01 décembre 2018

Les lions sont lâchés au CWB...


Le 27 novembre 2018 L’Ochestre du Lion envahit le Centre Wallonie Bruxelles non seulement pour fêter la sortie de Connexions Urbaines chez Igloo Records, en mars 2018, mais aussi pour continuer de célébrer les quarante ans du label bruxellois.

Situés au milieu de la rue Quincampoix, les mille mètres carrés du CWB sont entièrement dédiés à la culture, avec une salle d’exposition, un cinéma et un théâtre. Le soir du concert, les cent soixante-cinq places sont quasiment toutes prises d’assaut par un public bigarré.

En 1980, le directeur du Conservatoire Royal de Liège, Henri Pousseur, encourage élèves et professeurs à prolonger leurs expériences musicales au Cirque Divers et au Lion S’Envoile… 1985 voit la naissance du Collectif du Lion et de son Orchestre, d’abord sous la direction de Garrett List. Dans le cadre du festival pluridisciplinaire Connexions Urbaines, L’Orchestre du Lion crée Sous Les Pavés en 2012 et Odyssée 14 en 2014. Hommage au festival éponyme, Connexions Urbaines reprend des morceaux et chansons extraits de différents spectacles réalisés par des groupes issus du collectif : Rêve d’éléphant Orchestra, SilverRat Band, Glassnotes, Tous Dehors, Trio Grande… L’illustration de la pochette signée Lucas Racasse, un chef d’orchestre à tête de lion au milieu d’une rue citadine floutée par la vitesse, illustre comme un gant le disque de ce collectif sur-vitaminé.

Plutôt inhabituelle, l’instrumentation de L’Orchestre du Lion se passe de claviers et contrebasse, mais peut compter sur trois batteries et percussions – Michel Debrulle, Etienne Plumer et Stephan Pougin –, de sousaphone, euphonium, tuba et trombone – Adrien Lambinet, Véronique Laurent et Michel Massot –, des guitares et de la basse de Nicolas Dechêne, de la trompette de Jean-Paul Estiévenart (remplacé pour le concert par Antoine Dawans), des saxophones, violon, clarinettes, cornemuse, harmonica… de Clément Dechambre, Laurent Dehors et Véronique Delmelle, des flûtes de Pierre Bernard et des voix de Thierry Devillers, David Hernandez, François Laurent et Adrien Sezuba.


Au CWB, L’Orchestre du Lion rejoue le programme de Connexions Urbaines, plus quelques titres puisés dans le répertoire des musiciens du big band. Dès « Agitprop » (Odyssée 14 – Rêve d’Eléphant Orchestra) le ton est donné : percussions polyrythmiques puissantes, déclamation en duo, chœur énergique des soufflants, avec des passages dans un esprit baroque, guitare électrique saturée et clarinette free… « Kakouline », composition de Massot, reste dans une ambiance dansante, avec un côté ethnique, renforcé par la guimbarde, les lignes sombres des cuivres et des percussions, et la flûte qui virevolte. Après une mélodie mélancolique portée par un rythme profond, Sezuba mélange rap et spoken words dans « L’étrange étranger », chanson courte et intense, qui n’est pas sans rappeler le poème « Etranges étrangers » de Jacques Prévert. Devillers rend ensuite hommage à Serge Gainsbourg avec « Intoxicated Man », présenté sur un mode humoristique : « Mesdames, Messieurs, je voudrais vous parler de l’un des stades suprême de l’humanité, j’ai nommé l’éthylisme… ». Il lit ensuite un quatrain d’Omar Khayyam :

« Veux-tu en égoïste ainsi vivre sans cesse,
Méditer l'être ou le néant ? Vaine sagesse !
Bois du vin : il vaut mieux consacrer cette vie
Porteuse de chagrin au sommeil, à l’ivresse. »

Devillers chante dans une veine proche de l’originale, y compris le phrasé et le ton, mais en moins jazz et plus rock. « Mon éléphant » commence par une belle mélodie déroulée en suspension au-dessus des percussions touffues, puis s’envole dans un délire carnavalesque… Un hymne solennel à la Henry Purcell introduit « Here I Am », un rap dramatique sur les affres d’un migrant, entrecoupé d’un refrain en italien, d’un solo inspiré de Dechambre au saxophone alto et d’un chorus poignant de Delmelle au sopranino. « Anus Mundi », surnom d’Auschwitz et symbole de la fin du monde pour Devillers, tourne au rock psychédélique ascendant Canterburry. Après des bruitages spatiaux, « Trafic en galaxie » part dans une ronde entraînante jouée à la cornemuse et à la flûte, pendant que l’orchestre délire. Composée en souvenir du procès de Constantin Brâncuși aux Etats-Unis, « Can Your Bird Sing? » fleure bon le blues, que Dehors exacerbe avec un solo bien senti au saxophone ténor, tandis que Hernandez parsème son chant de traits de gospel. Laurent est à l’honneur sur « Reprend », une bande son cinématographique touffue sur laquelle il déclame un texte poétique autour du printemps. « Mmm » s’appuie sur un thème mélodieux, une rythmique mate et des développements denses, dont un chorus expressif de Dewans. Retour à la cornemuse pour « A la campagne », avec une tournerie folk traversée de traits free déjantés, voire « rock campagnard » quand la guitare s’en mêle. Le concert s’achève sur « The Wind and The Rain », l’air final de La nuit des rois de William Shakespeare, qui, après une entrée en matière farfelue, laisse la part belle aux trois chanteurs. En bis, l’harmonica de Dehors lance L’Orchestre du Lion dans une farandole, entre country et NOLA, qui finit dans les travées du théâtre…

Le surréalisme, le jazz, Dada, le rock underground, le rap… L’Orchestre du Lion est un peu tout cela, avec une grosse dose d’humour et un sens de la fête communicatif !