24 mars 2024

Jazz et papier (suite)

Addendum à l’article du 17 mai 2020

Selon le Panorama de la presse musicale en France publié par le Centre National de la Musique en janvier 2023, de 2011 à 2021, plus d’un quart des points de vente de presse ont fermé et, entre 2009 et 2019, les ventes de la presse musicale se sont effondrées de 34%… Ce n’est un secret pour personne : la presse papier en général languit, la presse papier spécialisée souffre, la presse papier musicale agonise et la presse papier jazz nationale boit le calice !

En dehors de la fin – programmée – d’Improjazz, il n’y a pas eu de changements majeurs depuis le précédent article « Jazz et papier », mais quelques ajouts nécessaires pour parfaire le tableau.


L’Indépendant du Jazz

Un fanzine avant l’heure

En octobre 1974, Jean-François Quievreux, alias Jef Gilson, Gérard Terronès et Jean-Jacques Pussiau lancent L’Indépendant du Jazz, dont une vingtaine de numéros sera publiée.

Ce journal artisanal d’une dizaine de pages, imprimées en offset, uniquement recto et sous forme de feuillets volants – pour pouvoir les regrouper par thème – sert avant tout de vitrine et de catalogue au label Palm (Productions Artistiques, Littéraires et Musicales) créé par Gilson en 1973. Distribué avec les disques du label, vendu 3 F à l’unité ou 12 F sur abonnement, L’Indépendant du Jazz est une publication trimestrielle tirée à mille cinq cents exemplaires.

L’Indépendant du Jazz se définit lui-même comme « un journal différent qui apporte aux problèmes de jazz un éclairage nouveau ». A l’instar de la plupart des magazines musicaux, il propose des entretiens avec des musiciens, comptes-rendus de concerts, chroniques de disques, revue de presse, actualités sur le monde du jazz et théorie musicale.

Plutôt orienté vers le jazz d’avant-garde et le free, L’Indépendant du Jazz s’adresse essentiellement à des « amateurs éclairés ».


Jazz, Blues and Co.

Le jazz, mais pas que...

Colette Sawisky fonde Jazz, Blues and Co. en 1975 et en arrête la publication en juin 1986.

Au démarrage, Jazz, Blues and Co est un mensuel de vingt pages, vendu 2,5 F. Courant 1977, il passe à vingt-quatre pages pour 4 F ou 35 F sur abonnement, pour terminer à 5 F pour un numéro normal et 6 F pour un numéro spécial. A partir de 1978, les numérotations et dates deviennent plus compliquer à suivre : tantôt mensuel, comme le numéro 16 d’avril 1978, le plus souvent bimestriel, couvrant deux numéros et deux mois (par exemple : la revue numérotée 23, 24 pour novembre & décembre 1978), voire trois (les numéros 18, 19, 20 dans l’édition Été 1978). 

 

Si Jazz, Blues and Co. conserve sa taille de 21 cm et une impression en noir et blanc tout au long de sa carrière, en revanche la couverture passe par plusieurs évolutions. Du lancement à mai 1978, un saxophone brandit par un bras noir sert de J au titre JAZZ, BLUES and Co. Puis, à partir de l’été 1978, le saxophone devient un logo qui se détache au-dessus de Jazz, Blues and Co. écrit en cursive sur un fond blanc. Le fond devient noir à compter de l’été 1979, puis, dans les années 80, le saxophone disparaît. Les pages de couvertures sont inamovibles du début à la fin, avec, sur la moitié de la largeur de la page, une photo en bas à gauche et l’éditorial en regard, à droite.

Il n’y a pas de publicité et, comme l’annonce le logo, Jazz, Blues and Co. propose des « documents – disques – interviews – photos ». Si la ligne éditoriale va du jazz au rock’n roll, en mettant l’accent sur des musiciens qui, à l’époque, se tiennent souvent loin des circuits commerciaux majeurs, le blues et le rock se taillent la part du lion. Il y a, par exemple, peu de photos de couverture consacrées à des musiciens de jazz. Coleman Hawkins fait bien la une du numéro 32, 33 d’août & septembre 1979, mais c’est l’exception qui confirme la règle…

Bien que « revue agréable qui ne s’adresse pas uniquement à l’amateur averti », Jazz, Blues and Co. n’aura eu qu’une carrière confidentielle.


Le Jazzophone

Le porte-voix du Centre d’Information Musicale

En 1928, le compositeur Mátyás Seiber ouvre la première classe de jazz au Conservatoire Hoch de Francfort et Lawrence Berk crée en 1945 la Schillinger House of Music à Boston, première école consacrée au jazz et future Berklee College of Music. En France, il faut attendre 1963 pour que Guy Longnon fasse entrer le jazz au Conservatoire de Marseille et 1976 pour qu’Alain Guerrini fonde le Centre d’Information Musicale (CIM), dédié au jazz. C’est dans le cadre du CIM que Guerrini lance Le jazzophone en 1978. Faute de ressources, l’aventure ne dure que six ans et dix-sept numéros.

