26 décembre 2018

Amour et peinture en musique à La Dynamo…


Double plateau de haut vol le vendredi 7 décembre 2018 : Hymnes à l’amour et Characters On A Wall se partagent la scène de La Dynamo.


Hymnes à l’amour
Christophe Monniot & Didier Ithursarry

Voilà plus de dix ans que Christophe Monniot et Didier Hithursarry jouent ensemble, avec l’altiste Guillaume Roy, au sein du trio Station Mir. En 2017 ils décident de monter un duo et sortent Hymnes à l’amour chez ONJ Records, le 16 novembre 2018. Le concert de La Dynamo est l’occasion de célébrer ce disque.

Le répertoire du disque comprend trois thèmes signés Monniot (« Biguine pour Sushi », « Soso » et « Nadir’s »), une composition d’Ithursarry (« Est »), le célébrissime paso doble de Pascual Marquina Narro, « España cañi », l’immortel « Sophisticated Lady » de Duke Ellington, la valse « Passion » de Tony Murena et le cantique « Il est un fleuve ». Pendant le concert, le duo reprend six des huit morceaux des Hymnes à l’amour, « Forçat » d’Ithursarry et « Indifférence » de Murena. Comme le souligne Monniot avec humour : « on va faire des hymnes à des gens vivants… On va dédier des morceaux à des gens qu’on aime, encore en vie… Parce que les morts, finalement on s’est aperçu que quand on leur dédie un morceau, ça ne leur fait ni chaud, ni froid… ». Monniot rend donc hommage à sa mère, son père, Gilles et John, Sushi…

Monniot et Ithursarry abordent les Hymnes à l’amour sous un angle plutôt free, moins dansant que le Blow Up (1997) de Michel Portal et Richard Galliano et moins mélodieux que la Belle époque (2014) d’Emile Parisien et de Vincent Peirani, deux autre fameux duos accordéon – saxophones (et clarinettes pour Portal). 

Les deux artistes se réapproprient les thèmes avec originalité, comme « Summertime », base de « Soso » et également cité dans « Est », « Nadir’s », librement inspiré de « La romance de Nadir », tiré des Pêcheurs de perles, un opéra de Georges Bizet, composé en 1863, ou les valses musettes qui sont passées à la moulinette free… Cette relecture personnelle des mélodies sert de socle à des variations denses. Les développements vifs (« Biguine pour Sushi ») sont portés par des accords puissants de l’accordéon (« Soso »), des ostinatos sombres (« Nadir’s ») ou des phrases virevoltantes du soprano (air médiéval), qui partent souvent en embardées (« Est »). Les dialogues nerveux entre les deux musiciens (« Passion »), enrichis de dissonances dans l’esprit de la musique contemporaine (« Indifférence »), voire du début vingtième (« Soso »), la polyphonie de l’accordéon et les claquements rythmiques des clés du saxophone alto (« Forçat »), les nappes de sons et autres textures sonores épaisses jouées par le piano à bretelles (« Est ») viennent également ajouter du piquant aux propos des deux artistes.

Avec Ithursarry et Monniot le laisser-aller n’a pas sa place et leurs Hymnes à l’amour ne riment pas avec glamour ! Pour des romances mièvres, il faut aller écouter ailleurs : la musique du duo pétille d’intelligence, de réparties et de tonus.




Characters On A Wall
Louis Sclavis



En 2002 Louis Sclavis enregistre Napoli’s Walls avec Vinvent Courtois au violoncelle, Médéric Collignon à la trompette de poche et Hasse Poulsen à la guitare. Le disque est inspiré par les œuvres qu’Ernest Pignon-Ernest a placardées sur les murs de Naples. Avec Characters On A Wall, le clarinettiste a décidé de prolonger ce travail en illustrant neuf installations de l’artiste urbain : Paolo Pasolini à Rome, Mahmoud Darwich à Ramallah, Jean Genet à Brest…



Pour ce projet Sclavis s’entoure du trio avec qui il a créé Loin dans les terres (Intuition Records – 2017) : Benjamin Moussay au piano, Sarah Murcia à la contrebasse et Christophe Lavergne à la batterie.


« Jean Genet à Brest » reflète assez bien l’esprit de la musique du quartet : une introduction foisonnante à quatre laisse la place à un rythme solide, servi par une contrebasse imposante et une batterie touffue, sur lequel se promènent les lignes de la clarinette, sinueuses, mais parsemées d’aspérités, et soutenues par les contre-chants du piano. Avant le rappel final du thème, le trio piano – contrebasse – batterie se lance dans des échanges contemporains tendus. « Darwich dans la ville » fait la part belle aux tambours de Lavergne, à des passes d’armes heurtées entre Sclavis et Murcia, et aux clusters de Moussay. Référence à des installations de Pignon-Ernest à Martigue, le thème de « La dame de Martigue » s’apparente davantage aux mélodies françaises du début vingtième, avec un déroulé élégant, des contrepoints subtils, un discours virtuose de la clarinette... La silouhette d’un homme flashée par l’explosion de la bombe atomique sur un mur d’Hiroshima a guidé Moussay pour « Shadows And Lines ». L’introduction du piano et de la contrebasse à l’archet est sombre, mais un riff de basse dansant, une batterie régulière et un piano musclé emmènent progressivement le trio vers un free intense, auquel se joint la clarinette. Avec ses rythmes en suspension, ses discussions croisées, sobres et élégantes, ses différents tableaux... « L’heure Pasolini » a des points communs avec une bande son cinématographique. La mélopée de « Prison », inspiré par le travail de Pignon-Ernest dans la prison Saint-Paul à Lyon, monte rapidement en tension, poussée par une batterie et une contrebasse puissantes et une gestion efficace du suspens, puis le morceau débouche sur un échange free luxuriant. En bis, le quartet joue « Extases », une évocation des dessins sur les grands mystiques que Pignon-Ernest a exposés dans les églises de Naples. C’est sur cette ode tout à fait « sclavisienne », d’un lyrisme moderne dans une lignée vingtièmiste, que se conclut le concert, en beauté.


Mélodies sophistiquées, harmonies modernes, rythmes charnels et sonorités chaleureuses, Characters On A Wall est enthousiasmant !