02 décembre 2025

Joce Mienniel monte le son à la bibliothèque Andrée Chedid

Depuis 2017, pendant un mois, entre novembre et décembre, les bibliothèques de Paris organisent le festival Monte le Son autour d'une thématique commune. En 2025, du 6 novembre au 6 décembre, une vingtaine d'événements (gratuits) se déroulent aux quatre coins de la capitale pour faire un « zoom sur de surprenants instruments ». Le 22 novembre, la bibliothèque Andrée Chedid propose un concert en solo du multi-flûtiste et poly-instrumentiste Joce Mienniel.

Comme le rappelle Mienniel avec malice, « l’art de la flûte est quand même quelque chose de millénaire maintenant... Cet instrument est là depuis soixante mille ans, donc je ne pense pas que l’on puisse encore se poser la question de savoir s’il est moderne ou pas… » Le musicien est venu avec une belle panoplie de flûtes, du piccolo à la flûte basse en passant par la grande flûte en ut, la flûte alto, mais aussi un bansurî de Pondichery, diverses guimbardes, quelques percussions et moult loopers. Grand amateur d'ethnomusicologie et de musiques du monde, l'artiste tient à préciser qu'il ne s'agit pas de rejouer des morceaux de tel ou tel pays : « ce que vous allez entendre n’est pas la musique d’un territoire, mais la musique de mon territoire… »

Joce Mienniel – Bibliothèque Andrée Chedid – 22 novembre 2025 © PLM


Mienniel attaque avec « Stéréométrie », composition au programme de Babel, enregistré en 2018 avec un sextet entre jazz et musique du monde. Le flûtiste utilise cet air comme matériau de base pour réunir des musiciens de style différent, à l'instar de ses rencontres avec les Instruments Migrateurs. Après une introduction douce et méditative aux accents indiens, à l'aide des loopers Mienniel enregistre des riffs rapides sur lesquels il expose le thème mélodico-rythmique. Au fur et à mesure qu'il développe « Stéréométrie », il étoffe l'arrière-plan, qui devient dense et hypnotique. Les superpositions de voix et l'utilisation de techniques étendues donnent l'impression d'avoir à faire à un orchestre. Pour le deuxième morceau, Mienniel commence par enregistrer trois motifs en contre-chant avec un bansurî, à la sonorité aiguë et boisée. Il ajoute ensuite un motif rythmique interprété à la guimbarde et complété par des percussions. Dans ce décor ethnique touffu, les phrases et autres stridulations de la  flûte se détachent telle une prière. Mienniel enchaîne avec une ligne majestueuse à la flûte basse et un riff lointain, qui lui servent de toile de fond pour un développement entre musique du monde et minimalisme. Quand le piccolo, strident, s'en mêle, le morceau prend une tournure folklorique. C'est toujours en Asie, mais plutôt dans l'Himalaya que nous emmène à présent Mienniel. La guimbarde et les vocalises graves, vibrantes et douces ressemblent à une mélopée bouddhiste. Après avoir rajouté des vagues de notes, le morceau change de direction et la flûte de Mienniel surfe énergiquement au-dessus, emportée par cet environnement puissant. Cette ambiance surchauffée, ponctuée de cris, d'effets de souffle, de claquements des clés… fait quasiment penser à une samba ! La conclusion est une ligne et des riffs élégants sur un bourdonnement électro. Pour terminer le concert, Mienniel reprend un deuxième morceau de Babel : « Medina Coura ». Evocation d'un quartier de Bamako, ce thème est un hommage à Ali Farka Touré. Là encore, Mienniel compose ses poly-rythmes avec soin : une boucle de base jouée avec les clés et ponctuée d'effets de bouche, auxquels se combinent des riffs profonds à la flûte, des vibrations de guimbarde, des percussions et des coups de sifflet. Dans ce climat sonore intense et dansant, la flûte trace des courbes tendues et entraînantes.

Heureux qui comme le public de la bibliothèque Andrée Chedid, a fait un beau voyage grâce à Mienniel et ses flûtes enchantées…

 


 


01 décembre 2025

Guillaume Latil & Matheus Donato au Café de la Danse

Pour célébrer la sortie d'Hémiphères le 15 septembre 2025 chez Matrisse Productions, le violoncelliste Guillaume Latil et le joueur de cavaquinho Matheus Donato se produisent au Café de la Danse le 5 novembre 2025. 

Avec le Cuareim Quartet, en duo avec Pierre Tereygeol ou Anthony Jambon, dans Le Temps Virtuose en compagnie de Sophie Alour, Pierre Perchaud et Anne Paceo ou aux côtés d'André Manoukian, de Mosin Kawa et de Rostom Khachikian, Latil multiplie les coopérations musicales tous azimuts. Doanato n’est pas en reste, en solo ou en trio avec Mauricio Melo et Darcy Gomes ou le projet Aquele Baïle!, avec Azilis Esnault, Edouard Ravelomanantsoa, Christope Bras, Giulia Tamanini et Rossmary Rangel... Leur curiosité commune pour tout style musical, avec une prédilection pour les musiques du monde et le jazz, ne pouvait que les rapprocher. 

Le programme de la soirée reprend dix des douze morceaux d'Hémisphères, plus l'andante du concerto pour deux mandolines d'Antonio Vivaldi, « Sensivel » de Pixinguinha et « Un Verdadero Americano », signé Donato. Alour et Perchaud sont venus écouter leur compère du Temps Virtuose, il faut dire que le guitariste est le directeur artistique du disque. Rozenn Bézier, Thierry Eliez, Diego Imbert, Clément Janinet... font également partie du public.

