Le guitariste Simon Martineau sort Tapes From Nowhere le 17 novembre 2023 chez Soprane Records. Si pour One, son premier disque sorti en 2018 chez WeSeeMusic Records, Martineau s'appuyait sur un quartet (Robin Nicaise, Blaise Chevallier et Fred Pasqua), pour ce deuxième opus, il fait appel à deux comparses qu'il connaît bien et avec qui il a déjà enregistré : Gabriel Midonà la contrebasse (Imaginary Stories en 2020) et Thomas Delorà la batterie (The Swaggereren 2018, Silence The 13th en 2020, et The Bowhopperen 2019, au sein du Flavio Perrella « Nuzut Trio »).
Au programme de Tapes From Nowhere, dix morceaux signés Martineau et « Countdown » de John Coltrane. Dans la lignée de One, Martineau propose des compositions recherchées (« Thabor »), au caractère mystérieux (« Mangrove »), mélancolique (« Moya ») et plutôt paisible (« Le Tombant »), voire aérien (« Animal »). Ce qui ne l'empêche pas de faire un crochet par le be-bop (« Schemes From Nowhere »). L'exposition des thèmes est souvent précédée d'introductions tantôt sophistiquées (« Schemes From Nowhere ») ou énigmatiques (« Twelve Tone Tune »), tantôt dansantes (« Mangrove »), puissantes (« Countdown ») et denses (« Moya »). Même si les développements évoluent globalement dans une ambiance plutôt réfléchie, ils n'en sont pas moins variés avec des passages minimalistes (« En Calme, Au Large »), des phrases fluides, modernes (« Thabor ») et tendues (« Le Tombant »), des échanges dans une veine musique contemporaine (« Double Brain »), des mouvements arpégés dans l'esprit d'un exercice (« Etude Mode III ») ou un déroulé dans un style assez West Coast, soutenu par une walking et un chabada d'une grande souplesse (« Schemes From Nowhere »). « Countdown » est interprété tout en retenu, en mettant davantage l'accent sur la modernité du morceau que sur une démonstration de virtuosité. Les dialogues sont de qualité, comme les questions-réponses de « Thabor » ou les croisements de voix de « Double Brain ». Martineau ne tire jamais la couverture à lui et fait largement circuler la musique entre le trio. Midon se montre tour à tour sobre (« Animal »), léger (« Le Tombant »), carré (« Twelve Tone Tune »), insistant (« Le Tombant »)… et ses chorus sont particulièrement mélodieux (« Le Tombant ») et majestueux (« Double Brain »). De son côté, Delor a un jeu très musical : bruissements des cymbales (« En Calme, Au Large »), luxuriance discrète (« Thabor ») ou frappes éthérées (« Le Tombant »), mais également des passages binaires lents et profonds (« Moya »), des rythmes chaloupés (« Twelve Tone Tune ») et des solos imposant (« Schemes From Nowhere »).
Martineau a formé un trio subtil qui privilégie les interactions sur l’exhibition, et Tapes From Nowhere en est la preuve !
Le disque
Tapes From Nowhere
Simon Martineau
Simon Martineau (g), Gabriel Midon (b) et Thomas Delor (d).
Soprane Records – SP104
Sortie le 17 novembre 2023
Liste des morceaux
01. « En Calme, Au Large » (01:32).
02. « Thabor » (04:39).
03. « Mangrove » (03:38).
04. « Animal » (05:00).
05. « Le Tombant » (05:59).
06. « Double Brain » (04:11).
07. « Etude Mode III » (01:50).
08. « Twelve Tone Tune » (04:59).
09. « Countdown », John Coltrane (03:39).
10. « Moya » (05:21).
11. « Schemes From Nowhere » (04:31).
Tous les morceaux sont signés Martineau, sauf indication contraire.
Passé par l’EDIM et la New School for Jazz and Contemporary Music à New York, le guitariste Ben Lopez sort Draft, son premier disque en leader, le 26 mai 2023 chez Parallel Records. Lopez a enregistré Draft avec Robby Marshall au saxophone ténor, Sylvain Dubrez à la contrebasse et Stefano Lucchini à la batterie, plus le pianiste Laurent Coq, invité sur trois morceaux.
