30 septembre 2019

Que d’émotions au Studio de l’Ermitage !

Le 8 septembre 2019, dans le cadre de Jazz à la Villette, le Studio de l’Ermitage propose trois concerts  d’artistes qui gravitent autour d’Emouvance, label fondé par le contrebassiste Claude Tchamitchian.

Cette soirée est un avant-goût du festival Les Emouvantes, organisé par Tchamitchian du 18 au 21 septembre aux Bernardines, à Marseille, Au programme du Studio de l’Ermitage, les duos Christophe Monniot et Didier Ithurssary, puis Hélène Labarrière et Sylvain Kassap, et le quintet Ways Out avec Daniel Erdmann, Régis Huby, Rémi Charmasson, Tchamitchian et Christophe Marguet.


Christophe Monniot et Didier Ithursarry


Le 7 décembre 2018, à La Dynamo, Monniot et Ithursarry présentaient Hymnes à l’amour, sorti un mois avant chez ONJ Records. Le saxophoniste et l’accordéoniste sont de retour avec leur répertoire, hommage à des gens vivants, car, comme le dit Monniot : « c’est très bien de faire des hommages à des gens, mais on s’est aperçu que les hommages qu’on fait à des personnes mortes, en fait, ne leur font ni chaud, ni froid… Donc on s’est dit qu’on allait faire des hommages à des gens vivants »,

Monniot et Ithursarry s’emparent d’un hymne médiéval pour alterner des solos esthètes, mis en relief par les phrases sombres et étirées de l’accordéon. Les dialogues de la « Biguine pour Sushi » (pour le violoncelliste Atsuchi Sakaï...), délicieusement dissonants, parsemés d’envolées du saxophone sopranino et de motifs mélodico-rythmiques du piano à bretelle, évoquent la musique de chambre du début vingtième. « Forza » a des allures de chant révolutionnaire : les deux musiciens croisent leurs notes dans des assauts vifs et malins, soutenus par des ostinatos, coups de talons sur la scène et autres jeux rythmiques sur les clés. Tirée des Pêcheurs de perles de Georges Bizet, « La romance de Nadir » échappe à la langueur grâce aux pépiements du saxophone sopranino, saupoudrés d’accents orientaux ou bluesy, L’accordéon donne toute l’ampleur de son lyrisme et de son swingue dans la « Passion » de Tony Murena. Cette jolie valse, énergique et poignante, confirme la belle connivence qui existe entre les deux musiciens. Ce premier set s’achève sur « Est », morceau dense, entre musique contemporaine et free, porté par les riffs massifs d’Ithursarry et les éclats de Monniot.


Ce concert confirme une fois encore que « la musique du duo pétille d’intelligence, de réparties et de tonus ».,,


Hélène Labarrière et Sylvain Kassap

La contrebassiste et le clarinettiste jouent ensemble périodiquement depuis le début des années quatre-vingt dix, en orchestre (Strophes – 1998) ou en duo (Piccolo – 2001). Ils reviennent avec un nouveau répertoire, qu’ils ont prévu d’enregistrer sous peu.