Matheus Donato & Guillaume Latil – Café de la Danse – 5 novembre 2025 © PLM

Sur le fringant andante de Vivaldi, Donato fait sonner le cavaquinho comme une mandoline, tandis que le violoncelle en pizzicato assure la basse continue. Le duo enchaîne sans transition « Palais Longchamps », une composition élégante de Latil. Donato passe d'un soutien délicat à un déroulé vif, pendant que le violoncelle brode dans une veine lyrique. Le morceau éponyme du disque est entraînant avec un dialogue du cavaquinho et du violoncelle qui prend parfois la tournure d'un tango : les phrases romantiques du violoncelle répondent aux lignes magistrales du cavaquinho. Dans « Aos Meus Amigos » le violoncelle dessine des arabesques tandis que le discours du cavaquinho s'inscrit également dans une ambiance arabo-andalouse dansante. « Urban Poem » démarre dans une atmosphère baroque avec des leitmotivs solennels, puis le cavaquinho et le violoncelles mettent en scène un motif sombre. Le cavaquinho joue un ostinato imperturbable pendant que le violoncelle virevolte et le morceau s'emballe avant un final poétique. « Et si... », sorte d'intermède sans thème, repose juste sur quatre accords simples qui s'entrecroisent. « Milonga Gris » est un morceau du pianiste argentin Carlos Aguirre. Sur un riff entraînant de Latil en pizzicato, Donato fait d'abord jaillir le thème à toute allure, avant de le développer avec subtilité, sans cesser de converser avec le violoncelle. « Sensivel » de Pixinguinha démarre par des effets et un foisonnement de voix. Sur une ligne de basse solide jouée au violoncelle, le cavaquinho expose ensuite la valse, qui prend un virage folklorique. Latil et Donato s'en partagent le développement, gracieux et aérien. « Un Verdadero Americano » est un morceau de Donato en 5/8 inspiré d'un meringue vénézuélien. La mélodie et le rythme sont sophistiqués, un mélange de danse et de musique classique. Le romantique « Träumerei », tube de Robert Schumann extrait du cycle Kinderszenen, prend de l'élan quand Latil frappe la table d'harmonie et Donato glisse des syncopes dans son interprétation. « Yaô » est un maxixe de Pixinguinha. Après une introduction au violoncelle préparé, dont la sonorité s'apparente de loin à une sanza, le cavaquinho déroule lentement l'air sur un pizzicato tranquille du violoncelle. L'accélération et les crépitements du duo font décoller « Yaô », avec une dramaturgie habilement structurée. Le thème-riff de la « Prière en Bambara » reprend l'architecture d'un morceau traditionnel avec des boucles rythmiques et le discours du cavaquinho qui ressemble à celui d'une kora. La conclusion rappelle davantage la musique manouche, avec des échanges acérés entre Latil et Donato. Une gigue folklorique enjouée lance « Horochoroforró », combinaison du horo bulgare, du choro et du forró brésiliens… Le violoncelle et le cavaquinho alternent les rôles jusqu'au chorus virtuose de Donato, a capella, et à la reprise de la ronde folklorique qui conclut le morceau. En bis, le duo propose « La vie en rose » et fait chanter le public. 

Le jazz du monde de Latil et Donato réunit deux Hémisphères géographiques, peut-être, mais surtout musicaux : musiques ethniques et musiques savantes. Ils nous donnent en tous cas l'occasion d'écouter un duo inouï et une musique envoûtante.

27 novembre 2025

Le Maxiphone envahit le Studio de l’Ermitage

Le 4 novembre, au Studio de l’Ermitage, Frédéric Pouget présente le disque Sauvage, enregistré avec le Maxiphone, dextuor composé de Rozann Bézier au trombone, Anne Colas à la flûte, Adrien Chennebault à la batterie et aux percussions, Maarten Decombel à la guitare et à la mandoline, Janick Martin à l’accordéon, Maïlys Maronne au piano et aux claviers, Benoît Michaud à la vielle à roue électro-acoustique, Ömeir Sagirdiek à la basse et aux effets électroniques et Guillaume Schmidt aux saxophones.

Créée en 2001, Le Maxiphone est un collectif de musiciens qui propose des projets à géométrie variable : Te souviens-tu ? un duo de Pouget (clarinettes) et Schmidt (saxophones), accompagné d’une comédienne et d’images, mises en scène ; Le très grand petit orchestre, spectacle pour milieu scolaire, également articulé autour de Pouget et Schmidt ; Rose, le trio Sarigedik (basse), Romain Maurel (violon) et Pouget, en compagnie des danseuses Claire Malchrowicz, Lisa Robert et Youmi Bazoge ; Hülk, super power trio avec Schmidt (saxophones, Fender Rhodes), Benoît Lugué (basse) et Denis Barthe (batterie) ; Sauvage, qui reprend la musique de Jean-Philippe Rameau et dont l’album éponyme est sorti le 19 septembre 2025.

Le programme de Sauvage est entièrement consacré à Rameau et Pouget s'est associé à Daniel Yvinec pour la direction artistique du projet. La « Gigue en rondeau », « Les Cyclopes » et le « Tambourin » sont extraits du Deuxième livre de Pièces de clavecin, publié en 1724. Quant à la « Gavotte », « La Poule », « Les Sauvages », « Les Trois Mains » et « L’indifférente », ils sont tirés du Troisième livre de Pièces de clavecin, sorti en 1728. Le Maxiphone interprète le répertoire de Sauvage en suivant l’ordre du disque, comme une suite, en enchaînant les mouvements. Même si l’acoustique du Studio de l’Ermitage est sans doute mieux adaptée pour des orchestres de plus petite taille, hors de question de bouder son plaisir ! 

Le Maxiphone - Sauvage - Studio de l'Ermitage - 4 novembre 2025 © PLM

La « Gavotte » (extraite de la Suite en La) démarre sur des chants d’oiseaux accompagnés par le pépiement des instruments et un bourdon joué par l’accordéon et la vielle. Dans cette ambiance de volière, la mandoline, rapidement rejointe par l’orchestre, joue un air majestueux qui s’apparente à un hymne. Comme dans la plupart des autres mouvements, le morceau se décompose en plusieurs tableaux. Après l’exposition du thème, des dialogues entre sections alternent avec des lignes superposées, sur une rythmique qui mélange subtilement foisonnement et puissance. L’introduction sévère du trombone sur les effets électro et le clavier pour la « Gigue en Rondeau » de la Suite en Mi mineur laisse place à un développement cristallin du Fender, qui parsème son discours d’accents funky, sur un rythme de marche imposant. Chœurs tonitruants, passages baroques et ambiance de bal se partagent ensuite l’explication de texte. « Les Cyclopes », de la Suite en Ré majeur, s’inscrivent d’abord dans des échanges minimalistes qui peuvent évoquer la musique contemporaine, puis un air langoureux, comme le chant d’un troubadour, renforcé par le jeu de la mandoline et les vocalises de Decombel, répond au thème vif et entraînant. Le final est luxuriant, avec l’orchestre qui en met partout sur des rythmes ébouriffants. Détour par la Suite en sol avec « La Poule », suivi du tube de Rameau, « les Sauvages », réutilisé en 1735 pour Les Indes Galantes. Les effets électro sombres, les nappes de sons lointaines et le motif lancinant du début de « La Poule » rappellent ça-et-là le gamelan, d’autant que la musique évolue lentement jusqu’à un riff dansant souligné par les boucles de la batterie et la pédale du piano. Le reste de l’orchestre entre peu à peu dans la ronde, qui glisse vers du folk touffu et des poly-rythmes entraînants. « Les Sauvages » démarrent dans une veine folklorique, avant que l’accordéon ne réponde lentement au jeu économe du piano, et que tous les instruments s’unissent pour lancer le thème sur un tempo étiré. Le morceau se déroule en plusieurs phases, d’un trio de contre-chants entre l’accordéon, la vielle et la mandoline à une déstructuration du thème, en passant par un chorus intimiste du piano, une ode solennelle, un solo élégant de la clarinette basse... Retour à la Suite en Mi mineur avec « Tambourin » qui commence par les volutes free du saxophone sur une pédale et des ostinato discrets du piano. Le développement du morceau renoue avec des unissons denses entraînants, une valse ample, des moments dépouillés, des tutti fracassants… pour conclure par une sorte de farandole marquée par des claquements de mains. Tiré de la Suite en La, « Les Trois Mains » permet à Chennebault de faire résonner ses peaux dans un festival de roulements musclés et de frappes vigoureuses, qui contrastent avec les propos contemporains de Martin, porté par Maronne, bientôt rattrapés par tout l’orchestre. Après une danse en suspension, un dialogue sombre de Bézier et Chennebault et des effets électro, le bouquet final est grandiose ! L’accordéon joue « Ramille », intermède court et délicat, prémices à l’introduction de « L’Indifférente », deuxième mouvement de la Suite en sol, qui vient clôturer Sauvage. Aux teintes folk succèdent des bribes de phrases éparses sur lesquelles flottent les arabesques de Colas. Après une série de contrepoints baroques captivants, les instruments se mettent à piailler dans tous les sens… Le final est une alternance de mouvements d’ensemble athlétiques, de conversations privées et de solo de saxophone aérien.

