19 septembre 2015

Time Before And Time After - Dominique Pifarély

Time Before And Time After
Dominique Pifarély
ECM – ECM 472 1563
Sortie le 28 août 2015

Si Joe Venutti est le père du violon jazz outre-Atlantique et Michel Warlop son alter ego dans le vieux continent, c’est quand même Stéphane Grappelli qui lui a donné ses lettres de noblesse. Et, au fil des années, la France est devenue la terre de prédilection des violonistes, dans tous les styles de jazz : Jean-Luc Ponty, Didier Lockwood, Florin Niculescu, Fionat Monbet, Régis Huby… et, bien sûr, Dominique Pifarély.

Pifarély explore d'abord avec Louis Sclavis une forme de jazz de chambre, notamment au sein de l'Acoustic Quartet (Pifarély, Sclavis, Marc Ducret et Bruno Chevillon). A la fin des années quatre-vingts dix, il s'oriente vers l'avant-garde contemporaine en compagnie de François Couturier (Poros – 1997). Aventure qu'il poursuit encore aujourd'hui avec son ensemble Dédales (Time Geography – 2013). Rien d'étonnant que ce féru de recherche et développement musical se lance dans un album solo, Time Before And Time After, qui sort chez ECM le 28 août 2015.

Time Before And Time After regroupe neuf improvisations extraites de concerts. Tous les thèmes de départ sont signés Pifarély à l'exception de « My Foolish Heart », le standard de Victor Young et Ned Washington (1949) qui conclut le disque.

Grand amateur de poésies, Pifarély nous apprend qu'il a conçu Time Before And Time After (titre tiré du poème Burnt Norton écrit par Thomas Stearns Eliot au début des années 30) comme un recueil de poésies et nommé les morceaux en hommage à : Mahmoud Darwich (« Sur terre » pour le poème Sur cette terre – 1986), Fernando Pessoa (« Meu ser elástico » extrait de Passagem das Horas – 1916), André du Bouchet (« L'air soudain » vient de Dans la chaleur vacante – 1991), Henri Michaux (« D’une main distraite » de Distraitement frappés, rythmes – 1982), Jacques Dupin (« Avant le regard » dans Poème – 1969), Paul Celan (« Gegenlicht », titre d’un cycle de dix-sept poèmes – 1952), Juan Gelman (« Violín y otras cuestiones » du livre éponyme – 1956) et Bernard Noël (« L’oubli », en référence au Livre de l’oubli – 1979).

Une heure d'improvisations au violon en en solo a sans doute de quoi en effrayer plus d'un... C'est oublier les sonates et partitas de Bach, les Caprices de Paganini, voire la sonate de Bartók... Références illustres, s'il en est ! Pifarély relève le défi avec brio. Les climats sont variés : d’un raga (« Sur terre ») au baroque (« Violín y otras cuestiones »), avec un crochet par la musique contemporaine (« L’air soudain ») et le jazz (« Meu ser elástico »). Bourdon et harmoniques en double-cordes, frottements de l’archet, boucles dissonantes, fourmillements de notes, saturations des aigus… côtoient des passages mélodieux d’une grande élégance. Pifarély déploie toute une panoplie de jeux avec les timbres (« Sur terre »), les intervalles (« D’une main discrète »), l’intensité (« Violín y otras cuestiones »), la matière sonore (« Avant le regard ») et les rythmes (« Meu ser elástico »).

A la limite de l’expressionisme, la musique de Time Before And Time After est expressive, joue librement avec les formes et développe des sensations proches de celles que Michaux, Pessoa, Gelman et les autres poètes recherchent dans leurs vers…