30 mars 2023

Chimères

Romain Dugela
y a monté la Compagnie 4000 en 2017 pour produire, diffuser et enregistrer des formations aussi variées que Saroye et An’pagay (jazz créole), Ukandanz (ethio-jazz), Polymorphie (free jazz rock), Erotic Market (pop jazz), Pixvae (latin jazz), Kouma (jazz rock alternatif) et… Chimères, un trio acoustique composé d’Anne Quillier au piano, Simon Girard au trombone et Dugelay au saxophone baryton.

Chimères sort le 17 mars 2023. Les huit thèmes sont signés Dugelay et leur nom est inspiré d’une chimère, ce « monstre fabuleux, mi-chèvre mi-lion ». C’est ainsi que l’auditeur croise un « Choiseau », un « Teckal » ou une « Guéterelle », mais aussi un « Manchoup », un « Ecurion » ou une « Totrtache »… Quant à l’« Eléphon » et au « Marmoquin » de la pochette du disque, ils ont été réalisés par l’illustratrice Rama Taupia. A chacun de retrouver ses petits !

Des mélodies finement ciselées (« Manchoup ») et élégantes (« Tortache »), aux allures de comptines (« Choiseau »), voire de berceuses (« Elephon »), alternent avec des fanfares pétaradantes (« Ecurion ») et autres phrases heurtées (« Teckal »). L’instrumentation unique de ce trio, sans contrebasse ni batterie, est une invitation aux contre-chants (« Marmoquin »), unissons (« Teckal »), superposition de plans (« Manchoup »), dialogues nerveux (« Guéterelle »), questions-réponses agiles (« Ecurion »)… qui maintiennent la musique à vif ! Les ambiances, souvent lyriques (« Marmoquins ») ou mélancoliques (« Tortache »), misent sur l’expressivité (« Marmoquin ») et des interactions croisées touffues (« Ecurion »). Le trio varie également les rythmes : des ostinatos (« Choiseau ») aux lignes latinos (« Marmoquin »), en passant par des pédales (« Tortache »), des cellules répétitives (« Manchoup ») ou des motifs en pointillés (« Guéterelles »). La pâte sonore, singulière, de Chimères change de teinte en fonction des dosages entre le saxophone baryton – profond, rauque et doux – le trombone – mobile, rond et « humain » – et le piano – cristallin, ample et net.

Chaque pièce de Chimères est un petit bijou de jazz de chambre !

Le disque

Chimères
Romain Dugelay (bs), Simon Girard (tb) et Anne Quillier (p)
Compagnie 4000
Sortie le 17 mars 2023

Liste des morceaux

01. « Choiseau » (3:57).
02. « Teckal » (2:52).
03. « Elephon » (3:08).
04. « Marmoquin » (4:20).
05. « Guéterelle » (4:10).
06. « Manchoup » (3:52).
07. « Ecurion » (3:35).
08. « Tortache » (3:38).

Tous les morceaux sont signés Dugelay.

Chimères © PLM, sauf l'éléphon et le marmoquin © Rama Taupia


24 mars 2023

Puzzle au Comptoir...

En mars 2022, Hélène Labarrière construit Puzzle… Un casse-tête façonné autour d’un quintet – Catherine Delaunay à la clarinette, Robin Fincker à la clarinette et au saxophone ténor, Stéphane Bartelt à la guitare, Labarrière à la contrebasse et Simon Goubert à la batterie –, de cinq thèmes signés Labarrière, mais revisités par François Corneloup, Marc Ducret, Sylvain Kassap, Jacky Molard et Dominique Pifarely, et dédiés à cinq combattantes : Jane Avril, Angela Davis, Emma Goldman, Louise Michel et Thérèse Clerc...

Construit en 1928 à Fontenay-sous-Bois, le marché couvert Roublot abrite désormais un centre culturel avec le Théâtre Halle Roublot (THR pour les intimes), une galerie d’expositions, La Nef, et une salle de concerts, Le Comptoir. En 2001, Sophie Gastine, Pierre Fischer et Vincent Causse créent l’association Musiques au Comptoir, consacrée à la création musicale de tous bords, et c’est en 2002 que Le Comptoir s’installe dans la Halle Roublot.

Jeudi 16 mars 2023, Labarrière présente Puzzle au Comptoir. Le cercle des proches a répondu présent : Sophia Domancich, Bruno Ducret, Kassap, Christophe Marguet, Jean Rochat… ont pris place dans ce lieu sympathique qui, outre des concerts, propose un menu « comme à la maison », fort appétissant, et des boissons au bar.

Hélène Labarrière - Le Comptoir - 16 mars 2023 © PLM

Arrangé par Ducret, « A travers la vie » est un tribut à la communarde Louise Michel. Le thème mélancolique, quasiment pathétique, débouche sur un quatuor dans une veine vingtiémiste, construit autour de contre-chants et de décalages élégants. Dans le mouvement suivant, la clarinette et le ténor dialoguent en mode comptine, sur les contrepoints de la guitare. Cette ambiance introspective est renforcée par les propos délicats du ténor et de la contrebasse, tandis que la guitare place des effets lointains. Le solo du ténor combine envolées free et accents folk, sur une batterie aérienne et des motifs épais de la contrebasse. La tension monte ensuite d’un cran, avec une section rythmique qui tourne au rock progressif et une guitare qui joue avec la saturation, grésille, fuse et vrombit.

