Né le 25 mars 1929, Taylor s’est éteint le 5 avril 2018. Après une formation musicale des plus sérieuses – leçons de piano à partir de six ans, puis le New York College of Music et le New England Conservatory – Taylor travaille quelques temps dans les formations de Johnny Hodges et Hot Lips Page. Il monte son premier groupe au milieu des années cinquante, avec Steve Lacy, Buell Neidlinger et Dennis Charles. En 1956, le quartet joue au Five Spot et, l’année suivante, au Festival de Newport. Les concerts se font ensuite plus rares, malgré quelques enregistrements pour Candid. C’est en 1962, que commence la longue association de Taylor avec les regrettés Jimmy Lions (1931 – 1986) et Sunny Murray (1936 – 2017). Ils passent six mois en Europe, où Albert Ayler joue avec eux. En 1964, Bill Dixon crée la Jazz Composer's Guild Association, à laquelle se joint Taylor. A partir des années soixante-dix, il entame une carrière d’enseignant à l’Université du Wisconsin, à l’Antioch College et au Glassboro State College. En 1973, la bourse du Guggenheim lui permet d’envisager l’avenir d’autant plus sereinement qu’en 1979, Taylor est invité à jouer à la Maison Blanche par Jimmy Carter. Par la suite, outre son Unit, créé au début des années soixante-dix, ses solos et des rencontres éclectiques (Mary Lou Williams, Max Roach, Friedrich Gulda…), Taylor compose pour la danse (Diane McIntyre, Mikhaïl Barychnikov…) et écrit des poèmes qu’il incorpore dans ses performances.
Pianiste jusqu’au-boutiste, Taylor n’a jamais fait aucun compromis
avec son art. De ses origines afro-amérindiennes et de sa formation musicale
européenne, le pianiste a bâti un univers musical personnel extra ordinaire,
dans lequel mélodie, rythme et harmonie n’ont d’autre but que de sculpter la
matière sonore, avec pour seule contrainte une exigence et une perfection musicale
sans concession : « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ».
Comme le souligne Lyons à Valérie Wilmer
(citée par Kitty Grime dans Jazz At Ronnie’s Scott’s) : « jouer
avec Cecil m’a amener à penser différemment sur le pourquoi du comment. Il n’est
pas question de cycles de quintes, mais de son. J’étais engagé dans une voie du
style bop, mais je sentais que ce n’était mon truc. Je suis passé chez Cecil et
vécu une expérience tout à fait différente. La musique de Cecil est d’avant-garde.
Et je ne pense pas qu’elle puisse être appréciée de prime abord. Peut-être qu’un
enfant le pourrait, mais les gens sont habitués à écouter certaines choses d’une
certaine manière, donc ils n’en prennent sans doute pas la juste mesure ».
Et John Chilton (Jazz – 1979) d’en rajouter : « Taylor
a été appelé l’architecte des sons à venir. Son souhait, c’est que les
auditeurs réalisent que « le point de convergence, c’est le développement
de nos facultés de réaction face au son » ».
Deux disques emblématiques, parmi tant d’autres, illustrent
à merveille la démarche du musicien : Indent
et Cecil Taylor.
Indent
Le répertoire est constitué d’un morceau – « Indent »
– en trois parties : un « First Layer » de 13:41, un « Second
Layer » de 13:45 et le « Third Layer » de 17:51. Taylor martèle des
accords brutaux, des lignes staccatos violentes, des clusters puissants, des
crépitements furieux, des bribes de mélodies… dans une débauche d’énergie
rythmique qui tient autant de la musique contemporaine que d’une déconstruction
enfantine, maîtrisée de bout en bout. Quarante minutes d’un ouragan tellurique
de notes !
Cecil Taylor
A l’automne 1966, après avoir enregistré Unit Structures pour Blue Note, Taylor
est en Europe pour une tournée, avec Lions au saxophone alto, Alan Silva à la contrebasse et Andrew Cyrille à la batterie. Le Cecil
Taylor Unit joue le 30 novembre au Studio 105 (appelée Salle 105 à l‘époque…) de
la Maison de l’ORTF, à Paris. Fondateur de Freedom Records, la célèbre division
jazz de Black Lion Records, le producteur Alan
Bates produit un double-disque, qui ne sort qu’en 1973 sur le label japonais
BYG sous le titre Student Studies. En
1980, Freedom reprend le morceau titre dans l’album Great Paris Concert « 1 ». Mais ce n’est qu’en 1983 que
Black Lion Records publie l’intégralité du disque en France – distribution Carrère
– sous le titre Cecil Taylor. Le
graphisme et la célèbre photo du disque sont confiés à l’artiste japonais Katsuji Abe.
Au programme du disque, « Student Studies » (26:56),
« Amplitude » (19:41) et « Niggle Feuigle » (12:07). Que
les étudiants s’accrochent : leurs études sont une véritable
course-poursuite frénétique ! Le piano et le saxophone foncent dans un
même élan endiablé, en se coupant la parole à qui mieux mieux, tandis que la
contrebasse vrombit et que la batterie en met partout. Le quartet finit en
apothéose rythmique, tel un gamelan apocalyptique… Avec ses jeux de percussion –
sifflets, clochettes, timbales… – et ses effets de technique étendue –
roulements, grondements, couinements… –, « Amplitude » préfigure les
expériences de l’Art Ensemble of Chicago. L’expressivité, voire l’expressionnisme,
sonore est au centre du morceau. Quant à « Niggle Feuigle », il s’inscrit
dans un free, aujourd’hui plus « classique », avec une explosion des
structures, des échanges rythmiques débridés et un saxophone déchaîné qui se
fond dans la sculpture sonore… Presqu’une heure d’une ébullition sonore bienfaisante tant
pour l’esprit que pour les sens….
Sources :