09 février 2019

(The Mystery of) Kem – Stéphane Galland


Le nom de Stéphane Galland est indissociable d’Aka Moon, bien sûr, mais c’est sans oublier la multitude de projets auxquels il a participé, de Nasa Na à Frank Woeste, en passant par Nguyen Lê, Dhafer Youssef, Joe Zawinul, Ibrahim Maalouf, Malcolm Braff… Présent sur plus d’une soixantaine de disques, Galland laisse mûrir ses propres réalisations et ne sort son premier opus personnel, Lobi, qu’en 2012.

En 2015 Galland monte un quartet pour interpréter un répertoire bâti sur des rythmiques particulières, travaillées notamment lors des KRGS – Kem Rhythm Gem Sessions. Kem, la couleur noire dans l’Egypte ancienne, évoque également le limon noir du Nil, qui rend ses rives si fertiles… Galland a composé les onze pièces qui explorent (The Mystery of) Kem. Il et entouré de Sylvain Debaisieux au saxophone ténor, Bram de Looze au piano et Federico Stocchi à la contrebasse. Le batteur invite également le flutiste indien Ravi Kulur sur sept morceaux et Ibrahim Maalouf dans « Memetics ». (The Mystery of) Kem sort chez OutNote Records le 26 octobre 2018 et les notes du livret, signées Galland, sont très instructives pour comprendre la structure rythmique des morceaux.

Les mélodies fragiles (« Opening »), voire aériennes (« Archetype »), mais toujours intenses (« The Fuze »), sont parsemées d’accents indiens (« Symbiosis ») ou moyen-orientaux (« Soils »). Cette ambiance de musique du monde est renforcée par la sonorité de la flûte Bansurî de Kulur (« Archetype ») et les combinaisons rythmiques complexes de Galland (« Black Sand »). Quelle que soit la formation, quartet, quintet ou sextet, aucun musicien n’a la vedette et les morceaux se développent sur des échanges croisés (« Memetics »), contre chants (« Soils »), polyphonies (« Black Sand »), unissons (« Archetype »), superposition des voix (« Opening »)… Le ténor de Debaisieux dialogue avec la flûte de Kulur (« Black Sand »), s’envole dans des spirales modernes et tendues (« Maelström »), voire free (« Symbiosis »), mais sait aussi se montrer sous un jour lyrique (« Morphogenesis »). De Looze a le piano malin : ses accompagnements – clusters, leitmotivs, contrechants, ostinatos… –  tombent toujours à point nommé (« The Fuze ») et ses chorus révèlent un toucher clair au service d’idées spirituelles (« Maelström »). La contrebasse de Stocchi suit les cabrioles de la batterie comme une ombre (« Hitectonic ») et ses riffs, lignes et autres motifs entraînants stimulent ses comparses (« Symbiosis »). Expert es-poly-rythmes, Galland a un drumming d’une variété impressionnante : des phrases heurtées (« Opening ») aux subdivisions complexes (« Symbiosis »), en passant par des frappes musclées (« Morphogenesis ») ou un tohu-bohu dense (« The Fuze »), la batterie reste constamment dansante (« Archetype ») et mélodieuse (« Soils »).

(The Mystery of) Kem est un disque intelligent et bourré de peps ! Une chose est sûre : ce mystère tient l’auditeur en haleine. Galland a bien fait de semer ses rythmes et mélodies dans les boues noires du Nil…

« Et si vous aviez un peu de cette terre de Kem, qu’y planteriez-vous ? »