23 avril 2022

Following The Right Way – Pierre Marcus

Pierre Marcus
s’est formé au Conservatoire de Nice, notamment auprès de François Chassagnite et Jean-Marc Baccarini. Après quelques disques en compagnie des locaux de l’étape – Aldon Malesco, Pierre Bertrand, Marco Vezzoso… – le contrebassiste monte un quartet avec Joris Mallia au saxophone, Mickael Berthelemy au piano et Alexandre Gauthier à la batterie, et sort Longue attente en 2015. Marcus poursuit ensuite son aventure avec un quintet, en compagnie de Baptiste Herbin et Irving Carao aux saxophones, Fred Perrears au piano et Thomas Delor à la batterie. Ils enregistrent Pyrodance en 2018. C’est avec les mêmes musiciens, mais Simon Chivallon au piano, que Marcus publie Following The Right Way en avril 2020.

Au programme, six compositions de Marcus, hommages à la Grèce antique (« Misthios »), aux amis Africains (« African Brother »), à une amie niçoise (« Marinonica », clin d’œil au « Panonnica » de Thelonious Monk) ou à son mentor (« Mister Chassagnite »), le morceau-titre, aux allures de préceptes (« Following The Right Way »), un morceau tiré du folklore bulgare (« Bulgarian Time »), « Nostalgia in Times Square », écrit en 1959 par Charles Mingus pour Shadows de John Cassavetes, « Tricotism » d’Oscar Pettiford, pour l’album éponyme sorti sous le nom de Lucky Thompson en 1956, et « Bemsha Swing », le tube que Monk a composé pour le disque Brilliant Corners, en 1957.

The Right Way emprunte des chemins détournés qui vont des Balkans (« Bulgarian Time ») à la New Orleans (« Nostalgia In Time Square »), en passant par les Antilles (« Bemsha Swing »), des ballades digne du Tin Pan Alley (« Misthios »), sans oublier, bien entendu, le Hard-Bop (« Mister Chassagnite »). Le tout est soutenu par une section rythmique efficace qui maintient une pulsation intense (« Tricotism ») : walking et chabada (« Following The Right Way »), ostinatos dynamiques (« Following The Right Way »), motifs dansants (« African Brothers »), lignes chaloupées (« Bemsha Swing »)… Herbin et Acao sont particulièrement complémentaires avec des discours tendus aux accents coltraniens (« Bulgarian Time »), des contrastes entre leurs motifs bondissants et le phrasé cool de la trompette (« Mister Chassagnite »), des échanges limpides et inspirés (« Nostalgia In Time Square »), des envolées véloces (« Following The Right Way ») ou un jeu plein d’entrain (« African Brothers »). Le piano de Chivallon, plutôt nerveux (« Mister Chassagnite ») et vif (« Bemsha Swing »), dispense un groove dense (« Bulgarian Time »), même quand il joue relax (« Misthios »), et il a le bop énergique (« Nostalgia In Time Square »). Les lignes claires et puissantes (« Nostalgia In Time Square »), le gros son boisé (« Mister Chassagnite ») et les chorus mélodieux (« African Brother ») de Marcus renforcent la colonne vertébrale du quintet. D’autant que la batterie de Delor complète impeccablement la contrebasse : cliquetis futés (« Bulgarian Time »), rim shot adroits (« Nostalgia In Time Square »), solo puissant sur les tambours (« Bemsha Swing »), enchaînements entraînants (« African Brother ») et, bien entendu, un drumming bop aux petits oignons (« Following The Right Way »).

Pour enrichir la palette sonore du quintet, Marcus a invité Renaud Gensane et sa trompette, qui nagent comme un poisson dans l’eau dans le hard-bop (« Following The Right Way »), Alexis Valet et son vibraphone, qui apportent une touche mélodique subtile (« Bye Bye Philou »), Jérémy Hinnekens et son piano aux accents « Bud Powelliens » (« Tricotism »), et Aleksandar Dzighov avec sa gaïda (cornemuse bulgare), qui met du relief dans la tournerie de « Bulgarian Time ».

Marcus continue de suivre sa voie avec détermination. Following The Right Way s’inscrit dans une veine néo-bop, agrémentée de couleurs choisies dans des musiques d'horizons variés.