Catherine Delaunay - Le Comptoir - 13 mars 2023 © PLM

« Baba Yaga », hommage à la féministe Thérèse Clerc, a été revu par Corneloup. Là encore, le morceau comporte plusieurs tableaux. Après un échange en pointillés entre la clarinette et le ténor, des bruitages de la guitare et de la batterie, et une ligne souple et grave de la contrebasse, Delaunay et Fincker partent dans un duo aux allures de musique contemporaine. Dans le passage suivant, la clarinette virevolte sur une batterie bruissante, dans une succession de questions-réponses savoureuses. Quand la contrebasse et la guitare entrent en jeu, le rock alternatif s’invite une nouvelle fois dans la partie, avec une montée en puissance faite de croisements de voix entraînants, dans un style musique de chambre. Le chorus de Fincker, à la Sonny Rollins, précède une démonstration de Goubert, bâtie sur des roulements et splash aussi mélodieux que musclés.

Simon Goubert - Le Comptoir - 13 mars 2023 © PLM

La danseuse Jane Avril est évoquée à travers « Jane », retouché par Molard. Sur les notes tenues par les deux clarinettes, la guitare s’envole, jusqu’à ce que les mailloches majestueuses de la batterie et la ligne souple de la contrebasse ne réinstallent une atmosphère de musique de chambre, avec une mélodie sophistiquée. Les accords ténus de Bartelts et les frappes subtiles de Goubert soulignent le splendide solo de Labarrière, bientôt suivi de celui du batteur, essentiellement sur les peaux, et musical à plaisir. C’est ensuite au tour des clarinettes de s’amuser à discuter avec verve, dans une ambiance foraine joyeuse et sans soucis !

Stéphane Bartelt - Le Comptoir - 13 mars 2023 © PLM

Kassap a mis à sa sauce « Free Angela », dédicacée à l’activiste Angela Davis. Après un démarrage abrupt à l’unisson, le quintet joue au chat et à la souris ! Le thème s’inscrit dans la lignée d’Ornette Coleman. Fincker jongle avec les dissonances, tandis que Labarrière maintient une carrure trapue et que Goubert en met partout. Delaunay et Bartelt rejoignent leurs compères pour continuer dans un style rock vigoureux : une batterie athlétique, un ostinato de basse entêtant, une guitar-hero délirante, un ténor et une clarinette en chœur… L’hymne final, intense, porté par une batterie déchaînée et teinté de touches folkloriques, dégage une grosse force émotionnelle.

Robin Fincker - Le Comptoir - 13 mars 2023 © PLM

« Vivre sa vie » est le cinquième titre, concocté par Pifarély et dédicacé à l’anarchiste Emma Goldmann. Clarinette, ténor et guitare croisent leurs voix a capella dans une conversation tendue. Delaunay et Fincker continuent avec habileté dans une esprit XXe. Le chorus voluptueux du ténor laisse place à un somptueux solo de Labarrière : des phrases de toute beauté, des pirouettes captivantes et une sonorité boisée superbe ! Le final du morceau ressemble à une marche funèbre, avec des roulements emphatiques de batterie, des accords ténébreux de guitare et un chœur fragile dans le lointain...

Le rappel, joué sans chichi, sonne le glas ! Sur un tempo lent, des bruitages, frémissements, souffles, grincements, stridences, frottements, couinements, bribes de phrases… résonnent avec tristesse sur la pédale lancinante de la contrebasse. Ainsi s’achève ce concert, passionnant de bout en bout. 

Puzzle- Le Comptoir - 13 mars 2023 © PLM


19 mars 2023

Wajdi Riahi présente Mhamdeya au Pan Piper…

Après un cursus en musique Arabe classique, Wajdi Riahi se forme au jazz via le Tunis Jazz Club, puis le Conservatoire Royal de Bruxelles. En parallèle, il joue dans le projet Darimba du contrebassiste Wassim Ben Rhouma et le Baz Trio, d’un autre contrebassiste, Basile Rahola. C’est d’ailleurs en compagnie de ce dernier et du batteur Pierre Hurty que Riahi a créé son propre trio, en 2020. Mhamdeya, premier opus du trio, sort en février 2022 chez Fresh Sound New Talent.

Le 13 mars 2023, le Wajdi Riahi Trio présente Mhamdeya au Pan Piper. Le programme reprend quatre morceaux de l’album, « Montsouris », « Mhamdeya », « Friends and Brothers » et « Piano in The House », mais aussi « Back to The Little Room », autre composition de Riahi, et « I Love You », signé Cole Porter.

Wajdi Riahi Trio © PLM

Les mélodies sont soignées, teintées de touches moyen-orientales (« Back to The Little Room »), de lyrisme (« Montsouris ») et de majesté (« Mhamdeya »). Les développements s‘appuient sur des interactions équilibrées entre les trois voix (« I Love You ») et montent progressivement en intensité (« Friends and Brothers »). Le touché net, le phrasé dense, la musicalité et le sens du suspens déployés par Riahi rappellent The Bad Plus, Brad Mehldau, voire E.S.T. Quant aux vocalises émaillées de modulations du pianiste, elles renforcent le caractère oriental de « Mhamdeya ». Côté rythmique, des motifs de basses profonds et graves (« Mhamdeya »), une walking robuste (« I Love You »), une pédale imposante (« Friends and Brothers ») et des lignes tendues (« Piano in The House ») complètent un jeu de batterie touffu (« Back to The Little Room ») et puissant (« Friends and Brothers »), parsemé d’effets percussifs luxuriants (« Piano in The House »), de chabada véloce (« I Love You ») ou de roulements furieux (« Montsouris »).

Il existe une connivence évidente entre Riahi, Rahola et Hurty, qui proposent une musique mélodieuse, entraînante et savoureuse !


Le disque

Mhamdeya
Wajdi Riahi Trio
Wajdi Riahi (p), Basile Rahola (b) et Pierre Hurty (d).
Fesh Sound New Talent – FSNT-633
Sortie le 24 février 2022

Liste des morceaux

01. « Montsouris » (9:17).
02. « Back Home » (6:45).
03. « Moon River (solo) », Mancini (9:28).
04. « Friends But Brothers » (5:45).
05. « Moon River (trio) », Mancini (4:51).
06. « Hymn To Fazzeni » (9:26).
07. « Improbable » (5:43).
08. « Piano In The House » (6:37).
09. « Mhamdeya » (6:42).
Tous les morceaux sont signés Riahi sauf indication contraire.

