Lopez signe neuf des dix morceaux au programme de Draft, et le quartet interprète « Love Me Tender », le tube d’Elvis Presley composé par George R Poulton. Les titres des morceaux semblent évoquer plusieurs facettes de l’univers personnel du guitariste : « From Nowhere » pourrait se référer au film éponyme de Matthew Newton, « Le Sorcier de Riga » est le surnom du champion d’échecs Mikhaïl Tal, « Countryside » rappelle évidemment la campagne, « Oliver’s Twist » est un clin d’œil à Charles Dickens, « Scolotism » sonne comme un hommage à John Scofield, « Dodécasong » se rapporte explicitement à l’œuvre d’Arnold Schönberg, les « 3 Temps » ne peuvent correspondre qu’aux valses, et « Choral » fait inévitablement penser à Johann Sebastian Bach…
« From Nowhere » ne sort pas vraiment de nulle part : la courte introduction, le thème chaloupé exposé par le ténor, la walking et le chabada solides et réguliers, la structure thème – solos – thème, les chorus fluides de la guitare et du saxophone s’inscrivent dans une lignée hard-bop. Piano et guitare se partagent « Le Sorcier de Riga », thème agité soutenu par une rythmique toute en souplesse. Lopez s’évade allègrement, porté par les contre-chants de Coq, tandis que Lucchini frotte subtilement ses cymbales et Dubrez parsème son discours de shuffle entraînants. Enjoué et moderne, le solo du piano débouche sur un dialogue mélodico-rythmique avec la guitare. « Maladresse » permet au quintet de se retrouver pour autour d’une mélodie mélancolique, que Coq traite avec habileté en jouant avec le rythme et quelques dissonances bien senties. Debrez et Lucchini font monter la tension et entraînent leurs compères dans un final touffu. Changement de décor avec « Countryside » qui démarre sur des roulements vifs de Lucchini et une pédale funky de Dubrez. Le thème est exposé rapidement à l’unisson par la guitare et le ténor, puis le morceau part dans ambiance rock, propulsé par une rythmique puissante, avec un solo aérien de Lopez et des embardées free de Marshall, entrecoupées de traits rauques… Crooner oblige, la guitare déroule tranquillement « Love Me Tender », à peine troublée par le crépitement de la batterie et les motifs minimalistes de la contrebasse. Retour au quintet pour « Oliver’s Twist », un air tendu qui alterne contre-chants et unissons. Contrebasse et batterie assurent une pulsation robuste sur laquelle le ténor surfe avec entrain, suivi par la guitare dans un même esprit, tandis que le piano les encourage, à grand renfort de phrases énergiques et d’accords denses. Pour le solo de Coq, dans une veine bop, Debrez et Lucchini repassent à la walking et au chabada. Après des roulements abrupts et des lignes superposées, « Scolotism » emprunte de nouveaux des chemins bop avec des jeux sur le tempo de la walking et du chabada, et des chorus rapides pimentés de touches bluesy. Pour « Dodécasong », intermède élégant et humoristique, Lopez, en solo, est passé à la guitare acoustique, qu’il conserve pour « 3 Temps ». Le quartet joue cette valse lente et dansante avec délicatesse, à l’image du solo de Dubrez, musical et entraînant. Draft se conclut sur un « Choral » majestueux, mouvement d’ensemble émaillé de nappes sonores éthérées, bruitages électro aériens, son spatialisé…
Lopez ancre sa musique dans la tradition bop et rajoute des touches personnelles qui apportent une modernité bénéfique. Draft n’a rien d’un brouillon et paraît plutôt bien pensé !
Draft
Ben Lopez