Le disque

Following the right way
Pierre Marcus
Baptiste Herbin (ss, as), Irving Acao (ts), Pierre Marcus (b), Simon Chivallon (p) et Thomas Delor (d), avec Renaud Gensane (tp), Alexis Valet (Vib), Jérémy Hinnekens (p) et Aleksander Dzhigov (Gaida ).
Jazz Familly – JF064
Sortie en avril 2020

Liste des morceaux

01. « Bulgarian Time », traditionnel (5:43).
02. « Mister Chassagnite » (5:09).
03. « Nostalgia In Time Square », Charles Mingus (4:09).
04. « Misthios » (5:32).
05. « Following The Right Way » (3:40).
06. « Bye Bye Philou » (5:28).
07. « African Brothers » (5:00).
08. « Tricotism », Oscar Pettiford (3:20).
09. « Marinonica » (4:57).
10. « Bemsha Swing », Thelonious Monk (7:16).
11. « Bulgarian Time », traditionnel (4:51).

Toutes les compositions sont signées Marcus sauf indication contraire.

10 avril 2022

Nature Hath Painted the Body – Jonas Cambien

Né en Belgique,
mais installé en Norvège, Jonas Cambien s’illustre aussi bien dans la musique contemporaine (Aksiom) que la musique arabe (Majaz), le rock alternatif (Karokh), les musiques improvisées (Platform)… sans oublier son trio, avec le saxophoniste André Roligheten et le batteur Andreas Wildhagen.

Après A Zoology of the Future en 2016 et We Must Mustn’t We en 2018, le pianiste et son trio sortent Nature Hath Painted the Body le 19 avril 2021, toujours chez Clean Feed. Le titre de l’album fait référence à The Compleat Angler, livre sur la pêche d’Izaac Walton, publié en 1653, et les onze morceaux du répertoire ont été entièrement composés par Cambien.

Nature Hath Painted the Body met avant tout l’accent sur le son du trio. Les thèmes ne sont que des prétextes à des développements débridés (« Bushfire »). Des introductions aux allures de gamelan (« Oersoep ») ou de sonnailles (« Hypnos ») laissent place à des envolées nerveuses, touffues et captivantes (« Freeze »). Les ambiances moyen-orientales (« Mantis »), de science-fiction (« Helium ») ou de rock progressif (« Yoyo Helmut »), se mêlent à la musique contemporaine, toujours en filigrane (« Freeze »). Rythmiques cahotantes (« Herrieschoppers »), cliquetis débridés (« The Origins of Tool Use »), tensions fiévreuses (« Bushfire »), riffs puissants (« Yoyo Helmut »), bruitages tendus (« Helium »), unissons intenses (« Tongues »), explosions apocalyptiques (« Freeze ») et rebondissements improbables (« 1 000 000 Happy Locusts ») parsèment Nature Hath Painted the Body du début à la fin.

Power Trio, tu seras free contemporain ou tu ne seras point ! Nature Hath Painted the Body est remarquable pour sa liberté de sons...

Le disque

Nature Hath Painted the Body
Jonas Cambien Trio
Jonas Cambien (p), André Roligheten (ss, ts, bcl) et Andreas Wildhagen (d).
Clean Feed – CF567CD
Sortie le 19 avril 2021

Liste des morceaux

01. « Oersoep » (00:33).
02. « 1 000 000 Happy Locusts » (05:24).
03. « Herrieschoppers » (03:31).
04. « Hypnos » (01:50).
05. « Mantis » (03:29).
06. « The Origins of Tool Use » (04:58).
07. « Bushfire » (04:34).
08. « Freeze » (07:39).
09. « Yoyo Helmut » (02:51).
10. « Tongues » (01:22).
11. « Helium » (04:05).

Tous les morceaux sont signés Cambien sauf indication contraire.

Hum-Ma – Les enfants d’Icare

En 1953, l’auteur de science-fiction
Arthur C. Clarke publie Childhood’s End, dans lequel des gentils extra-terrestres viennent pacifier l’humanité. C’est à la traduction du titre en français que Les enfants d’Icare doivent leur nom. Le quartet, à l’instrumentation d’un quatuor classique, regroupe depuis 2016 des membres du collectif Déluge : Olive Perrusson à l’alto, Boris Lamérand et Antoine Delprat aux violons et Octavio Angarita au violoncelle. Hum-Ma, leur premier disque, sort le 6 mars 2020, sur le label maison de Déluge. 