12 mars 2023

Wayne Shorter est passé au-delà du mur du son…

Né le 25 août 1933 à Newark, Wayne Shorter se passionne d’abord pour les beaux-arts et sort diplômé de la Newark Arts High School. Entre la chorale de l’église baptiste et la radio, la musique est omniprésente chez les Shorter. Tandis qu’Alan, son frère aîné, apprend le saxophone alto, puis la trompette, lui se met à la clarinette. Les deux frères montent un groupe de danse et se font appeler Mr. Weird et Doc. Strange... Shorter poursuit ses études musicales à la New York University. A son retour de l’armée, en 1959, après avoir joué brièvement avec Horace Silver et Maynard Ferguson, Shorter rejoint les Jazz Messengers d’Art Blakey, dont il devient le directeur musical.

The Freedom Rider
Art Blakey & The Jazz Messengers

Quand
The Freedom Rider sort en 1961, Shorter fait déjà partie des Jazz Messengers depuis deux ans. Aux côtés de Blakey et Shorter, la crème du hard-bop : Lee Morgan à la trompette, Bobby Timmons au piano et Jymie Merrit à la contrebasse. Le disque porte le nom du morceau éponyme signé Blakey, qui rend hommage aux étudiants afro-américains et blancs qui luttaient contre la ségrégation dans les transports… Shorter propose « Tell It Like It Is », un thème-riff classique du hard-bop, et « El Toro », marqué par la musique latine. Les deux compositions laissent déjà entrevoir la personnalité harmonique et mélodique sophistiquée de Shorter. Dans cet environnement brut teinté de funk, poussé par un Blakey tonitruant, un Morgan au sommet de sa forme créatrice, un Merritt et un Timmons en parfaits gardiens de l’esthétique hard-bop, Shorter joue avec une assurance impressionnante. Ses solos posent les premières pierres de ce que sera le « néo hard-bop » : des développements mélodiques parsemés de traits dissonants, parfois légèrement teintés de blues, des structures souvent complexes et des envolées aux tournures free, qui évoquent ça-et-là John Coltrane.

Shorter commence à enregistrer sous son nom dans une veine hard-bop pour le label Vee-Jay, avec des formations à géométrie variable : Introducing Wayne Shorter (1959), Second Genesis (1960) et Wayning Moments (1962). Mais c’est surtout quand il entre dans l’écurie Blue Note qu’il prend son envol avec trois premiers disques remarquables, tous enregistrés en 1964 : Nigth Dreamer avec Morgan, McCoy Tyner, Reggie Workman et Elvin Jones, Juju avec les mêmes, mais sans trompettiste, et Speak No Evil avec Freddy Hubbard, Herbie Hancock, Ron Carter et Jones. Les huit opus supplémentaires qui voient le jour chez Blue Note reflètent l’évolution de Shorter, du hard-bop, progressivement coloré de free, jusqu’au jazz fusion : The Soothsayer (1965), Etcetera (1965), The All Seeing Eye (1965), Adam’s Apple (1966), Schizophrenia (1967), Super Nova (1969), Moto Grosso Feio (1970) et Odyssey of Iska (1970).

C’est également à partir de 1964 que Shorter fait partie du deuxième « quintet historique » de Miles Davis, aux côtés d’Hancock – ami de toujours, qui lui fera découvrir le bouddhisme –, Carter et Tony Williams. Shorter compose une grande partie du répertoire du quintet, à l’instar d’« E.S.P. », « Iris », « Footprints », « Dolores », « Sanctuary », « Orbits » et encore beaucoup d’autres, notamment ceux de Nefertiti...

Nefertiti
Miles Davis

Comme le souligne John Ephland dans les notes de la pochette, Nefertiti, sorti en 1968, est le dernier album tout acoustique de Davis, mais également le dernier à s’inscrire dans une lignée purement jazz. Six morceaux figurent au programme, dont « Nefertiti », « Fall » et « Pinocchio » de Shorter.

Mélodies exposées à l’unisson, succession de chorus, retour au thème, walking et chabada… Nefertiti suit l’esthétique bop. Mais avec Davis et Shorter, il fallait bien s’attendre à des surprises ! A commencer par la thématique, moderne et précurseur du néo-bop. Les deux soufflants jonglent également avec les dissonances, jouent des contrepoints tarabiscotés, passent de chœurs subtils à des interactions intenses. La section rythmique est brillante : jeu en accords ou en phrases sobres et tendues d’Hancock, lignes de basse en walking ou en contre-chants de Carter, et musicalité parfaite de Williams, qui alterne chabada, accompagnements mélodieux et frappes débridées. Si le jeu de Shorter est encore marqué par le hard-bop et Sonny Rollins, il y a déjà ce recul mélodique, ce sens des développements aériens et ce jeu toujours à la limite entre in et out qui sont sa marque de fabrique.

En 1970, après avoir participé aux deux albums de Davis, In a Silent Way et Bitches Brew, qui ont ouvert la voie du jazz rock et fusion, Shorter crée Weather Report en compagnie du claviériste Joe Zawinul et du bassiste Miroslav Vitouš. La musique de Weather Report s’inscrit en plein dans une veine jazz fusion et intègre des éléments de World Music. Le groupe connaît un succès immédiat et se produit pendant une quinzaine d’années.