Lopez signe neuf des dix morceaux au programme de Draft, et le quartet interprète « Love Me Tender », le tube d’Elvis Presley composé par George R Poulton. Les titres des morceaux semblent évoquer plusieurs facettes de l’univers personnel du guitariste : « From Nowhere » pourrait se référer au film éponyme de Matthew Newton, « Le Sorcier de Riga » est le surnom du champion d’échecs Mikhaïl Tal, « Countryside » rappelle évidemment la campagne, « Oliver’s Twist » est un clin d’œil à Charles Dickens, « Scolotism » sonne comme un hommage à John Scofield, « Dodécasong » se rapporte explicitement à l’œuvre d’Arnold Schönberg, les « 3 Temps » ne peuvent correspondre qu’aux valses, et « Choral » fait inévitablement penser à Johann Sebastian Bach…
« From Nowhere » ne sort pas vraiment de nulle part : la courte introduction, le thème chaloupé exposé par le ténor, la walking et le chabada solides et réguliers, la structure thème – solos – thème, les chorus fluides de la guitare et du saxophone s’inscrivent dans une lignée hard-bop. Piano et guitare se partagent « Le Sorcier de Riga », thème agité soutenu par une rythmique toute en souplesse. Lopez s’évade allègrement, porté par les contre-chants de Coq, tandis que Lucchini frotte subtilement ses cymbales et Dubrez parsème son discours de shuffle entraînants. Enjoué et moderne, le solo du piano débouche sur un dialogue mélodico-rythmique avec la guitare. « Maladresse » permet au quintet de se retrouver pour autour d’une mélodie mélancolique, que Coq traite avec habileté en jouant avec le rythme et quelques dissonances bien senties. Debrez et Lucchini font monter la tension et entraînent leurs compères dans un final touffu. Changement de décor avec « Countryside » qui démarre sur des roulements vifs de Lucchini et une pédale funky de Dubrez. Le thème est exposé rapidement à l’unisson par la guitare et le ténor, puis le morceau part dans ambiance rock, propulsé par une rythmique puissante, avec un solo aérien de Lopez et des embardées free de Marshall, entrecoupées de traits rauques… Crooner oblige, la guitare déroule tranquillement « Love Me Tender », à peine troublée par le crépitement de la batterie et les motifs minimalistes de la contrebasse. Retour au quintet pour « Oliver’s Twist », un air tendu qui alterne contre-chants et unissons. Contrebasse et batterie assurent une pulsation robuste sur laquelle le ténor surfe avec entrain, suivi par la guitare dans un même esprit, tandis que le piano les encourage, à grand renfort de phrases énergiques et d’accords denses. Pour le solo de Coq, dans une veine bop, Debrez et Lucchini repassent à la walking et au chabada. Après des roulements abrupts et des lignes superposées, « Scolotism » emprunte de nouveaux des chemins bop avec des jeux sur le tempo de la walking et du chabada, et des chorus rapides pimentés de touches bluesy. Pour « Dodécasong », intermède élégant et humoristique, Lopez, en solo, est passé à la guitare acoustique, qu’il conserve pour « 3 Temps ». Le quartet joue cette valse lente et dansante avec délicatesse, à l’image du solo de Dubrez, musical et entraînant. Draft se conclut sur un « Choral » majestueux, mouvement d’ensemble émaillé de nappes sonores éthérées, bruitages électro aériens, son spatialisé…
Lopez ancre sa musique dans la tradition bop et rajoute des touches personnelles qui apportent une modernité bénéfique. Draft n’a rien d’un brouillon et paraît plutôt bien pensé !
Le disque
Draft Ben Lopez
Robby Marshall (ts), Ben Lopez (g), Sylvain Dubrez (b) et Stefano Lucchini (d), avec Laurent Coq (p).
Parallel Records – PR021
Sortie le 26 mai 2023
Liste des morceaux
01. « From Nowhere » (04:51).
02. « Le Sorcier de Riga » (04:21).
03. « Maladresse » (04:52).
04. « Countryside » (04:21).
05. « Love Me Tender », George R. Poulton (03:49).
06. « Oliver's Twist » (05:26).
07. « Scolotism » (05:42).
08. « Dodécasong » (01:34).
09. « 3 Temps » (06:14).
10. « Choral » (02:13).
Tous les morceaux sont signés Lopez, sauf indication contraire.
Le 20 octobre 2023, Musiques au Comptoir présente Echoes of Time, le nouveau projet de Christophe Marguet. Après l’inévitable pâté de Pierrot et l’incontournable pot-au-feu de Marianne, place à la musique...
Comme il l’annonce en introduction, Marguet s’est entouré d’amis. Au violon, Régis Huby, avec qui il a joué, entre autre, au sein de Ways Out de Claude Tchamitchian, Akasha d’Yves Rousseau... A la guitare, Manu Codjia, rencontré chez Henri Texier, qui fait également partie de deux autres groupes de Marguet, aux côtés de Sébastien Texier et François Thuillier : We Celebrated Freedom Fighters! et Célébrations. Quant à Hélène Labarrière, Marguet a fait partie de son quartet – Désordre – et la contrebassiste participe à deux autres formations du batteur : Happy Hours avec Yoan Loustalot et Julien Touery, et Pronto ! en compagnie de Daniel Erdmann et Bruno Angelini.
Les neuf morceaux au programme sont des inédits composés par Marguet qui feront l’objet d’un enregistrement dans les semaines à venir. Le concert est dédié à Carla Bley, disparue le 17 octobre, et le quartet joue une composition en hommage à Steve Swallow – compagnon de Bley. Echoes of Time pourrait être un clin d’œil au jeu de rôle vidéo éponyme, mais c’est plutôt Triple Echo, le disque de Soft Machine, qu’évoquent les ambiances éthérées (« L’immensité ») et rock progressif (« Vibrations », « Magic Box ») des morceaux. Les montées en tension s’inscrivent également dans une veine rock progressif (« Vibrations », « Entre les jours »), comme les sonorités rugueuses, raclements, grésillements et autres saturations qui constellent des mouvements foisonnants et noisy (« Magic Box »), toujours tendus (« Song For A Drum ») et parfois brutaux (« En équilibre »). Echoes of Time s’aventure aussi dans la musique de chambre (« Rupture »), la musique classique du XXe (« Entre les jours »), le jazz-rock bluesy (« Thérapie »), voire le cinéma (« Song For Drums »).
