Pour étoffer son catalogue, Cristal Records a créé des
collections thématiques sur le jazz, dont
Cristal Records Presents et Original
Sound Deluxe.
Cristal Records Presents Jazz
Guitar
Cristal Records
Presents propose de parcourir des thèmes sous forme de double album :
l’un consacré à des titres emblématiques du thème choisi et l’autre avec une
sélection d’artistes du label qui s’inscrivent dans le thème. C’est à
l’infatigable Claude Carrière que
revient le privilège de sélectionner les morceaux classiques et à Fred Migeon celui de choisir des titres
dans le catalogue de Cristal Records. Après le blues, l’Afrique, les ballades
et le jazz latino, c’est la guitare qui est à l’honneur de cinquième titre de
la collection : Cristal Records
Presents Jazz Guitar.
Le premier disque s’ouvre sur « I’ll See You In My
Dream », interprété par Django
Reinhardt accompagné de Baro Ferret
et Emmanuel Soudieux : une
rythmique sautillante au service de la limpidité d’un discours, parsemé de
trouvailles. Al Casey – avec Fats Waller – et Floyd Smith – en compagnie d’Andy
Kirk – nous plongent dans l’ère swing, avec des essais de jeu slide pour
Smith. L’incontournable « Solo Flight » de Charlie Christian marque un tournant clair, net et moderne vers le
be-bop. Suivent ensuite des musiciens qui ont porté la guitare be-bop à son apogée:
l’élégante sobriété de Billy Bauer, la
fluidité de Jimmy Raney (et non pas
Rainey), la nonchalance West Coast d’Herb
Ellis, les propos tranchants de Tal Farlow,
le blues teinté de pop de Mundell Lowe,
la subtilité de Barney Kessel et le
lyrisme de Rene Thomas. La vivacité
de Wes Montgomery et la fausse
désinvolture de Kenny Burrell –
partenaire de John Coltrane pour
l’occasion – nous amènent au hard-bop. Sur « My Funny Valentine », Jim Hall et Bill Evans donnent une leçon de modernité. Pour terminer le premier
disque, retour à la tradition be-bop avec Sacha
Distel et au swing de Sal Salvador,
accompagné par l’orchestre de Stan
Kenton.
Pour le deuxième disque, Migeon a puisé dans le catalogue de
Cristal Records des morceaux sortis entre 2004 et 2016. Sébastien Giniaux et David
Reinhardt suivent les traces de Django Reinhard avec brio. Dans une veine
mainstream mélodieuse, Michael
Felberbraum et Gilad Hekselman
se font accompagner par des orchestres dynamiques. Ulf Wakenius met sa sonorité satinée au service d’un morceau teinté
de pop. Pierre Durand joue les
guitar hero sur « Dreamers », signé Sébastien Texier. Même esprit rock bluesy (mais davantage acoustique)
pour Gérard Marais et son quartet, Pierre Berchaud dans « Mistery
Lake », une composition de Karl
Jannuska, et Serge Lazarevitch,
qui reprend « Evidence » de Thelonious
Monk. David Chevallier et son
trio donnent une version bien d’aujourd’hui de « The Man I Love ». Gilles Renne puise chez Miles Davis l’ambiance bluesy épaisse
de « Quand le chacal dort ». Carles
Gr revient vers un hard-bop nerveux. Le deuxième disque se referme sr
« Hot Barbecue », un boogaloo efficace joué par ‘Jumpin’ Jeff Hoffman.
Le premier disque donne un bon résumé de l’histoire de la
guitare jazz jusqu’aux années soixante. Les plus pointilleux voudraient un
disque supplémentaire pour ajouter Joe
Pass, Chet Atkins, Pat Martino, Eddie Condon, Freddie Green,
Tiny Grimes, Grant Green, Eddy Lang… ou
encore, quelques représentants du latin jazz et de la bossa nova… Mais une
sélection est une sélection et celle-là a le mérite d’être représentative. Le
deuxième disque permet à l’auditeur d’avoir un échantillon de quelques
guitaristes contemporains. Vu le nombre de guitaristes-phares actifs entre les
années soixante et aujourd’hui, il est bien sûr un peu frustrant d’avoir un
trou pendant cette période…
Jazz Violin Legends
Original Sound Deluxe
est davantage une collection historique qui présente des lieux, des styles, des
instruments, des humeurs… à travers des vieux enregistrements de jazz extirpés
des archives, judicieusement choisis par… Carrière, soigneusement matricés par
Art & Son Studio et joliment illustrés par Christian Cailleaux (notamment l’auteur, avec Hervé Bourhis, de Piscine
Molitor, une biographie dessinée de Boris
Vian). Le quarante-deuxième opus de la collection est consacré au
violon : Jazz Violin Legends.
Les morceaux s’étalent de 1927 – « Goin’ Places »
de Joe Venuti et Eddie Lang – à 1960 – « Tempo For
Two » de Joe Kennedy Jr. avec
le quartet d’Ahmad Jamal – mais la
grande majorité des morceaux se situent dans les années trente et quarante. Les
violonistes précurseurs tels Venuti, Darnell
Howard avec l’orchestre d’Earl Hines
ou encore Juice Wilson avec Noble Sissle sautillent allègrement. Edgar Sampson, accompagné de Fletcher Henderson, et Claude Williams, en compagnie de Count Basie, meublent sans vraiment
décoller. Harry Lookofsky, qui joue
les parties de trois violons et celles de deux violoncelles, s’aventure du côté
d’Hollywood, tandis que Ray Nance,
avec Duke Ellington, donne une
version légèrement sirupeuse de « Come Sunday ». Emilio Caceres swingue avec énergie, tout comme Ray Perry, qui peut compter sur
l’orchestre de Lionel Hampton. Si la
rythmique (le clan Ferret et Maurice Speilleux) de « Royal
Blue » swingue sérieusement, le blues de Georges Effrosse reste timide. Même timidité pour John Frigo dans « Blue
Orchids »… Dès que walking et chabada s’en mêlent, les morceaux s’envolent
plus facilement, comme Stuff Smith,
avec Shirley Horn, ou Kennedy Jr.,
avec Jamal. Constatation qui s’applique également quand les carrures sont bien
tenues, comme avec Svend Asmussen
(« Tea For Two »), Emma
Colbert (« I’m In The Mood For Love ») ou André Hodeir (« Minor Swing »). Dans un environnement
manouche, les violonistes trouvent une légèreté rythmique et une aisance
mélodique plaisante, à l’instar de l’excellent duo entre Stéphane Grappelli et Django
Reinhardt (« I’ve Found A New Baby » – 1937), celui d’Eddie South et de Reinhardt, Michel Warlop, toujours avec Reinhardt
(plus Louis Vola), ou encore le trio
South – Warlop – Grapelli. Quant à Reinhardt, il est plus décisif à la guitare
qu’au violon (« Vous et moi »)…
Jazz Violin Legends
est un document historique particulièrement intéressant, ne serait-ce que pour
embrasser la place du violon dans le jazz. Reste à compléter l’histoire avec
les violonistes qui ont suivi, de Jean-Luc
Ponty à Régis Huby, en passant
par Didier Lockwood, Dominique Pifarély, Regina Carter, Florin Niculescu, Mark
Feldman, Billy Bang… pour n’en
citer que quelques uns.