Le nom de Stéphane
Galland est indissociable d’Aka Moon, bien sûr, mais c’est sans oublier la
multitude de projets auxquels il a participé, de Nasa Na à Frank Woeste, en passant par Nguyen
Lê, Dhafer Youssef, Joe Zawinul, Ibrahim Maalouf, Malcolm
Braff… Présent sur plus d’une soixantaine de disques, Galland laisse mûrir
ses propres réalisations et ne sort son premier opus personnel, Lobi, qu’en 2012.
En 2015 Galland monte un quartet pour interpréter un
répertoire bâti sur des rythmiques particulières, travaillées notamment lors
des KRGS – Kem Rhythm Gem Sessions. Kem, la couleur noire dans l’Egypte
ancienne, évoque également le limon noir du Nil, qui rend ses rives si
fertiles… Galland a composé les onze pièces qui explorent (The Mystery of) Kem. Il et entouré de Sylvain Debaisieux au saxophone ténor, Bram de Looze au piano et Federico
Stocchi à la contrebasse. Le batteur invite également le flutiste indien Ravi Kulur sur sept morceaux et Ibrahim Maalouf dans
« Memetics ». (The Mystery of)
Kem sort chez OutNote Records le 26 octobre 2018 et les notes du livret, signées
Galland, sont très instructives pour comprendre la structure rythmique des
morceaux.
Les mélodies fragiles (« Opening »), voire aériennes («
Archetype »), mais toujours intenses (« The Fuze »), sont parsemées d’accents
indiens (« Symbiosis ») ou moyen-orientaux (« Soils »). Cette ambiance de musique
du monde est renforcée par la sonorité de la flûte Bansurî de Kulur («
Archetype ») et les combinaisons rythmiques complexes de Galland (« Black Sand
»). Quelle que soit la formation, quartet, quintet ou sextet, aucun musicien
n’a la vedette et les morceaux se développent sur des échanges croisés («
Memetics »), contre chants (« Soils »), polyphonies (« Black Sand »), unissons («
Archetype »), superposition des voix (« Opening »)… Le ténor de Debaisieux
dialogue avec la flûte de Kulur (« Black Sand »), s’envole dans des spirales
modernes et tendues (« Maelström »), voire free (« Symbiosis »), mais sait aussi
se montrer sous un jour lyrique (« Morphogenesis »). De Looze a le piano
malin : ses accompagnements – clusters, leitmotivs, contrechants,
ostinatos… – tombent toujours à point
nommé (« The Fuze ») et ses chorus révèlent un toucher clair au service d’idées
spirituelles (« Maelström »). La contrebasse de Stocchi suit les cabrioles de
la batterie comme une ombre (« Hitectonic ») et ses riffs, lignes et autres
motifs entraînants stimulent ses comparses (« Symbiosis »). Expert es-poly-rythmes,
Galland a un drumming d’une variété impressionnante : des phrases heurtées
(« Opening ») aux subdivisions complexes (« Symbiosis »), en passant par des
frappes musclées (« Morphogenesis ») ou un tohu-bohu dense (« The Fuze »), la
batterie reste constamment dansante (« Archetype ») et mélodieuse (« Soils »).
(The Mystery of) Kem
est un disque intelligent et bourré de peps ! Une chose est sûre : ce
mystère tient l’auditeur en haleine. Galland a bien fait de semer ses rythmes
et mélodies dans les boues noires du Nil…
« Et si vous aviez un peu de cette terre de Kem, qu’y
planteriez-vous ? »