15 mars 2024

On ne vit qu’une fois au Studio de l’Ermitage

Kevin Reveyrand mène aussi bien une carrière dans la variété – Julien Clerc, Aşa, Charles Aznavour, Patrick Bruel, Patricia Kaas... – que dans le jazz – Eric Séva (Résonances, Adéo), Khalil Chahine (Kafe Groppi, Kairos), David Voulga (Inner Child), Dominique Fillon (As It Comes), Céline Bonacina (Open Heart)… Ce qui ne l’empêche évidemment pas d’enregistrer sous son nom : World Songs (2013), Reason And Heart (2019), Todos Juntos (2021) et Yolo, qui sort le 2 février 2024 chez Continuo Jazz

Kevin Reveyrand, Christophe Lampidecchia, Olivier-Roman Garcia et Jean Luc Di Fraya © PLM

Pour Yolo, Reveyrand reste avec le groupe de Todos Juntos, à savoir, Olivier-Roman Garcia à la Guitare, Christophe Lampidecchia à l’accordéon et Jean Luc Di Fraya aux percussions. Si le concert du 6 mars au Studio de l’Ermitage s’en tient au quartet, à l’exception d’un duo avec la violoncelliste Isabelle Sajot, pour le disque, le bassiste a ajouté un orchestre de cordes – arrangé par Chahine – des voix – Aşa, Lilou et Soline Reveyrand – et Natascha Rogersaux percussions et chant. 

Le programme du concert reprend quatre thèmes de Todos Juntos, (« Todos Juntos », « Until It’s Gone », « Endless Walk » et « Family »), sept compositions tirées de Yolo (« Tener Esperanza », « Utarizona », « Outside The Box », « Nostos Algos », « Too Many Cooks In The Kitchen », « Ba Ba Iwa » et « Yolo ») et un inédit (« Communion »). 

Le quartet entame le concert avec « Tener Esperanza », représentatif de l’architecture de le plupart des morceaux : percussions touffues et dansantes, basse musicale et entraînante, guitare en soutien mélodico-rythmique et accordéon vif et lyrique. « Utarizona » part dans une ambiance funky-reggae, dynamique et légère, agrémentée des voltiges de Lampidecchia et des virtuosités de Garcia. Avec son thème « cinégénique », repris à l’unisson par des vocalises et l’accordéon, « Todos Juntos » évoque d’abord une bande originale de film, puis le développement est puissant, porté par un riff sourd de la basse, des envolées exubérantes de l’accordéon, des « espagnolades » de la guitare et des percussions enthousiastes. « Outside The Box » s’oriente davantage vers un jazz funky dansant et fébrile, assorti d’un chorus véloce de Reveyrand. Le style flamenco de Garcia fait des merveilles dans le solo a capela de « Nostos Algo », tout comme le chorus luxuriant de Di Fraya.
« Too Many Cooks In The Kitchen » est un morceau chaloupé qui met en relief les qualités mélodiques de Reveyrand, l’habileté de Garcia, la régularité entraînante de Di Fraya et la musicalité de Lampidecchia. Le quartet rend hommage au batteur Félix Sabal-Lecco, décédé le 3 mars 2023, avec « Until It’s Gone ».Après un déroulé dans une ambiance de musique caribéenne, Di Fraya vocalise dans un style requiem. Reveyrand rappelle avec malice que le batteur est surnommé « Le rossignol marseillais »… Sajot rejoint Reveyrand pour « Ba Ba Iwa », un duo élégant, aux touches bluesy, dans lequel l’archet ou le pizzicato du violoncelle répond aux lignes de la basse. Le quartet invite le public à chanter le thème-riff d’« Endless Walk », que Di Fraya commence par siffler, avant qu’il ne soit repris à l’unisson par les vocalises du batteur et du bassiste. C’est le « show à l’américaine », annoncé avec humour par Reveyrand. Pour le morceau éponyme, « Yolo » – You Only Live Once (« on ne vit qu’une fois ») – Reveyrand explique que « j’ai imaginé Gus Viseur et
Thelonious Monk en train de faire un petit bœuf ensemble »… Sur les cliquetis des percussions et l’ostinato de la basse, le thème est heurté, à la Monk, et l’accordéon met du liant, à la Viseur. Sur une rythmique toujours dense, la basse soliloque entre funk et andalou, la guitare se lance dans un flamenco de haut vol, tandis que l’accordéon s’épanche dans un lyrisme à fleur de peau. « Communion » est une composition originale, mélodieuse et dansante à souhait. Pour terminer, Reveyrand invite le public à venir danser le boléro sur « Family ». Un boléro dynamique sur une rythmique latino de bal succède à l’exposé du thème. Par la suite, Garcia prend un solo « espagnol » magnifique, tout comme celui de Lampidecchia, énergique et rapide – avec une citation de la Toccata et fugue en ré mineur en passant. 
 

Dans Yolo, loin de tout snobisme et autre affectation, Reveyrand et ses compères proposent une musique spontanée, faite d’airs harmonieux, soutenus par des rythmes qui invitent à bouger...