Le quartet invite la pianiste Carine Bonnefoy sur deux morceaux et le clarinettiste basse Clément Caratini sur un troisième. En dehors de « Sheebeg & Sheemore », air folk irlandais, les dix autres morceaux sont signés Lamerand, mais trouvent leur source dans les voyages et les musiques traditionnelles : « Daf Algan », jeu de mot entre un tambour perse et un antalgique bien connu, s’inspire des Balkans; « Geamparale » est plutôt placé sous le signe de la danse roumaine du même nom ; « L’effet Mandela » est évidemment un hommage à Madiba ; « Gizmo » est un gremlins, mais aussi un savant de DC Comics ; Loin de Shandhigar » évoque la ville indienne dessinée par Le Corbusier ; « Pussies Grab Back » est un clin d’œil au « Pussy Grabs Back » de la rockeuse canadienne Kim Boekbinder ; quant à « GreenWitch », c’est une célèbre brasserie billéroise… mais aussi un hommage à Olivier Messiaen.

De thèmes-riffs entraînants (« Hum-Ma ») en airs joliment tournés (« L'effet Mandela »), les mélodies d’Hum-Ma sont teintées de couleurs chatoyantes qui évoquent les Balkans (« Daf Algan ») et l’Inde (« Loin de Shandhigar »), mais aussi la musique klezmer (« Geamparale »), manouche (« Insomnia »), rock (« Gizmo »), voire contemporaine (« Pussies Grab Back »). Pour ses développements, le quartet s’appuie sur la souplesse des instruments à cordes et joue avec les contre-chants (« Geamparale »), les unissons (« Pussies Grab Back »), les questions-réponses (« Hum-Ma ») et autres croisements de voix (« Sheebeg & Sheemore »). Les enfants d’Icare sortent tout un arsenal d’effets rythmiques pour palier l’absence de batterie : superposition de pizzicato, d’accords frottés et de cordes frappées (« Daf Algan »), ligne de basse assurée par la clarinette (« Geamparale »), walking et pompe entraînantes (« Insomnia »), tournerie propulsée par le piano (« Gizmo »), polyrythmie sautillante (« 9 avril »), assemblage d’ostinato, de riffs et de pédales (« L'effet Mandela »)… Les quatre musiciens jonglent aussi avec la palette sonore de leurs instruments. Tantôt le violon sonne presque comme un harmonica (« Sheebeg & Sheemore »), tandis que le violoncelle rappelle un sarangi (« Loin de Shandhigar »). Des crissements mystérieux lorgnent vers le bruitisme (« Pussies Grab Back »), pendant que des rubatos étirés plantent un décor sombre (« GreenWitch »)…

Les enfants d’Icare s’aventurent en dehors des contrées manouches, swing ou cross-over, en apportant une touche de modernité au quatuor jazz. Hum-Ma bouillonne, avec un groove contagieux !

Le disque

Hum-Ma
Les enfants d’Icare
Boris Lamérand (Vl, aVl), Antoine Delprat (Vl), Olive Perrusson (aVl) et Octavio Angarita (cello), avec Carine Bonnefoy (p) et Clément Caratini (bCl).
Déluge - DLG004
Sortie le 6 mars 2020

Liste des morceaux

01. « Daf Algan » (06:01).
02. « Geamparale » (06:20).
03. « 9 avril » (05:08).
04. « Hum-Ma » (05:50).
05. « Sheebeg & Sheemore », traditionnel irlandais (05:55).
06. « L'effet Mandela » (05:56).
07. « Gizmo » (07:50).
08. « Insomnia » (06:41).
09. « Loin de Shandhigar » (06:47).
10. « Pussies Grab Back » (04:51).
11. « GreenWitch » (05:00).

Tous les morceaux sont signés Lamérand sauf indication contraire.


09 avril 2022

A la découverte de Christophe Girard…

Qu’elle est loin l’époque où André Hodeir pointait du doigt « l’accordéon, instrument anti-jazz s’il en est » ! Le disque Live à L’espace des arts du sextet Space, Time and Mirror de Christophe Girard est un contre-exemple de plus... Et l’occasion de partir à la découverte de cet accordéoniste qui crée volontiers de la musique sans ceinture ni bretelles !


La musique

Mon père souhaitait que je pratique la musique, chose qu’il aurait aimé faire dans sa jeunesse. Mes parents m’ont inscrit dans une école de musique à côté de la maison, et elle proposait des cours d’accordéon... Le choix de mon instrument s’est donc fait plutôt par défaut que par goût, mais, au fil des ans, nous avons appris à nous connaître !