Live and Unreleased
Weather Report

Ces deux disques regroupent des morceaux tirés de concerts enregistrés entre 1975 et 1983. Plusieurs formations partagent l’affiche aux côtés de Shorter et Zawinul : un groupe avec Alphonso Johnson à la basse, Chester Johnson à la batterie et Alex Acuña aux percussions, un quintet avec Victor Bailey à la basse, Omar Hakim à la batterie et Jose Rossy aux percussions, et les fameux combos avec Jaco Pastorius à la basse, Peter Erskine à la batterie et Robert Thomas aux percussions, ou Acuña à la batterie et Badrena aux percussions. Toujours prolixe, Shorter propose des compositions telles que la sirène aérienne « Freezing Fire », la marche folklorique « Plaza Real », l’énergique et soulful « Elegant People », le néo-bop « Cigano » et la ritournelle dansante «  Port of Entry ». 

Les dix-huit morceaux sélectionnés baignent dans une atmosphère fusion caractéristique : des mélodies plutôt courtes aux consonances world, souvent exposées sous forme de riffs ; une rythmique musclée et vrombissante, avec une batterie robuste qui en met partout, des lignes de basse grondantes et des percussions foisonnantes ; des développements tendus et rapides, basés sur un soliste voltigeur, encouragés par les chœurs vigoureux des claviers et du saxophone ; une pâte sonore particulièrement touffue, voire oppressante, avec des sonorités de claviers tour à tour cristallines, éthérées, aqueuses, étouffées ou pop, et pimentées d’effets de réverbérations, échos, grésillements, couinements, vibrations... Au ténor ou au soprano, Shorter se partage entre les rôles de shouter très funky et de soliste fulgurant, avec de nombreux passages free dans ses discours, fréquemment construits autour de traits discontinus et véloces, d’envolées arpégées ébouriffantes ou de sauts d’intervalle virtuoses.

En parallèle à ses activités avec Weather Report, dès 1977, Shorter participe à V.S.O.P., quintet monté par son ami Hancock, avec Hubbard, Carter et Williams. Il enregistre également sous son nom quatre disques très inégaux pour Columbia : Native Dancer (1974), Atlantis (1985), Phantom Navigator (1986) et Joy Ryder (1988). Shorter accompagne ensuite des musiciens aussi variés que Joni Mitchell, Pino Daniele, John Scofield, Carlos Santana, Salif Keita, Michel Petrucciani, Steely Dan, Don Henley, The Rolling Stones, Milton Nascimento...

Après six ans de silence discographique, Shorter est de retour, chez Verve, avec High Life (1995), produit par Marcus Miller, puis 1+1 (1997) en duo avec Hancock. En 2000, Shorter forme un quartet de référence, avec Danilo Pérez au piano, John Patitucci à la contrebasse et Brian Blade à la batterie. Ce groupe phare du jazz contemporain tourne partout dans le monde, mais ne sort que cinq disques en vingt ans : Footprint Live! (2002 – Verve), Alegría (2003 – Verve), Beyond The Sound Barrier (2005 – Verve), Without A Net (2013 – Blue Note) et Emanon (2018 – Blue Note).


Beyond The Sound Barrier
Wayne Shorter Quartet

Publié en 2005, Beyond The Sound Barrier est le troisième disque du Wayne Shorter Quartet. Le répertoire a été enregistré lors de concerts en Amérique du Nord, Europe et Asie, entre 2002 et 2004. Au programme, cinq morceaux signés Shorter, « Tinker Bell », une composition collective du quartet, « Smilin’ Through », la célèbre ballade d’Arthur Penn, et « On Wings of Song », la deuxième des six chansons pour voix et piano opus 34 de Felix Mendelssohn.

« Smilin’ Through » repose sur des dialogues permanents : les voix se croisent, plus chantantes les unes que les autres, avant de déboucher sur un paroxysme sonore. Dans « As Far As The Eye Can See », le piano et le saxophone ténor jouent au chat et à la souris sur une batterie déchaînée et une contrebasse imposante. Peréz y est lyrique à souhait, Shorter dense et minimaliste, Patitucci robuste et Blade violent. Le saxophone ténor déroule avec délicatesse « On Wings of Songs » dans un décor élégant : un ostinato et des phrases subtiles du piano, un motif chantant de la basse et une batterie vive et légère. Le phrasé staccato de Peréz, l’archet de Patitucci et les frappes percussives de Blade dessinent les lignes de « Tinker Bell », que Kurt Weil n’aurait pas renié. Un duo contemporain entre Shorter et Peréz ouvre « Joy Ryder », qui rebondit brusquement, lancé par les frappes brutales de la batterie et la walking profonde de la contrebasse. S’ensuit une discussion passionnante du quatuor qui monte progressivement en tension jusqu’à l’explosion finale. « Adventure Aboard The Golden Mean » se développe comme un feu d’artifice, sur les envolées virevoltantes du soprano, soutenues par les phrases colorées du piano, les motifs souples de la contrebasse et le jeu luxuriant de la batterie. Chaque musicien met son grain de sel ! L’agencement sophistiqué des clusters et arabesques de Peréz, des double-cordes et slap de Patitucci, des frappes frémissantes de Blade et des développements faussement fragiles de Shorter fait de « Beyond The Sound Barrier » un bijou de musique chambriste. Avec ce quartet, Shorter a redéfini les bases du jazz de chambre : une musicalité hors du commun, un équilibre des voix exceptionnel et une intensité rythmique inouïe.