08 mars 2024

Sông Song – Janick Martin Trio

Janick Martin s’est fait un nom avec le Hamon Martin Quintet, groupe de musiques folk et bretonnes, bien connu des Armoricains ! Martin compte une douzaine de disques à son compteur, mais Sông Song est le premier sous son nom. Le disque sort le 8 mars 2024 sur le label Le Grand Pas.

Pour former son trio, l’accordéoniste a fait appel à son partenaire de Mashomalibu, le guitariste Julien « Jack » Tual, et au tromboniste Simon Latouche. Le trio invite le saxophoniste Robin Fincker sur deux morceaux (« La Morsure de Papillon » et« Diyarbakir »). Martin signe six morceaux et reprend « Brahim Alham » de Dick Annegarn, un chant breton, « Seizh re Botoù », et un air kurde, « Diyarbakir ». Comme l’explique Martin, Sông Song s’inspire d’Entrez dans la danse, roman de Jean Teulé basé sur la manie dansante qui s’est emparée des habitants de Strasbourg en 1518...

La plupart des thèmes s’apparentent à des rondes (« Epidemic Dance », « Langon Bleu »), exposés à l’unisson (« Brahim Alham »), qui évoquent ça-et-là des airs médiévaux (« Portrait »). Les trames mélodiques sont variées : enjouées (« Langon Bleu »), sophistiquées (« La Morsure de Papillon »), dansantes (« Tiger Milk »), mais aussi empreintes d’accents mélancoliques (« Seizh Re Botoù »), majestueux (« Diyarbakir ») ou de tristesse (« Sông Song »). Le trio construit ses développements sur des contre-chants vifs (« Seizh Re Botoù »), des superpositions de phrases habiles (« Diyarbakir »), des questions-réponses relevées (« Seizh Re Botoù »), des croisements de lignes subtils (« Sông Song ») et des mouvements d’ensemble élégants (« Portrait »), qui évoluent dans des ambiances changeantes, tantôt tendues (« Tiger Milk ») voire touffues (« Epidemic Dance »), tantôt aériennes (« Tiger Milk »), presque minimalistes (« Sông Song »). Le climat prédominant de Sông Song est évidemment folk, teinté de musique irlandaise (« Tiger Milk ») ou slave (« La Morsure de Papillon »), mais tempéré de passages rock (« Portrait », « Tiger Milk »), jazz (« Epidemic Dance »), d’échanges contemporains (« Portrait ») ou de déroulés cinématographiques (« Sông Song »). Des riffs en contrepoint (« Epidemic Dance ») aux ostinatos hypnotiques (« Brahim Alham »), des jeux poly-rythmiques (« La Morsure de Papillon ») aux boucles imbriquées (« Langon Bleu »), le trio parvient à maintenir un cadre rythmique entraînant du début à la fin.

Avec Sông Song, Janick Martin Trio s’aventure dans un univers jazz folk (et vice-versa) où le plaisir de jouer et de se régaler tous ensemble prime avant tout, sans jamais tomber dans la facilité. Bravo !

 

Le disque

Sông Song

Janick Martin Trio

Janick Martin (acc), Julien Jack Tual (g) et Simon Latouche (tb), avec Robin Fincker (ts)
Le Grand Pas – LGP 023
Sortie le 8 mars 2024

Liste des morceaux

     
01. « Epidemic Dance » (6:34).
02. « Portrait » (6:43).
03. « Brahim Alham », Dick Annegarn (4:49).
04. « La Morsure de Papillon » (4:52).
05. « Sông Song » (6:38).
06. « Langon Bleu » (2:18).
07. « Tiger Milk » (4:15).
08. « Seizh Re Botoù », Traditionnel Breton (5:39).
09. « Diyarbakir », Traditionnel Kurde (3:19 ).

Tous les morceaux sont signé Martin, sauf indication contraire.



27 février 2024

Jusqu’où s’évapore la musique au Triton ?

En plus de ses activités autour de la poésie, de la danse et de l’image, et la pédagogie, Jérôme Lefebvre trouve encore le temps de monter des projets musicaux : le TransJura 4tet avec Yves Cerf, Christophe Lincontang et Paolo Orlandi, le Jérôme Lefbvre Trio aux côtés de Lincontang et Sangoma Everett, les duos Lefebvre <> Orti, avec Guillaume Orti, et Les Jérômes, en compagnie de Jérôme Regard, le spectacle solo Maintenant, et le FMR Orchestrâ, créé en 2021.

Outre Lefebvre à la guitare, le FMR Orchestrâ est constitué de Loïc Vergnaux aux clarinettes (Quostet, Kolm, Minimistan, Liken...), Timothée Quost aux trompettes et électro (Quostet, Dawàa, Mraolia, Liken...), Orti aux saxophones (Hask, Mercoledi & Co, D.U.O., MegaOctet, Kartet, Mâäk, Thôt...), Benoît Keller à la contrebasse (Trio 928, Trio Résisteances, ODOS…) et Daniel Jeand’heur à la batterie (PAX, Tôk, Full Tree, One Shot...). Le sextet sort Jusqu’où s’évapore la musique le 1er mars 2024 chez Altrisuoni et présente le disque au Triton le 22 février. 

