Double plateau de
haut vol le vendredi 7 décembre 2018 : Hymnes
à l’amour et Characters On A Wall
se partagent la scène de La Dynamo.
Hymnes à l’amour
Christophe Monniot & Didier Ithursarry
Voilà plus de dix ans que Christophe Monniot et Didier Hithursarry jouent ensemble, avec l’altiste Guillaume Roy, au sein du trio Station Mir. En 2017 ils décident de
monter un duo et sortent Hymnes à l’amour
chez ONJ Records, le 16 novembre 2018. Le concert de La Dynamo est l’occasion
de célébrer ce disque.
Le répertoire du disque comprend trois thèmes signés Monniot
(« Biguine pour Sushi », « Soso » et
« Nadir’s »), une composition d’Ithursarry (« Est »), le célébrissime
paso doble de Pascual Marquina Narro, « España cañi », l’immortel
« Sophisticated Lady » de Duke
Ellington, la valse « Passion » de Tony Murena et le cantique « Il est un fleuve ». Pendant
le concert, le duo reprend six des huit morceaux des Hymnes à l’amour, « Forçat » d’Ithursarry et
« Indifférence » de Murena. Comme le souligne Monniot avec
humour : « on va faire des hymnes à des gens vivants… On va dédier
des morceaux à des gens qu’on aime, encore en vie… Parce que les morts, finalement
on s’est aperçu que quand on leur dédie un morceau, ça ne leur fait ni chaud,
ni froid… ». Monniot rend donc hommage à sa mère, son père, Gilles et
John, Sushi…
Monniot et Ithursarry abordent les Hymnes à l’amour sous un angle plutôt free, moins dansant que le Blow Up (1997) de Michel Portal et Richard
Galliano et moins mélodieux que la Belle époque (2014) d’Emile Parisien et de Vincent Peirani, deux autre fameux duos
accordéon – saxophones (et clarinettes pour Portal).
Les deux artistes se
réapproprient les thèmes avec originalité, comme « Summertime »,
base de « Soso » et également cité dans « Est »,
« Nadir’s », librement inspiré de « La romance de Nadir »,
tiré des Pêcheurs de perles, un opéra
de Georges Bizet, composé en 1863, ou
les valses musettes qui sont passées à la moulinette free… Cette relecture
personnelle des mélodies sert de socle à des variations denses. Les
développements vifs (« Biguine pour Sushi ») sont portés par des
accords puissants de l’accordéon (« Soso »), des ostinatos sombres
(« Nadir’s ») ou des phrases virevoltantes du soprano (air médiéval),
qui partent souvent en embardées (« Est »). Les dialogues nerveux entre
les deux musiciens (« Passion »), enrichis de dissonances dans
l’esprit de la musique contemporaine (« Indifférence »), voire du
début vingtième (« Soso »), la polyphonie de l’accordéon et les
claquements rythmiques des clés du saxophone alto (« Forçat »), les
nappes de sons et autres textures sonores épaisses jouées par le piano à
bretelles (« Est ») viennent également ajouter du piquant aux propos
des deux artistes.
Avec Ithursarry et Monniot le laisser-aller n’a pas sa
place et leurs Hymnes à l’amour
ne riment pas avec glamour ! Pour des romances mièvres, il faut aller
écouter ailleurs : la musique du duo pétille d’intelligence, de réparties
et de tonus.
Characters On A Wall
Louis Sclavis
En 2002 Louis Sclavis
enregistre Napoli’s Walls avec Vinvent Courtois au violoncelle, Médéric Collignon à la trompette de
poche et Hasse Poulsen à la guitare.
Le disque est inspiré par les œuvres qu’Ernest Pignon-Ernest a placardées sur les murs de Naples. Avec Characters On A Wall, le clarinettiste a
décidé de prolonger ce travail en illustrant neuf installations de l’artiste
urbain : Paolo Pasolini à Rome, Mahmoud Darwich à Ramallah, Jean Genet à
Brest…
Pour ce projet Sclavis s’entoure du trio avec qui il a créé Loin dans les terres (Intuition Records
– 2017) : Benjamin Moussay au
piano, Sarah Murcia à la contrebasse
et Christophe Lavergne à la
batterie.
« Jean Genet à Brest » reflète assez bien l’esprit
de la musique du quartet : une introduction foisonnante à quatre laisse la
place à un rythme solide, servi par une contrebasse imposante et une batterie
touffue, sur lequel se promènent les lignes de la clarinette, sinueuses, mais
parsemées d’aspérités, et soutenues par les contre-chants du piano. Avant le
rappel final du thème, le trio piano – contrebasse – batterie se lance dans des
échanges contemporains tendus. « Darwich dans la ville » fait la part
belle aux tambours de Lavergne, à des passes d’armes heurtées entre Sclavis et
Murcia, et aux clusters de Moussay. Référence à des installations de
Pignon-Ernest à Martigue, le thème de « La dame de Martigue »
s’apparente davantage aux mélodies françaises du début vingtième, avec un
déroulé élégant, des contrepoints subtils, un discours virtuose de la
clarinette... La silouhette d’un homme flashée par l’explosion de la bombe
atomique sur un mur d’Hiroshima a guidé Moussay pour « Shadows And
Lines ». L’introduction du piano et de la contrebasse à l’archet est
sombre, mais un riff de basse dansant, une batterie régulière et un piano musclé
emmènent progressivement le trio vers un free intense, auquel se joint la
clarinette. Avec ses rythmes en suspension, ses discussions croisées, sobres et
élégantes, ses différents tableaux... « L’heure Pasolini » a des
points communs avec une bande son cinématographique. La mélopée de
« Prison », inspiré par le travail de Pignon-Ernest dans la prison
Saint-Paul à Lyon, monte rapidement en tension, poussée par une batterie et une
contrebasse puissantes et une gestion efficace du suspens, puis le morceau débouche
sur un échange free luxuriant. En bis, le quartet joue « Extases », une
évocation des dessins sur les grands mystiques que Pignon-Ernest a exposés dans
les églises de Naples. C’est sur cette ode tout à fait « sclavisienne »,
d’un lyrisme moderne dans une lignée vingtièmiste, que se conclut le concert,
en beauté.
Mélodies sophistiquées, harmonies modernes, rythmes charnels
et sonorités chaleureuses, Characters On
A Wall est enthousiasmant !