Dans ma jeunesse, j’ai commencé par pratiquer le répertoire dit de « variété ». Un répertoire nourri par des accordéonistes comme Gus Viseur, Tony Murena… Comme je suis né à Nevers, ville dans laquelle D’Jazz Nevers a une place très particulière, c’est par le biais de ce festival et dans le cadre d’interventions scolaires que j’ai noué mes premiers liens avec le Jazz. C’est aussi pendant ces années de collège et de lycée que j’ai découvert les disques de Richard Galliano… Ensuite, à dix-sept ans, je suis entré au conservatoire de Dijon où j’ai découvert l’accordéon classique, puis j’ai intégré le Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris dans cette même discipline.

Durant toute cette période, j’écoute énormément de jazz et le pratique « pour moi ». Je suis influencé par Duke Ellington pour son génie de l’orchestration, Art Van Damme pour son jeu qui a éclairé bon nombre d’accordéonistes, et Joachim Kühn pour ses envolées mélodiques et rythmiques inventives. A cette époque, j’ai déjà en ligne de mire de monter ma formation dès que mes études seront terminées. En 2009 c’est chose faite avec mon trio Exultet, qui remporte d’ailleurs trois prix au tremplin Jazz la Défense et le tremplin européen Jazz Burghausen. J’ai ensuite formé Smoking Mouse avec Anthony Caillet, le quintet Melusine et, aujourd’hui, le sextet Space, Time and Mirror. Par ailleurs, je continue de jouer dans des projets de musiques contemporaines ou classiques.




Cinq clés pour le jazz

Qu’est-ce que le jazz ? Cette question est souvent largement débattue. Je propose donc une citation magnifique d’Alex Dutilh : « Le jazz est un vampire métis qui, depuis sa naissance, suce le sang des autres musiques pour se régénérer. La plupart du temps par amour. Il sort plutôt la nuit et son sens aigu de l'improvisation lui permet de déjouer les tentatives d'enfermement ou les risques de sclérose dont il est régulièrement menacé. Lorsqu'il est en forme (en solo, en petit comité ou en bande organisée), on reconnaît sa silhouette à un balancement chaloupé que les golfeurs appellent swing et les geeks, groove. Tous les dix ans on annonce sa mort et tous les dix ans il s'invente une nouvelle jeunesse. Le jazz a les rides de ses héros disparus et affiche le sourire juvénile de ceux qui regardent le futur droit dans les yeux. »

Pourquoi la passion du jazz ? Pour ces instants ou la communication non verbale raconte plus que les mots... Pour son rapport au présent : ici et maintenant !

Où écouter du jazz ? En priorité dans des salles de concerts et les clubs.

Comment découvrir le jazz ? Pour commencer, en regardant les programmations autour de chez soi !


Le portrait chinois

Si j’étais un animal, je serais un chat,
Si j’étais une fleur, je serais un soucis,
Si j’étais un fruit, je serais une pomme,
Si j’étais une boisson, je serais du vin,
Si j’étais un plat, je serais du bœuf bourguignon,
Si j’étais une lettre, je serais Z,
Si j’étais un mot, je serais contemplation,
Si j’étais un chiffre, je serais 0,
Si j’étais une couleur, je serais terracotta,
Si j’étais une note, je serais Ré.


Les bonheurs et regrets musicaux

Je crois que le disque de mon sextet est l’une de mes plus belle réussite. Pendant le confinement, j’ai réécouté des maquettes de mes projets précédents et leur ai trouvé une fraîcheur, une sorte d’innocence, qu’on ne retrouve plus sur les albums, enregistrés bien après. J’ai donc fait le pari d’enregistrer le concert de la création de Space, Time and Mirror ! Et ce fût formidable ! Grâce à cette équipe magnifique !

Je regrette de ne pas avoir pu assister à l’un des derniers concerts du Vienna Art Orchestra, mais le moteur de ma voiture a explosé sur la route alors que je m’y rendais…


Sur l’île déserte…

Quels disques ? Live 1989 du Joachim Kühn Trio et L’Art de la fugue par Grigory Sokolov.

Quels livres ? Entretiens avec Jonathan Cott de Glenn Gould et Aucun souvenir assez solide d’Alain Damasio.

Quels films ? Into the Wild de Sean Penn et l’intégrale des Nuls.

Quelles peintures ? La femme qui pleure de Pablo Picasso et Autumn Rhythm (Number 30) de Jackson Pollock.

Quels loisirs ? Du ping-pong et des chaussures de randonnée...


Les projets

Je souhaite jouer autant que possible la musique de Space, Time and Mirror, mais aussi : enregistrer un jour une transcription de L’Art de la fugue de Johann Sebastian Bach pour accordéon seul, inventer un nouveau répertoire avec mon duo Smoking Mouse et faire vivre les musiques sur mon territoire en menant une action de terrain...