Côté construction, Marguet reprend la structure thème – solos – thème. Thèmes qui sont d’ailleurs le plus souvent exposés à l’unisson (« Magic Box », « L’immensité ») et qui reposent sur un riff entraînant (« Vibrations »), une marche (« Entre les jours »), un air torturé (« Un petit tango »), un chant grave dans une veine début XXe (« Rupture ») ou des compositions chaloupées et dissonantes, un peu dans l’esprit de Texier (« Song For Drums », « Thérapie »). Le quartet joue également sur les contrastes entre la rythmique acoustique et les solistes électriques (« L’immensité »). Les morceaux s’appuient sur des contre-chants abrupts (« Thérapie ») et des plans successifs : batterie touffue, contrebasse carrée, violon dans un nuage électro et guitare en mode rock dans « L’immensité » ; batterie véloce, dialogues réfléchis entre le violon et la guitare, et contrebasse pour le liant dans « Un petite tango » ; échanges délicats dans « Entre les jours »...
La rythmique est tour à tour touffue (« L’immensité »), puissante (« Vibrations »), subtile (« Rupture »), dansante (« Magic Box »)... Les développements de Marguet sont souvent complexes et ses solos volubiles et énergiques (« Thérapie »). Marguet fait crépiter ses frappes (« Un petit tango »), et voltiger ses roulements sur les peaux, avec force et musicalité, dans des élans charnels (« Song For Drums »). Labarrière assure une carrure solide en toute circonstance (« Un petit tango ») et ses solos affichent une belle musicalité (« L’immensité »). Ses pédales (« Un petit tango »), ses ostinato (« Magic Box »), son minimalisme grondant (« En équilibre »), ses lignes mélodieuses (« Song For Drums ») et ses phrases vrombissantes (« Thérapie ») mettent le quartet sous tension. Le programme d’Echoes of Time va comme un gant à Codjia, qui peut placer des envolées de guitar hero (« L’immensité »), prendre des solos aériens (« Un petit tangos ») et planer sobrement (« En équilibre »), ou, au contraire, lâcher des traits cristallins et véloces (« Entre les jours »), mais aussi dialoguer élégamment avec Huby (« Un petit tango »), et échanger avec le violon des questions-réponses dans une veine contemporaine (« Un petit tango »). Huby nage comme un poisson dans l’eau au milieu d’une impressionnante rangée de pédales qui lui permettent de varier les effets, de jets électriques digne du rock progressif (« Vibrations ») à des plaintes langoureuses (« Rupture »), en passant par un free buritiste (« Entre les jours ») ou lyrique (« Song For Drums »).
Alternative ou continue, qu’importe ! La musique électro-acoustique d’Echoes of Time recharge les batteries les plus à plat !
Pourquoi John Coltrane ? Parce qu’avec Louis Armstrong, Duke Ellington, Charlie Parker et Miles Davis, il est le cinquième homme d’un quintet de référence dans l’histoire du jazz, et qu’il est l’un des pères fondateurs du Free Jazz, mais aussi l’un des précurseurs de la World Music.
Pour schématiser : Satchmo a inventé le jazz, Duke lui a donné ses lettres de noblesse, Bird en a fait une musique savante, Miles l'a popularisé et Trane l'a envoyé dans l'espace…
Quand on pense à Coltrane on pense souvent à un déluge de notes... Or il a toujours aimé les ballades populaires comme « Greensleaves », « Summertime », « Out of This World » et, bien sûr, « My Favorite Things »… sans oublier Ballads, superbe album enregistré par Trane et son quartet entre 1961 et 1962. Commencerons donc par écouter « Alabama ». Coltrane a composé cette ballade en 1963, en hommage aux quatre adolescentes tuées et aux vingt-deux blessés dans l'attentat perpétré par le Ku Klux Klan dans l'Eglise baptiste de la 16e rue à Birmingham. « Alabama » permet de mettre en relief certaines caractéristique de la musique de Coltrane : un son de saxophone mobile, tranchant dans les aigus et velouté dans les graves, mais toujours puissant et net, un sens mélodique profond et un art du développement inépuisable. Côté accompagnement, le saxophoniste s’appuie sur une alliance de modernité et de tradition. Modernité dans l'introduction, avec les accords en pédale de McCoy Tyner, le riff robuste de Jimmy Garrison et les roulements entêtants d’Elvin Jones. Tradition dans le développement avec le chabada de la batterie et la pulsation tendue héritée du hard-bop...
1926 - 1938
Les premiers pas d’un futur géant
John William Coltrane est né le 23 septembre 1926 à Hamlet en Caroline du Nord. Ses parents déménagent aussitôt à High Point où vit la famille de la mère de John, Alice Coltrane, née Blair, mais aussi sa tante Bettie et Mary, sa cousine, avec qui il a été élevé et qu'il considérait comme sa sœur. Le père de John est tailleur – repasseur et sa mère coud. La famille Coltrane fait partie de la classe moyenne et les deux parents sont musiciens amateurs : Alice joue du piano et chante tandis que John joue du violon et de l’ukulélé.