Jérôme Lefebvre - Daniel Jeand'heur - Benoît Keller - Timothée Quost - Loïc Vergnaux - Guillaume Orti (c) PLM

La première partie du concert reprend le répertoire de Jusqu’où s’évapore la musique ? Il s’agit d’une suite de neuf mouvements composés par Lefebvre, séparés par cinq transitions, improvisées par chacun des membres du sextet. La suite commence par une « Ouverture »... qui annonce la couleur : une superposition subtile des voix sur une rythmique foisonnante, qui assure une carrure entraînante. Mouvements et transitions sont enchaînés. «  A Courbet » (hommage au peintre et à la ferme éponyme de Flagey ?) se déroule sur le même modèle : bugle, clarinette et saxophone voltigent, pendant que guitare, contrebasse et batterie maintiennent la pulsation.

La première transition prend une tournure bruitiste, avec des glissandos, notes tenues, modulations, sirènes… puis débouche sur « Le petit matin du peintre », qui démarre sur un ostinato suraigu lancinant. La trompette reprend ensuite le motif, soutenu par une contrebasse et une batterie dynamiques, et la guitare se lance dans un chorus dans une ambiance entre blues et rock progressif.

La clarinette volette en toute légèreté dans la deuxième transition. Les cliquetis de la rythmique sur les boucles étirées de la guitare et de la basse plongent « La sieste » dans une atmosphère entre cirque et cabaret, avec des accents klezmer et des sonorités d’orgue de barbarie. Quost ajoute de l’électro en jouant de sa trompette sans embouchure au-dessus d’un micro relié à une boite d’effets gutturaux, cris, éructations, souffles…

Keller et Jeand’heur jouent une transition sépulcrale, qui annonce magistralement la « Grave ballade », courte pièce à l’unisson, lente et mystérieuse. La transition d’Orti part dans une direction totalement différente, basée sur les techniques étendues : claquement de langue, double-notes, sauts d’intervalles, vocalises, motifs plaintifs… Sur une rythmique sourde, « Strange Feeling » évoque d‘abord les mélodies tourmentées d’Albert Ayler, puis se transforme rapidement en fanfare déjantée, plutôt dans l’esprit de Charles Mingus. Le chorus de Lefebvre navigue entre rock et jazz, avec des touches bluesy. « Yves » (clin d’œil à Yves Cerf ?) est lancé sans transition, avec une mélodieuse sérénité, avant que Quost et Vergnaux ne lâchent les rênes dans des solos à ascendant free.

La transition de Quost alterne atmosphère cinématographiques et science-fiction, alors que « Jusqu’où s’évapore la musique ?  s’aventure plutôt vers les îles, porté par le timbre acoustique de la guitare, les bruitages lointains et un climat d’ensemble nonchalant…

Le dernier mouvement, « Bordello con expressividad », est une reprise du disque éponyme enregistré en 2011 par Lefebvre avec James Mac Gaw et Jean-Yves Roucan. Le morceau prend des allures rock progressif, avec les soufflants qui jouent un arrière-plan puissant et la rythmique qui foisonne, jusqu’au solo imposant de Jeand’heur...

Lefebvre et ses compères proposent une musique fringante et simplement savante, sorte de Fanfare Moderne Rêveuse. Sublimation d’une suite, Jusqu’où s’évapore la musique ? confirme qu’il serait dommage que cet orchestre soit éphémère !

 

Le disque
 
Jusqu’où s’évapore la musique ?  
FMR Orchestrâ 
Loïc Vergnaux (cl, bcl), Timothée Quost (tp, bg, electro), Guillaume Orti (as, ss, ts),Jérôme Lefebvre (g), Benoît Keller (b) et Daniel Jeand’heur (d). 
Altrisuoni – AS375 
Sortie le 1er mars 2024

 

Liste des morceaux

 
01. « Ouverture » (01:06).
02. « A Courbet » (05:21). 
03. « Transition #1 » (01:01). 
04. « Le petit matin du peintre » (06:18). 
05. « Transition #2 », Vergnaux (01:57). 
06. « La sieste » (05:20). 
07. « Transition #3 » Keller et Jeand’heur (03:01).
08. « Grave ballade » (02:35). 
09. « Transition #4 »,Orti (02:49).
10. « Strange Feeling » (05:50).
11. « Yves » (05:53).
12. « Transition #5 », Quost (03:39).
13. « Jusqu’où s’évapore la musique ? » (0:30).
14. « Bordello con expressividad » (10:47).
 
Tous les morceaux sont signés Lefebvre, sauf indication contraire.
 

20 février 2024

Naïri au Studio de l’Ermitage

Depuis ses voyages en Arménie, en 1994 et 1995, Claude Tchamitchian intègre volontiers la culture musicale de ses ancêtres dans ses projets : le duo avec le joueur de kamantcha Gaguik Mouradian (Le monde est une fenêtre), une partie du répertoire de Lousadzak (Need Eden) ou de Ways Out, et, bien sûr, Traces, commémoration du génocide arménien. Naïri, autre nom de l’Arménie, s’inscrit dans une démarche similaire. Tchamitchian présente ce nouveau programme au Studio de l’Ermitage le 13 février.

Naïri sort le 9 février 2024 chez Emouvances. Outre le label, dont le catalogue compte désormais plus d’une quarantaine de disques, la Compagnie Emouvances, fondée en 1994, assure la promotion de musicien, accompagne la diffusion de projets, produit des concerts, organise le festival Les Emouvantes à Marseille et coproduit le festival L’Oreille du Perche.