La vie n’a pas toujours été tendre avec Shorter : en 1966 son père meurt dans un accident de la route, en 1983 sa fille Iska décède à quatorze ans, victime d’une maladie causée par un vaccin, et, en 1996, son épouse Ana Maria et sa nièce Dalila périssent dans le crash du vol TWA 800. Pour couronner le tout, depuis 2019, malade et réduit à se déplacer en chaise roulante, Shorter n’avait plus les moyens de se soigner et c’est la communauté musicale qui lui vint en aide. Mais le 2 mars 2023, à l’hôpital de Los Angeles, Shorter, musicien majeur s’il en est, est parti... beyond the sound barrier 

Hommage à Wayne Shorter © PLM

Merci, Monsieur Shorter, de nous avoir comblé de sons et merveilles…


2 mars 2023

Cordes en folie au Café de la Danse…

Loco Cello sort son premier album éponyme en 2019. Le violoncelle fou, c’est François Salque, mais ses compères ne sont pas en reste : Samuel Strouk aux guitares et Jérémie Arranger à la contrebasse. Pour ce premier opus, Adrien Moignard est également associé au trio. Quatre ans après, le 3 février 2023, Loco Cello publie Tangorom avec Moignard et Biréli Lagrène en invités.

Loco Cello - Café de la danse - 13 février 2023 © PLM

Pour fêter la sortie de Tangorom, le 13 février, Loco Cello se produit avec Lagrène au Café de la Danse : les cinq cent places sont prises d’assaut ! Comme son nom l’indique, la musique de Tangorom met en avant l’Argentine et le jazz manouche. Le programme du concert reprend sept titres de Tangorom, quelques morceaux de Loco Cello, « Je me suis fait tout petit » de Georges Brassens et « Little Melody » de Lagrène.

François Salque - Café de la danse - 13 février 2023 © PLM

Le concert démarre sur une csárdás, initialement composée pour violoncelle seul. Les csárdás, comme l’explique Salque, sont des danses hongroises, à deux ou quatre temps, constituées d’un premier mouvement lent et d’un deuxième, plutôt rapide. Le violoncelle renforce le caractère dramatique de l’andante, tandis que la guitare expose un thème mélancolique et farouche, sur une ligne de contrebasse profonde. Les dialogues entre Salque et Strouk sont suivis d’une accélération entraînante : l’allegro mixe gaîté folklorique, vivacité du jazz manouche et gravité du tango. Quant aux csárdás signées Milena Dolinova et Krystof Maratka, elles suivent la forme d’origine : à la première partie, lyrique et solennelle, succède un développement sautillant, porté par les pompes de la guitare et les lignes sombres de la contrebasse, pendant que le violoncelle s’évade dans une ronde slave...

Samuel Strouk - Café de la danse - 13 février 2023 © PLM

Morceau tiré du premier album de Loco Cello, « Lhasa » est bien entendu la capitale du Tibet, mais aussi un hommage à la chanteuse canadienne Lhasa de Sela. L’élégant thème-riff débouche sur des contre-chants et envolées rapides qui laissent la part belle aux échanges rythmiques. La « Prière » d’Ernest Bloch est un morceau empreint de nostalgie, avec des faces-à-faces théâtraux entre le violoncelle et la guitare. Retour au jazz manouche avec « Tears », standard que Django Reinhard et Stéphane Grappelli ont sorti en 1937 : pompes, ligne de contrebasse solide, chorus véloces… sans oublier quelques touches d’humour (une brève citation de « Besame mucho »).

Jérémie Arranger - Café de la danse - 13 février 2023 © PLM

Lagrène entre en jeu sur « Trucmuche », écrit par Vincent Peirani. Cette valse, moderne, alterne passages rythmiques dansants et discours musclés, teintés de blues. Le quartet traite ensuite « Je me suis fait tout petit » dans une veine tzigane et Arranger prend un chorus particulièrement mélodieux. Si la guitare a capella expose avec sobriété le « Clair de lune » de Reinhard, le développement, lui, prend une direction manouche typique avec un mélange de virtuosité et de musicalité, émaillée d’accents bluesy, d’effets amusants et de trémolos facétieux.

Biréli Lagrène - Café de la danse - 13 février 2023 © PLM

Seul sur scène, Lagrène joue « Little Melody », tiré de l’album Solo Suites : un air aux couleurs folk et bleu, joué en pointillés sur une ligne de basse en contre-chant. Les lignes arpégées véloces de l’introduction d’« Armaguedon », composition d’Astor Piazzolla, évoquent un peu la fantaisie chromatique, mais la suite s’apparente davantage à un tango : un lyrisme majestueux, mis en relief par le violoncelle, soutenu par les contrepoints caressants des guitares et la ligne sévère de la contrebasse, puis une envolée fougueuse, emportée par le crépitement violent de la rythmique.

Le premier rappel, « Rythme futur » de Reinhardt, s’inscrit en plein dans le jazz manouche – pompes vigoureuses, allers-retours vifs, phrases fulgurantes… Quant au deuxième rappel, il conclut la soirée sur une touche ténébreuse avec « Oblivion », une milonga émouvante signée Piazzolla.

la musique de Loco Cello est bigarrée, vivifiante et... touchante !



Le disque

Tangorom
Loco Cello
François Salque (cello), Samuel Strouk (g) et Jérémie Arranger (b), avec Biréli Lagrène et Adrien Moignard (g).
Well Done Simone - WDS003
Sortie le 3 février 2023

Liste des morceaux

01. « Oblivion », Piazzolla (4:30).
02. « Armaguedon », Piazzolla (8:07).
03. « Vuelvo al Sur », Piazzolla (6:50).
04. « Upper East », Strouk (5:23).
05. « Clair de lune », Reinhardt (3:53).
06. « Trucmuche », Peirani (4:03).
07. « Csardas – Part 1 », Dolinova & Maratka (4:15).
08. « Csardas – Part 2 », Dolinova & Maratka (3:15).
09. « Prière », Bloch (3:47).
10. « Auf einer Burg », Schuman (3:22).
11. « Tears », Reinhardt & Grappelli (2:28).