La religion est omniprésente chez les Coltrane car les deux grands-pères de John sont pasteurs. Ce qui explique pour une large part le mysticisme de Coltrane. La Caroline du nord a également marqué la musique du saxophoniste, qui s'est d'ailleurs souvent rapproché de personnes liées à cette région comme Juanita Grubbs (Naïma), sa première épouse, Thelonious Monk, Dizzy Gillespie, Jimmy Heath, Tyner... tous nés en Caroline. Pourtant Coltrane a toujours évité de parler de son enfance et de la Caroline. Il faut dire qu'il y a souffert du racisme et vécu des moments douloureux à la fin des années trente.
1938 - 1948
Les pieds sur terre, la tête dans les nuages
Les années 38 40 vont être terribles pour le jeune Coltrane : en 1938 il perd sa tante aînée et son grand-père; en 1939, son père décède, puis sa grand-mère ; en 1940, c'est au tour du père de Mary de disparaître…
C'est à ce moment que Coltrane se met à la musique, travaille de manière obsessionnelle le saxhorn alto puis la clarinette, et joue dans l'orchestre de l'école. Vers 1940, il passe au saxophone alto car depuis qu’il a entendu Lester Young, il veut jouer du saxophone. A l’alto, son modèle est Johnny Hodges, le saxophoniste de l’orchestre d’Ellington. Tout à sa passion pour la musique, Coltrane délaisse ses études alors que, jusque-là, il avait toujours été un bon élève.
La famille sombre dans la pauvreté et doit déménager. Alice s’installe à Philadelphie, où John la rejoint en 1943, une fois son bac en poche. D’abord parties à Newark, Mary et Bettie reviennent finalement habiter chez Alice et John. Pour vivre, Coltrane a trouvé un emploi dans une raffinerie de sucre, sans avoir abandonné la musique pour autant : il travaille sans relâche son saxophone, mais aussi sur le piano droit de sa mère. En 1944, il prend des cours à la Ornstein School of Music avec Mike Guerra, célèbre professeur de saxophone classique, qui aura également Stan Getz et Gerry Mulligan comme élèves. Chez Guerra, Trane rencontre entre autre le saxophoniste ténor Bill Barron, qui déclenche sa vocation pour le ténor.
Philadelphie, à l'époque, est une plaque tournante pour le jazz, avec de nombreux clubs et big bands, et un niveau technique presque aussi élevé qu’à New York. Coltrane y commence sa carrière professionnelle en 1945, d'abord en trio avec un pianiste et un guitariste, pour jouer des chansons populaires, puis dans divers groupes, avec son ami Benny Golson. Les deux hommes travaillent ce nouveau langage qu'est le be-bop : la découverte de Charlie Parker est un véritable choc !
En 1945, Coltrane est incorporé dans l'armée, même si la guerre est quasiment terminée ! Il fait son service militaire à Hawaï, où il intègre un orchestre de l'US Navy, les Melody Masters, dont la musique est dans une veine swing. A la fin de son séjour, Trane a l'occasion d'enregistrer son premier disque de be-bop au saxophone alto avec un sextet réuni par le batteur Joe Theimer.
De retour aux Etats-Unis en 1946, si son modèle s’appelle Parker, Coltrane n'en n'arrête pas moins l’alto pour passer au ténor. Il reprend des cours avec Guerra, mais aussi au Studio Granoff. Trane part en tournée avec l'orchetres de Rhythm'n Blues de Joe Webb. Il y rencontre le trompettiste Cal Massey, dont il sera proche jusqu'à sa mort. Coltrane joue également avec le King Kolax Big Band, puis en accompagnateur dans un tas d'orchestres, dont celui de Jimmy Heath, qui devient aussi son ami… et compagnon de drogue.
1948 - 1955
Dans les turbulences
C’est vers la fin des années 40 que Coltrane commence l’alcool, l’héroïne… et continue les bonbons, qu’il a adoré toute sa vie et qui lui ont coûté de nombreuses rages de dents !
En 1948, Coltrane travaille le ténor comme un fou. Il rejoint d'abord le big band d'Eddie « Cleanhead » Vinson, chanteur et saxophoniste alto, puis, en 1949, il arrive enfin à intégrer l'orchestre de Gillespie. Trane déchante vite car il doit jouer de l'alto et un be-bop commercial, pour que l'orchestre puisse survivre. En 1951, Gillespie et Coltrane enregistrent en petite formation, mais le trompettiste se sépare du saxophoniste, dont la conduite devient trop souvent erratique à cause de ses addictions.
De retour à Philadelphie, Coltrane est sideman pendant quatre ans dans divers orchestres, dont celui d'Earl Bostic, auprès de qui il va beaucoup apprendre, notamment la respiration circulaire et le jeu dans les aigus. Côté personnel, à l'époque, Coltrane vit, avec Elaine Gross, amie de Connie, la petite amie d’Heath, et la drogue est au centre de leur relation. En 1952, grâce aux aides allouées aux vétérans de la guerre, Coltrane achète une maison dans la 33e rue nord à Philadelphie. Mary, Alice, John et son ami Jack Kinzer s’installent dans cette maison, que Bettie, décédée en 1952, n’aura pas connu.
Entre 1953 et 1955 Coltrane travaille à son compte dans différentes formations, dont celle de Hodges. Mais à vingt-sept ans, Trane n'est connu que des musiciens et ses addictions l'empêchent de prendre son essor.