Le concert du Maxiphone au Studio de l’Ermitage est un régal du début à la fin et n’appelle que trois mots : bravo et merci ! Quant à Sauvage, il est d’ores et déjà un classique indispensable dans toute discothèque digne de ce nom.

 

Le disque

 

Sauvage
Le Maxiphone
Fred Pouget (cl, ar), Rozann Bézier (tb), Anne Colas (fl), Adrien Chennebault (dm, perc), Maarten Decombel (g, mandoline, voc), Janick Martin (acc), Maïlys Maronne (clav, p, voc), Benoît Michaud (vielle à roue électro-acoustique), Ömeir Sagirdiek (b, elec), Guillaume Schmidt (saxes).
Le Maxiphone
Sortie le 19 septembre 2025



Liste des morceaux

 

01. « Gavotte » (6:21).
02. « Gigue En Rondeau » (8:32).
03. « Les Cyclopes » (7:45).
04. « La Poule  » (6:29).
05. « Les Sauvages » (10:36).
06. « Tambourin » (12:38).
07. « Les Trois Mains » (10:15).
08. « Ramille » (1:41).
09. « L'Indifférente » (6:55).

Tous les morceaux sont signés Rameau.



15 novembre 2025

Mah Damba et la Litanie des Cimes au Studio de l’Ermitage

La Litanie des Cimes se produit au Studio de l’Ermitage le 29 octobre 2025 pour présenter Mah Under The Repetitive Skies, sorti le 17 octobre chez Cyclope Label. Pour ce projet, Clément Janinet (violon et nyckelharpa – vielle à roue suédoise), Elodie Pasquier (clarinettes) et Bruno Ducret (violoncelle) jouent en compagnie de la djèli Mah Damba.

Mah Damba, Hugues Mayot, Clément Janinet & Bruno Ducret – Studio de l’Ermitage – 29 Octobre 2025 © PLM

Le soir du concert, Hugues Mayot remplace Pasquier aux clarinettes. Le répertoire reprend les morceaux du disque et commence par le bien-nommé « Jamako » (‘la communauté’ en Bambara). Sur une tournerie du violon, le violoncelle expose une mélodie particulièrement solennelle. La voix, medium-grave, s’élève, claire et puissante, entre chant et scansion, soutlignée par les phrases élégantes de la clarinette, une ligne imposante du violoncelle et un motif répétitif du violon. Le deuxième tableau, instrumental, commence par des effets bruitistes à base de grincements, bourdonnements, frottements, crissements… qui se transforment en bourdon, sur lequel la clarinette déroule une mélodie fluide, avant la reprise du chant final. Les cordes frappées de Janinet et le bourdon de Ducret servent d’écrin à « Koumbe », mélodie aux modulations teintées d’orientalisme et subtilement mise en relief par les volutes de Mayot. Le trio s’envole dans tous les sens, tandis que Mah Damba passe dans un mode spoken word, toujours vigoureux. Le violon aligne ensuite des trilles, double-cordes, mordants et contrepoints virtuoses, puis laisse place au violoncelle pour un air étiré grandiose. La passion, « Jarabi », passe par les contre-chants entrelacés du violon, du violoncelle et de la clarinette, dans un style musique de chambre baroque, sur lesquels le chant aérien, émouvant et rythmé de Mah Damba entraîne irrémédiablement le public à frapper dans les mains. Les pizzicato qui se répondent donnent une allure cérémoniale à l’introduction de « Maningako » (‘plusieurs fois’ en Bambara). Les riffs amples du violon, du violoncelle et de la clarinette forment un arrière-plan dense au chant incantatoire et lointain de Mah Damba, qui prend un tour poétique, encore accentué par les broderies astucieuses de Ducret. « Mah Under The Repetitive Skies » commence par des bruitages de Mayot sur des cithares sur table, Ducret sur son violoncelle et Janinet sur son nyckelharpa. Le chant reste entre déclamation et mélodie, dans une ambiance répétitive minimaliste, voire mystérieuse. Une tournerie folklorique laisse place à un passage baroque, avant une ambiance médiévale, avec une mélopée triste renforcée par la clarinette basse. Le morceau se poursuit avec une partie chaloupée, riff entraînant de la clarinette basse, lignes croisées et dansantes du nickelharpa et du violoncelle, sur un chant rythmé aux accents bluesy. Le chorus de Ducret, virevoltant, imaginatif et percussif est ébouriffant ! Le final de « Mah Under The Repetitive Skies » ressemble à une gigue, accompagnée par les claquements de mains des spectateurs. « Jelibaba » est combiné avec « Mariama » de Boubacar Traoré et « Tournons », repris de Danse ?, disque de Janinet sorti en 2019 avec Mayot, Yves Robert au trombone, Joachim Florent à la contrebasse et Emmanuel Scarpa aux percussions. Ducret démarre à fond de train en mêlant cordes frottées et heurtées, glissando, grattés, doubles cordes, motifs humoristiques… pour déboucher sur un riff vif et entraînant, repris par le violon, stimulé par le public. Le dialogue entre la voix et la clarinette basse, sur un accompagnement inamovible du violon et du violoncelle, met en avant « Mariama », un chant mélancolique profond, qui permet à Janinet de prendre un solo habile, enlevé et intense. Puis le quartet lâche prise et part dans un magma sonore imposant, quelque part entre Ornette Coleman et Albert Ayler. Ultime tableau du morceau, « Tournons » est une ode funèbre dramatique et théâtrale. En bis, « Yaya » (‘père’ en bambara) est un air nostalgique dans lequel les contrepoints du trio répondent au chant aérien et minimaliste de Mah Damba puis au solo sinueux de la clarinette basse.