Édité à deux mille cinq cent exemplaires, Le Jazzophone est sensé être trimestriel, mais il sort irrégulièrement : deux numéros en 1982 (12 et 13), trois numéros en 1979 (2, 3 et 4), 1981 (le double 9 & 10 et 11) et 1983 (14, 15 et 16) et quatre numéros en 1980 (5, 6, 7 et 8). Le premier numéro couvre le quatrième trimestre 1978 et le dernier (numéro 17) correspond au premier trimestre 1984. Imprimé en noir et blanc par l’Imprimerie du Marché Daguerre, Le jazzophone passe par trois formats différents : les huit premiers numéros sont peu ou prou dans un format cahier 24 x 30,5, les cinq suivants restent dans un format cahier de 23 x 31 cm et les quatre derniers passent quasiment en quart-raisin (24 x 32 cm). Les premiers numéros comptent une vingtaine, puis une trentaine de pages, mais dès les numéros 9 et 10, le journal comporte entre soixante et soixante-dix pages. D’abord vendu 6 F jusqu’au numéro 5, il passera à 7 F pour les numéros 7 et 8, puis 15 F pour le numéro double 9 & 10, 8 F pour le numéro 11, 12 F du numéro 12 à 16 et 18 F pour le dernier numéro… Les abonnements augmenteront également par étapes : 25 F, 35 F, 50 F et 60 F… Il y a à peine une douzaine d’encarts publicitaires, dont Selmer, qui fait le quatrième de couverture sur tous les numéros à partir du 9 (excepté le numéro 16). A noter aussi un clin d’œil dans le n°16 de novembre 1983 : une publicité pour s’abonner à Jazz Ensuite, bimestriel lancé en 1983… 


Le Jazzophone a du mal à trouver sa couverture. Les quatre premiers sont une pleine page en couleur (violet, vert…) avec deux bandes blanches irrégulières à droite, le titre en haut à gauche, écrit en lettres minuscules, une photo en bas à droite et, en bas à gauche, comme une légende, le sommaire. Pour les trois numéros suivants, il y a une photo en pleine page et le titre prend toute

la largeur, en haut. Les numéros 8 et 9&10 voient l’illustration passer dans un encadré, sous le titre. La couverture du numéro 8 évoque la une de Playboy : une jazzophone girl fait une fente sur un escabeau… Quant au numéro double 9&10, il introduit la couleur, avec un portait dessiné de Charlie Parker. Les cinq numéros suivants se concentrent sur des photos ludiques (un taxiphone, un tourne-disque crêpière, un ventilateur à disque…) en pleine page, centrées et encadrées. Une seule constante : le titre toujours écrit en minuscules et placé en haut de la page. Pour les deux dernière numéros, l’arrière-plan est blanc, la taille de la photo est réduite (John Coltrane et un « langoustophone »), avec un extrait du sommaire en bas de page.

La mise en page, sur deux ou trois colonnes, est sobre et agrémentée de
nombreuses photos et illustrations. L’éditorial – souvent consacré à la défense du jazz et des musiciens – est rédigé par Guerrini jusqu’au numéro douze. L’éditorial du numéro 13 est cosigné avec Christine Guerrini, qui succède à son mari comme rédactrice en chef. Elle signe les trois éditoriaux suivants, avant que « Le jazzophone » ne conclue pour les deux derniers numéros. Le ton de Jazzophone est simple, voire familier, notamment lors des entretiens, avec parfois un petit côté potache, comme dans « Jazz sur l’échangeur » (numéro 15). Côté contenu, Le jazzophone s’articule autour d’un dossier sur un instrument (saxophone, batterie, voix, basse, synthétiseur, voix...) présenté sous forme d’entretiens croisés ou de textes. Le lecteur trouve également des chroniques, reportages, nouvelles, articles pros (partition, répertoire, théorie musicale, conseils juridiques…) etc. Quelques rubriques reviennent périodiquement : « Chronique d’un flâneur » de Jean-Claude Quéroy, « Du côté de chez soi » qui laisse la parole aux clubs de province, « Des nouvelles de l’Europe », « Clubs, caves et boîtes », « Jazz sur papier »… Le contenu du Jazzophone est sérieux et, au grès des numéros, les lecteurs croisent, entre autres, Ivan Jullien, Jef Gilson, Roger Guérin, André Villeger, Michel Jonasz et même John Coltrane, dans un entretien inédit (numéro 16 de novembre 1983).  

 

Le jazzophone a trouvé une formule amusante pour présenter les chroniques de disques : un panel de journalistes (y compris des confrères d’autre revues de jazz), de musiciens, de disquaires et de membres du CIM note les disques de zéro à six. Un tableau récapitulatif chapeaute les citations des chroniqueurs, en regard de la présentation du disque et de sa pochette.

