Fondé en 1986, l’OrchestreNational de Jazz a fêté ses trente ans le 2 septembre à la Cité de la Musique,
dans le cadre du festival Jazz à la Villette, en présence des dix musiciens qui
l’ont dirigé : François Jeanneau (1986), Antoine Hervé (1987 – 1989),
Claude Barthélémy (1989 – 1991 et 2002 – 2005), Denis Badault (1991 – 1994),
Laurent Cugny (1994 – 1997), Didier Levallet (1997 – 2000), Paolo Damiani (2000
– 2002), Franck Tortillier (2005 – 2008), Daniel Yvinec (2009 – 2013) et
Olivier Benoît (2014 – 2018).
L’ONJ compte plus d’une vingtaine de disques à son actif. Après
avoir publié huit disques chez Label Bleu, entre 1986 et 1994, l’ONJ a
enregistré pour Verve avec Cugny, Evidence avec Levallet, ECM avec Damiani, ensuite,
l’orchestre est revenu chez Label Bleu en 2003 et 2004 avec Barthélémy, avant
de passer au Chant du Monde avec Tortiller, puis Bee Jazz et Jazz Village avec
Yvinec.
Au fil des ans et des appétences de ses directeurs, l’ONJ
n’a cessé d’évoluer dans les directions les plus variées. En 2014 l’institution
s’est dotée d’un label, ONJ Records, qui édite les disques de l’ONJ, bien sûr,
mais aussi ceux des musiciens de l’orchestre : Rebirth de Fabrice Martinez,
Post K de Jean Dousteyssier, Petite
moutarde de Théo Ceccaldi... Par
ailleurs, Benoît a décidé de permettre aux musiciens de l’ONJ et d’artistes
invités de développer leurs propres projets en créant l’ONJazz Fabric en partenariat
avec le Carreau du Temple.
Côté ONJ, Benoît a monté un programme autour du portrait
musical de quatre capitales européennes : Europa Paris (juin 2014), Europa
Berlin (avril 2015), Europa Rome
(octobre 2016) et Europa Oslo
(printemps 2017). Le directeur artistique s’est entouré de musiciens venus de
tous azimuts : Dousteyssier aux clarinettes, Alexandra Grimal aux saxophones ténor et soprano, Hugues Mayot au saxophone alto, Fidel Fourneyron au trombone et tuba,
Martinez à la trompette et au bugle, Ceccaldi au violon et à l’alto, Sophie Agnel au piano, Paul Brousseau aux claviers, Sylvain Daniel à la basse et Eric Echampard à la batterie.
Europa Rome
Benoît a demandé à Benjamin
de la Fuente et Andrea Agostini
de composer deux pièces pour décrire la Ville Eternelle. Violoniste et compositeur
passé par le CNR de Toulouse, le CNSMDP, Paris VIII, l’IRCAM et la Villa
Médicis, de la Fuente compose aussi bien pour son quartet, Caravaggio, que pour
Ars Nova, l’Orchestre Philarmonique de Radio France, les Percussions de
Strasbourg… le théâtre et le cinéma. Pianiste de formation, Agostini a
également étudié la composition et la musique électronique à Bologne, avant de
rejoindre l’IRCAM. Il travaille à la fois dans la musique contemporaine, le
rock, les musiques improvisées… et fait de la recherche en informatique
musicale, notamment autour de Bach et Cage, deux logiciels de composition
assistée développés avec Daniele Ghisi.
Le 5 octobre, les dix musiciens de l’ONJ se retrouvent sur
la scène du Carreau du Temple pour interpréter Europa Rome, qui sort le 21 octobre. A l’inverse du disque, le
concert commence par les dix-neuf morceaux de Rome: A Tone Poem of Sorts d’Agostini, suivi des six mouvements de In Vino Veritas, signé de la Fuente.
Rome: A Tone Poem of
Sorts est une œuvre de musique contemporaine typique, avec ses mouvements
rythmiques complexes, ses jeux sur les sonorités – de la musique concrète à
gamelan, en passant par des nappes dignes d’un film de science-fiction –, le
travail sur les textures avec l’opposition entre les unissons ou les contrechants
des soufflants et la section rythmique sombre et sourde. L’œuvre évoque un
concerto grosso touffu dans lequel les instruments dialoguent à qui mieux
mieux, régis par une organisation qui ne laisse pas de place au lâché-prise. Le
Rome d’Agostini a un côté mystérieux et secret.
Si la musique concrète, avec les imitations de bruits de
machines et les voix off, est bien présente, les ambiances d’In Vino Veritas sont variées, avec des
passages quasiment rock, des questions-réponses bondissantes, des sonnailles d’enterrement,
des thèmes cinématographiques, une rythmique souvent puissante, des foisonnements
vigoureux… La construction sophistiquée de la partition s’appuie sur une
énergie jazz. Des dialogues tirés de Gente
di Roma, qu’Ettore Scola a
réalisé en 2003, s’intercalent dans la suite écrite par de la Fuente. In Vino Veritas porte bien son nom :
Rome est enivrante…
La parenté avec la musique contemporaine des deux suites d’Europa Rome est particulièrement évidente
sur disque, avec une production soignée, des voix précises et une sonorité nettes
qui servent parfaitement les partitions d’Agostini et de de la Fuente.
Europa Paris et
Europa Berlin
Les répertoires d’Europa
Paris et d’Europa Berlin ont été
composés par Benoît. Europa Paris se
décline en six pièces, de « Paris I » à « Paris VI »,
chacune constituée de une à onze parties. Dans Europa Paris, La musique de Benoît porte le sceau de la musique
répétitive teintée de free, de rock et de punk. Le compositeur joue élégamment
avec des boucles en contrepoints sur des ostinatos, des contrechants
minimalistes soutenus par une section rythmique nerveuse et mate, des passages
lyriques soulignés par des bourdons, des motifs répétitifs sur un martèlement
rock, des unissons denses interrompus par des envolées free, des dialogues
improvisés qui s’entrecroisent… Les parties s’enchaînent quasiment sans
interruptions, un peu comme un plan-séquence. Aux antipodes de la musette,
french cancan, opérettes, chansons à texte et autres clichés, le Paris de
Benoît est moderne, trépidant, fébrile, touffu…
Europa Berlin compte
huit morceaux. Alors qu’Europa Paris
est essentiellement marqué par la musique répétitive, Europe Berlin s’inscrit davantage dans un univers jazz. Benoît se
concentre sur des mouvements d’ensemble denses, portés par une rythmique
musclée et entraînante. Après des introductions courtes sous forme de bourdon,
carillon, voix off sur grésillements, bruits de machine… l’orchestre expose des
mélodies souvent courtes et soignées. Les développements rassemblent des
ingrédients de musique contemporaine et de rock progressif ou psychédélique,
avec ça-et-là quelques traces de musiques du monde, l’évocation d’une fanfare
parsemée de dissonances, comme un thème de clown triste à la Kurt Weill, mais aussi des passages de
musique de chambre pour un mouvement sombre et majestueux qui évoque sans doute
les époques douloureuses que Berlin a traversées. Seul « Persistance de l’oubli »
s’inscrit dans la lignée de la musique répétitive. Berlin, selon Benoît, est
une ville plurielle, où la nostalgie côtoie le contemporain…
Benoît et son ONJ sont des guides touristiques à suivre sans
a priori ! La visite de ces trois premières capitales donnent envie de
poursuivre le voyage et d’écouter les sons d’Oslo.