La Litanie des Cimes poursuit son voyage sur les sentiers du jazz, de la musique contemporaine et de la World Music avec Mah Damba. Les ciels de Janinet, Pasquier ou Mayot, et Ducret, sont peut-être répétitifs, mais ne se ressemblent pas et sont simplement beaux ! 

Le disque

Mah Under The Repetitive Skies
La Litanie des Cimes
Elodie Pasquier (cl), Clément Janinet (vl, nickelharpa) et Bruno Ducret (cello), avec Mah Damba (voc).
Cyclope Label
Sortie le 17 octobre 2025

Liste des morceaux

01. « Jamako » (6:10).
02. « Jelibaba » (6:56).
03. « Jarabi » (3:51).
04. « Koumbe » (6:54).
05. « Yaya » (5:56).
06. « Maningako » (4:38).
07. « Mah Under The Repetitive Skies » (3:13).

 


01 novembre 2025

Portraits au Studio de l'Ermitage - Jean-Marie Machado

A l'occasion des trente ans de la compagnie Cantabile, Jean-Marie Machado propose une série de portraits au Studio de l'Ermitage les 14, 15 et 16 octobre 2025. Les trois soirées sont organisées autour de deux concerts par soirée : un des projets de Machado et une scène ouverte à des musiciens amis.

Le 14 octobre commence par La saga des vagues, le duo de Machado et Keyvan Chemirani, suivi du trio Ornicar, avec Joachim Machado, Renan Richard et Côme Huveline. Le 15 octobre verra le duo de Séverine Morfin et Malik Ziad précéder le Machado Novo Trio, avec Machado, ClaudeTchamitchian et Ze Luis Nascimento. Quant au 16 octobre, il démarre avec Back on the Block, le duo de Pauline Bartissol et Jean-Charles Richard, avant Cantos Brujos, projet de l'orchestre Danzas avec Ana Pérez.


Mardi 14 octobre 2025

 

La saga des vagues
Jean-Marie Machado & Keyvan Chemirani 

Depuis 2017 et la sortie d'Impulse Songs, les chemins de Machado et Chemirani se sont souvent croisés, notamment dans Majakka, projet créé en 2020 par Machado, avec Jean-Charles Richard et Vincent Segal. En 2025, les deux musiciens se retrouvent autour d'un projet en duo : La saga des vagues.

Jean-Marie Machado & Keyvan Chemirani – Studio de l’Ermitage – 14 octobre 2025 © PLM

« Le pays des orages » évoque la région de Darjeeling, fameuse pour ses thés. Chemirani navigue entre zarb et autres percussions pour maintenir des poly-rythmes entraînants, tandis que Machado développe le thème-riff avec un lyrisme musclé, teinté de touches andalouses. « Un niño en la calle » était déjà au programme de Takiya ! Tokaya !, disque co-publié en 1997 avec Jean-Marc Padovani, en compagnie de Jean-François Jenny-Clark et Paul Motian, mais aussi de Caminando, album en duo avec David Liebman, sorti en 2008. Des ostinatos accompagnent l’exposition de cet air aux accents latinos, soutenus par des rythmes foisonnants. Le piano intercale ensuite des phrases rubatos d’allures romantiques, soulignées par les percussions, vives et légères. Chemirani troque le zarb pour le santour et demande en rigolant que les éclairages rougeoyants soient changés car il ne distingue plus les quelques soixante-douze cordes de l’instrument ! La sonorité aiguë, métallique et cristalline du santour et les cordes du piano donnent une couleur indienne au morceau. Les échanges entre les deux musiciens sont intenses, portés par des questions-réponses, unissons, riffs, ostinatos et autres motifs mélodico-rythmiques. Les ondulations de « Pluie blanche », sur des percussions luxuriantes, débouchent sur une version néo-bop dynamique de « Nardis ». « Le réveil de l’Indien » est une référence au pic de Bure, dans le massif de Dévoluy, dont la forme ressemble à un Indien couché… Vu l’énergie impressionnante du chorus de Chemirani et les contre-chants rythmiques de Machado, il n’est pas étonnant que l’Indien se soit réveillé ! C’est plutôt du côté de la musique contemporaine que lorgne « La lune des étonnements » : le jeu minimaliste, dissonant et tendu du piano est ponctué de frottements, cliquetis, frappes éparses et sonnailles des percussions. Pour conclure le set, le duo interprète « Retreat Poetry ». Une rythmique sèche, nerveuse et dense accompagne un piano qui, au gré des tableaux, se montre tantôt joueur (Erik Satie n’est pas si loin) tantôt lyrique.

Machado et Chemirani surfent sur des vagues mélodiques et rythmiques plus grisantes les unes que les autres...

 

Ornicar
Joachim Machado, Renan Richard et Côme Huveline 

Emanation du Bissap Sextet créé par le saxophoniste baryton Renan Richard-Kobel, Ornicar est un Power Trio monté en 2016 avec Joachim Machado à la guitare électrique et Côme Huveline à la batterie. Leur premier album, Maëlstrom, est sorti en janvier 2020.

Renan Richard-Kobel, Côme Huveline & Joachim Machado – Studio de l’Ermitage – 14 octobre 2025 © PLM

Dès le premier morceau le ton est donné : une batterie puissante et véloce, une guitare entre ostinato et accords planants et un saxophone baryton qui alterne lignes mélodiques et effets lointains réverbérés. Ornicar joue dans la cour des jazz-rockeurs. Le deuxième morceau enfonce encore davantage le clou car Huveline passe aux pads, encore plus sourds, Machado plaque des effets électro spatiaux, tandis que, en arrière-plan, Richard déroule des nappes de sons digne d’un orgue. Après une introduction tonitruante de la batterie sur une pédale du baryton, la guitare expose « Ficus », un thème-riff, souligné par le contre-chant du saxophone et qui débouche sur un slow. Puis, poussé par les frappes binaires d’Huveline et les lignes de basse de Richard, Machado part dans un chorus de Guitar Hero dans une veine Metal. Dans le quatrième morceau, sur une rythmique toujours puissante et une guitare aérienne, le baryton développe une mélodie simple dans un style plus jazz, fluide et mélodieux. « La pierre contre la vitre » se déroule en trois tableaux : le premier dans un esprit slow-rock avec des effets électro rêveurs sur une batterie vigoureuse, le deuxième plutôt dans un style électro-rock, avant un troisième mouvement minimaliste. Des ostinatos de la guitare et des pédales du baryton accompagnent les furies de la batterie qui propulse « Spread » dans les limbes du rock progressif, avec Machado une nouvelle fois en Guitar Hero. Après un démarrage dans une atmosphère éthérée avec des phrases dépouillées, le septième morceau retrouve les chemins du rock alternatif, porté par les frappes luxuriantes d’Huveline et les contrepoints élégants de Machado et Richard. « IA » est dense, voire brutal – notamment le solo final d’Huveline. Le baryton joue des lignes intenses sur une batterie poly-rythmique entraînante et des épures mélodieuses de la guitare.