26 février 2023

Chants sorciers au Café de la Danse

En 2019 Jean-Marie Machado monte L’amour sorcier avec l’orchestre Danzas et la compagnie de danse Chatha. Ce projet s’inspire du ballet-pantomime éponyme de Manuel De Falla, créé en 1915, sur un livret de Gregorio Martínez Sierra. Machado a enregistré une version discographique de cette œuvre, Cantos Brujos, qui sort le 24 février 2023 sur le label La Buissonne.

Jean-Marie Machado - Café de la danse - 9 février 2023 © PLM

Le 9 février 2023, Machado et Danzas présentent leur disque au Café de la Danse. L’orchestre est au grand complet avec, aux côtés de Machado, Karine Sérafin au chant, Stéphane Guillaume aux flûtes, Elodie Pasquier aux clarinettes, Jean-Charles Richard aux saxophones, François Thuillier au tuba, Cécile Grenier et Séverine Morfin à l’alto, Guillaumé Martigné au violoncelle, Didier Ithursarry à l’accordéon et Ze Luis Nascimento aux percussions.

Danzas - Café de la danse - 9 février 2023 © PLM

L’amour sorcier est l’histoire de Candela la gitane, qui cherche à éloigner le fantôme de son ancien amant pour pouvoir aimer à loisir Carmelo, son nouvel amour. La magie n’y faisant rien, elle demande à Lucia de séduire le fantôme… Le spectacle s’articule autour de cinq parties et vingt mouvements. Onze morceaux sont signés de De Falla et neuf de Machado. Si Machado a conservé les mélodies de De Falla et la trame générale du ballet, il l'a, en revanche, entièrement réarrangé pour y ajouter sa touche personnelle.

Les airs sont un savant mélange d’élégance, de majesté mystérieuse et de tension dramatique. Si l’ombre du flamenco plane au-dessus de l’œuvre, et c’est particulièrement sensible dans les chants, les compositions de De Falla – et de Machado – sont avant tout modernes, dans l’esprit de Claude Debussy, Maurice Ravel, Igor Stravinsky… Les Cantos Brujos sont descriptifs (le bâton de palabre pour les flammes ou les effets en technique étendue) et expressifs (la voix imposante, les traits arabo-andaloux et moyen-orientaux, les envolées free…). 

La construction des morceaux et leur traitement rythmique renforcent le caractère pittoresque de la musique. Côté construction, plusieurs plans se superposent, s’entrelacent ou s’unissent. L’instrument soliste, le chœur des cordes, la section des soufflants et la rythmique déploient une palette d’ostinatos, de pédales, de riffs et de bourdons, qui soutiennent des unissons lointains, des vocalises aériennes, des contre-chants luxuriants, des chassés-croisés brillants, des mouvements rubato et des pizzicato entraînants. Les solistes virevoltent, comme dans un concerto, dans des ambiances qui vont de la mélancolie à la guinguette. Sur le plan rythmique, les percussions foisonnent, frémissent, crépitent et exploitent toutes les sonorités des peaux et métaux, tantôt puissantes et touffues, tantôt légères et musicales, mais toujours entraînantes ; les lignes graves du tuba maintiennent une carrure solide ; le piano jongle avec les interventions rythmiques et les développements mélodiques ; quant à l’orchestre, son énergie et sa densité de jeu contribuent grandement au caractère théâtral de Cantos Brujos.


Sur les traces de Duke Ellington, André Hodeir ou du Third Stream, Machado rapproche le jazz de la musique classique. Avec son orchestre Danzas, il réussit à produire une œuvre intense : les Cantos Brujos sont envoûtants du rêve de Candela au lever du soleil...

Le disque

Cantos Brujos
Jean-Marie Machado & Danzas
Karine Sérafin (voc), Stéphane Guillaume (fl), Elodie Pasquier (cl), Jean-Charles Richard (sax), François Thuillier (tu), Cécile Grenier (alto), Séverine Morfin (alto), Guillaumé Martigné (cello), Didier Ithursarry (acc), Jean-Marie Machado (p) et Ze Luis Nascimento (perc).
La Buissonne – RJAL397045
Sortie le 24 février 2023

Liste des morceaux

Escena uno
01. « Sueño de Candela », Machado (2:30).
02. « Canción del amor dolido », De Falla (5:55).
03. « La luna y el misterio », Machado (2:23).
04. « En la cueva. La noche », De Falla (1:50).
05. « Danza del terror », De Falla (3:18).

Escena dos
06. « El relato desl círculo », Machado (1:23).
07. « El círculo mágico », De Falla (1:53).
08. « Magic Love », Machado (3:07).
09. « Como llamas », Machado (1:45).
10. « Danza ritual del fuego », De Falla (3:57).

Escena tres
11. « Ame Slo! », Machado (1:45).
12. « Escena-allegro », De Falla (1:55).
13. « Arena y viento », Machado (2:17).
14. « Canción del fuego fatuo », De Falla (4:14).

Escena cuatro
15. « Chispas brujas », Machado (4:11).
16. « Pantomima – Andantino tranquilo », De Falla (3:13).
17. « Pantomima – Molto tranquillo », De Falla (2:44).

Escena cinco
18. « Danza y canción del juego del amor », De Falla (5:33).
19. « Por la mañana », Machado (2:37).
20. « Final – Las campanas del amanecer », De Falla (3:53).

19 février 2023

Gauthier Toux Trio au New Morning

En 2013, Gauthier Toux monte un trio avec Kenneth Dahl Knudsen à la contrebasse et Maxence Sibille à la batterie. Le trio publie More Than Ever en 2015, Unexpected Things en 2016 et The Coulours You See en 2018. Pour The Biggest Steps, sorti en février 2022, Simon Tailleu remplace Dahl Knudsen. C’est avec cette formation et Emile Parisien en invité, que Toux célèbre la réédition du disque en vinyle, le 8 février 2023 au New Morning. Malgré les grèves, le match PSG – OM et le froid, le club de la rue des Petites Ecuries affiche complet.

