17 février 2019

Sons d’hiver 2019 – Partie I


Originale, éclectique, mais toujours d’avant-garde, la cuvée 2019 de Sons d’hiver veut « toucher au cœur même de l’art »…

En 1991, Fabien Barontini propose de fédérer différents festivals et événements musicaux qui se déroulent dans les communes du Val de Marne : Sons d’hiver est né. Vingt-sept ans plus tard Barontini passe le témoin à Fabien Simon. Le nouveau directeur vient de Mulhouse où il était à la tête du Festival Météo, autre laboratoire incontournable de la créativité musicale.

D’Ambrose Akinmusire à Fred Wesley en passant par Antony Braxton, Nicole Mitchell, Steve Coleman, Michel Portal, Sylvie Courvoisier… Pendant dix-neuf jours, trente concerts, six conférences et une master class (Dave Douglas) réchauffent les oreilles des heureux festivaliers ! Finalement, Météo ou Sons d’hiver, tout est question d’atmosphère et Simon reste dans l’air du temps…


Le POC - Alfortville
Vendredi 8 février 2019

Irreversible Entanglements


Pour venir en aide à la famille d’Akai Gurley, assassiné par la police le 20 novembre 2014, des artistes américains organisent l’événement Musicians Against Police Brutality. A la suite de cette manifestation, en 2015, la chanteuse et poétesse Camae Ayewa (aka Moor Mother), le saxophoniste Keir Neuringer et le contrebassiste Luke Stewart créent Irreversible Entanglements, bientôt rejoints par Aquiles Navarro à la trompette et Tcheser Holmes à la batterie.


La tonalité du concert est évidemment dramatique. Ayewa entre seule en scène et commence par déclamer « Strange Fruit » d’une voix rauque, dans une ambiance théâtrale et grave, accentuée par une pédale écho. Chacun à leur tour, les autres musiciens s’installent, puis le vibrato de Navarro accompagne la voix, avant qu’il ne joue une complainte solennelle, soutenue par les roulements de Stewart et de Holmes, et les notes tenues de Neuringer. Entre les cris d’Ayewa, le magma rythmique et les clameurs des soufflants, la tension monte rapidement. Irreversible Entanglements enchaîne les morceaux sans interruption : « Chicago to Texas », « Fireworks », « Enough », « Projects »… La contrebasse et la batterie jouent des lignes rythmiques sourdes, enchevêtrées et denses. La trompette – bouchée ou pas – lance des phrases aériennes, des mélopées grinçantes et des formules stridentes, qui rappellent parfois Wadada Leo Smith (l’approche musicale d’Irreversible Entanglements a d’ailleurs des points communs avec celle du trompettiste de Leland). Le saxophone alto (ou la zurna) alterne pédales entêtantes, motifs continus et traits brutaux. Et la voix, énervée, lance ses imprécations furibondes émaillées de résonances. Les rares accalmies ne sont que de brèves pauses avant de nouveaux déchainements furieux.

Groupe engagé, Irreversible Entanglements renoue avec un free jazz militant. La puissance, l’intensité et la force du propos ne peuvent pas laisser insensible et le quintet réussit à déranger l’auditoire qui sort légèrement tendu de cette heure de musique révoltée…


Songs of Resistance


Depuis l’élection de Donald Trump, Marc Ribot ne décolère pas. En septembre 2018 il sort Songs of Resistance au profit du mouvement populaire Indvisible Project, qui lutte contre les décisions malsaines et autocratiques du président des Etats-Unis.

Pour ce projet, le guitariste a formé un quartet avec des musiciens qu’il connait bien : Jay Rodriguez aux saxophones et à la flûte, Nick Dunston à la contrebasse et Chad Taylor à la batterie. Sur le disque, Fay Victor, Tom Waits, Steve Earle, Tift Merritt, Sam Amidon, Ohene Cornelius, Meshell Ndegeocello, Sid Straw, Justin Vivian Bond et Domenica Fossati interprètent les chansons, mais pour le concert, c’est Ribot qui s’en charge.


Titre oblige, le répertoire de Songs of Resistance est activiste ! Il reprend des chants du mouvement des droits civiques : « We Are Soldiers In The Army », « We’ll Never Turn Back » et « Ain’t Gonna Let Nobody Turn Us Round ». Le passé ségrégationniste américain ressurgit dans « John Brown », en l’honneur du célèbre abolitionniste du XIXe, et « Knock That Statue Down », qui évoque le déboulonnage de la statue du confédéré Silent Sam par des étudiants de l’Université de Caroline du Nord en août 2018. Le quartet interprète aussi des hymnes de la résistance italienne : « Bella Ciao » et « Fischia Il Vento » (adapté en « The Militant Ecologist »). Ribot a également choisi ou composé des chansons politiques : « Rata de dos Patas » de Manuel Eduardo Toscano, diatribe contre le président mexicain Carlos Salinas de Gortari, « Srinivas » en souvenir des deux indiens assassinés dans le Kansas en 2017 et « The Big Fool », pour qui vous savez… Enfin, « How To Walk In Freedom » rend hommage à des figures de la lutte pour la liberté : la mère du mouvement des droits civiques, Rosa Parks, la rebelle anarchiste Emma Goldman et le militant pour les droits de l’homme, Malcolm X.

Le concert est bien plus brutal que le disque, qui fait la part belle aux ambiances folk, voire country. La voix de Ribot, légèrement rocailleuse, et son chant, entre mélodie et déclamation, sont dans la lignée des rockeurs (« John Brown »). Son jeu de guitare reste très éclectique : des passages flamencos avoisinent des envolées de guitar hero, des phrases bluesy jouxtent des motifs funky, un riff de rumba zaïroise (sic !) côtoie des lignes free… Le saxophone ténor volontiers funky et plantureux, Rodriguez répond à Ribot avec beaucoup d’à-propos et ses contrechants à la flûte apportent une touche folk. Au soprano, Rodriguez part facilement dans des développements free. Dunston maintient une carrure solide avec des riffs charpentés, des lignes découplées et un gros son bien rond. Quant à Taylor, son drumming puissant, luxuriant et efficace, alterne séquences free et binaires tout en maintenant un cap rythmique inébranlable.

Sur scène Ribot et son quartet dégagent une énergie rock brute de fonderie qui sublime les messages de lutte que portent les Songs of Resistance