13 novembre 2016

L’Europe selon l’ONJ…

Fondé en 1986, l’OrchestreNational de Jazz a fêté ses trente ans le 2 septembre à la Cité de la Musique, dans le cadre du festival Jazz à la Villette, en présence des dix musiciens qui l’ont dirigé : François Jeanneau (1986), Antoine Hervé (1987 – 1989), Claude Barthélémy (1989 – 1991 et 2002 – 2005), Denis Badault (1991 – 1994), Laurent Cugny (1994 – 1997), Didier Levallet (1997 – 2000), Paolo Damiani (2000 – 2002), Franck Tortillier (2005 – 2008), Daniel Yvinec (2009 – 2013) et Olivier Benoît (2014 – 2018).

L’ONJ compte plus d’une vingtaine de disques à son actif. Après avoir publié huit disques chez Label Bleu, entre 1986 et 1994, l’ONJ a enregistré pour Verve avec Cugny, Evidence avec Levallet, ECM avec Damiani, ensuite, l’orchestre est revenu chez Label Bleu en 2003 et 2004 avec Barthélémy, avant de passer au Chant du Monde avec Tortiller, puis Bee Jazz et Jazz Village avec Yvinec.

Au fil des ans et des appétences de ses directeurs, l’ONJ n’a cessé d’évoluer dans les directions les plus variées. En 2014 l’institution s’est dotée d’un label, ONJ Records, qui édite les disques de l’ONJ, bien sûr, mais aussi ceux des musiciens de l’orchestre : Rebirth de Fabrice Martinez, Post K de Jean Dousteyssier, Petite moutarde de Théo Ceccaldi... Par ailleurs, Benoît a décidé de permettre aux musiciens de l’ONJ et d’artistes invités de développer leurs propres projets en créant l’ONJazz Fabric en partenariat avec le Carreau du Temple.

Côté ONJ, Benoît a monté un programme autour du portrait musical de quatre capitales européennes : Europa Paris (juin 2014), Europa Berlin (avril 2015), Europa Rome (octobre 2016) et Europa Oslo (printemps 2017). Le directeur artistique s’est entouré de musiciens venus de tous azimuts : Dousteyssier aux clarinettes, Alexandra Grimal aux saxophones ténor et soprano, Hugues Mayot au saxophone alto, Fidel Fourneyron au trombone et tuba, Martinez à la trompette et au bugle, Ceccaldi au violon et à l’alto, Sophie Agnel au piano, Paul Brousseau aux claviers, Sylvain Daniel à la basse et Eric Echampard à la batterie.


  
Europa Rome

Benoît a demandé à Benjamin de la Fuente et Andrea Agostini de composer deux pièces pour décrire la Ville Eternelle. Violoniste et compositeur passé par le CNR de Toulouse, le CNSMDP, Paris VIII, l’IRCAM et la Villa Médicis, de la Fuente compose aussi bien pour son quartet, Caravaggio, que pour Ars Nova, l’Orchestre Philarmonique de Radio France, les Percussions de Strasbourg… le théâtre et le cinéma. Pianiste de formation, Agostini a également étudié la composition et la musique électronique à Bologne, avant de rejoindre l’IRCAM. Il travaille à la fois dans la musique contemporaine, le rock, les musiques improvisées… et fait de la recherche en informatique musicale, notamment autour de Bach et Cage, deux logiciels de composition assistée  développés avec Daniele Ghisi.

Le 5 octobre, les dix musiciens de l’ONJ se retrouvent sur la scène du Carreau du Temple pour interpréter Europa Rome, qui sort le 21 octobre. A l’inverse du disque, le concert commence par les dix-neuf morceaux de Rome: A Tone Poem of Sorts d’Agostini, suivi des six mouvements de In Vino Veritas, signé de la Fuente.

Rome: A Tone Poem of Sorts est une œuvre de musique contemporaine typique, avec ses mouvements rythmiques complexes, ses jeux sur les sonorités – de la musique concrète à gamelan, en passant par des nappes dignes d’un film de science-fiction –, le travail sur les textures avec l’opposition entre les unissons ou les contrechants des soufflants et la section rythmique sombre et sourde. L’œuvre évoque un concerto grosso touffu dans lequel les instruments dialoguent à qui mieux mieux, régis par une organisation qui ne laisse pas de place au lâché-prise. Le Rome d’Agostini a un côté mystérieux et secret.


Si la musique concrète, avec les imitations de bruits de machines et les voix off, est bien présente, les ambiances d’In Vino Veritas sont variées, avec des passages quasiment rock, des questions-réponses bondissantes, des sonnailles d’enterrement, des thèmes cinématographiques, une rythmique souvent puissante, des foisonnements vigoureux… La construction sophistiquée de la partition s’appuie sur une énergie jazz. Des dialogues tirés de Gente di Roma, qu’Ettore Scola a réalisé en 2003, s’intercalent dans la suite écrite par de la Fuente. In Vino Veritas porte bien son nom : Rome est enivrante…

La parenté avec la musique contemporaine des deux suites d’Europa Rome est particulièrement évidente sur disque, avec une production soignée, des voix précises et une sonorité nettes qui servent parfaitement les partitions d’Agostini et de de la Fuente.


Europa Paris et Europa Berlin

Les répertoires d’Europa Paris et d’Europa Berlin ont été composés par Benoît. Europa Paris se décline en six pièces, de « Paris I » à « Paris VI », chacune constituée de une à onze parties. Dans Europa Paris, La musique de Benoît porte le sceau de la musique répétitive teintée de free, de rock et de punk. Le compositeur joue élégamment avec des boucles en contrepoints sur des ostinatos, des contrechants minimalistes soutenus par une section rythmique nerveuse et mate, des passages lyriques soulignés par des bourdons, des motifs répétitifs sur un martèlement rock, des unissons denses interrompus par des envolées free, des dialogues improvisés qui s’entrecroisent… Les parties s’enchaînent quasiment sans interruptions, un peu comme un plan-séquence. Aux antipodes de la musette, french cancan, opérettes, chansons à texte et autres clichés, le Paris de Benoît est moderne, trépidant, fébrile, touffu…

Europa Berlin compte huit morceaux. Alors qu’Europa Paris est essentiellement marqué par la musique répétitive, Europe Berlin s’inscrit davantage dans un univers jazz. Benoît se concentre sur des mouvements d’ensemble denses, portés par une rythmique musclée et entraînante. Après des introductions courtes sous forme de bourdon, carillon, voix off sur grésillements, bruits de machine… l’orchestre expose des mélodies souvent courtes et soignées. Les développements rassemblent des ingrédients de musique contemporaine et de rock progressif ou psychédélique, avec ça-et-là quelques traces de musiques du monde, l’évocation d’une fanfare parsemée de dissonances, comme un thème de clown triste à la Kurt Weill, mais aussi des passages de musique de chambre pour un mouvement sombre et majestueux qui évoque sans doute les époques douloureuses que Berlin a traversées. Seul « Persistance de l’oubli » s’inscrit dans la lignée de la musique répétitive. Berlin, selon Benoît, est une ville plurielle, où la nostalgie côtoie le contemporain…

Benoît et son ONJ sont des guides touristiques à suivre sans a priori ! La visite de ces trois premières capitales donnent envie de poursuivre le voyage et d’écouter les sons d’Oslo.