Pour le bis, le trio invite Machado et ils reprennent « Um Vento Leve », air inspiré par Fernando Pessoa et au programme de Majakka. Ornicar abandonne son jazz ascendant rock pour un jazz moderne. La batterie, rassérénée, maintient une carrure imperturbable, le piano, raffiné, alterne accompagnements mélodiques et rythmiques, la guitare, adoucie, s’envole ça-et-là sur des effets électro et le saxophone soprano illumine le morceau de ses volutes délicates.

Qu’elle soit jazz-rock prog ou jazz-électro-rock, la musique d’Ornicar est musclée, et ce n’est pas de la gonflette !


Mercredi 15 octobre 2025

Séverine Morfin et Malik Ziad 

Séverine Morfin – alto – et Malik Ziad – mandole, guembri et banjo – se sont rencontrés lors d'une tournée du chanteur Piers Faccini. En 2024 ils décident de monter un projet ensemble, dans lequel ils piochent le répertoire du set.

Séverine Morfin & Malik Ziad – Studio de l’Ermitage – 15 octobre 2025 © PLM

La mélodie douce et cristallines aux modulations moyen-orientales exposée par le mandole et mise en relief par le bourdon de l’alto plante le décor. Morfin accompagne ensuite avec un pizzicato enlevé les motifs dansants de Ziad. Quand c’est au tour de l’altiste de prendre son chorus, les accords du mandole soulignent le discours de l’alto. Le final est une suite de contrepoints entraînants. Le duo enchaîne sur un tableau mystérieux, triolets de l’alto et ligne minimaliste du mandole, qui monte en puissance avec un bel effet théâtral. Dans « Raphaelle », Ziad change de tabouret – il glissait sur la banquette piano – et passe au guembri, dont la sonorité rappelle un mélange de guitare basse acoustique et de contrebasse. Le riff grave et groovy de Ziad soutient une mélodie solennelle étirée par l’archet de Morfin. Après un dialogue rythmique pimenté, le morceau s’achève presque dans une ambiance de dance-floor ! La belle et sobre « Lisière » démarre sur deux riffs croisés, puis part sur une ligne mélodique gracieuse, développée au mandole et ponctuée par les ostinatos de l’alto. Retour au guembri et au pizzicato pour une ronde entraînante au parfum médiéval. La ligne de basse minimaliste et le thème en suspension évoluent crescendo, alto en doubles cordes et riff puissant du guembri, jusqu’au final dansant, aux accents moyen-orientaux, renforcés par le chant de Ziad. Le set se conclut avec le bien nommé « Rituel », composition de Ziad, au répertoire du concert des Instruments Migrateurs le 3 avril 2025 au Comptoir Halle Roublot, avec Joce Mienniel et Vincent Peirani. Sur un air moyen-oriental particulièrement accrocheur, Morfin alterne ronde dansante et envolées débridées, tandis que Ziad jongle avec les maqâm au mandole et au chant, avec des modulations typiquement arabo-andalouses.

Enjoué, vif et sincère, le duo Morfin – Ziad propose un alliage de Moyen-Orient, folklore et jazz qui appelle au voyage !


Como as flores
Machado Novo Trio

Machado et le trio, ce n'est pas une nouvelle aventure : en 1988 le pianiste enregistre son premier disque, Father Songs, en trio avec François et Louis Moutin. Disque qui sera suivi de Kah ! Pob ! Wah ! en 1989, puis Séquence Thmiryque en 1993. En 2007, Machado réitère l'expérience avec Jean Philippe Viret et Jacques Mahieux pour Sœurs de sang. Huit ans plus tard, Machado y revient encore une fois en compagnie de Henning Sieverts et François Merville. Voici donc le quatrième trio du pianiste : Machado Novo Trio avec Claude Tchamitchian et Ze Luis Nascimento, pour le projet Como as flores (comme les fleurs, en portugais) et un disque qui sortira en janvier 2026 sur le label La Buissonne.

Claude Tchamitchian, Jean-Marie Machado & Ze Luis Nascimento – Studio de l’Ermitage – 15 octobre 2025 © PLM

Machado Novo Trio reprend neuf des dix titres au programme de Como as flores. La mélodie élégante de « De memorias e de saudade » évoque avec justesse des souvenirs et de la nostalgie. D’autant plus que Tchamitchian a sorti l’archet et que Nascimento caresse ses percussions pendant que Machado déroule une ligne romantique. Cette ambiance intimiste s’évapore avec un chorus de contrebasse puissant, des poly-rythmes chatoyants et des envolées arpégées, ponctuées d’« espagnolades ». La valse de l’oursin – « Valsa ouriço » – s’appuie sur un thème-riff cristallin et dansant. Ce morceau rythmique est ponctué de solos mélodieux de la contrebasse et de la batterie. Le piano, pour sa part, est au four et au moulin : jeu dans les cordes, petits motifs aigus, pédales et riffs fusent. Machado s’est inspiré de « nos larmes jamais pleurées », tirée d’un texte de Christian Bobin, pour composer « Our Tears Never Cried ». Les échanges entre les petites phrases mélancoliques du piano, agrémentées d’appogiatures et autres triolets, les unissons et le minimalisme de la contrebasse, et le foisonnement aérien des percussions s’apparentent parfois à de la musique de chambre contemporaine. Le trio lance « Nardis », composé en 1958 par Miles Davis (ou Bill Evans, nul de le saura jamais…?), en mode hard-bop, avec walking, chabada et phrasé vif. Mais, sous l’impulsion d’un motif rock prog de la contrebasse et du climat groovy imprimé par les percussions, le trio s’aventure dans les contrées du rock alternatif. Le morceau suivant « est dédié à ma chérie, avec qui nous vivons depuis quarante-deux ans » : « Romantic Spell » « est une chanson d’amour, hein ! Donc mettez-vous en mode relax ». La ballade, carrure minimaliste de la contrebasse et balais tranquilles de la batterie, laisse de l’espace à des interactions bien senties, avec une alternance de tension et détente, toujours dans un style musique de chambre. Le trio traverse ensuite la vie avec « Transvida », à un rythme énergique et sur des interactions soutenues entre le piano, dans une veine contemporaine tendue, la contrebasse, qui répond à l’archet, et les cymbales, frémissantes. Dans ce véritable « concerto pour percussion », Nascimento prend un solo d’anthologie dans lequel, sur une pulsation constante, il met en scène toutes ses percussions, des peaux et cymbales habituels de la batterie aux cow bells, en passant par des grelots, shakers, coquilles, cymbalettes, apeaux… tout en s’encourageant de la voix, et avec beaucoup d’humour. Un solo énorme et solennel de Tchamitchian à l’archet ouvre « Perdido em clareza ». Le thème, chaloupé, très cinématographique, sert de base à des échanges soutenus et tendus, parsemés d’accents andalous. Pour « Le voleur de fleurs », un morceau vif et entraînant, Machado démarre en puissance, soutenu par le chœur de la contrebasse et des percussions, puis le piano cavale entre la carrure solide de Tchamitchian et le foisonnement de Nascimento. « L’endormi », déjà au programme de Danses enfouies, enregistré avec Keyvan Chemirani en 1998, clôture la soirée. Le piano développe la mélodie obscure et lyrique sur les roulements des tambours et les lignes profondes de la contrebasse.