1955 – 1957
Un décollage mouvementé
1955 est une année charnière. Coltrane épouse Juanita Grubbs, dite Naïma de son nom musulman. Elle va l'aider à décrocher de la drogue et s’installe dans la maison de Philadelphie avec Saeeda, fille qu’elle a d’une liaison antérieure et dont Coltrane sera très proche.
C’est également en 1955 que Miles Davis, qui a entendu Trane dans l'orchestre d’Heath, l'engage dans son « premier quintet historique ». Sorti de l’héroïne, Miles est devenu une star et son quintet avec Coltrane, Red Garland, Paul Chambers et Philly Joe Jones va faire de lui une légende ! Le quintet va aussi permettre de révéler Coltrane au grand public et, surtout, de l’aider à trouver sa propre voix. Le quintet aligne les chefs-d'œuvre : Round about Midnight, Relaxin', Cookin', Workin', Steamin'…
1957 est une deuxième année clé dans la carrière de Coltrane. Miles ne supporte plus l’inconstance de Coltrane, qui n’a pas encore décroché de la drogue. Après l’avoir averti, puis renvoyer une première fois, Miles le congédie définitivement en avril 1957.
1957 - 1960
Envol pour l’espace...
C'est la goutte qui fait déborder le vase : Coltrane arrête la drogue, puis l'alcool. Par ailleurs, il rencontre Monk. Une amitié et une grande complicité musicale naît entre les deux musiciens.
Ils travaillent ensemble, jouent au Five Spot et enregistrent pour Prestige. L'influence de Monk est capitale pour le développement de Coltrane, en particulier par ses conceptions harmoniques et rythmiques. Enfin, le 31 mai 1957, à trente et un ans, Coltrane signe avec Bob Weinstock pour le label Prestige et enregistre son premier disque en leader, intitulé simplement Coltrane.
En compagnie de Naïma et Saeeda, Coltrane s'installe dans un appartement à côté de Central Park West. S’il ne se drogue plus et qu’il a arrêté de boire, Trane n'arrivera jamais à arrêter de fumer, ni de trop manger… ni de travailler sa musique à tous les instants.
Bien que Coltrane soit chez Prestige, Michael Cuscuna et Orin Keepnews rappellent à Weinstock que Trane s'est engagé à sortir un disque chez Blue Note en contrepartie des albums enregistrés en sideman pour Chambers, Johnny Griffin, Ray Draper... Le 15 septembre 1957, Trane entre dans le studio de Rudy Van Gelder avec un sextet de son choix : Lee Morgan, trompettiste hard bop qui s’est illustré au sein des Jazz Messengers d’Art Blakey, Curtis Fuller, tromboniste virtuose dans la lignée de Jay Jay Johnson, et une section rythmique de rêve qui comprend Chambers à la basse, Kenny Drew au piano et Philly Joe Jones à la batterie. Que du beau monde ! Comme son nom l’indique, le morceau éponyme « Blue Train » évoque les trains, qui ont toujours fasciné Coltrane, comme bien d'autres musiciens de jazz (Ellington et Oscar Peterson, pour ne citer qu’eux). Sur le même album se trouve d’ailleurs « Locomotion », autre allusion au rail (Coltrane a également composé « Goldsboro Express », en souvenir de la ligne ferroviaire de Caroline du Nord). Dans Blue Train, il y a cinq morceaux dont un standard au titre ironique en regard de la musique de Trane : « I Am Old Fashioned » (je suis vieux jeu). Dans les quatre compositions de Coltrane, trois sont dans une veine hard bop : « Blue Train » et « Locomotion » sont des blues-rifs, et « Lazy Bird » est un morceau dans la lignée de ceux des boppers. Quant à « Moment’s Notice », il prépare la suite car c’est un jeu d’harmonies sur une note répétée. La musique de Blue Train est marquée par le passage de Coltrane dans les groupes de Vinson, Gillespie, Bostic… Le blues, la virtuosité (c’est aussi à cette époque qu’il a enregistré Tenor Madness avec Sonny Rollins) et la construction des morceaux sont hérités du bop : l’ombre de Parker, mort en 1955, plane encore sur cette musique. Blue Train est le premier succès de Coltrane.
A l’inverse d’un Parker qui n’accorde qu’une importance secondaire à ses instruments, Coltrane est obsédé par ses instruments. Sa mère lui a acheté son premier saxophone en 1943. C’est un alto. Au départ il aurait joué sur un King Super 20, mais très vite il change et, toute sa carrière, il est resté fidèle à Selmer, en commençant par le modèle appelé « Balance Action », puis le Mark VI à partir de 1954. Il joue avec des becs métalliques Otto Link ou Selmer, qu’il fait réajuster par son luthier. Coltrane ne travaille qu’avec Tony Rulli, le représentant de Selmer basé à Elkhart, dans l’Indiana. Il modifie lui-même les ligatures pour obtenir un contact optimum avec ses lèvres et joue des hanches très dures (d’abord 9, puis 4). Trane va même jusqu’à se faire limer les dents de devant pour qu’elles épousent la forme du bec !
En 1958, Miles rappelle Coltrane, mais le rapport de force musical a complètement changé et, désormais, Coltrane veut faire SA musique. Il restera avec le trompettiste jusqu’en 1960, avec des disques clés, comme Someday My Prince Will Come (leur dernier enregistrement commun) ou le monument Kind of Blue, sorti en 1959.
