14 janvier 2019

Electro jazz rock à La Maroquinerie…


Le 20 décembre 2018, Festen et Guillaume Perret enflamment La Maroquinerie. Les premiers célèbrent Inside Stanley Kubrick, sorti le 28 septembre. Perret présente Elevation, répertoire tiré de sa bande originale pour 16 levers de soleil, le film de Pierre-Emmanuel Le Goff sur le voyage dans l’espace de Thomas Pesquet.

Depuis 2003, en plein Ménilmontant, la Maroquinerie accueille toute sorte de concerts de musique indépendante. La programmation est certes davantage orientée pop, rock, rap, électro… que jazz, mais Trombone Shorty ou Jamie Cullum y a joué, et c’est également là que Festen et Perret ont décidé de se produire. A en croire l’affluence, ils ont bien fait : les quelques cinq cent places (debout) sont prises d’assaut par un public plutôt jeune et branché.


Inside Stanley Kubrick
Festen

En 2007, les frères Fleau, Damien le saxophoniste et Maxime le batteur, créent Festen avec Jean Kaspa aux claviers et Oliver Degabriele à la basse. Après un album éponyme en 2010, le quartet sort Family Tree en 2013, Mad Systems en 2015 et B Sides en 2016. Quant à Inside Stanley Kubrick il sort en septembre 2018 chez Laborie Jazz.

Le concert s’articule autour de six morceaux tirés d’Inside Stanley Kubrick, « Shadow Boxing » repris de B-Sides et une interprétation de « Deborah’s Theme », composé par Ennio Morricone pour Il était une fois l’Amérique.



Tout commence avec Ludwig van Beethoven et l’opéra Fidelio que Kubrick utilise dans Eyes Wide Shut (1999). La batterie touffue et puissante, la basse vrombissante, le clavier caverneux et le saxophone ténor lointain font monter la pression graduellement, dans une ambiance de rock progressif. Toujours dans l’emphase, Festen poursuit avec « Music For The funeral of Queen Mary », d’Henry Purcell, dans une version trapue plus proche de celle interprétée par Wendy Carlos avec son Moog pour Orange mécanique en 1972, que celle de Gustav Leonhardt et l’Orchestra Of The Age Of Enlightement… « Shadow Boxing » s’appuie sur une batterie foisonnante, une basse sourde et des contrechants entre le saxophone ténor et le piano électrique. Avec « Also Sprach Zarathustra », composition de Richard Strauss reprise par Kubrick pour 2001 l’Odyssée de l’espace en 1968, Festen joue le jeu du romantisme épique : sur une rythmique sombre et solennelle, le ténor étire la mélodie avec gravité. Pendant que le ténor tourne autour de « Deborah’s Theme », Kaspa, Degabriele et Freau impriment une cadence rock, avec des basses amplifiées. Dans « Spartacus », composé par Alex North en 1960 pour le film éponyme, un volume sonore énorme et un martèlement rythmique intense accompagnent le développement en suspension du saxophone ténor, qui parsème son discours d’accents orientaux. La sarabande de la onzième suite de Georg Friedrich Haendel, thème de Barry Lyndon (1975), met en relief le lyrisme tendu de rock de Festen. Le set s’achève sur « Overlook Hotel », évocation de Shinning (1980), qui mêle d’abord voix off et échanges minimalistes, avant de déboucher sur un rock costaud, accentué par les effets de shouter du ténor.

Le jazz rock de Festen déménage, invite à bouger, mélange violence et romantisme… un peu comme l’univers de Kubrick…




Elevation
Guillaume Perret

En 2012, Perret s’associe avec The Electric Epic, un power trio constitué de Jim Grandcamp à la guitare, Philippe Bussonnet à la basse et Yoann Serra à la batterie, et enregistre un album éponyme qui séduit John Zorn au point de le publier sur son label Tzadik. Guillaume Perret & The Electric Epic sortent ensuite Doors en 2013, puis Open Me en 2014. Ces disques jazz rock à forte tendance psychédélique, voire punk, marquent durablement la planète jazz pour leur originalité et leur intensité.

En 2016, changement de direction avec Free, album solo électro jazz rock dans lequel Perret se met en musique avec ses pédales, boîtiers, capteurs, pads et autre table de mixage… C’est sur le même principe que le saxophoniste compose la bande originale de 16 levers de soleil. Ce n’est que dans un deuxième temps qu’il a décidé de former un quartet pour reprendre ce répertoire en concert, avant de l’enregistrer sur disque.

Perret a fait appel au claviériste Yessaï Karapetian (CNRR de Marseille, CNSMDP, Norayr Gapoyan…), au bassiste Julien Herné (CNRR de Nice et Toulon, Vincent Peirani, Pierrick Pedron, Axel Bauer, Nicolas Folmer, Ben L’oncle Soul, Corneille…) et au batteur Martin Wangermée (CNRR de Tourcoing, CDMDL, Sly Johnson, Mélissa Laveaux, Ouriel Ellert, Laurent Coulondre…).



Coiffure à la Johnny Depp, tatouages dans le vent, clous d’oreille et bague branchés, jean destroy, harangues amicales… Perret se présente sous les feux de la rampe comme une rock star à la coule. Omniprésent avec ses accessoires et, bien sûr, ses saxophones soprano et ténor, Perret privilégie avant tout le son du groupe pour forger une pâte sonore originale. Ritournelles lointaines ou phrases aériennes, légères comme des comptines ou solennelles comme des hymnes, les mélodies sont bien tournées. Elles servent de base à des ambiances souvent planantes – l’espace n’est pas loin – et hypnotiques, renforcées par de multiples effets électro : réverbération, échos, distorsion, saturation, bruitages – le décollage d’une fusée, des voix off… – nappes de sons synthétiques etc. Ces textures artificielles contrastent avec la section rythmique, particulièrement musclée. Herné et Wangermée plaquent des rythmes de rock agressifs, avec des lignes de basse bourdonnantes, des riffs grondants et des motifs rugissants. Les formules dansantes, ostinatos et autres pédales de Karapetian accentuent encore le côté transe de la musique du quartet. Empreints de lyrisme, les développements de Perret naviguent entre jazz, rock, électro, avec des accents moyen-orientaux, quelques clins d’œil à John Coltrane, des embardées de shouter et de nombreuses sorties free. D’ailleurs, ce lyrisme free n’est pas sans rappeler Wayne Shorter. Quant à la puissance et le discours souvent entraînant de Perret, ils pourraient évoquer Sonny Rollins. Evidemment, après être passées au mixeur électro rock, ces influences illustres n’apparaissent qu’en filigrane !

Dans la lignée de Free, Elevation emmène le jazz sous les cieux d’une musique électronique aguicheuse ; Perret entraîne irrésistiblement dans sa ronde un public hétéroclite, qui ne demande qu’à envahir le dance floor !