Célèbre pour le Château Chalon et la Transju’, l’Ain a pour chef-lieu Bourg en Bresse, elle-même connue pour son bleu et ses poulets... Mais c’est sans compter L’Arbre Canapas ! Créé en 2004, ce collectif de musiciens propose de multiples projets, d’une fanfare déjantée – L’éléfanfare – à un orchestre de musique contemporaine – L’effet de Foehn –, en passant par un sextet de clarinettes basses qui illustre l’œuvre d’André Breton – Nadja –, un groupe qui reprend les Who – TTTW –, un combo pédagogique – la Corde à Vent – et La Table de Mendeleïev.
La Table de Mendeleïev est un quartet monté il y a une dizaine d’années à l’initiative du trompettiste Guillaume Grenard, avec Fred Meyer à la guitare, Christophe Gauvert à la contrebasse et Thibaut Martin à la batterie. Le groupe, peut-être en hommage à Irène Joliot-Curie (c’est l’adresse du collectif...), a décidé de mettre en musique les cent dix huit éléments du tableau périodique ! Dans son volume VII, qui sort en décembre 2019 sur le label de L’Arbre Canapas, La Table de Mendeleïev invite l’accordéoniste Andrea Parkins pour s’attaquer à huit nouveaux éléments chimiques.
Un peu de science s’impose pour comprendre les enjeux de Liber Azoth, suite en trois mouvements aux titres en forme d’équation chimique… Le premier mouvement décrit le francium – il n’y en aurait qu’une trentaine de grammes sur terre… – et le dubnium, un élément hautement radioactif, mais absent du milieu naturel. Le deuxième mouvement est consacré au radium, découvert par les Curie et au cœur de la radiothérapie, au polonium (lui aussi découvert par les Curie... un élément particulièrement toxique et chaud : un demi gramme dégage cinq cent degrés Celsius !) et au radon, un gaz radioactif présent partout dans l’environnement… Enfin, le troisième mouvement dépeint le rutherfordium, aussi peu intéressant que le dubnium, l’astate – le plus rare des éléments présent dans la nature… avec une durée de demi-vie de quelques heures seulement –, le bismuth, connu comme substitut du plomb et autres propriétés médicales, et, de nouveau, le francium.
Quant à Liber Azoth, le nom de ce septième opus, il ne signifie pas une quelconque libération d’azote, mais fait plutôt référence à l’alchimie (Azoth serait « l’Âme du monde », selon certains traités...). La pochette du disque est d’ailleurs éloquente avec le ciel, la mer, la terre, le soleil (l’or) et la lune (l’argent), mais, surtout, son Lion Vert (symbolique du Vitriol, le dissolvant universel… pour certains), indissociable des Sept Esprits Métalliques, clé de voûte de la progression alchimique : fer – Mars ; cuivre – Vénus ; plomb – Saturne ; étain – Jupiter ; mercure – Mercure ; argent – Lune et or – Soleil… Terminons cette introduction ésotérique sommaire par les notes de la pochette, qui racontent la conspiration contre Paracelse, « grand sorcier de la Renaissance » et l’un des pères de la médecine biochimique… Comme quoi le jazz mène à tout !
C’est dans ce décor cabalistique que La Table de Mendeleïev construit sa musique ! Radioactivité oblige, le premier mouvement s’ouvre sur un amas de crissements, borborygmes et autres bouillonnements, qui évoquent une fonderie en pleine action. L’équipe ferraille à grand renfort d’ostinatos de l’accordéon, d’effets électro grouillants, de traits fulgurants de la guitare, de riffs ténébreux de la contrebasse et martèlements puissants de la batterie, tandis que la trompette va et vient entre le magma sonore en ébullition et un motif mélodique qui se détache au-dessus du tumulte. Le quintet alterne passages telluriques et moments apaisés, qui permettent notamment à la contrebasse de soliloquer avec délicatesse.
Dans le deuxième mouvement, après un démarrage étiré et énigmatique de l’accordéon, soutenu par des effets, qui sonnent un peu comme un orgue, et des nappes de sons synthétiques, la contrebasse joue une ligne douce et boisée qui contraste avec le foisonnement ambiant. Le développement s’appuie d’abord sur des contre-chants élégants, dans un climat mystérieux porté par les cliquetis de la batterie. Avant de conclure dans une ambiance sombre, les musiciens font monter la pression et bouillir le chaudron ! Les notes s’entrechoquent et des bruitages surgissent sans crier gare : les cinq musiciens y vont tous de leurs expérimentations.
Des ostinatos et des boucles décalées de l’accordéon, de la guitare et de la contrebasse, accompagnés par une batterie abrupte et puissante, lancent le troisième mouvement. Sur des riffs entêtants, la trompette s’envole dans un solo déchaîné et expressionniste. La ligne velouté de la contrebasse, puis les unissons de l’accordéon ramènent la trompette dans une atmosphère quasiment médiévale... Comme dans les deux premiers mouvements, des moments bruitistes touffus succèdent à des instants raffinés, une profusion sonore laisse place à des questions-réponses recherchées, une tournerie folklorique remplace des dialogues entraînants.
Liber Azoth est un creuset sonore dans lequel fusionnent des composants free, des ingrédients rock, des éléments de musique contemporaine, un zeste de folklore… Une musique explosive !
Le disque
Volume VII – Liber Azoth
La Table de Mendeleïev
Guillaume Grenard (tp), Fred Meyer (g), Christophe Gauvert (b) et Thibaut Martin (d), avec Andrea Parkins (acc , électro).
L’Arbre Canapas – can 2019-1
Sortie le 6 décembre 2019
Liste des morceaux
01. « Liber Azoth – Premier mouvement – Fr87 + 2Db105 + Db105Fr87 + Fr872/3 » (14:03).
02. « Liber Azoth – Deuxième mouvement – 3Ra88 + 2Po84 + Rn86 + x(Po84 + Ra88) » (13:58).
03. « Liber Azoth – Troisième mouvement – 4Rf104 + At85 + Fr87 + Bi83 » (14:16).
Toutes les compositions sont signées Grenard.