Quand Coltrane quitte Miles, il quitte aussi Prestige et signe avec Atlantic. Il enregistre un premier disque en co-leader avec Milt Jackson, puis, le 5 mai 1959 il entre en studio pour son premier album en leader pour Atlantic. Il est accompagné de Tommy Flanagan au piano, Chambers – son bassiste préféré – et Art Taylor à la batterie. Les morceaux du disque sont choisis avec Nesuhi Ertegun, le patron d’Atlantic. Il joue trois hommages, dont deux sont des blues : « Cousin Mary » pour sa cousine, « Syeeda’s Song Flute » pour la fille de Naima, qui jouait sur une flûte à bec en plastique, et « Mr. P.C. » pour Chambers. Le quartet joue également « Like Sonny » dédicacé à Rollins, mais ce morceau ne sera publié qu’en 1961. « Naïma », le dernier thème du disque, est dédié à sa femme et joué avec la rythmique de Miles : Wynton Kelly au piano et Jimmy Cobb à la batterie. Quant à « Giant Steps » et « Countdown », ce sont deux compositions qui s’apparentent à des études autour de ce qu’Ira Gitler a appelé les « nappes de sons » : le fait de jouer plusieurs accords en même temps en privilégiant des grappes de sons tirés des accords plutôt que les structures des accords elles-mêmes.
Ce disque révèle également le caractère de Coltrane : un chercheur toujours à l’affût de nouveautés pour développer ses idées, à l’inverse, par exemple, d’un Monk ou d’un Ornette Coleman, qui construisent leur musique autour d'une idée musicale fixe. Coltrane a bâti son génie à partir de beaucoup d’éléments : le style linéaire de Young, les arpèges de Coleman Hawkins, la pâte sonore de Dexter Gordon, la mise en place rythmique de Parker, la respiration circulatoire de Bostic, l’approche modale et minimaliste de Miles, les trouvailles mélodico-harmoniques de Miles, l’architecture des morceaux selon Monk, l’harmolodie de Coleman, la créativité d’Eric Dolphy, mais aussi les œuvres de Leo Ornstein, Igor Stravinsky, Dimitri Chostakovitch, Maurice Ravel, Bela Bartok… Sans oublier les études de Carl Czerny et de Charles-Louis Hanon. Toutes ces influences vont finalement se mélanger dans un creuset que les Free Jazzmen - principalement Coleman, Dolphy et Albert Ayler - vont finir d'assaisonner.
1960 - 1965
Les années-lumières
1960 marque un nouveau tournant dans l’œuvre de Coltrane : Joe Termini, patron de la Jazz Gallery et du Five Spot, engage Coltrane aux mêmes conditions que celles que Miles lui garantissait pour qu'il forme SON groupe. Trane monte donc un premier quartet avec Steve Kuhn au piano, Steve Davis à la contrebasse et Pete LaRoca, puis Billy Higgins à la batterie. Mais, insatisfait, il finit par engager Tyner au piano, Jones à la batterie et, pour l’instant, toujours Davis à la basse.
C’est également en 1960 que l’un de ses amis, l’écrivain Chip Bayen, oublie son saxophone soprano dans la voiture de Coltrane. Trane l’essaye et, fasciné, s’en achète un chez Selmer : rapidement le soprano joue à part égale avec le ténor.
En 1961, Coltrane est le premier musicien signé par Creed Taylor pour Impulse!, chez qui il y
reste jusqu'à la fin. Mais il a encore quelques enregistrements à faire pour Atlantic, dont l’un a marqué l’histoire du jazz… « My Favorite Thing » est une chanson d’une comédie musicale de Broadway à la mode, composée par Richard Rogers et Oscar Hammerstein. Coltrane s’en empare tant et si bien que de nombreux auditeurs finiront par croire qu’il en est l’auteur. « My Favorite Things » marque sans doute un changement de direction dans la musique de Coltrane, du hard-bop vers le free. D’ailleurs, Dolphy – altiste d’avant-garde s’il en est – se joint au quartet. C’est également le premier enregistrement de Coltrane au soprano. Dans My Favorite Things, les musiciens malaxent les harmonies en passant du tonal au modal, les solos sont rallongés et parsemées d’envolées furieuses… Ce disque a un succès énorme et Coltrane se retrouve Jazzman de l’année lors du référendum de Downbeat, même si la musique déroute plus d’un auditeur.
Bob Thiele, producteur de Coltrane chez Impulse! veut prendre le public à contre-pied et montrer que Trane est capable de tout. Il sort Ballads, un disque avec Ellington et un album avec le chanteur Johnny Hartman.
En parallèle, le quartet tourne bien, mais Coltrane ne trouve pas le bassiste qu’il entend : il a remplacé Davis par Reggie Workman, mais en vain. Finalement, en avril 1962, Jimmy Garrison rejoint Coltrane : le quartet mythique est né !