Les trois jardiniers du Machado Novo Trio ont tout compris aux fleurs : Como as flores est coloré, parfumé, surprenant et séduisant, comme un jardin au printemps...

Le disque

Como as flores
Machado Novo Trio
Jean-Marie Machado (p), Claude Tchamitchian (b) et Ze Luis Nascimento (percu)
Label La Buissonne - RJAL397052
Sortie en janvier 2026

Liste des morceaux 

01. « Romantic Spell » (4:04).
02. « Valsa ouriço » (4:55).
03. « De memorias e de saudade » (6:52).
04. « Le voleur de fleurs » (5:03).
05. « Our Tears Never Cried » (4:36).
06. « Nardis », Miles Davis (3:55).
07. « Piuma » (4:36).
08. « Perdido em clareza » (8:08).
09. « Transvida » (6:14).
10. « L’endormi » (4:40).

Tous les morceaux sont signés Machado, sauf indication contraire.

12 octobre 2025

Or Mathilde – La Marmite Infernale

En 1978, le Marvelous Band et le Workshop de Lyon fusionnent et créent l’Association à la Recherche d’un Folklore Imaginaire, plus connue sous le nom d’ARFI. Son grand orchestre, La Marmite Infernale, et son label naissent dans la foulée. Depuis la fin des années soixante-dix, une soixantaine d’artistes ont sorti une trentaine de disques, de tendances esthétiques parfaitement hétéroclites. Depuis Moralité surprise, en 1983, La Marmite Infernale a enregistré onze albums. Or Mathilde, leur douzième opus, sort le 17 octobre 2025.

Pour Or Mathilde, La Marmite Infernale s’appuie sur un orchestre de quatorze musiciens plus une dizaine d’invités. Les onze morceaux au programme ont été composés par des musiciens de La Marmite Infernale : Félix Gibert, Clément Gibert, Thibaut Martin, Colin Delzant, Jean-Paul Autin et Olivier Bost. Le graphisme de la pochette, des formes découpées entourées de textes manuscrits, est signé Jérôme Lopez.

Les mélodies sont souvent burlesques (« Cagneux boiteux »), bouffonnes (« Marchand de poivre »), voire (faussement) enfantines (« Or Mathilde »), mais leur expressivité exacerbée (« Les moules à la plancha ») leur confère un aspect légèrement inquiétant (« Riffir »). Nous sommes davantage dans les slapsticks de Mack Sennett que des tartes à la crème de Laurel et Hardy. Dans Or Mathilde la voix est cruciale, non seulement comme instrument, mais aussi pour les paroles, à l’instar du texte scientifique qui décrit un insecte (« Le sillon du grillon »), du dialogue téléphonique qui aboutit à une recette de moules à la plancha (« Les moules à la plancha »), de discours dada (« La montagnarde du Gacard »), de poèmes décalés (« L’immaculée »), de petits airs en passant (« Manège ») ou de texte violent, révolté et cru (« Les dents de ma mère »). Fanfare déjantée (« Cagneux boiteux »), ensemble de musique contemporaine (« Le sillon du grillon »), orchestre lyrique (« Manège ») ou folklorique (« La montagnarde du Gacard ») et même médiéval free – un nouveau style en gestation – (« Marchand de poivre »), La Marmite Infernale passe aussi par un slam (« Réservoir ») avec « Summertime » (pas celui de George…) en filigrane. Le déroulé des morceaux se base fréquemment sur une montée crescendo de l’orchestre (« Marchand de poivre ») jusqu’à atteindre une intensité paroxysmique (« Riffir »). Les contre-chants touffus (« L’immaculée »), les voix superposées sur différents plans (« Le sillon du grillon »), les duos haut en couleur entre trombone – banjo (« Manège »), voix ou violoncelle – saxophone sopranino (« Riffir », « Or Mathilde ») ou voix – soubassophone (« La montagnarde du Gacard »), et les effets électro, vocoder (« Cagneux boiteux ») ou guitar hero (« La montagnarde du Gacard »), mettent en avant toutes les sonorités de cet ensemble singulier. Si La Marmite Infernale est évidemment marquée par les rythmes entraînants des Marching Band (« Cagneux boiteux ») et une batterie imposante (« Marchand de poivre »), l’orchestre s’appuie également sur des motifs dansants (« Manège »), des rythmes latino (« Les moules à la plancha »), des rondes entraînantes (« Marchand de poivre ») et autres riffs festifs (« La montagnarde du Gacard »).

La Marmite Infernale propose une musique expressionniste, spectaculaire et dramatique. Or Mathilde est une œuvre théâtrale dans une lignée expérimentale underground.

 

Le disque

Or Mathilde
La Marmite Infernale

Jean-Paul Autin (sos), Olivier Bost (tb), Colin Delzant (cello), Elsa Foucaud (voc), Christophe Gauvert (b), Clément Gibert (bcl, as), Félix Gibert (soubassophone), Damien Grange (voc), Pauline Laurendeau (voc), Thibaut Martin (d), Emmanuelle Saby (cl, voc), Alfred Spirli (percu), Laura Tejeda Martin (voc) et Elisa Trebouville (bj, voc), avec Asmãa Aloui, Isabelle Cavoit, Aurélia Delacroix, Diane Delzant, Pauline Laurendeau, Nicole Mersey Ortega, Emmanuelle Saby, Élisa Trebouville et Anaïs Vives
ARFI - AM079-2025
Sortie le 17 octobre 2025

Liste des morceaux

 

01. « Cagneux boiteux », Félix Gibert (4:33).
02. « Marchand de poivre », Clément Gibert (4:17).
03. « Les moules à la plancha », Félix Gibert (4:11).
04. « Riffir », Martin (3:09).
05. « L’immaculée » (2:22).
06. « Manège », Delzant (7:01).
07. « Or Mathilde », Martin (2:12).
08. « La montagnarde du Gacard », Clément Gibert (4:49).
09. « Le sillon du grillon », Autin (3:53).
10. « Réservoir », Delzant (6:39).
11. « Les dents de ma mère », Bost (8:42).