Les contributeurs sont des connaisseurs patentés du jazz à l’instar de Philippe Baudoin, Franck Bergerot, André Francis, Jean Buzelin, François Billard, Pascal Anquetil, Francis Paudras… Et les photographes, en dehors des journalistes eux-mêmes, ne sont pas en reste : Frédéric Lapierre, Thierry Trombert, Christian Rose, Jean-Pierre Leloir...

Le jazzophone reposait sur l’enthousiasme et l’activité débordante de Guerrini, modèle difficilement pérenne, sans compter que c’était un journal sans doute trop spécialisé pour rencontrer un public durable.

A noter qu’en 2014, un Jazzophone nouveau voit le jour à Nice, lancé par Imago Production & Records pour rendre compte de « l’actualité et des concerts du Label Jazz à Nice et des la Riviera Française ».


Jazz Ensuite

Un extra-terrestre reparti trop tôt

En 1983, les éditions Fréquences, créées par Edouard Pastor en 1977 et qui publient notamment La nouvelle revue du son et LED, proposent à Jean Rochard de monter Jazz Ensuite. Après seulement cinq numéros, à l’automne 1984, la revue disparaît et Rochard se consacre au label nato, qu’il a fondé en 1980.

Bimestriel ambitieux, Jazz Ensuite compte 114 pages dans un format proche du B5 (18 x 24 cm), ce qui en fait plutôt un livre qu’un magazine. Il est vendu 30 F et l’abonnement fixé à 160 F, soit une revue haut de gamme. A titre de comparaison, à la même époque, la revue Esprit (in-octavo de 320 pages) est vendue 64 F. Jazz Ensuite est imprimée en noir et blanc par l’imprimerie Berger-Levrault à Nancy et compte peu d’annonces publicitaires (une petite vingtaine, en moyenne). Petit clin d’œil et renvoi d’ascenseur dans le numéro 1 (page 63) : une publicité pour Le Jazzophone...

Modernes et colorisées, les couvertures sont constituées d’une photo en pleine page, avec « jazz » écrit en caractères majuscules en haut sur toute la largeur, et « ensuite », en caractères minuscules, en bas sur toute la largeur, également. Si « ensuite » change de couleur à chaque numéro, « jazz » est soit rempli, soit juste délinéé. La mise en page sur trois colonnes (plus rarement deux) serait austère s’il n’y avait pas de nombreuses photos de qualité pour égayer les textes.

Les unes, prises par Jean-Marc Birraux, annoncent la ligne directrice de la revue : Annick Nozati, Ornette Coleman, Jac Berrocal, Don Cherry et Derek Bailey. Les éditoriaux, tous signés Rochard, sont volontiers provocateurs. En page 6, en face du sommaire, un pêle-mêle de photos et d’illustrations, avec des légendes souvent humoristiques, renvoie aux articles de Jazz Ensuite.

Le contenu de Jazz Ensuite est évidemment très complet. Même si le jazz contemporain à la primeur, la revue s’intéresse à toutes les époques et tous les styles. Des articles de fonds traitent de sujets très variés : Fred Astaire, Doris Day, 1917, les Marx Brothers, la Grande Parade de Nice, The King of Jazz – Paul Whiteman, Frank Zappa, les films noirs, la télévision, New York, les clarinettistes des années 20, les tenues vestimentaires des musiciens de jazz, le jazz en Europe de l’est etc. Des entretiens mettent aussi bien en avant Marcel Zanini, Philippe Sarde, Christian Escoudé, Didier Lockwood, Jean-Luc Ponty ou Jacques Diéval que Sunny Murray, Yochko Seffer, Archie Shepp, Sonny Sharrock, Toshinori Kondo, Jacques Di Donato, Barre PhillipsJazz Ensuite propose également des discographies (Patrice Caratini, Bernard Vitet, Jacques Tollot…). Une dizaine de pages d’informations sur les concerts, émissions, livres etc. côtoient des mini-chroniques, qui couvrent jusqu’à une cinquantaine de disques. Alain Gibert présente un amusant « [Le] petit instrumentiaire ». Un « Sommaire musical » astucieux propose une bande son pour accompagner les textes… Les signatures se partagent entre journalistes – Gérard Rouy, Daniel Nevers, Pascal Bussy, Jean Buzelin… – et musiciens – Didier Levallet, Derek Bailey, Lol Coxhill, Jean-François Pauvros… Le ton de Jazz Ensuite est un mélange de sérieux et de légèreté, avec une bonne d’humour et d’ironie.

Il est bien dommage que Jazz Ensuite n’ait eu qu’une si brève existence parce que son positionnement, entre la presse jazz généraliste et Les cahiers du jazz, en faisait une revue passionnante ! 

  

Sources :

* Archives personnelles

* Panorama de la presse musicale en France – Centre National de la Musique

* La presse musicale en France – Robert Cosials et Gilles Pierret