Dès la fin des années 40, avec le latin-jazz, popularisé en grande partie par Gillspie, mais aussi grâce aux travaux de Yussef Lateef, Coltrane s’intéresse aux musiques du monde. Il a beaucoup étudié les musiques folkloriques, la musique indienne, notamment avec Ravi Shankar (qui donne son prénom à l’un des fils de Coltrane), la musique africaine avec Babatunde Olatunji... Dès 1961, il demande, par exemple, à Ahmed Abdul-Malik de jouer un bourdon au tampura. De manière générale, il s’intéresse à toutes les musiques modales du monde : « c’est cet aspect universel de la musique qui m’intéresse et m’attire ». Avec son « Free Ethnique », Trane devient l’un des précurseurs de la World Music.
En ce début des années 60, la musique de Coltrane ne cesse d’évoluer : les rythmes deviennent plus complexes et épais, l’harmonie se simplifie, parfois juste une pédale, le tempo s’estompe, les mélodies se réduisent souvent à des motifs… Trane se concentre sur la matière sonore, comme dans Crescent, l’un des albums emblématiques du saxophoniste, sorti en 1964.
Coltrane s’intéresse aussi à toutes les religions et le 9 décembre 1964, le quartet enregistre la première suite écrite par Coltrane à la gloire de Dieu, un peu comme Ellington avec ses Sacred Concerts. Le saxophoniste écrit les notes de la pochette, compose un poème, choisit les photos et, surtout, a changé sa manière d’enregistrer. Au départ il procédait comme Davis et Monk : un minimum d’instructions, une grille d’accords, pas de répétition, et hop ! on y va. Avec son quartet, il écrit davantage mais met moins de notes. La suite se compose de quatre mouvements : « Acknowledgement », « Resolution », « Pursuance » et « Psalm ». A Love Supreme devient très vite un disque culte qui se vend à plus de cinq cent mille exemplaires en quelques années et sert même de base au service de la St John’s Church, créée en 1971 par le révérend (et saxophoniste) Franzo Wayne King.
En 1965, le quartet de Coltrane est une référence qui dépasse le milieu du jazz, et il est de nouveau élu musicien de l’année par Downbeat. Consécration ultime, après Young et Hawkins, Coltrane est le troisième saxophoniste à entrer au Hall of Fame.
Sur le plan personnel, c’est plus compliqué ! Son couple avec Naïma bat de l’aile depuis 1958. Après deux fausses couches, le couple sait qu’il ne pourra pas avoir d’enfant. Coltrane a eu une fille illégitime, Sheila, dont il reconnaît la paternité. De 1960 à 1963, il vit en compagnie d’une femme blanche, restée anonyme. A partir de 1963, il s’installe avec la pianiste Alice McLeod et sa fille Michelle. En 1964, John W. Coltrane Junior naît. Il sera bassiste, mais se tue dans un accident d’auto en 1982. En 1965, Ravi Coltrane voit le jour et mène une carrière de saxophoniste de premier plan et fait partie de la génération des Young Lions. Quant à Oran Coltrane, saxophoniste, mais peu actif, il est né en 1967. En 1966, à Juarez, au Mexique, John a divorcé de Naima (qui décède en 1996) et s’est marié avec Alice. La famille s’installe à Long Island dans une grande maison, où Coltrane vit jusqu’à sa mort. Par ailleurs, si Coltrane n'est plus héroïnomane et a arrêté l'alcool, en revanche il est désormais sous LSD.
1965 - 1967
Le voyage interstellaire
A partir de 1965 la musique de Coltrane prend un nouveau tournant et part dans un free plus
radical. Il fait appel à des musiciens d’avant-garde, parmi lesquels Archie Shepp, Pharoah Sanders et Rashied Ali. Trane joue avec deux bassistes, deux batteurs… à l’image de Coleman dans Free Jazz (1961) et se rapproche de l’esthétique d’Ayler. Ascension est, par exemple, enregistré avec dix musiciens…
En novembre 65, le quartet, avec Sanders et Ali, enregistre Meditations. C’est le dernier enregistrement en studio de Coltrane publié de son vivant. Fin 1965, Tyner déserte le groupe, lassé par l’absence de pulsation et le volume sonore. En janvier 1966, c’est au tour de Jones, indisposé par la présence d’Ali, de quitter Trane. La formation de Coltrane comprend donc désormais Alice au piano et à la harpe, Pharoah au ténor, Rashied à la batterie et Jimmy à la contrebasse, qui jette l’éponge pendant l’été 1966, remplacé par Sonny Johnson. Coltrane se met à la cornemuse, à la flûte, à la clarinette basse (que lui a légué Dolphy, décédé d’une crise cardiaque en 1964)... Il étudie aussi de nombreux instruments du monde, notamment japonais, lors de sa dernière tournée, en 1966.
La musique de Coltrane déroute beaucoup de ses fans. Le patron du Front Room de Newark lui demande de rejouer ses anciens « tubes », mais comme Trane ne veut pas revenir en arrière, les concerts sont annulés après la première soirée… Et de constater : « tous veulent entendre ce que j’ai fait. Personne ne veut entendre ce que je fais ».
Les six premiers mois de 1967 sont chargés : en février il enregistre six duos avec Ali, en avril il donne un concert à l’Olatunji Center of African Culture, en mai il est au Famous Ballroom de Baltimore, et début juillet il organise avec Thiele la sortie du disque Expression, mais il n’en verra jamais le jour : le 17 juillet 1967, Coltrane est terrassé par un cancer du foie, qu’il a refusé de soigner. Enterré le 21 juillet, la cérémonie se déroule dans l’Église St Peters, sous la houlette du Pasteur des Jazzmen, John Gensel, devant plus d’un millier de personnes. Massey lit le poème « A Love Supreme », tandis qu’Ayler et Coleman jouent chacun avec leur formation en hommage à un musicien d’exception, dont l’ombre plane toujours sur la musique d’aujourd’hui.
