09 avril 2024

Letter To The World – Lionel Martin & Sangoma Everett

En 2019, Lionel Martin et Sangoma Everett avaient repris Afrique, album de Count Basie et Oliver Nelson, enregistré en 1971. Cinq ans plus tard, les revoilà avec un tout autre projet autour du blues : Letter To The World sort le 15 mars 2024 chez Ouch ! Records. Le duo invite Sophia Companion pour dire « This Is My Letter To The World », poème d’Emily Dickinson qui a inspiré le titre de l’album, et le percussionniste Alain Chaléard pour les accompagner au bendir sur « Afro Blues ». 
 
Cette lettre ouverte au monde est bien remplie ! Le morceau éponyme est signé Everett, qui propose également deux autres compositions, « Fane » et « Chazelles » (le village du Jura où vit Everett), oécrites avec Bruno Delanchy, organiste Hammond dans leur DEL trio, avec le saxophoniste Jérôme Lefebvre. Les trois thèmes de Martin sont engagés : pacifiste (« No Guns »), anarchiste (« Ni Dieu ni maître ») et prophétique (« A la recherche du temps futur »). Quant au fatidique « I’am Talking To The Wall », il est cosigné Martin – Everett. Les deux musiciens reprennent également « Who Knows » de l’album Band of Gypsy (1970) de Jimi Hendrix, et le standard « Afro Blues », que Mongo Santamaria a publié en 1959.
 
Le duo bombarde un jazz progressif puissant dans « No Guns », avec un saxophone ténor sous looper et une batterie brutale et mate. Ensuite, porté par la voix medium et claire d’Everett et les riffs inamovibles de Martin, « Who Knows » transpire le blues. Suit un thème-riff épais, un ténor musculeux et une batterie athlétique qui font d’« A la rechercher du temps futur » un morceau jazz-rock-blues intense. Comme il se doit, le morceau-titre, « Letter To The World », est solennel, dense et aérien à souhait. « Afro Blues », lui, évolue dans une ambiance lancinante, entre acoustico-rythmique et électro-spatiale. Après ce chant quasi-incantatoire, « Irarrazabal » lorgne vers la world music : le saxophone soprano, mobile et volubile, répond aux tambours, foisonnants. Mais le gospel a aussi sa voix au chapitre quand le saxophone ténor, en shouter emphatique, et la batterie, brute de fonderie, jouent « Fane », un slow binaire aux contours bluesy. Changement de décor avec « Chazelles », dans une veine jazz funk entraînante et jouissive, à la Sonny Rollins. La batterie se tait et les saxophones pleurent pour « I’Am Talking To The Wall » : Everett déclame avec simplicité et gravité un poème émouvant écrit pour le départ d’un ami, Polo. Letter To The World se conclut sur un « Ni Dieu ni maître » trapu et bluesy, qu’Auguste Blanqui aurait apprécié.
 
La splendide Letter To The World d’Everett et Martin est une ode libertaire teintée de blues… 

Le disque

Letter To The World

Lionel Martin & Sangoma Everett

Lionel Martin (sax, elec) et Sangoma Everett (d, voc), avec Sophia Companion (voc) et Alain Chaleard (Bendir).
Ouch ! Records – V001/27
Sortie le 15 mars 2024

Liste des morceaux


01. « No Guns », Lionel Martin (03:10).
02. « Who Knows », Jimi Hendrix (03:21).
03. « A La Recherche Du Temps Futur », Lionel Martin (02:30).
04. « Letter To The World », Sangoma Everett (03:44).
05. « Afro Blues », Mongo Santamaria (04:31).
06. « Irarrazabal », Yves Cerf (03:25).
07. « Fane », Sangoma Everett & Bruno Delanchy (03:59).
08. « Chazelles », Sangoma Everett & Bruno Delanchy (02:45).
09. « I'Am Talking To The Wall », Sangoma Everett & Lionel Martin (05:07).
10. « Ni Dieu Ni Maître », Lionel Martin (03:29).

07 avril 2024

Floating – Poécordes

Nouveau duo sur la scène du jazz, Poécordes regroupe le pianiste François de Larrard et le batteur Mathieu Bec. Ils sortent leur premier disque, Floating, le 23 février 2024 chez Mazeto Square.

