Commandée par la scène nationale d’Orléans à l’occasion du
festival Jazz Or Jazz, Kankū est une pièce de près d’une heure
composée par Alexandra Grimal.
Enregistré dans la salle Vitez du Théâtre d’Orléans en septembre 2017 et
cinquième disque inscrit au catalogue d’ONJ Records, Kankū
sort le 8 décembre 2017.
Kankū est placé
sous le signe de l’espace. A commencer par le titre du disque, Kankū, qui, comme l’explique Grimal lors
d’un entretien accordé à Ô Jazz, « se traduit littéralement par « contempler
le ciel ». Ce kata (symbole du kyokushinkai [un style de karaté – NDLR])
commence en levant les mains ouvertes avec les pouces et les index qui se
touchent. L’attention est alors dirigée vers le centre des mains, afin
d’unifier l’esprit et le corps. Les pointes du kankū représentent les doigts et
signifient la finalité. La partie épaisse représente l’espace entre les mains
et signifie l’infini, la profondeur. Les cercles intérieurs et extérieurs
signifient la continuité et le mouvement circulaire ». Quant au texte psalmodié
par Grimal, il s’agit de la description d’une supernova par Wikipedia…
Pour accompagner son saxophone ténor, sa voix et ses
appeaux, Grimal fait appel à deux compères de l’ONJ : Sylvain Daniel à la basse et Eric
Echampard à la batterie. La pièce se présente comme une série de tableaux
qui s’enchaînent.
Tout commence par des pépiements et des vocalises qui se
répondent dans une ambiance épurée et forment une espèce de mélopée sombre.
Quand le saxophone ténor, la basse et la batterie entrent en jeu, leurs motifs
mats et leurs bribes de mélodie s’insèrent entre la voix et l’appeau, puis
finissent par les submerger. La basse gronde, la batterie vrombit et le
saxophone ténor rugit : une montée en puissance vers un free intense,
porté par le son énorme et la formidable agilité de Grimal, les lignes denses et
la sonorité sourde de Daniel, les frappes puissantes et précises d’Echampard. La
voix diaphane et haut perchée et les vocalises aériennes contrastent avec les
cliquetis de la batterie et les riffs de la basse. Habile metteuse en sons,
Grimal alterne mouvements éthérés et passages foisonnants. Des échanges à qui
mieux mieux, grognements de la basse, crépitements de la batterie, et murmures
de la voix, dans une atmosphère de musique contemporaine, précèdent un unisson
minimaliste de Grimal et Daniel, encadré par les bruitages percussifs
d’Echampard.
Ces ambiances vaporeuses deviennent presque tristes quand
les psalmodies se substituent au saxophone. Mais le trio rebondit toujours avec
des dialogues tendus, un volume sonore graduel et une intensité dramatique
croissante, vers un paroxysme free. Kankū
a des points communs avec les voies tracées par des artistes comme Tony Malaby, Tim Berne, voire Chris Speed.
Même si Grimal et ses compagnons ne rechignent pas à glisser ça-et-là quelques
traits be-bop, avec ses décors bourdonnants, ses jeux rythmiques, ses effets
bruitistes, ses contrechants dissonants… c’est évidemment davantage du côté d’un
free contemporain que lorgne le trio. Le final en est la parfaite illustration.
Des frappes espacées et brutales de la batterie, des réponses heurtées et
abruptes de la basse un discours haché
et rapides du ténor, coupé par les cris vifs d’un appeau, débouchent sur jardin
japonais sonore : une goutte d’eau, des bruits étouffés, une note de temps
en temps… Puis le trio abandonne progressivement cette sobriété expressionniste
pour plonger dans un ouragan rythmico-mélodique avec un ténor emporté !
Avec sa succession de scènes intimistes et démonstratives, unies
par la voix et les appeaux, Kankū est
comme un poème musical sur la fugacité des instants…