Pour Naïri, comme toujours ou presque, Tchamitchian s’entoure de musiciens-amis : à la clarinette, Catherine Delaunay, également membre d’Acoustic Lousadzac et de Vortice , et, à la guitare acoustique, Pierrick Hardy, que Tchamitchian accompagne dans L’Ogre Intact. Le programme du concert reprend les quatre suites du disque.
 
Catherine Delaunay - Claude Tchamitchian - Pierrick Hardy © PLM

Si, comme le rappelle Tchamitchian en introduction, Naïri est clairement liée à l’Arménie, la première suite s’inspire davantage de l’aède, ce troubadour de la Grèce antique qui chante des poèmes en s’accompagnant avec une lyre. Le trio enchaine « La caresse du temps », « Guillaumos le Grec » et « Les Sarmates ». L’ambiance solennelle – ostinato de la guitare, unisson de la clarinette et de la contrebasse lent, sombre, mélancolique – et les questions-réponses fougueuses de la clarinette et de la guitare, parsemées de phrases tourbillonnantes, évoquent d’autant plus la musique de chambre, que l’architecture des morceaux est sophistiquée et que le trio a pris le parti du tout acoustique.

« L’écume des soupirs », « Les héros perdus » et « L’invisible armada » constituent la deuxième suite. Les titres sont explicites et cette suite n’invite pas à la rigolade. Un bourdon à l’archet souligne une mélodie triste, exposée par la clarinette. La guitare rejoint sa consœur pour un dialogue profond et d’une rare authenticité. Le développement est grave, avec d’abord un chorus de Tchamitchian à l’archet, pimenté de glissandos aux accents orientaux, puis des lignes mobiles de Delaunay, qui alterne sauts d’intervalles, cris aigus et phrases étirées, le tout soutenu par une pédale et un riff dignes de la musique répétitive. Le troisième mouvement est entrainant à souhait, avec un motif dansant de la contrebasse qui accompagne le solo enjoué de la guitare.

« Armenia » est un intermède dont le thème majestueux et sombre, dans un esprit vingtièmiste, est joué à l’unisson par la clarinette et la contrebasse, à l’archet. Delaunay et Hardy poursuivent dans la même veine, soutenus par un bourdon de Tchamitchian. Le chorus de la guitare, particulièrement raffiné, s’inscrit également dans une lignée chambriste.

La dernière suite s’articule autour d’un thème fétiche de Tchamitchian, « Katsounine », et d’un développement qui reprend le premier mouvement de la première suite, « Le temps d’une caresse ». L’introduction de Tchamitchian, à la fois imposante et mélodieuse, débouche sur un riff puissant qui met en relief les unissons de Delaunay et Hardy, puis, avant une conclusion en douceur, la clarinette s’ébat en toute liberté au-dessus des accords de la guitare et l’ostinato de la contrebasse.
 

Naïri © PLM


Le trio joue à la fois sur les interactions mélodiques, les amplitudes sonores, les variations rythmiques et les nuances harmoniques : Naïri est d’une richesse monumentale !
 

Le disque


Naïri

Claude Tchamitchian Trio

Catherine Delaunay (cl), Pierrick Hardy (g) et Claude Tchamitchian (b).
Emouvance – emv 1048
Sortie le 9 février 2024

 
 
 
 
 
 
 
Liste des morceaux

01. Suite 1 - « La caresse du temps » (7:49).
02. Suite 1 - « Guillaumos le Grec » (2:13).
03. Suite 1 - « Les Sarmates » (6:47).
04. Suite 2 - « L’écume des soupirs » (5:15).
05. Suite 2 - « Les héros perdus » (7:19).
06. Suite 2 - « L’invisible armada » (4:05).
07. Suite 3 - « Armenia » (5:24).
08. Suite 4 - « Katsounine » (6:29).
09. Suite 4 - « Le temps d’une caresse » (2:02).

Tous les morceaux sont signés Tchamitchian.

04 février 2024

Ici au Comptoir

Depuis La Théorie du pilier, sorti en 1987, de l’eau a coulé dans la ria finistérienne de Marc Ducret. Le 7 mai 2023, chez Ayler Records, le musicien sort Ici, son vingt-deuxième opus, en compagnie d’un trio de choc : Samuel Blaser au trombone, Fabrice Martinez à la trompette, au bugle et au tuba, et Christophe Monniot aux saxophones sopranino, alto et baryton. Le quartet s’est produit sur la scène du Comptoir le 30 janvier 2024.

Ducret explique la genèse du projet. Juste avant les confinements, l’artiste se penchait sur la musique sérielle avec le Quatuor Béla pour une adaptation électrique de la Suite lyrique, qu’Alban Berg a composé entre 1925 et 1926. Mais en 2020, le covid sème un vent de panique dans le milieu de la création artistique (pas que…) : comment faire pour continuer à travailler ? « Puisqu’il est pour l’instant impossible d’aller jouer LÀ-BAS, faisons de la musique ICI ! » Ici, c’est en Bretagne, au bord d’un aber. Ducret y compose une suite en quatre mouvements tirés d’une même série, marquée par les saisons, la marée, le temps qui passe, le temps qui change… Pour l’interpréter, il fait appel à des compagnons de longue date : Monniot, avec qui il a enregistré en duo Le dernier tango (2022), et qu’il connaît depuis plus de vingt ans (Qui parle ? – 2003), puis Blaser et Martinez, actifs depuis une dizaine d’années dans ses projets, notamment Métatonal (2014) aux côtés de Bruno Chevillon et Eric Echampard, mais aussi Voyageurs (2021), un duo avec Blaser.