Au répertoire de Floating, pas moins de quinze morceaux, pour la plupart des compositions instantanées, dont les titres, parsemés de jeux de mots, évoquent la musique avec « Vagabondage harmonique », « Tapin tonique » (pour le tambour militaire, évidemment !), « Pin-pon » (merci les véhicules prioritaires) et « Chromatic Walk » (L’entrée des gladiateurs…), la poésie (« Au creux de ton oreille », « L’oiseau prie », « Petit matin lyonnais »…), deux hommages à des musiciens (« A Kiss To Keith » pour Keith Jarrett et « Parlure (ses cils, dès lors) » que nous pouvons imaginer dédié à Cecil Taylor), des « Forteresses » esseulées et, pour introduire et conclure l’album, les logiques « Comme un départ » et « Séparations ».

« Comme un départ » pose les bases de la musique du duo : un piano qui se promène avec agilité sur les quatre-vingt huit touches, en alternant traits véloces et motifs mélodico-rythmiques plus lents, et une batterie particulièrement mélodieuse, qui, sur une assise régulière, varie les rudiments au grès des propos de son compère. Les morceaux marient swing solide et embardées free dans des successions de tableaux, construits en fonction des idées que les deux musiciens saisissent au bond. Les ambiances sont éclectiques : néo-bop vif (« Vagabondage harmonique I »), quasi latin-jazz (« Vagabondage harmonique II »), voire caribéenne (« Tapin tonique II »), Africaine (« Tapin tonique I »), ballade mystérieuse sur une rythmique imposante (« Au creux de ton oreille »), classique (dans une veine Erik Satie avec « Petit matin lyonnais ») ou romantique pimentée de bop (« Vagabondage harmonique III »), musique contemporaine (« L’oiseau prie »), Köln Concert (« A Kiss To Keith »)… Les mouvements mélodiques sont, eux aussi, multiformes, de légers et dansants (« Vagabondage harmonique II ») ou sautillants (« Petit matin lyonnais »), à élégants (« Vagabondage harmonique III ») ou emphatiques (« Forteresses »), et, le plus souvent, bondissants (« Parlure (ses cils, dès lors) ») et véloces (« Tapin tonique II »), avec des phrases heurtées (« Tapin tonique I »). La plupart des morceaux sont entraînants (« Vagabondage harmonique I ») et se balancent habilement (« Séparations »). Les riffs du piano se marient aux rythmes touffus de la batterie (« Petit matin lyonnais »). Bec en impose avec sa sonorité brute et charnelle (« Vagabondage harmonique II »), ses mailloches majestueuses à la Jack DeJohnette (« A Kiss To Keith »), son chabada tendu (« Chromatic Walk »), ses crépitements (« Forteresses ») ou son jeu ultra-dynamique (« Pin-pon »). A côté des variations torturées (« L'oiseau prie ») et dissonantes (« Séparations »), ou des discours denses (« Vagabondage harmonique III ») et imprévisibles (« Parlure (ses cils, dès lors) »), de Larrard ne manque pas d’humour (« Petit matin lyonnais »).

Malin du début à la fin, Floating est un cocktail savoureux d’équilibre et de liberté.

Le disque

Floating

Poécordes
François de Larrard (p) et Mathieu Bec (d)
Mazeto Square
Sortie le 23 février 2024

Liste de morceaux

01. « Comme un départ » (6:05).
02. « Vagabondage harmonique I » (5:20).
03. « Au creux de ton oreille » (4:23).
04. « L'oiseau prie » (3:45).
05. « Vagabondage harmonique II » (3:49).
06. « A Kiss To Keith » (4:53).
07. « Petit matin lyonnais » (3:36).
08. « Chromatic Walk » (6:08).
09. « Pin-pon » (2:52).
10. « Vagabondage harmonique III » (4:43).
11. « Forteresses » (4:07).
12. « Tapin tonique I » (4:08).
13. « Parlure (ses cils, dès lors) » (6:25).
14. « Tapin tonique II » (3:53).
15. « Séparations » (3:44).