Kassap introduit « Une cure d’inefficacité » avec un jeu étendu à la clarinette basse : notes profondes, vocalises, harmoniques… La musique contemporaine n’est pas loin. Les phrases agiles et puissantes de la contrebasse répondent aux questions abruptes de la clarinette. Nos « libertaires », comme l’écrit Télérama, enchaînent sur « La coda du début », un dialogue échevelé dans lequel la contrebasse et la clarinette se rendent coup pour coup sur un rythme chaloupé. Hommage à un petit garçon nommé Ferdinand et à un immense contrebassiste, Jean-Jacques Avenel, la pièce suivante commence avec Kassap et deux clarinettes en bouche... sur un martèlement profond de la contrebasse. Le morceau prend une tournure ethnique avec l’archet et la clarinette en mode sanza. Tour à tour fragiles, aériens et free, les formules de Kassap se superposent aux roulements graves et mélodieux de Labarrière. Quant à la « Clairière », elle oppose une clarinette heurtée et en suspension, à une contrebasse toute en économie. Un exercice de souffle continu attend Kassap dans l’« Asphyxie Climatique »… La contrebasse jongle entre des grondements sourds et des passages en walking rapide, pendant que la clarinette virevolte, le tout entrecoupé de reprises du thème à l’unisson. Le duo enchaîne ensuite « You » et « Jaurès », la chanson de Jacques Brel. C’est dans une ambiance solennelle et raffinée (l’archet n’y ait pas pour rien), avec des touches de musique contemporaine, que Labarrière et Kassap lancent ce morceau  tendu : contre-chants débridés, incursions free et effets rythmiques donnent la réplique à des phrases écorchées aux nuances bluesy, à la Ornette Coleman.


Labarrière et Kassap proposent de magnifiques et passionnantes conversations à la croisée du jazz et de la musique contemporaine.


Ways Out


En 2009 Tchamitchian monte Ways Out avec Huby, Chamasson et Marguet. Leur album éponyme sort en 2012 chez Abalone, label créé par Huby. Avec l’arrivée d’Erdmann, le quartet devient quintet et prépare un nouvel opus.


La suite « Ways Out » donne le ton : le violon commence par dérouler une belle ligne
mélodieuse, très cinématographique, sur un ostinato de la guitare et un motif rythmique régulier, aux accents rock progressifs. En arrière-plan la contrebasse joue en toute liberté, tantôt à l’unisson, tantôt en contrepoint. Dans cette ambiance presque psychédélique, le saxophone ténor fait son entrée, en douceur, tandis que la section rythmique s’épaissit pour finir dans une atmosphère noisy. Le deuxième mouvement s’appuie sur un riff de contrebasse, une batterie foisonnante et un saxophone ténor volontiers shouter free, tout comme le violon d’ailleurs. La troisième partie démarre sur un bourdon et se poursuit avec un mouvement aérien, qui devient hypnotique quand la contrebasse joue une pédale et que la batterie plante un rythme mat et sourd, avant que le quintet ne fasse de nouveau monter la tension jusqu’à l’explosion finale.

La rythmique entraînante et binaire, le riff de la contrebasse les phrases acérées et les accords tranchés de la guitare, les touches bluesy,… donnent un vernis rock à l’ « Île de verre ». Quand le saxophone ténor se joint à la rythmique, la pression s’accentue, renforcée par un chorus puissant du violon. Après un solo mélodieux et dansant de la contrebasse, soutenue efficacement par la batterie, cette deuxième suite s’achève sur un mouvement d’ensemble crescendo.


Siège de l’Église apostolique arménienne et lieu où sont gardées les huiles essentielles utilisées pour les baptêmes, « Etchmiadzin » est également le titre de la troisième suite de la soirée, qui démarre comme une marche majestueuse, portée par un bourdon, les roulements de la batterie, la respiration du saxophone ténor… Le morceau s’emballe et le discours néo-bop du saxophone ténor, pimenté de funk et de free, se détache sur une rythmique touffue, jusqu’à la tournerie finale.


Conclusion du concert, « Les promesses du vent » porte bien son titre : le cliquetis du violon en pizzicato, les bruissements de la batterie, le souffle du saxophone ténor… évoquent Zéphyr ! Dans un premier temps, la guitare et le ténor dialoguent sur les frappes sourdes de la batterie, plutôt dans un esprit musique contemporaine, puis les échanges partent dans tous les sens… Après une accalmie, le quintet repart dans une veine dansante rock avec le thème exposé à l’unisson, un chorus élégant de la batterie et une montée en puissance vers un climat underground intense. 


Combinaisons subtiles de rock progressif, musique contemporaine et jazz, Ways Out cherche clairement à ouvrir des voies vers des horizons émotionnels inouïs...