Christophe Monniot - Fabrice Martinez - Samuel Blaser - Marc Ducret © PLM

Le programme de la soirée reprend évidemment les quatre saisons selon Ducret, plus deux morceaux récents : « Chant / Son », repris du Dernier Tango, et « La vie sans toi », tiré de Voyageurs. Comme le fait remarquer Ducret avec humour : « on n’attrape pas des mouches avec du vinaigre ». La suite commence donc logiquement par « L’été, ici », appât idéal pour attirer ses compères au fin fond de l’Armorique…

A l’image de chaque saison, « L’été, ici » n’est pas uniforme et les tableaux se succèdent, de notes égrenées en chœur aux lamentations du saxophone alto, sur un bourdon de guitare, en passant par des passages expressionnistes, des contrepoints touffus et sophistiqués, des dialogues pointillistes, un brouhaha organisé et des chorus pittoresques, avec la guitare et le trombone qui maintiennent un cadre rythmique clair… « L’été, ici » breton n’a rien d’un anticyclone statique ! « L’automne, ici » qui lui succède est abrupt et bondissant, porté par une fanfare sérielle entraînante. Sur une structure complexe d’enchevêtrements d’ostinato, suites d’accords et autres motifs groovy, le trombone et la trompette prennent des solos aussi éclatants que tendus. L’ambiance du choral solennel, quasiment baroque, qui clôt « L’automne, ici » donnerait presque raison à

Marc Ducret - Le Comptoir - Janvier 2024 © PLM
Francis Ponge quand il écrit que « tout l’automne à la fin n’est plus qu’une tisane froide ». Avant de poursuivre avec les quatre saisons, le quartet joue « Chant / Son », resté instrumental puisque personne n’a voulu le chanter… Il faut dire que la mélodie tourmentée, les phrases dissonantes imbriquées, les envolées free du saxophone alto et les développements en zigzag n’ont rien d’une bergerade, et semblent mieux adaptés aux réflexions rock alternatif véloces du guitariste. Retour sur Terre avec « L’hiver, ici ». Tempête sur les cordes : Ducret tire des sons plus ténébreux les uns que les autres à l’aide d’objets placés sur une guitare posée à plat. Dans cette ambiance bourdonnante, les soufflants alternent cris et mélopées, interactions nerveuses et joutes débridées, dans un esprit que n’aurait pas renié Albert Ayler. Pour « Le printemps, ici », Ducret s’est inspiré de deux poèmes de Samuel Beckett. L’introduction étirée, la ligne majestueuse du tuba et l’élégant duo entre tuba et trombone renvoient à la musique de chambre. Les questions-réponses à bâton rompu et la vivacité des propos qui suivent évoquent davantage la bande-son d’un dessin-animé. Après un chorus de Ducret a capela, à la fois mélodieux, rapide et déchiré, « Le printemps, ici » se termine sur un mouvement d’ensemble délicat, porté par les contrepoints de la guitare, dans un climat chambriste vingtième. « Canon » et « La vie sans toi » concluent le concert. Ducret et Blaser croisent d’abord leurs notes à qui mieux mieux sur des unissons de Martinez et Monniot. Les idées fusent comme dans une table ronde, puis le morceau s’achève sur des traits mélancoliques de la trompette. En bis, le quartet reprend un extrait dansant de « L’automne, ici » et renoue avec son côté fanfare free.

Architecture millimétrée, sens de la narration spectaculaire et verve jubilatoire : Ici raconte le ciel, la mer, la nature, la terre… avec une justesse émouvante. Ducret, Blaser, Martinez et Monniot sont des conteurs nés !

 

Christophe Monniot - Fabrice Martinez - Samuel Blaser - Marc Ducret © PLM

 

Le disque

Ici
Marc Ducret
Christophe Monniot (ss, bs, as), Fabrice Martinez (tp, bg, tu), Samuel Blaser (tb) et Marc Ducret (g).
Ayler Records – aylCD-178
Sortie le 7 mai 2023

Liste des morceaux

01. « L'été, ici » (11:58).
02. « L'automne, ici » (08:02).
03. « L'hiver, ici » (09:10).
04. « Le printemps, ici » (10:28).

Tous les morceaux sont signés Ducret.

 

28 janvier 2024

No Dahïss – NoSax NoClar

Le clarinettiste Julien Stella et le saxophoniste – clarinettiste Bastien Weeger forment NoSax NoClar en 2018. Ils publient Kahmsïn en 2019 et Rëd Sisters en 2022. Toujours chez Yolk, le duo sort No Dahïss le 10 novembre 2023.

