En résidence au
Triton depuis 2015, Yves Rousseau multiplie les projets : Akasha avec
Régis Huby, Jean-Marc Larché et Christophe Marguet ; le Spirit Dance
Quintet en compagnie de Fabrice Martinez à la trompette, David Chevallier à la
guitare, Bruno Ruder aux claviers et Marguet ; Absolutely Free accompagné
d’Elise Caron et de Larché ; le Wanderer Septet composé d'Huby, Larché, Thierry Péala, Pierre-François Roussillon, Edouard Ferlet, Xavier Desandre Navarre, … et le dernier né : Murmures, qui se produit les 12 et 13 mai dans le club star de
Montreuil.
Pour Murmures
Rousseau fait appel à des musiciens d’horizons différents : la chanteuse Anne Le Goff (Mikrokosmos, les Petits Chanteurs à la Croix
de Bois, Côté Sud…), le clarinettiste basse Thomas Savy (Archipel, Compagnie Nine Spirit, Slow Band…), le
guitariste Pierrick Hardy (Jusqu’au
dernier souffle, Daniella Barda, Olivier Ker Ourio…), et le
percussionniste Keyvan Chemirani (Chemirani
Ensemble, Louis Sclavis, Sylvain Luc…).
Rousseau a construit Murmures autour de textes de François Cheng. Le nom du projet est
d’ailleurs tiré d’une phrase extraite de L’Eternité
n’est pas de trop (2003). Poète, romancier, essayiste, calligraphe… Cheng a
reçu moult prix, dont le Femina, en 1998, pour Le Dit de Tianyi. Membre de l’Académie Française depuis 2002,
l’auteur, d’origine chinoise, est également Officier de la Légion d’honneur. Quand Rousseau lui a demandé l’autorisation d’utiliser ses écrits, Cheng lui a
répondu : « la poésie est un partage »… A méditer !
Le concert s’articule autour de dix morceaux qui mettent en
musique les textes de Cheng, chantés ou déclamés par Le Goff. Rousseau ne met
en avant aucun soliste et préfère privilégier les interactions du groupe :
entrelacs des voix (« Chaque jour de toute une vie »), contrepoints
rythmiques (« Un jour si je me perds en toi ») unissons mélodiques (« Un
jour les pierres »), dialogues subtils, mélodie soignées (« Pierre à
encre »)… Outre la structure des morceaux, Murmures rappelle d’autant plus la musique de chambre du début du
vingtième siècle que le chant évoque souvent des lieder (« Nous n’y
pouvons plus rien ») et l’instrumentation du quintet est acoustique avec
une sonorité très naturelle.
Avec le timbre chaud de sa belle voix d’alto, Le Goff marie ses
vocalises aux volutes de la clarinette basse et de la contrebasse (« Un
jour les pierres ») et donne de la gravité aux textes (« Chaque jour
de toute une vie »). D’une précision et d’une ingéniosité
confondantes, Savy met aussi la sonorité chaude et claire de sa clarinette basse
au service du quintet. Aussi à l’aise dans des envolées débridées (« Lorsque
nous nous parlons ») que dans des développements contemporains (le chorus
a capella de « Avoir tout dit »), ses accompagnements soulignent
toujours avec élégance la voix de Le Goff (« Un jour les pierres »)
ou le zarb. Les boucles, riffs, ostinatos, motifs… d’Hardy, sobres et minutieux,
s’immiscent toujours à bon escient dans la discussion (« Lorsque nous nous
parlons »). Il s’aventure également dans la musique andalouse (« Avoir
tout dit »), ou, avec ses douze cordes, dans des ambiances aux accents
médiévaux. Le zarb apporte une touche de musique du monde, mais sans excès
(« Lorsque nous nous parlons »). Rompu aux exercices du jazz
d’avant-garde, Chemirani allie virtuosité et musicalité (« Un jour si je
me perds en toi ») et le son de ses percussions – alliage de peaux et de
terre – est particulièrement séduisant. Rousseau est égal à lui-même :
gros son, pulsations entraînantes (« Un jour les pierres »), lignes
mélodieuses (« Chaque jour de toute une vie »), archet sagace (« Chaque
jour de toute une vie »), écoute attentive (« Nous n’y pouvons plus
rien »)… Le contrebassiste sert la « grand-mère » comme pas un !
Même s’ils s’inscrivent le plus souvent dans une lignée « jazz
sous le signe de la musique contemporaine », les projets de Rousseau se suivent,
mais ne se ressemblent pas ! Surprenants et pétillants, souhaitons que les
Murmures fassent bientôt parler d'eux dans un disque…