02 février 2019

Pannonica


Famille Rothschild, pilote pendant la guerre, chauffeur en Afrique, commentatrice radio, épouse de diplomate, bienfaitrice des boppers, amoureuse des chats… le destin extraordinaire de la baronne Pannonica de Koenigswarter n’en finit pas de marquer les esprits !

A l’occasion du trentenaire de sa disparition, Cristal Records publie un livre-disques avec deux cd et un disque simple, accompagné d’un livret bilingue agrémenté de photos prises par la baronne, extraites de son livre « Les musiciens de jazz et leurs trois vœux » (Buchet-Chastel, 2006). A noter également l’élégante photo de Koenigswarter, signée Harlip Studio, qui illustre la pochette du disque. C’est la baronne elle-même qui introduit la plupart des dix titres de Pannonica, tous composés en son honneur par ses amis musiciens.

Dans « Nica’s Tempo », de l’album éponyme de Gigi Gryce  (Savoy – 1955), le saxophoniste est accompagné par une rythmique de choc : Thelonious Monk, Percy Heath et Art Blakey. Une mélodie énergique, soutenue par des suites d’accords corsés, une walking imperturbable et un chabada ponctué de pêches fracassantes, laisse place à des solos, des stop-chorus et autres roulements tendus.

Deux interprétations du standard d’Horace Silver, « Nica’s Dream », figurent au programme. La version originale des Jazz Messengers (1956), avec Donald Byrd (trompette), Hank Mobley (saxophone ténor), Silver (piano), Doug Watkins (contrebasse) et Blakey à la batterie, est pimentée de touches latinos. Après l’exposition du thème par Byrd, sur des contre-chants du saxophone et du piano, Mobley part dans un développement faussement nonchalant, repris ensuite par le trompettiste. La deuxième version est celle du quintet de Silver (1960), en compagnie de Blue Mitchell à la trompette, Junior Cook au saxophone ténor, Gene Taylor à la contrebasse et Roy Brooks à la batterie. Cette interprétation est plus vive que celle de 1956. Les contrepoints de la trompette et du ténor s’inscrivent en pleine esthétique hard-bop. Le chorus de Cook tire vers le shouter, le discours de Mitchell est rapide et soigné, tandis que Silver a un jeu singulièrement moderne avec, toujours, quelques accents latins en filigrane.

Pour son « Blues For Nica » (1956), Kenny Drew est en trio avec Paul Chambers et Philly Jo Jones. Après l’énoncé du thème-riff, particulièrement élégant, avec ses touches bluesy, Drew fait danser son piano sur une walking et un chabada entraînants, avant que Chambers ne se fende d’un solo musical à souhait.

Dans Brillant Corner (Riverside – 1956), Monk est en quartet, avec Sonny Rollins, Ernie Henry au saxophone alto, Oscar Pettiford et Max Roach. Il joue «  Pannonica » au piano et au célesta. La sonorité cristalline de ce dernier contraste avec celle des saxophones. Sur le thème typiquement monkien, dissonant et étiré, Pettiford et Roach impriment une cadence enlevée, tandis que Rollins reste dans un registre intime.

Sans doute moins connu que les autres thèmes, « Nica Steps Out » (1957), a été composé par Freddie Redd. Le pianiste est en compagnie du contrebassiste George Tucker et du batteur All Dreares. Leur prestation suit la veine be-bop : walking et chabada marqués, chorus dynamique et efficace...

Eddie Thompson, en trio avec Arthur Watts à la contrebasse et Andy White à la batterie, joue son  « Theme For Nica » (1959) : une ballade délicate portée par une rythmique moelleuse, imperturbable, et un piano dans un trumpet-style volontiers lyrique.

C’est Kenny Dorham qui a composé « Tonica » (1960). Il l’interprète  avec Charles Davis au saxophone baryton, Steve Kuhn au piano, Butch Warren à la contrebasse et Buddy Enlow à la batterie. Les unissons et contre-chants du démarrage évoquent d’abord une bande originale de film. Puis la rythmique part dans une pompe qui soutient les solos raffinées des soufflants.

Sonny Clark joue « Nica » (1960) avec George Duvivier à la contrebasse et Roach. Après un thème-riff typique hard-bop, Duvivier part en walking, avant de prendre un chorus mélodieux a capella. Clark poursuit l’idée dans un développement qui swingue à la Bud Powell, sur une walking et un chabada ardents.

Quant à « Nicaragua », composé par Barry Harris en 1967, il est interprété par Pepper Adams au saxophone baryton, Cook au saxophone ténor, Slide Hampton au trombone, Harris au piano, Bob Cranshaw à la contrebasse et Lenny McBrowne à la batterie. Dans une ambiance sud-américaine dansante, le sextet expose le thème à l’unisson. Le classique walking – chabada accompagne Adams dans des variations brillantes, bientôt reprises par Harris, lui aussi marqué par le discours de Powell, puis Cook et Hampton, sur un mode plus relax.

Des thèmes tendus et des développements nerveux : l’hommage à la bienfaitrice des jazzmen est une remarquable anthologie du be-bop, Pannonica se doit de figurer dans toute discothèque à maints égards !