Cinq des treize morceaux au programme de No Dahïss sont signés Weeger, quant aux huit autres, ils ont été composés par Stella. Les pièces, plutôt courtes – elles durent en moyenne quatre minutes – ont des titres évocateurs qui rappellent que NoSax NoClar trouve son inspiration dans toutes les musiques, et la plupart invitent au voyage : du Sénégal (« Fajar », l’aube en wolof) aux Etats-Unis (« Mississippi »), en passant par la Bretagne (« Daouzek Eizh », douze / huit), l’Egypte (« Kahmsïn », vent chaud du désert), la Haute-Garonne (si « Cox » est bien le village éponyme)… Le duo invite également le trompettiste Paul Weeger sur « Kahmsïn ».

Instrumentation oblige, No Dahïss a d’autant plus un côté musique de chambre que les dialogues sont élégants (« Eli »), les mélodies soignées (« Fajar») et les développements teintés de minimalisme (« Barbary-Ann »). Folkloriques (« Cox ») ou Moyen-Orientaux (« Kahmsïn »), berceuses (« Bye Little Flea ») ou farandoles (« Azëë, Atëëq »), lyriques (« Soon ») ou sautillants (« Jour de fête »), NoSax NoClar varie ses propos. La construction des morceaux repose souvent sur une carrure assurée par la clarinette basse (« Soon »), pendant que le saxophone alterne passages rythmiques en contre-chants et développements mélodiques (« Jour de fête »). Les deux musiciens inventent des motifs rythmiques (« Azëë, Atëëq »), thèmes-riffs (« Mississippi »), ostinatos (« Jour de fête »), pédales (« Bye Litlle Flea »), lignes de basse (« Daouzek Eizh »), boucles évolutives (« Fajar »)… qui mettent plus de relief les uns que les autres (« Soon »). Le résultat donne une musique constamment entraînante (« Kahmsïn »). Stella et Weeger s’appuient également sur une maîtrise impressionnante des techniques étendues pour rendre leurs discours particulièrement expressifs : des claquements de clés (« Eli ») au jeu sans bec (Söüfi »), en passant par les effets de souffle et de voix (« No Dahïss »). Les interactions entre les deux artistes sont d’une précision redoutable, avec des contrepoints virtuoses (« Azëë Atëëq »), des phrases imbriquées au millimètre (« Bye Little Flea »), des décalages au cordeau (« Barbary-Ann »), des unissons géométriques (« Kahmsïn »), des croisements de voix adroits (« Daouzek Eizh »)...

No Dahïss est un carnet de notes passionnant, reflet des pérégrinations musicales de NoSax NoClar, un duo inouï à écouter absolument !

 

Le disque

No Dahïss
NoSax NoClar
Julien Stella (cl) et Bastien Weeger (sax, cl), avec Paul Weeger (tp).
Yolk Records – J2094
Sortie le 10 novembre 2023

Liste des morceaux

01. « Eli (Tribute To Ossipovitch) », Stella (04:04).
02. « Cox », Weeger (03:04).
03. « Jour de fête », Weeger (06:11).
04. « Barbary-Ann », Stella (03:25).
05. « Kahmsïn (Stromboli Version) », Stella (04:58).
06. « Bye Little Flea », Stella (03:46).
07. « No Dåhïss (Live At Jean-Lurçat Museum) », Stella (04:01).
08. « Fajar », Weeger (05:36).
09. « Daouzek Eizh », Stella (03:01).
10. « Mississippi », Weeger (03:18).
11. « Söüfi », Stella (04:34).
12. « Soon », Weeger (04:59).
13. « Azëë Atëëq », Stella (03:01).
 

27 janvier 2024

Fables – Watchdog

Formé en 2016, Watchdog réunit Anne Quillier aux claviers et Pierre Horckmans aux clarinettes. Le duo a sorti You’re Welcome en 2016, Can of Worms en 2017 et Les animaux qui n’existent pas en 2020. Watchdog publiera un quatrième opus, Fables, le 2 février 2024, toujours sur le label du collectif lyonnais Pince-oreilles, dont ils sont membres.

Au programme, sept compositions du duo aux titres souvent évocateurs : la vitalité en danois (sic ! « Livskraft »), la sagesse (« Vieille âme »), Wallace et Gromit (« L’invasion des lapins gloutons »), les systèmes planétaires extra-terrestres (« Tau ceti »), Gilles Deleuze (« Le rêve de l’autre »), Alice au pays des merveilles et la biologie évolutive (« La course de la reine Rouge ») et le paradoxe de l’humanité 😉 (« On chute en gardant les pieds sur terre »). La pochette rougeoyante du disque est signée du dessinateur, graphiste, auteur de bandes dessinées, Benjamin Flao, et représente une usine désaffectée en proie aux flammes, devant laquelle est couché un Watchdog énigmatique…