10 octobre 2025

La cité engloutie - Jean-Paul Daroux Project

Le Jean-Paul Daroux Project est né en 2016 avec Daroux au piano, Jean-Christophe Gautier à la contrebasse et Luca Scalambrino à la batterie. Le trio enregistre La légende des 7 sages en 2017 et Change or No Change en 2021. Leur troisième opus, La Cité engloutie, sort le 10 octobre 2025, toujours sur le label Plaza Mayor.

Titre du disque oblige, les huit morceaux composés par Daroux font référence à l'archéologie sous-marine : l'Atlantide, les sirènes, le sextant, le vent, le mistral… s'invitent au programme.

Daroux façonne des airs courts et efficaces, comme autant de chansons, (« La cité engloutie »), ballades lyriques ( « Mistral sur le levant »), bandes-son (« Le dernier chant venu de l'Atlantide ») ou comptines (« Dans l'œil du Sextant »), mais aussi des thèmes dansants aux couleurs latines (« Embarquement pour l'illusion ») ou andalouses (« Le récif des sirènes »). La plupart des morceaux foisonnent ( « Vents contraires ») ou se déroulent dans une veine néo-bop fluide (« Embarquement pour l'illusion »), avec des envolées noisy (« Le dernier chant venu de l'Atlantide »), aux allures de rock progressif ( « Mistral sur le levant »), aux consonances baroques (« Le dernier chant venu de l'Atlantide ») ou teintées de Moyen-Orient (« Mistral sur le levant »). Il y a aussi des passages mélodieux, accentués par la contrebasse jouée à l’archet (« Rue Carpeaux »). Les riffs graves et profonds de Daroux (« La cité engloutie ») sont soulignés par les lignes vrombissantes de Gautier (« Embarquement pour l'illusion ») et la batterie puissante de Scalambrino (« Vents contraires »). La contrebasse et la batterie sont tour à tour tranquilles (« Le dernier chant venu de l'Atlantide ») ou entraînantes (« Rue Carpeaux »), voire be-bop, avec une walking et un chabada, entrecoupés de rim shop (« Embarquement pour l'illusion »). Si la batterie se montre volontiers exubérante (« Dans l'œil du Sextant ») et vive (« Rue Carpeaux »), la contrebasse est plus économe (« Vents contraires »), tout en maintenant une carrure solide (« Le récif des sirènes »). Le trio joue également sur les contrastes sonores entre effets électro, piano cristallin, et contrebasse sombre.

Dans La cité engloutie, Daroux poursuit son bonhomme de chemin entre jazz et rock, avec une musique fringante et dansante. 

Le disque

La cité engloutie

Jean-Paul Daroux Project

Jean-Paul Daroux (p), Jean-Christophe Gautier (b) et Luca Scalambrino (d).
Plaza Mayor - SERG408
Sortie le 10 octobre 2025

Liste des morceaux

01. « La cité engloutie » (5:32).
02. « Le dernier chant venu de l'Atlantide » (6:02).
03. « Le récif des sirènes » (5:06).
04. « Embarquement pour l'illusion » (5:26).
05. « Dans l'œil du Sextant » (5:30).
06. « Vents contraires » (5:15).
07. « Mistral sur le levant » (6:51).
08. « Rue Carpeaux » (5:48).

Tous les morceaux sont signés Daroux.

06 octobre 2025

Hémisphères – Guillaume Latil & Matheus Donato

Un duo violoncelle – cavaquinho, voilà qui est inédit ! C’est ce que proposent Guillaume Latil et Matheus Donato dans Hémisphères, qui sort le 15 septembre 2025 chez Matrisse Productions.


Le cavaquinho n’est pas un instrument si fréquent dans l’hémisphère nord, pourtant il est né au Portugal, mais il est rapidement devenu une institution au Brésil. Cette petite guitare à quatre cordes est également l’ancêtre de l’ukulélé hawaïen, du cuarto vénézuélien, du kroncong indonésien… Le carvaquinho de Donato n’a pas les quatre cordes traditionnelles, mais six, comme une guitare.

Au programme d’Hémisphères, cinq morceaux signés Latil, trois de Donato, « Yâo », composé en 1938 par Pixinguinha et Gastão Viana, « Träumerei », la « Rêverie » de Robert Schumann, tirée des Scènes d’enfants (ou Kinderszenen) écrites en 1838, et « Milonga Gris » au répertoire de Caminos, album de Carlos Aguirre paru en 2006.

Des thèmes délicats (« Palais Longchamp ») au lyrisme dansant (« Milonga Gris ») à des comptines mélancoliques (« Oriente »), voire romantiques (« Träumerei »), teintées de tradition africaine (« Prière en Bambara ») ou brésilienne (« Yâo »), en passant par une ambiance solennelle baroque (« Urban Poem - Prélude »), des accents andalous (« Urban Poem »), des climats folkloriques touffus (« Horochoroforró ») ou minimalistes (« Et Si… »), Hémisphères propose une variété mélodique séduisante. Dans les développements, Latil et Donato alternent des contre-chants élégants (« Urban Poem ») et des échanges raffinés (« Hémisphères ») avec des envolées véloces (« Palais Longchamp »), des dialogues entraînants (« Aos Meus Amigos ») et des contrepoints foisonnants (« Horochoroforró »). Ici les phrases sinueuses du cavaquinho se mêlent aux volutes tortueuses du violoncelle (« Milonga Gris »), et là, les lignes douces de Donato se marient aux rubatos de Latil (« Anne-Élise »), avec un sens dramatique évident (« Oriente »). Latil et Donato utilisent également toutes les possibilités de leurs instruments pour maintenir une pulsation contagieuse : pizzicatos dansants (« Milonga Gris »), riffs puissants (« Yâo »), pompe quasiment manouche (« Aos Meus Amigos »), ostinatos enlevés (« Prière en Bambara »), boucles arpégées (« Hémisphères »), suites d’accords vifs (« Prière en Bambara »), table d’harmonie comme percussion (« Oriente »), changements rythmiques énergiques (« Horochoroforró »)…  

World Music, musique de chambre, jazz ou quoique ce soit d’autre, peu importe, Latil et Donato proposent une musique féerique et Hémisphères est un disque à mettre entre toutes les oreilles !