Texte de la conférence-vidéo du 11 février 2022 à la Médiathèque Andrée Chedid.
Sources principales :
- John Coltrane : sa vie, sa musique – Lewis Porter – Outre Mesure
- John Coltrane, 80 musiciens témoignent - Franck Médioni - Actes Sud
- John Coltrane Conversation - Frank Kofsky - Lenka Lente
- Entretiens avec Michel Delorme suivid'Une lettre à Don DeMichael - Editions de l'éclat
- Coltrane sur le vif - Luc Bouquet - Lenka Lente
- Jazz supreme - Raphaël Imbert - L'éclat poche
- Coltrane - Pascal Bussy - Librio
- Le cas Coltrane - Alain Gerber - Editions Parenthèses
- L'église de John Coltrane - Chad Taylor - Christian Bourgois Editeur
- John Coltrane, l'amour suprême - Franck Médioni - Castormusic
Spécialiste incontestée du saxophone baryton, Céline Bonacina retrouve la scène du Studio de l’Ermitage le 17 octobre 2023 pour célébrer la sortie de Jump!, sixième albums sous son nom, sorti le 15 septembre 2023 chez Cristal Records.
Pour ce projet, Bonacina réunit un quartet transatlantique, avec la pianiste américaine Rachel Eckroth, le contrebassiste canadien Chris Jennings et le batteur américain John Hadfield. Le concert reprend le répertoire de Jump! : six morceaux signés Bonacina et une composition de chacun des trois autres musiciens.
Bonacina se présente sur scène dans un costume doré digne d’une pop star ! Le quartet démarre sur les chapeaux de roue avec « Tunnel », un thème-riff à l’unisson ultra-rapide dans une veine hard-bop aux contours rock, marqué par le jeu binaire, énergique et foisonnant d’Hadfield, à peine adouci par les vocalises, les interventions discrètes du piano et l’ampleur de la contrebasse. « Lost in Translation », un thème d’Hadfield, se déroule dans une
ambiance plus calme, avec des accords cristallins au Rhodes, une mélodie douce exposée par le baryton, une carrure profonde de la contrebasse et des crépitements vifs de la batterie. L’introduction psychédélique de « A Light Somewhere » débouche sur une mélodie éthérée jouée par Bonacina et soulignée par la voix d’Eckroth. Jennings et Bonacina dialoguent subtilement, puis le morceau se tend et part de nouveau dans une ambiance hard-bop nerveuse. La ballade « Hope » repose sur les développements tranquilles du baryton, des chorus mélodieux de la contrebasse, puis du piano, et une batterie, toujours touffue, mais plus apaisée. Jennings est l’auteur de « Deevela Street », un morceau pétillant avec un thème coloré, des passages dansants agrémentés des cliquetis funky de la batterie et des grondements de la contrebasse, qui servent de base aux chorus véloces du piano et du baryton. L’introduction minimaliste du piano sur « Go », signé Eckroth, débouche sur un thème-riff exposé par le baryton et le piano, avec un accompagnement binaire sec, véloce et puissant de la batterie et des motifs sobres de la contrebasse. Quand le Fender s’en mêle, le morceau tourne au rock planant, et, sous l’impulsion de la batterie et de la contrebasse, « Go » s’accélère et revient à un hard-bop aux accents funky. « Trap » commence par des échanges rythmiques – touches, souffle, vocalises, crépitements fébriles, vrombissements – puis le baryton promène ses phrases élégantes au-dessus de la marmite rythmique. D’une atmosphère hard-bop véloce et particulièrement fougueuse, « Trust » passe à une ambiance jazz-rock, porté par les accords d’Eckroth, les riffs sourds de Jennings, les frappes vigoureuses d’Hadfield et les lignes enfiévrées de Bonacina. En bis, le quartet joue « My Island Far Away », hommage à La Réunion, « île de cœur » de Bonacina. Hadfield imprime d’abord un rythme chaloupé au bendir, repris par ses acolytes. La suite se déroule entre rock, musique du monde et hard-bop, avec un solo de batterie démonstratif pour conclure le concert.
Jump! ne vole pas son titre : la musique de Bonacina, Eckroth, Jennings et Hadfield est athlétique, virevoltante et pleine de rebondissements !
Le disque
Jump!
Céline Bonacina
Céline Bonacina (bs, voc),
Rachel Eckroth (p, voc),
Chris Jennings (b)
et John Hadfield (d, perc).
Cristal Records – CR355
Sortie le 15 septembre 2023
Liste des morceaux
01. « Trust » (05:25).
02. « Tunnel » (04:43).
03. « Lost in Translation », Hadfield (06:11).
04. « A Light Somewhere » (03:56).
05. « Hope » (05:23).
06. « Go » (06:10).
07. « Trap » (05:04).
08. « Deevella Street », Jennings (06:56).
09. « My Island Far Away » (05:12).
Toutes les compositions sont signées Bonacina sauf indication contraire.