Le 20 décembre 2018,
Festen et Guillaume Perret enflamment La Maroquinerie. Les premiers célèbrent Inside Stanley Kubrick, sorti le 28
septembre. Perret présente Elevation,
répertoire tiré de sa bande originale pour 16
levers de soleil, le film de Pierre-Emmanuel Le Goff sur le voyage dans
l’espace de Thomas Pesquet.
Depuis 2003, en plein Ménilmontant, la Maroquinerie
accueille toute sorte de concerts de musique indépendante. La programmation est
certes davantage orientée pop, rock, rap, électro… que jazz, mais Trombone Shorty ou Jamie Cullum y a joué, et c’est également là que Festen et Perret
ont décidé de se produire. A en croire l’affluence, ils ont bien fait :
les quelques cinq cent places (debout) sont prises d’assaut par un public
plutôt jeune et branché.
Inside Stanley Kubrick
Festen
En 2007, les frères Fleau,
Damien le saxophoniste et Maxime le batteur, créent Festen avec Jean Kaspa aux claviers et Oliver Degabriele à la basse. Après un
album éponyme en 2010, le quartet sort Family
Tree en 2013, Mad Systems en 2015
et B Sides en 2016. Quant à Inside Stanley Kubrick il sort en
septembre 2018 chez Laborie Jazz.
Le concert s’articule autour de six morceaux tirés d’Inside Stanley Kubrick, « Shadow
Boxing » repris de B-Sides et
une interprétation de « Deborah’s Theme », composé par Ennio Morricone pour Il était une fois l’Amérique.
Tout commence avec Ludwig
van Beethoven et l’opéra Fidelio
que Kubrick utilise dans Eyes Wide Shut
(1999). La batterie touffue et puissante, la basse vrombissante, le clavier caverneux
et le saxophone ténor lointain font monter la pression graduellement, dans une
ambiance de rock progressif. Toujours dans l’emphase, Festen poursuit avec « Music
For The funeral of Queen Mary », d’Henry
Purcell, dans une version trapue plus proche de celle interprétée par Wendy Carlos avec son Moog pour Orange mécanique en 1972, que celle de Gustav Leonhardt et l’Orchestra Of The
Age Of Enlightement… « Shadow Boxing » s’appuie sur une batterie
foisonnante, une basse sourde et des contrechants entre le saxophone ténor et
le piano électrique. Avec « Also Sprach Zarathustra », composition de
Richard Strauss reprise par Kubrick
pour 2001 l’Odyssée de l’espace en
1968, Festen joue le jeu du romantisme épique : sur une rythmique sombre
et solennelle, le ténor étire la mélodie avec gravité. Pendant que le ténor
tourne autour de « Deborah’s Theme », Kaspa, Degabriele et Freau
impriment une cadence rock, avec des basses amplifiées. Dans « Spartacus »,
composé par Alex North en 1960 pour
le film éponyme, un volume sonore énorme et un martèlement rythmique intense
accompagnent le développement en suspension du saxophone ténor, qui parsème son
discours d’accents orientaux. La sarabande de la onzième suite de Georg Friedrich Haendel, thème de Barry Lyndon (1975), met en relief le lyrisme
tendu de rock de Festen. Le set s’achève sur « Overlook Hotel »,
évocation de Shinning (1980), qui
mêle d’abord voix off et échanges minimalistes, avant de déboucher sur un rock costaud,
accentué par les effets de shouter du ténor.
Le jazz rock de Festen déménage, invite à bouger, mélange violence
et romantisme… un peu comme l’univers de Kubrick…
Elevation
Guillaume Perret
En 2012, Perret s’associe avec The Electric Epic, un power
trio constitué de Jim Grandcamp à la
guitare, Philippe Bussonnet à la
basse et Yoann Serra à la batterie,
et enregistre un album éponyme qui séduit John
Zorn au point de le publier sur son label Tzadik. Guillaume Perret &
The Electric Epic sortent ensuite Doors
en 2013, puis Open Me en 2014. Ces
disques jazz rock à forte tendance psychédélique, voire punk, marquent
durablement la planète jazz pour leur originalité et leur intensité.
En 2016, changement de direction avec Free, album solo électro jazz rock dans lequel Perret se met en
musique avec ses pédales, boîtiers, capteurs, pads et autre table de mixage…
C’est sur le même principe que le saxophoniste compose la bande originale de 16 levers de soleil. Ce n’est que dans
un deuxième temps qu’il a décidé de former un quartet pour reprendre ce
répertoire en concert, avant de l’enregistrer sur disque.
Perret a fait appel au claviériste Yessaï Karapetian (CNRR de Marseille, CNSMDP, Norayr Gapoyan…), au
bassiste Julien Herné (CNRR de Nice
et Toulon, Vincent Peirani, Pierrick Pedron, Axel Bauer, Nicolas Folmer, Ben
L’oncle Soul, Corneille…) et au batteur Martin Wangermée (CNRR de Tourcoing, CDMDL, Sly Johnson, Mélissa Laveaux, Ouriel
Ellert, Laurent Coulondre…).
Coiffure à la Johnny Depp, tatouages dans le vent, clous
d’oreille et bague branchés, jean destroy, harangues amicales… Perret se
présente sous les feux de la rampe comme une rock star à la coule. Omniprésent
avec ses accessoires et, bien sûr, ses saxophones soprano et ténor, Perret privilégie
avant tout le son du groupe pour forger une pâte sonore originale. Ritournelles
lointaines ou phrases aériennes, légères comme des comptines ou solennelles
comme des hymnes, les mélodies sont bien tournées. Elles servent de base à des
ambiances souvent planantes – l’espace n’est pas loin – et hypnotiques,
renforcées par de multiples effets électro : réverbération, échos,
distorsion, saturation, bruitages – le décollage d’une fusée, des voix off… – nappes
de sons synthétiques etc. Ces textures artificielles contrastent avec la
section rythmique, particulièrement musclée. Herné et Wangermée plaquent des rythmes
de rock agressifs, avec des lignes de basse bourdonnantes, des riffs grondants
et des motifs rugissants. Les formules dansantes, ostinatos et autres pédales de
Karapetian accentuent encore le côté transe de la musique du quartet. Empreints
de lyrisme, les développements de Perret naviguent entre jazz, rock, électro, avec
des accents moyen-orientaux, quelques clins d’œil à John Coltrane, des embardées de shouter et de nombreuses sorties
free. D’ailleurs, ce lyrisme free n’est pas sans rappeler Wayne Shorter. Quant à la puissance et le discours souvent
entraînant de Perret, ils pourraient évoquer Sonny Rollins. Evidemment, après être passées au mixeur électro
rock, ces influences illustres n’apparaissent qu’en filigrane !
Dans la lignée de Free,
Elevation emmène le jazz sous les
cieux d’une musique électronique aguicheuse ; Perret entraîne
irrésistiblement dans sa ronde un public hétéroclite, qui ne demande qu’à envahir
le dance floor !