A l’image de « Livskraft », les mélodies sont empreintes de mélancolie, souvent émouvantes (« Le rêve de l’autre »), voire tristes (« On chute en gardant les pieds sur terre »). Les morceaux se déroulent tour à tour dans des ambiances circassiennes (« Livskraft ») ou de cabaret (« Vieille âme »), une atmosphère de jeux vidéos (« L’invasion des lapins gloutons ») ou latino (« Le rêve de l’autre »), des films de science-fiction (« La course de la reine rouge ») ou du rock alternatif (« On chute en gardant les pieds sur terre »). Le duo s’appuie sur les claviers pour mettre en relief les développements, en créant des décors de limonaire (« La course de la reine rouge » ), des arrières-plans foisonnants (« On chute en gardant les pieds sur terre »), des vagues sonores ( Livskraft »), des motifs minimalistes (« Livskraft »), des lignes de basse profondes (« L’invasion des lapins gloutons »)... Pour la partie rythmique, Quillier et Horckmans font largement appel aux techniques étendues (« La course de la reine rouge ») : claquements de langue, jeu avec les clés, souffle… mais aussi aux effets (« Livskraft »), riffs et ostinatos électro (« Le rêve de l’autre »). Quand Quillier se consacre à la mise en scène, Horckmans laisse sa clarinette voleter en contrepoints discrets (« L’invasion des lapins gloutons »), contre-chants élégants (« Tau ceti ») ou envolées free éloquentes (« Le rêve de l’autre »).

Watchdog livre un nouvel opus de haut vol. Dans Fables, Quillier et Horckmans réussissent à marier musiques populaires et jazz, le tout saupoudré d'effets électro, qui apportent une touche sonore unique et captivante.

Le disque

Fables

Watchdog

Anne Quillier (piano, Fender Rhodes, Moog) et Pierre Horckmans (cl, acl, bcl, électro).
Label Pince-Oreilles – 018/1
Sortie le 2 février 2024

Liste des morceaux

01. « Livskraft » (3:56).
02. « Vieille âme » (3:45).
03. « L’invasion des lapins gloutons » (5:46).
04. « Tau ceti » (2:59).
05. « Le rêve de l’autre » (5:08).
06. « La course de la reine rouge » (5:07).
07. « On chute en gardant les pieds sur terre » (3:44).

Toutes les compositions sont signées Quillier et Horckmans.

23 janvier 2024

Champ de béton – Aram

Aram sort son premier opus, Champ de béton, le 14 décembre 2023. Pour l’occasion, Simon Charrier et ses compères se sont produits au Taquin, à Toulouse. Outre Charrier, le quintet est constitué de Mélanie Buso aux flûtes, voix et machines, Paul Albenge à la guitare, Simon Lannoy au violoncelle et Corto Falempin-Creusot à la batterie.

Charrier a composé les six morceaux de l’album, satires de « l’urbanisation sauvage face à la beauté d’une nature lacérée ». Le cliché de la photographe australienne Megan Kennedy qui illustre la pochette du disque va comme un gant à Champ de béton : une surface en béton dégradée par un fer corrodé…

Champ de béton traite les mélodies par des thèmes-riffs (« Donald »), des lignes légères (« Champ de béton – Part 2 »), des phrasés rock (« Paysage gris ») ou des airs élégamment tristes (« Paysage blanc ») qui frisent l’ode funèbre, avec un lyrisme quasiment baroque (« Paysage bleu »). Dans la plupart des morceaux, la tension s’installe progressivement (« Champ de béton – Part 1 »), souvent portée par un mouvement d’ensemble (« Paysage blanc »), avec des voix superposées, des notes tenues, des vocalises et des crépitements de batterie (« Champ de béton – Part 2 »). Aram fait la part belle au rythme, avec les ostinato d’Albenge et les frappes binaires (« Champ de béton – Part 1 ») ou les roulements profonds (« Paysage blanc ») de Falempin-Creusot, les pizzicato de Lannoy qui encadrent les développements (« Champ de béton – Part 1 »), et des boucles ou des dialogues entraînants de Buso et Charrier (« Paysage gris »). Le quintet travaille également beaucoup sa pâte sonore : la voix qui passent d’éructations brutales (« Donald ») à des vocalises aériennes, modifiées par des pédales de réverbération et d’échos (« Champ de béton – Part 1 »), des notes tenues mystérieuses (« Champ de béton – Part 2 ») qui se muent en arrière-plans luxuriants (« Champ de béton – Part 2 »), un bruitage lointain qui évoque un ruissellement, bientôt suivi de caquètements, grincements et autres crissements (« Paysage bleu »), une ligne de basse lancinante (« Paysage blanc »), une guitare saturée (« Donald ») qui s’envole comme un guitar hero (« Paysage gris »)...

Aram construit sa musique aussi bien à partir de matériaux tirés du jazz que du minimalisme, de la musique classique que du rock alternatif. Champ de béton n’a rien d’une étendue cimentée sinistre et froide, mais tout d’une création musicale imposante…

 

Le disque  

Champ de béton

Aram

Mélanie Buso (fl, afl, voc, electro), Simon Charrier (cl, bcl), Paul Albenge (g), Simon Lannoy (cello) et Corto Falempin-Creusot (d).
ARAM01CHB
Sortie le 14 décembre 2023

Liste des morceaux

01. « Champ de béton – Part 1 » (5:50).
02. « Champ de béton – Part 2 » (7:14).
03. « Paysage bleu » (7:35).
04. « Paysage gris » (5:41).
05. « Paysage blanc » (4:50).
06. « Donald » (5:03).

Tous les morceaux sont signés Charrier.