Le trio joue neuf des onze morceaux de The Biggest Steps, tous signés Toux, à l’exception de « Jenny Wren », chanson de Paul McCartney. Le quartet reprend également « It All Depends On The Light », tiré de l’album The Colours You See et clin d’œil au daltonisme du pianiste. En rappel, Toux présente « Why Should We Care? » (s’il s’agit de jazz ou pas...) qui figurera sur le prochain disque du trio. Parisien se joint au trio sur cinq morceaux.

Gauthier Toux Trio © PLM

« A Secret Place » plante le décor : pédales, discours minimalistes, technique étendue, cymbales emphatiques… et montée en tension progressive, avec une maîtrise du suspens dans la lignée d’E.S.T. Les influences pop – rock sont encore plus flagrantes dans « There Is No Shortcut », avec le démarrage abrupt, le thème-riff et la section rythmique puissante. « Turning Around » reprend une progression similaire : sur un martèlement binaire, une carrure robuste et un piano incandescent, le saxophone soprano déroule des phrases d’une intensité croissante. « Driving Away » s’appuie sur les contrastes entre les frappes dansantes de la batterie, comme pour un slow, les lignes mélodieuses de la contrebasse, les motifs hypnotiques du piano et la complainte du soprano. Toux et Parisien s’emparent de « It All Depends On The Light » à grand renfort de questions-réponses ébouriffantes, pendant que Tailleu et Sibille font gronder leurs instruments, jusqu’au solo musclé de Sibille. Les coups mats et binaires de la batterie, les pédales de la contrebasse, les cellules répétitives du piano et la gestion de la tension place « Hanging On It » sous le signe de The Bad Plus. Parisien est de retour pour « Roads » : un bourdon à l’archet suivi d’un riff entraînant, des cliquetis percussifs puis des martèlements et des boucles évolutives servent d’écrin aux arabesques du soprano, qui tient en haleine les auditeurs. La chanson sans parole, « Twelve », se transforme en duo intimiste entre le soprano et le piano. « The Biggest Steps » flirte avec la pop-rock, poussée par une batterie toute en force, des riffs vrombissants et une mélodie qui tient du rock progressif. Après un démarrage dans une veine contemporaine plutôt mystérieuse, le trio fait décoller « Jenny Wren » avec des ostinatos entêtants, des pédales capiteuses, des envolées free cristallines et un foisonnement rythmique tendu. Le soprano revient sur scène pour le rappel. Jolie mélodie exposée par le soprano et le piano en contrepoint, sur une rythmique vigoureuse, « Why Should We Care? » prend peu à peu la direction d’un tube de dancefloor électro, avec des boucles rythmiques rapides et binaires, jouées ensemble par le quartet. Le public se prend au jeu et l’intensité est palpable. Après l’accélération coutumière, le quartet finit sur un chuinté et quelques notes de « Go Down Moses », citées avec humour par Parisien…

Plus d’une heure quarante d’une musique fiévreuse et athlétique : le Gauthier Toux Trio n’a pas volé son qualificatif de Power Trio !


18 février 2023

Quand quatre musiciens et deux trios sortent de l’igloo...

En 1984, trois musiciens liégeois montent le « plus petit big band du monde » autour d’une instrumentation originale : Fabrizio Cassol au saxophone alto, Michel Massot au tuba et au trombone, et Michel Debrulle à la batterie. Pendant ses huit années d’activité, le Trio Bravo publie quatre albums : Pas de nain (1985), Hi-O-Ba (1987), Compact (1988) et Quatrième monde (1990). Après la dissolution du Trio Bravo, en 1992, Massot et Debrulle ne veulent pas en rester là et s’associent au poly-instrumentiste Laurent Dehors pour former le Trio Grande. Après un premier disque éponyme en 1994, les trois artistes sortent Signé (20« Pas de nain »), Official Bootleg: Live at SOhO (2007), Un matin plein de promesses (avec Matthew Bourne au piano – 2008), Hold The line! (toujours avec Bourne – 2011) et Trois Mousquetaires (2016). Pour fêter ses trente ans, le Trio Grande publie Impertinence chez Igloo Records, le 7 octobre 2022. La maison de disques belge, qui aura quarante-cinq ans en 2023, célèbre l’anniversaire du Trio Grande avec une réédition au format CD des deux premiers disques du Trio Bravo, uniquement sortis en vinyles à l’époque.


Impertinence

Au programme d’Impertinence, sept morceaux de Massot et quatre de Dehors, plus la composition-titre signée Debrulle et Massot, et le menuet de la troisième suite française de Jean Sébastien Bach, « transfiguré » par Massot.

Le Trio Grande propose un large éventail thématique : des thèmes-riffs heurtés (« Impertinence »), aux accents funky (« Heureux »), des mélodies d’une mélancolie joyeuse (« Jamais deux sans trois »), des farandoles nouvelle-orléanaises (« Mimi »), mais aussi des comptines (« Pour les petits ») qui rappellent un peu Raashan Roland Kirk, des airs aériens cinématographiques (« Mathilde ») ou graves comme dans un conte de Segueï Prokofiev (« Murmures »), et même une ritournelle folklorique bretonne (« Taiko Blues »). A l’instar des fanfares, le Trio Grande fait la part belle aux rythmes. Les lignes de basse grondent (« Impertinence »), parfois minimalistes (« Charleston »), mais toujours entraînantes (« Mimi »). Les percussions foisonnent (« Escalles ») dans un feu d’artifice polyrythmique (« Rue de la brasserie »), saccadé (« Jamais deux sans trois »), dynamique (« Heureux »), dansant (« Taiko Blues ») et d’une musicalité réjouissante (« Murmures »). L’une des forces du Trio Grande est aussi d’arriver à faire cohabiter tradition populaire et développements savants, à l’image des envolées free (« Rue de la brasserie »), des jeux en technique étendue (« Impertinence »), des contre-chants élégants entre le trombone et la clarinette basse (« Mathilde »), des questions-réponses délirantes (« Taiko Blues »), ou de la basse continue et des contrepoints baroques du « Menuet transfiguré ». Le Trio Grande utilise habilement la palette des instruments à sa disposition pour jouer avec les couleurs sonores, comme un grand orchestre…

Un peu comme dans une Rubrique-à-brac, la musique du Trio Grande et fourmille d’idées improbables, que les trois musiciens manient avec une dextérité admirable. Souhaitons que le Trio Lobo n’arrive pas trop rapidement !