Toutes les compositions sont signées de Larrard et Bec.



04 avril 2024

La vie d’après – Duo Brady

Michèle Pierre et Paul Colomb montent le Duo Brady en 2010, du nom d’un passage du Xe arrondissement de Paris où, depuis trois ans, ils organisent un festival en juillet. Forts de leur passé classique – CNSM de Paris pour l’une et HEMU de Lausanne pour l’autre – et d’une instrumentation unique – deux violoncelles – le duo prend un malin plaisir à brouiller les pistes, du jazz à la musique contemporaine, en passant par les musiques actuelles.

Après Plaines, sorti en 2020, le Duo Brady revient sur disque en décembre 2023 avec La vie d’après, publié au Ponton desArts. Les treize compositions sont signées du duo. Les titres des morceaux promettent un sacré voyage acoustique spatio-temporel surréaliste qui mène de la Grèce antique – « Le voyage des titans », « Valse en Arcadie » – à Mars – où nous retrouvons Philip Glass dans « Glass on Mars » – avec des escales dans une nouvelle ère norvégienne (« Ny Æra »), l’Islande (« Landsis »), la techno (« Technoïda »), le cœur (« Systole »), Star Trek (« NuqneH! »), le chocolat (« Tarte au snickers »)…
Pierre et Colomb soignent leurs mélodies, tantôt dans un style musique classique (« La vie d’après ») ou baroque (« Valse en Arcadie »), voire minimalistes (« Clic boom ») ou contemporaines (« Glass on Mars »), tantôt mystérieuses et cinégéniques (« Après la nuit »), sombres (« Ny Æra »), ou carrément actuelles, en mode techno (« NuqneH! »). Dans les développements, les deux violoncellistes alternent variations mélodiques et passages rythmiques (« Le voyage des titans »), avec des traits dissonants (« La vie d’après »), parfois étirés (« Landsis »), mais aussi des déroulés cérémonieux (« Valse en Arcadie ») ou des phrases parsemées de modulations et autres glissandos (« Systole »), des boucles entrelacées (« Clic boom ») et des envolées free (« Tarte au snickers »). Le Duo Brady subjugue par ses trouvailles rythmiques. Pourtant, la gageure est là car le violoncelle est l’instrument icône de la pureté mélodique par excellence. Mais Pierre et Colomb maîtrisent l’art du pizzicato comme pas deux : entraînant (« La vie d’après »), en ostinato (« Ny Æra »), horloger (« Clic boom »), léger (« Valse en Arcadie »), mélodico-rythmique (« Le voyage des titans »), en contrepoint (« Landsis ») ou a capela (« Valse en Arcadie »)… Pierre et Colomb puisent aussi au fond des possibilités rythmiques de leur instrument sans utiliser d’effets électro : bourdons à l’archet et jeux sur les variations de volume sonore (« La vie d’après »), grattés vigoureux (« Le voyages titans »), pédales (« Technoïda »), riffs dansants (« Systole »), battements binaires sur la table d’harmonie (« Glass on Mars »), ambiances dance floor (« Technoïda »), motifs rythmiques galopants (« Après la nuit »), cordes frappées à l’archet (« Glass on Mars »)…
Le Duo Brady met le feu et, si nous les écoutons, La vie d’après n’est pas de tout repos, mais vaut certainement le coup d’être vécue !


Le disque 

 

La vie d’après Duo Brady  
Michèle Pierre (cello) et Paul Colomb (cello). 
Le Ponton des Arts – BRA002 
Sortie le 1er décembre 2023

Liste des morceaux

 

01. « La vie d'après » (07:15). 
02. « Le voyage des titans » (05:35). 
03. « Systole » (03:34). 
04. « Ny Æra » (02:51). 
05. « Clic boom » (03:25). 
06. « Capsule jaune » (01:02). 
07. « Glass on Mars » (05:45). 
08. « Technoïda » (04:28). 
09. « Valse en Arcadie » (04:05). 
10. « Landsis » (02:01). 
11. « Tarte aux snickers » (03:37). 
12. « Après la nuit » (04:34). 
13. « NuqneH! » (02:38). 
 
Tous les morceaux sont signés Pierre et Colomb.