Famille Rothschild, pilote pendant la guerre,
chauffeur en Afrique, commentatrice radio, épouse de diplomate, bienfaitrice
des boppers, amoureuse des chats… le destin extraordinaire de la baronne Pannonica de Koenigswarter n’en finit
pas de marquer les esprits !
A l’occasion du trentenaire de sa disparition,
Cristal Records publie un livre-disques avec deux cd et un disque simple,
accompagné d’un livret bilingue agrémenté de photos prises par la baronne,
extraites de son livre « Les musiciens de jazz et leurs trois vœux »
(Buchet-Chastel, 2006). A noter également l’élégante photo de Koenigswarter,
signée Harlip Studio, qui illustre la pochette du disque. C’est la baronne
elle-même qui introduit la plupart des dix titres de Pannonica, tous composés en son honneur par ses amis musiciens.
Dans « Nica’s Tempo », de l’album éponyme
de Gigi Gryce (Savoy – 1955), le saxophoniste est
accompagné par une rythmique de choc : Thelonious Monk, Percy Heath
et Art Blakey. Une mélodie
énergique, soutenue par des suites d’accords corsés, une walking imperturbable
et un chabada ponctué de pêches fracassantes, laisse place à des solos, des
stop-chorus et autres roulements tendus.
Deux interprétations du standard d’Horace Silver, « Nica’s
Dream », figurent au programme. La version originale des Jazz Messengers (1956),
avec Donald Byrd (trompette), Hank Mobley (saxophone ténor), Silver (piano),
Doug Watkins (contrebasse) et Blakey
à la batterie, est pimentée de touches latinos. Après l’exposition du thème par
Byrd, sur des contre-chants du saxophone et du piano, Mobley part dans un
développement faussement nonchalant, repris ensuite par le trompettiste. La
deuxième version est celle du quintet de Silver (1960), en compagnie de Blue Mitchell à la trompette, Junior Cook au saxophone ténor, Gene Taylor à la contrebasse et Roy Brooks à la batterie. Cette
interprétation est plus vive que celle de 1956. Les contrepoints de la
trompette et du ténor s’inscrivent en pleine esthétique hard-bop. Le chorus de
Cook tire vers le shouter, le discours de Mitchell est rapide et soigné, tandis
que Silver a un jeu singulièrement moderne avec, toujours, quelques accents
latins en filigrane.
Pour son « Blues For Nica » (1956), Kenny Drew est en trio avec Paul Chambers et Philly Jo Jones. Après l’énoncé du thème-riff, particulièrement
élégant, avec ses touches bluesy, Drew fait danser son piano sur une walking et
un chabada entraînants, avant que Chambers ne se fende d’un solo musical à
souhait.
Dans Brillant
Corner (Riverside – 1956), Monk est en quartet, avec Sonny Rollins, Ernie Henry
au saxophone alto, Oscar Pettiford
et Max Roach. Il joue «
Pannonica » au piano et au célesta. La sonorité cristalline de ce dernier contraste
avec celle des saxophones. Sur le thème typiquement monkien, dissonant et étiré,
Pettiford et Roach impriment une cadence enlevée, tandis que Rollins reste dans
un registre intime.
Sans doute moins connu que les autres thèmes,
« Nica Steps Out » (1957), a été composé par Freddie Redd. Le pianiste est en compagnie du contrebassiste George Tucker et du batteur All Dreares. Leur prestation suit la
veine be-bop : walking et chabada marqués, chorus dynamique et efficace...
Eddie Thompson, en trio avec Arthur Watts à la contrebasse et Andy White à la batterie, joue son « Theme For Nica » (1959) : une
ballade délicate portée par une rythmique moelleuse, imperturbable, et un piano
dans un trumpet-style volontiers lyrique.
C’est Kenny
Dorham qui a composé « Tonica » (1960). Il l’interprète avec Charles
Davis au saxophone baryton, Steve
Kuhn au piano, Butch Warren à la
contrebasse et Buddy Enlow à la
batterie. Les unissons et contre-chants du démarrage évoquent d’abord une bande
originale de film. Puis la rythmique part dans une pompe qui soutient les solos
raffinées des soufflants.
Sonny Clark joue « Nica »
(1960) avec George Duvivier à la
contrebasse et Roach. Après un thème-riff typique hard-bop, Duvivier part en walking,
avant de prendre un chorus mélodieux a capella. Clark poursuit l’idée dans un
développement qui swingue à la Bud
Powell, sur une walking et un chabada ardents.
Quant à « Nicaragua », composé par Barry Harris en 1967, il est interprété
par Pepper Adams au saxophone
baryton, Cook au saxophone ténor, Slide
Hampton au trombone, Harris au piano, Bob
Cranshaw à la contrebasse et Lenny
McBrowne à la batterie. Dans une ambiance sud-américaine dansante, le
sextet expose le thème à l’unisson. Le classique walking – chabada accompagne
Adams dans des variations brillantes, bientôt reprises par Harris, lui aussi
marqué par le discours de Powell, puis Cook et Hampton, sur un mode plus relax.
Des thèmes tendus et des développements nerveux :
l’hommage à la bienfaitrice des jazzmen est une remarquable anthologie du be-bop,
Pannonica se doit de figurer dans
toute discothèque à maints égards !