upset » (07:23).

Tous les morceaux sont signés Strigalev sauf indication contraire.

Walter Smith III
Walter Smith III (ts), Harish Raghavan (b) et Eric Harland (d), avec Christian McBride (b) et Joshua Redman (ts).
Whirlwind Recordings – WR4718
Sortie le 9 février 2018

TWIO est le cinquième disque de Walter Smith III sous son nom. Il sort en février 2018 chez Whirlwind Recordings. Le saxophoniste fait appel à Eric Harland, qu’il connait bien puisqu’il était déjà présent sur son premier opus, Casually Introducting Walter Smith III, publié en 2006, puis sur III, enregistré en 2010. Les contrebassistes Harish Raghavan, qui avait assuré la session de Still Casual en 2014, et Christian McBride se partagent quatre plages chacun. Smith invite également Joshua Redman sur deux morceaux.

En dehors de « Contrafact », une composition de Smith, les huit autres morceaux sont des standards plus connus les uns que les autres : « Ask Me Now », thème de 1951 signé Thelonious Monk ; « Nobody Else but Me », composé en 1946 par Jerome Kern et Oscar Hammerstein II pour la comédie musicale Showboat ; « On the Trail », le troisième mouvement de la Grand Canyon Suite, écrite par Ferde Grofe entre 1929 et 1931 ;  un tube de 1945, « We'll Be Together Again », de Carl T. Fischer et Frankie Lane ; la ballade « I'll Be Seeing You » de Sammy Fain et Irving Kahal (1938) ; « Adam's Apple », morceau tiré du disque éponyme de Wayne Shorter, avec Herbie Hancock, Reggie Workman et Joe Chambers, paru en 1966 ; « The Peacocks », un classique pour l’album du même nom que Jimmy Rowles a enregistré avec Stan Getz en 1975 ; « Social Call » morceau-titre composé par Gigy Grice et Jon Hendricks en 1955 pour le disque de Betty Carter.    

Smith revient au hard-bop dans sa splendeur : belle sonorité chaude, un peu à la Getz, mise en place aux petits oignons (« Nobody Else but Me »), phrases gorgées de swing (« Ask Me Now »), discours bop, sinueux (« Adam's Apple » ) ou plutôt heurté (« I’ll Be Seing You »), nonchalance bluesy (« We’ll Be Together Again »), envolées a capella (« Ask Me Now »)… Ses développements sont souvent raffinés, comme le montrent son duo avec Harland (« We’ll Be Together Again ») et celui avec McBride (« Social Call »), et il gère habilement la tension («The  Peacocks »). Les dialogues de Smith et Redman reposent sur d’élégants contrepoints de riffs (« On The Trail »), des questions-réponses vives, dans la tradition des chase (« On The Trail »), et des unissons véloces (« Contrafact »). Dans ses chorus, Redman se montre toujours aussi inventif (« Contrafact »). Hard-bop oblige, la rythmique se base la plupart du temps sur une walking et un chabada fringants (« Ask Me Now », « On The Trail »). Raghavan a un gros son bien grave et ses lignes sont entraînantes (« The Peacoks »), tout comme son solo dans « Nobody Else but Me »). McBride possède également un son énorme et une walking robuste (« Contrafact ») qu’il parsème volontiers de shuffle (« Social Call »). Quant à ses chorus, ils sont particulièrement mélodieux (« We’ll Be Together Again »). Fidèle à lui-même Harland assure une pulsation vigoureuse (« Contrafact »), avec des frappes tantôt légères et fermes (« We’ll Be Together Again »), tantôt luxuriantes (« The Peacocks ») et son solo dans « Adam’s Apple », basé sur des roulements en boucle, ponctués de pêches, fait monter la pression.

Quand des musiciens savent y faire et mettent du cœur à l’ouvrage, qu’il est bon de se replonger dans un hard-bop de derrière les fagots... Et c’est exactement ce qui se passe dans TWIO, avec Smith et ses compagnons !

Liste des morceaux

01. « Ask Me Now », Thelonious Monk (06:00).
02. « Nobody Else but Me », Jerome Kern (04:36).     
03. « On the Trail », Ferde Grofe (06:07).
04. « We'll Be Together Again », Carl T. Fischer & Frankie Lane (04:17).
05. « I'll Be Seeing You », Sammy Fain & Irving Kahal (05:45).     
06. « Adam's Apple », Wayne Shorter (07:36). 
07. « The Peacocks », Jimmy Rowles (05:38).   
08. « Social Call », Gigy Grice (02:54).    
09. « Contrafact », Smith III (05:18).


Julian Siegel Quartet
Julian Siegel (ts, ss, bcl), Liam Noble (p), Oli Hayhurst (b) et Gene Calderazzo (d).
Whirlwind Recordings – WR4717
Sortie le 2 février 2018

Il y a une dizaine d’années, le saxophoniste Julian Siegel monte un quartet avec Liam Noble au piano, Oli Hayhurst à la contrebasse et Gene Calderazzo à la batterie. En 2011, ils enregistrent Urban Theme Park pour Basho Records. Les quatre musiciens récidivent avec Vista qui sort chez Whirlwind Recordings en février 2018.

Siegel propose dix compositions de son cru et le quartet reprend « Un poco loco » de Bud Powell. Des démarrages abrupts avec le ténor et le piano à l’unisson (« The Opener ») ou en décalé (« Vista »), des thèmes véloces (« Un poco loco ») et enjoués (« Pastorale »), de brefs passages en walking et chabda (« Billion Years)… Vista fleure bon un néo hard-bop tendu (« The Goose »). Et même les airs plus délicats (« Full Circle ») ou aux allures de comptine (« I Want To Go To Brazil ») servent de prétextes à des développements énergiques et entraînants (« Idea »). Seule « Song » reste du domaine de la ballade relax. Les volutes dynamiques du ténor (« Vista ») et autres virevoltes de la clarinette basse (« Idea ») n’ont rien à envier à l’écurie de Blue Note… Siegel fait monter « Pastorale » dans les tours, mais c’est surtout « The Claw », avec sa mélodie dissonante, les contre-chants du piano, la pédale de la contrebasse et la batterie touffue qui évoque le plus l’héritage croisé d’Ornette Coleman et de John Coltrane. Noble est un accompagnateur complet, qui met avantageusement en relief le discours du soliste (« The Opener »), dialogue dans un format contemporain avec ses acolytes (« Pastorale), se joint à la rythmique pour mettre de la pression (« I Want To Go To Brazil ») ou accentuer un riff dansant (« Idea »). Ses chorus révèlent un pianiste au lyrisme (« Full Circle ») plein de nuances (« Vista ») et aux idées convaincantes (« Un poco loco »). Heurtée (« The Opener »), puissante (« The Goose »), foisonnante (« Pastorale »), grondante (« The Claw »), dense (« Un poco loco »), funky (« Vista »)… la rythmique Hayhurst et Calderazzo dépote !

Vista n’est certes pas révolutionnaire, mais sa musique vigoureuse est d’une efficacité redoutable !

Liste des morceaux

01. « The Opener » (07:02).  
02. « I Want To Go To Brazil » (07:54).     
03. « Song » (05:21).   
04. « Pastorale » (06:31).      
05. « Un Poco Loco , Bud Powell » (05:35).
06. « Billion Years » (05:08).  
07. « Vista » (07:33).   
08. « Full Circle » (03:29).     
09. « The Goose » (06:31).    
10. « Idea » (04:28).    
11. « The Claw » (09:04).      

Tous les morceaux sont signés Siegel sauf indication contraire.