20 janvier 2024

Migration d’instruments au Comptoir

Depuis septembre 2023, l'équipe du Comptoir donne carte blanche à Joce Mienniel pour un rendez-vous mensuel : Joce Mienniel et les instruments migrateurs. Le flûtiste réunit des musiciens venus de tous les coins du monde pour des concerts uniques. Trois trios se sont déjà produits avec Mienniel sous la Halle Roublot : d'abord Senny Camara à la kora et Clément Petit au violoncelle, ensuite Amrat Hussain aux tablas et Mieko Miyazaki au koto, puis, en décembre, Atea avec Pierre Durand à la guitare et Didier Ithursarry à l'accordéon. Le 11 janvier 2024, Mienniel invite Aïda Nosrat au violon et au chant, Landy Andriamboavonjy à la harpe et au chant, et Abdallah Abozekry au saz.

 

Abdallah Abouzekry - Joce Mienniel © PLM

 

Comme d'habitude, le public est averti, l'ambiance bon enfant, le dîner délicieux et la maîtresse des lieux, Sophie Gastine, présente le concert du jour en précisant que la musique est complètement improvisée et que les musiciens se sont retrouvés pour répéter à quinze heures, avant de jouer devant le public à vingt-et-une heure… Au programme : cinq morceaux en quartet et quatre solos.

 

Aïda Nosrat - Landy Andriamboavonjy © PLM
 
 
La soirée commence par « Stéréométrie », une composition de Mienniel qui sert de fil rouge à tous les concerts des instruments migrateurs. Après une introduction de la flûte parsemées d'accents moyen-orientaux, le quartet s'empare du thème-riff, qui s'intercale entre les chorus a capella de chaque artiste, manière de les présenter au public : des vagues de notes déferlent de la harpe d'Andriamboavonjy, les modulations puissantes de Nosrat évoquent l'Orient, tout comme les glissandos et autres quarts de ton d’Abozekry. Juste accompagnée par un ostinato du saz, Nosrat expose « Dance of Soul », un air traditionnel perse. Après une première partie solennelle, la chanson prend une tournure joyeuse et entraînante, soutenue par les riffs de la harpe, les battements du saz, les frappes de mains et les jeux rythmiques ou les volutes en contrepoints de la flûte. C’est Abozekry qui prend le premier solo a capela. « Sept et neuf » est un morceau basé sur ces rythmes impairs, qui démarre avec une pédale grave, en alternance avec des variations virtuoses. « Sept et neuf » part ensuite dans une ambiance folk véloce et enjouée. Le poème de Saadi que chante Nosrat s’appuie sur des vocalises redoutables, des trémolos, glissatos et sauts d’intervalles impressionnants, toujours dans une veine orientale. « Julia », la berceuse que le quartet interprète a été composée par Andriamboavonjy en hommage à sa grand-mère Malgache, qui chantait des mélopées à ses dix enfants pendant l’insurrection de 1947... Portée par les motifs de la harpe, les aller-retours rythmiques du saz, les boucles du violon, les vocalises en contre-chant et les envolées de la flûte, la ritournelle se développe dans un esprit « jazz du monde ». Pour son solo, Mienniel combine habilement des séquences mélodico-rythmiques grâce à des boucleurs – loopers, pour les initiés. Les développements naviguent entre jazz, world music, voire rock progressif, et restent tendus du début à la fin. Pour sa part, Andriamboavonjy rappelle qu’elle est aussi une chanteuse lyrique et sa belle voix de soprano s’élève au-dessus d’un bourdon murmuré par le public. Le dernier morceau du concert n’a pas encore de titre, et pour cause, Abozekry vient de l’écrire ! Composé dans le maqâm Rast, sans doute le mode le plus populaire dans la musique arabe, il évolue entre six et huit temps et a été inspiré par le désert… Pourquoi ne pas le nommer « Siwa » comme la splendide oasis éponyme située à l’extrême ouest égyptien ? Après l’introduction en solo – pédale de basse et broderies entre majeur et mineur, saupoudrées de quarts de tons – le thème-riff lancé par le saz est particulièrement dansant. Il forme un écrin parfait pour les vocalises aux intonations arabo-andalouses de Nosrat ou celles, teintées d’expressionnisme, d’Andriamboavonjy. En bis, le quartet joue « Azib », un morceau inédit de Mienniel. Le flûtiste se lance dans un préambule pendant que la harpe et le saz s’accordent – ce qui ne semble pas être une mince affaire ! Finalement, il s’arrête, hilare, pour présenter le morceau... Ecrit il y a une dizaine d’année à Figuig, ville-palmeraie mystérieuse du Maroc, « Azib » fait référence aux tribus nomades du sud marocain... et au seul cauchemar que Mienniel n’ait jamais fait dans sa vie ! Le violon et la flûte exposent à l’unisson une mélodie élégante. Pendant que le saz maintient une carrure dansante, la harpe et le violon égrènent leur ostinato et la flûte virevolte, avant que les vocalises ne se mêlent à la partie pour un final tout en douceur et subtilité.
 

Abdallah Abozekry, Aïda Nosrat, Joce Mienniel et Landy Andriamboavonjy © PLM


Ouverture d’esprit, écoute de l’autre et intelligence musicale : Joce Mienniel et les instruments migrateurs portent un message salutaire par les temps qui courent...