07 juillet 2015

Le bloc des notes : Ahmad Jamal, Manu Carré

Live In Marciac
Ahmad Jamal
Jazz Village – JV 570078.79
Sortie le 30 juin 2015

Le 5 août 2014, Ahmad Jamal joue pour la deuxième année consécutive sous le chapiteau de  Jazz In Marciac. Quand Idris Muhammad prend sa retraite, en 2011, Jamal laisse également partir son bassiste depuis près de trente ans, James Cammack, et dissout ainsi un trio légendaire, formé dans les années quatre-vingt-dix. Seul le percussionniste Manolo Badrena est toujours de la partie. Il a été rejoint par le contrebassiste Reginald Veal et le batteur Herlin Riley.

Depuis que Jamal a rejoint le label Jazz Village, en 2012, il a sorti deux disques – Blue Moon et Saturday Morning – et Live In Marciac est le deuxième double album (DVD et disque) enregistré en concert, après Live At The Olympia, publié en 2014.

Sur les dix compositions du DVD, six sont signées Jamal : il reprend « Silver », son hommage à Horace Silver qui figure sur Saturday Morning, et deux morceaux déjà présents dans Blue Moon et Live At The Olympia (« Morning Mist » et « Autumn Rain »). S’ajoutent « Dynamo » (One – 1979) et deux originaux « The Shout » et « Sunday Afternoon ». A part « Strollin’ » de Silver (Horace-Scope – 1960), les trois autres standards sont des classiques du répertoire de Jamal : « The Gypsy » de Billy Reid (1945), « All Of You » de Cole Porter (1954) et « Blue Moon » de Richard Rodgers et Lorenz Hart (1934). 

Le disque est la bande-son du DVD sans « Morning Mist ». Dans l’ensemble, les images du DVD vont à l’essentiel avec des angles variés, un montage sobre et une prise de son de bonne qualité, bien au service de la musique.

Une fois n’est pas coutume, Jamal n’a pas de couvre-chef… Ce qui ne l’empêche pas de jouer sa musique, immédiatement reconnaissable : toucher puissant (« Strollin‘ ») et phrasé entraînant (« Silver »), mélodies jouées avec délicatesse puis restructurées (« Dynamo »), lignes saccadées entrecoupées de séries d’accords plaqués (« Blue Moon »), le tout dans une continuité rythmique inébranlable (« Sunday Afternoon »). Pour maintenir cette cohérence de tous les instants, Jamal dirige le quartet comme un ensemble de chambre, par gestes, regards et voix (« The Shout »). Outre les couleurs latines (« Blue Moon ») et une touche dansante (« Morning Mist »), la régularité des percussions de Badrena contribuent à maintenir un cap rythmique cohérent (« Silver »). La batterie de Riley est un mélange de foisonnement (« Sunday Afternoon ») et d’homogénéité (le chabada de « The Shout »), de vigueur (« Autuumn Rain ») et de finesse (« All Of You »). Quant à Veal, il a un son énorme (« Sunday Afternoon »), fait chanter sa contrebasse (« Dynamo »), avec une assise rythmique imposante (à l’image de la walking dans « The Shout »), et une maitrise impressionnante de son instrument (« Blue Moon »).

Dans la lignée de Blue Moon et Saturday MorningLive in Marciac est un album « jamalien » pur jus avec des mélodies entraînantes passées au broyeur rythmique et parfumées de blues funk, be-bop, latino… Jamal se démarque toujours de la production musicale contemporaine, comme pour mieux marquer de son empreinte « la musique classique américaine »…


Go !
Manu Carré Electric 5
ACM – MCe501/1
Sortie le 29 juin 2015
  
Après Réconciliabulle et Afrojazzimuts, Manu Carré, le plus axonais des saxophonistes mentonnais sort un troisième album : Go ! Le MCe5, ou Manu Carré Electric 5, est constitué d’Aurélien Miguel à la guitare, Florian Verdier aux claviers, Nico Luchi à la basse et Max Miguel à la batterie.

Les neuf compositions sont de la plume de Carré. Quant à l’allusion à Go, disque emblématique de Dexter Gordon, sorti en 1962 chez Blue Note, elle s’arrête au titre car Carré et ses compagnons se situent davantage dans une lignée jazz rock qu’hard bop.

« Afrunk » plante le décor : riff funky exposé par le saxophone ténor, repris en chœur avec  le clavier, avant l’entrée en piste de la ligne sourde de la basse accompagnée des frappes binaires de la batterie. Carré construit ses morceaux un peu comme des chansons, avec une introduction, souvent un riff (« Scoubidou »), qui débouche sur le thème, lui-aussi plutôt basé sur une phrase courte et répétée (« Niou »), suivi de couplets qui brisent le rythme (« Afrunk »), avant de repartir sur le refrain (« Go »). Max Miguel s’inscrit typiquement dans la lignée des batteurs jazz-rock avec un drumming mat (« 2pressions »), puissant (« Spiralifère ») et touffu (« Go »). Luchi passe de motifs sourds (« Afrunk »), parsemés de schuffle (« Spiralifère »), à une ligne slappée (« 2pressions ») ou feutrée et fluide (« Scoubidou »). Les claviers de Verdier jouent un peu le rôle de décorateur : nappes de son en arrière-plan (« Afrunk »), imitation de cordes avec effets stéréo (« Go », « Soleil de septembre »), unisson avec le ténor pour énoncer les thèmes (« Afrunk »), jeu cristallin comme une comptine (« Clémence »),  pédale (« Mona ») et ostinato (« Clémence »), accords soutenus (« Scoubidou ») et chorus relevés au Rhodes (« Spiralifère »). Aurélien Miguel apporte les couleurs rock et funky que seule une guitare électrique peut rendre : chorus de guitar hero (« Scoubidou »), envolées wawa (« Go »), passages planants (« Niou ») ou saturés (« 2pressions »)… Quant à Barré, il prend soin de maintenir une dynamique de groupe : s’il expose la plupart des thèmes (« Afrunk »), il les joue souvent avec la guitare ou le clavier, prend des solos dansants (« Niou »), glisse des effets funky de shouter (« 2pressions »), propose des variations dissonantes (« Soleil de septembre ») ou groovy (« Scoubidou ») sans jamais accaparer la vedette.

Avec ses ambiances funky, son groove, ses rémanences vintage, Go ! est un disque rempli d’énergie et entraînant à souhait.