Le disque

Impertinence
Trio Grande
Laurent Dehors (sax, cl, cornemuse, guimbarde, hca), Michel Massot (euphonium, sousaphone, tb) et Michel Debrulle (d, perc).
Igloo Records – IGL336
Sortie le 7 octobre 2022

Liste des morceaux

01. « Pour les petits », Massot (2:23).
02. « Jamais deux sans trois », Massot (4:04).
03. « Impertinence », Debrulle & Massot (7:21).
04. « Escalles », Massot (5:04).
05. « Mimi », Dehors (4:51).
06. « Heureux », Dehors (3:39).
07. « Menuet Transfiguré », Bach & Massot (4:25).
08. « Murmures », Massot (3:30).
09. « Charleston », Dehors (3:13).
10. « Mathilde », Massot (4:35).
11. « Rue de la Brasserie », Massot (4:18).
12. « Taiko Blues », Dehors (5:55).


Pas de nain & Hi-O-BA

Pour cette réédition, Igloo a rassemblé deux vinyles sur un CD, soit quinze morceaux et près d’une heure vingt de musique… Cassol signe cinq morceaux, dont « Blythologie » en hommage au saxophoniste alto Arthur Blythe, Massot propose deux titres, quant à « Lou et c’est… max ! », c’est une composition collective. Le trio reprend également deux thèmes du saxophoniste soprano Pierre Vaiana, deux du pianiste-claviériste Henri Pousseur, « X Mus », un air traditionnel turc, « Out There Straight Up And Down » d’Eric Dolphy et « Lonely Woman » d’Ornette Coleman.

Comme pour le Trio Bravo, instrumentation oblige, les mélodies de Trio Grande sont le plus souvent des thèmes-riffs dans un style fanfare (« Rue américaine »), tonitruants (« Blythologie »), entraînants (« X Mus ») et, parfois, teintés de rock (« Hi-O-BA (The Will of Moderation) »). Le blues (« Dédé d’Anvers »), le cirque (« Osdorf »), le cinéma (« Out There Straight Up and Down »), le rock progressif (« Fulton Street Station ») et la musique contemporaine (« Mr And Mrs Jonathan ») s’invitent également dans cette joyeuse ambiance foutraque. Le trio ne manque d’ailleurs pas d’humour, à l’image de « Pas de nain », espèce d’orphéon bouffon, ou de « Hi-O-BA (The Will of Moderation) » et son « Moderation, Mo, Mo... », caricature « bowiesque »… Côté rythmique, encore une fois, à l’instar de leurs
successeurs, le Trio Bravo mise sur l’énergie (« Out There Straight Up and Down »), la puissance (« Vertige ») et une poly-rythmique luxuriante (« Red Monk »). Du binaire mat et sec (« Rue américaine ») côtoie une ligne en walking et son chabada (« Blythologie »), un passage swing (« Out There Straight Up and Down »), des moments funky (« Minoque »), voire Rhythm and Blues (« Rue américaine »). Trio Bravo est sans doute plus brutal (« Lou et c’est… max ! ») et rock (« Minoque ») que Trio Grande, même s’il est capable d’élégance et de délicatesse (« Lonely Woman »). Le plus petit big band du monde est particulièrement expressif dans un style animalier, avec des barrissements, rugissements et autres grondements (« Out There Straight Up and Down »), ronflements, piailleries et feulements (« Minoque »), ou bruitages jungle (« Fulton Street Station »), mais aussi dans des ambiances délirantes, au parfum dada, avec des vocalises, rires, phrases… qui se mêlent aux notes (« Vertige »).

Véritable fanfare free rock, le Trio Bravo présente une musique résolument théâtrale… pour le plus grand plaisir de nos esgourdes !

Les disques

Pas de nain
Trio Bravo
Fabrizio Cassol (as, voc), Michel Massot (tu, tb, voc) et Michel Debrulle (d, voc).
Igloo Records – IGL030
Sortie le 1er novembre 1985

Liste des morceaux

01. « Blythologie », Cassol (2:53).
02. « Pas de nain », Vaiana (4:44).
03. « Dédé d’Anvers », Vaiana (5:29).
04. « Osdorf », Pousseur (1:24).
05. « X Mus », traditionnel turc (2:28).
06. « Out There Straight Up and Down », Dolphy (6:43).
07. « Mr And Mrs Jonathan », Pousseur (5:52).
08. « Red Monk », Cassol (5:36).

Hi-O-BA

Trio Bravo
Fabrizio Cassol (as, voc), Michel Massot (tu, tb, voc) et Michel Debrulle (d, voc).
Igloo Records – IGL052
Sortie le 1er mars 1987

Liste des morceaux

01. « Fulton Street Station », Cassol (3:18).
02. « Minoque », Massot (8:44).
03. « Lou et c’est… max ! », Massot, Cassol & Debrulle (4:11).
04. « Hi-O-BA (The Will of Moderation) », Cassol (4:11).
05. « Rue américaine », Cassol (8:17).
06. « Lonely Woman », Coleman (4:56).
07. « Vertige », Massot (2:33).