08 janvier 2018

Aïrés Trio au Café de la Danse…

Le 4 décembre 2017, à l’occasion de la sortie de leur premier opus éponyme chez Outhere Music, l’Aïrés Trio – Airelle Besson, Edouard Ferlet et Stéphane Kerecki – se produit au Caféde la Danse. En première partie, Jozef Dumoulin présente son dernier projet en solo.


A Fender Rhodes Solo

Sorti en 2014 chez Bee Jazz, A Fender Rhodes Solo est l’un des nombreux projets de Dumoulin. Comme il le souligne lui-même, ce n’est pas le versant funk et psychédélique que le claviériste privilégie avec le Rhodes, mais plutôt l’électro. C’est pour cela qu’il s’entoure d’un tas de pédalier FX et autres boîtiers divers.


Le set de Dumoulin dure une trentaine de minutes pendant lesquelles il pétrit de multiples effets sonores. Il plaque des accords aériens, égrène des motifs minimalistes sur le clavier et trifouille ses boutons pour fabriquer des sons d’outre-tombe, entrelacer des boucles synthétiques, répéter des motifs cristallins, produire des grésillements électriques, faire jaillir des pétarades mécaniques, imbriquer des ostinatos crépitants, dérouler des trémolos…

La musique concrète et autres dérivés postmodernistes sont plus proches de la musique de Dumoulin que Louis Armstrong, Charlie Parker ou John Coltrane. C’est une mise en bouche décalée et étonnante avant le trio acoustique prend la suite...


Aïrés Trio

Une fois sa résidence au Théâtre municipal de Coutances terminée, en mai 2017, Besson a formé l’Aïrés Trio avec Ferlet et Kerecki, afin de partager un goût commun pour des architectures musicales recherchées.

Le concert reprend la plupart des morceaux du disque : « Infinité » et « Résonance », signés Besson, « L’histoire d’un enfant de Saint-Agil » et « Les stances du sabre » de Ferlet, « Manarola » de Kerecki, mais aussi « Es Ist Vollbracht », tiré de la Passion selon Saint-Jean de Johann-Sebastian Bach et arrangé par Ferlet, « La pavane pour une infante défunte » de Maurice Ravel, « Windfall » de John Taylor (partenaire de Kerecki, avant son décès en juillet 2015) et la « Pavane » opus 50 de Gabriel Fauré.


« Infinité » s’ouvre sur la sonorité lumineuse et velouté de la trompette, bientôt rejointe par le piano et la contrebasse pour un unisson élégant. Après un développement rythmé de Ferlet, Kerecki emmène le gros son boisé de sa contrebasse dans un solo mélodieux, tandis que Besson continue avec un mouvement legato dynamique. Une pédale dans les cordes du piano, un rythme frappé sur la table de la contrebasse et des jeux de bouche et de piston introduisent « Es Ist Vollbracht ». Le trio alterne passages enlevés et allusions à l’aria de Bach dans un traitement moderne et tendu. C’est encore après une introduction sous forme de passes à trois que Besson expose avec majesté la « Pavane pour une infante défunte ». Le trio adopte une approche sobre qui met en relief la beauté du thème de Ravel.


Ferlet explique que « L’histoire d’un enfant de Saint-Agil » est la transcription d’une improvisation réalisée lors d’une résidence du pianiste dans ce petit village du Loir et Cher. Pétulant, le morceau permet au trio d’interagir dans un festival d’unissons, contre-chants, questions-réponses et autres dialogues. Le trio poursuit avec l’évocation d’un autre village : « Manarola ». Aïrés revient aux techniques étendues pour reprendre cette composition que Kerecki avait déjà jouée avec Taylor au Café de la Danse. Manarola a beau faire partie des Cinque Terre, en Italie, c’est plutôt un esprit latino qui habite cette interprétation, conclue par un chorus de contrebasse d’une musicalité remarquable.  Le « Windfall », que Taylor a composé au début des années quatre-vingts dix, est abordé sur un mode intimiste, avec tout un jeu de croisements délicats entre les phrases fluides de la trompette, les lignes souples de la contrebasse et les motifs déliés du piano.

Le bourdon qui sort du piano et le chant grave de la contrebasse plongent d’abord l’auditeur dans une ambiance légèrement bouddhiste, amusante pour cet avatar de la « Danse du Sabre » d’Aram Khachaturian, mais les trois musiciens repartent rapidement dans des échanges vifs et sautillants, plus proches de l’œuvre originale. Avec « Résonance », retour à Bach et ses contrepoints virtuoses, avant  des chassés-croisés, toujours aussi ingénieux. En bis, après un préambule percussif, Besson, Ferlet et Kerecki achèvent leur soirée par la splendide « Pavane » de Fauré qui inspira d’ailleurs celle de Ravel.


L’Aïrés Trio propose un jazz de chambre marqué par la musique classique. Une personnalité singulière, servie par une instrumentation trompette – piano – contrebasse plutôt inhabituelle, une inventivité malicieuse et une maestria admirable rendent cette musique passionnante.