Le disque

Hémisphères

Guillaume Latil & Matheus Donato

Guillaume Latil (cello) et Matheus Donato (cavaquinho)
Matrisse Productions - HLD001
Sortie le 19 septembre 2025

Liste des morceaux

01. « Palais Longchamp », Latil (4:18).
02. « Prière en Bambara », Latil (5:59).
03. « Urban Poem - Prélude », Latil (2:09).
04. « Urban Poem », Latil (5:41).
05. « Hémisphères », Latil (1:12)
06. « Aos Meus Amigos », Donato (3:57).
07. « Yâo », Pixinguinha & Gastao Viana (4:38).
08. « Träumerei », Robert Schumann (2:10).
09. « Et Si… », Latil (2:02).
10. « Milonga Gris », Carlos Aguirre (6:20)
11. « Horochoroforró », Latil (3:28)
12. « Oriente », Donato (4:06).
13. « Anne-Élise », Donato (2:56).

04 octobre 2025

The Straight Horn – François Jeanneau & Emile Spányi

The Straight Horn c’est « le biniou droit » ou saxophone soprano dans le jargon du jazz, mais aussi un clin d’œil à Strayhorn, Billy de son prénom et alter ego de Duke Ellington de 1939 à 1967. François Jeanneau et Emile Spányi rendent donc hommage au pianiste compositeur dans The Straight Horn, qui sort le 10 octobre 2025 chez Parallel Records.

Les duos saxophone – piano ne courent certes pas les rues, mais ne sont pas non plus complètement absents des discothèques, comme le prouvent Archie Shepp et Horace Parlan, Steve Lacy et Mal Waldron, Dave Liebman et Richie Beirach, Joshua Redman et Brad Mehldau… pour n’en citer que quelques uns (avec des saxophonistes soprano – et ténor).

Jeanneau et Spányi ont inscrit trois pièces d'Ellington au programme et onze de Strayhorn. Ils commencent leur hommage par une mélodie mélancolique, « Come Sunday », composée par Ellington en 1943 pour la suite Black, Brown and Beige, et développée par le saxophone soprano avec délicatesse sur les lignes arpégées du piano. Ecrit par Strayhorn en 1939 et d'abord enregistré en 1940 par Johnny Hodges et son orchestre, « Day Dream » glisse élégamment, porté par le rubato du piano. Spányi passe au Fender pour « A Flower Is A Lovesome Thing », alternance d'échanges heurtés et de contrepoints subtils. Ce morceau, au répertoire de A Peaceful Side, album publié en 1963 par Strayhorn sous son nom, mais  enregistré en 1961 avec Michel Gaudry à la contrebasse et le Quatuor de Paris, reflète le goût de Strayhorn pour la musique impressionniste française du début XXe. La Far East Suite, sortie en 1967, est un incontournable dans l'œuvre d'Ellington et « Isfahan » l'un de ses mouvements-phare, que Jeanneau et Spányi abordent avec tranquillité, dans une ambiance relax, presque bluesy. Le duo interprète dans une veine West Coast raffinée « Johnny Come Lately », qui fait partie d'une série de thèmes composés en 1941, année pendant laquelle les musiciens membres de l'ASCAP, dont Ellington, ont été boycottés par les radios. « Blood Count » est la dernière œuvre de Strayhorn, terminée peu avant sa mort, en 1967, qu'Ellington a enregistrée dans son célèbre disque-hommage : And His Mother Called Him Bill. Jeanneau et Spányi respectent la solennité du morceau et les nappes de sons du synthétiseur apportent une touche lugubre. Le duo reprend ensuite « Lush Life » comme s'ils discutaient paisiblement et intimement au coin du feu. Ce tube, travaillé entre 1933 et 1936, est enregistré pour la première fois en 1948 au Carnegie Hall avec la chanteuse Kay Davis, Strayhorn au piano, et l'orchestre d'Ellington. Dans un décor bluesy, le saxophone soprano et le piano lancent de belles envolées animées à partir de « My Little Brown Book », thème moins connu qui remonte à 1935, mais n'a été enregistré par Ellington qu'en 1942. Spányi utilise le Fender et des effets pour créer une atmosphère vaporeuse dans laquelle flottent les volutes du saxophone soprano qui vont comme un gant à « Chelsea Bridge », autre classique de Strayhorn sorti en 1941. Dans « Raincheck » - lui aussi de 1941 - Jeanneau et Spányi accélèrent le tempo, tendent leurs dialogues et débrident leurs notes. Indicatif musical d'Ellington composé en 1939 par Strayhorn, « Take The A Train » est joué en suspension par le saxophone soprano sur les crépitements et arpèges du piano. Jeanneau et Spányi expriment à merveille la sensibilité de « Lotus Blossom », que Strayhorn a forgé en 1947, mais nommé qu’en 1959, avant qu’il ne devienne le morceau de clôture des concerts d'Ellington. « The Star-Crossed Lovers », écrit en 1956 pour Such Sweet Thunder, reste dans un environnement placide et mélodieux. Des questions-réponses dynamiques du saxophone soprano et du piano illustrent  « U.M.M.G. » (Upper Manhattan Medical Group), composé en 1956 à l'occasion des enregistrements d'Ellington pour Bethlehem Records. The Straight Horn s'achève sur « A Christmas Surprise », ode ou comptine solennelle que Lena Horne et Strayhorn ont interprété en duo en 1965.

Fidèles à l’esprit du couple Ellington – Strayhorn, Jeanneau et Spányi conversent en toute quiétude, avec un tact et une finesse qui caressent l’oreille.


Le disque


The Straight Horn 
François Jeanneau &  Emil Spányi
François Jeanneau (ss, lyricon) et Emil Spányi (p, kbd)
Parallel Records - PR026
Sortie le 10 octobre 2025

 

Liste des morceaux


01. « Come Sunday », Ellington (3:40).
02. « Day Dream », Strayhorn (4:18).
03. « A Flower Is A Lovesome Thing », Strayhorn (6:27
04. « Isfahan », Ellington (3:56).
05. « Johnny Come Lately », Strayhorn (4:35).
06. « Blood Count », Strayhorn (4:10).
07. « Lush life », Strayhorn (4:26).
08. « My Little Brown Book », Strayhorn (3:26).
09. « Chelsea Bridge », Strayhorn (4:53).
10. « Raincheck », Strayhorn (4:58).
11. « Take The A Train », Strayhorn (2:57).
12. « Lotus Blossom », Strayhorn (6:09).
13. « The Star-Crossed Lovers », Ellington (2:51).
14. « U.M.M.G. », Strayhorn (3:56).
15. « A Christmas Surprise », Strayhorn (3:12).