20 mars 2024

Joce Mienniel et ses instruments migrateurs au Comptoir

Après son rendez-vous de février avec Macha Gharibian et Arnault Cuisinier, le 7 mars 2024, pour le sixième rendez-vous avec ses instruments migrateurs, Joce Mienniel invite Chérif Soumano à la kora, Jozef Dumoulin au piano, à la sanza et aux effets, et Keyvan Chemirani aux percussions persanes : zarb, daf et santûr.

Comme avec tous les instruments migrateurs, Mienniel commence le concert avec « Stéréométrie », qui permet de mettre le quartet au diapason. Sur les boucles de la flûte et un bourdon, il présente les musiciens, avant qu’ils ne reprennent le thème à l’unisson, avec des effets rythmiques en technique étendue, et Dumoulin au piano à pouces. Sur des riffs inamovibles, Soumano se lance dans un solo ethnique enjoué, suivi d’une courte intervention a capela de Chemirani. « Stéréométrie » donne le ton du concert : un melting-pot musical au forts accents du monde, jouée par des improvisateurs rompus au jazz.

Joce Mienniel, Chérif Soumano, Jozef Dumoulin, Keyvan Chemirani (c) PLM

Une polyrythmie animée par la sanza, les percussions et la kora sert de base à une composition de Dumoulin. La thématique, tout à fait dans un esprit world, permet à Soumano de dérouler des lignes mélodieuses et délicates qui contrastent avec les réponses acérées de Mienniel, mêlées de souffles et de vocalises. Rituel des instruments migrateurs : chaque musicien effectue un solo intégral. Le premier de la soirée est celui de Soumano avec sa superbe kora Kaëlig. Après une introduction virtuose, le thème-riff débouche sur une alternance de lignes mélodiques et d’ostinato, vives et entraînantes. Le quartet interprète ensuite une pièce signée Chemirani : « A l’ombre de Soyé ». [Soyé] signifie l’ombre en persan, mais c’est aussi le nom de la chatte – persane – du percussionniste, et le morceau est initialement dédié au guitariste Jacques Pellen, décédé du covid en avril 2020. Le préambule de Chemirani au santûr mélange motifs mélodico-rythmiques et sonorité cristalline. Les contre-chants de la kora et le piano viennent bientôt soutenir le santûr, puis la flûte déroule un air solennel, que le piano renforce de ses traits élégants. C’est ensuite au tour de Mienniel de jouer son solo. A l’aide de ses pédales loop, il enregistre des boucles mélodiques et rythmiques puissantes qu’il superpose astucieusement, pendant qu’il joue sur différents plans. L’environnement hypnotique qu’il crée, ajouté aux effets étendus, génère une tension prégnante. Le solo de zarb de Chemirani est une véritable démonstration de musicalité. Sur une constante sourde, les roulements, frappes et frottements, véloces, bondissants, secs, forts ou doux, se succèdent dans un feu d’artifice rythmique. « Chérif’s Tune » commence par une succession d’envolées énergiques et de lignes mélodieuses, avant l’exposé à l’unisson d’un beau thème-riff, mis en valeur par une rythmique légère et entraînante. La flûte et le piano en profitent pour prendre des chorus particulièrement inspirés. Soumano électrifie sa kora et part dans un duo impressionnant avec les percussions, d’autant plus digne de celui d’un guitar hero, que les jets rythmiques de la flûte et les variations imposantes du piano s’immiscent dans la partie. Pour sa partie en solo, Dumoulin commence par des enchevêtrements de boucles sur lesquels se détache un motif mélodique minimaliste. Il intègre ensuite des effets électroniques – grondements, grésillements, sonars, trompes, vibrations, chuintements, moteurs – qui évoquent les abysses ou l’espace, et servent de décor aux envolées délicates du piano et aux interruptions de la sanza et du piano préparé. L’empilement des sons, des rythmes et des airs aboutit à une sculpture sonore complexe et fascinante.

 

Pour terminer, Mienniel propose un morceau composé à Bamako dans le vieux quartier de Médina Coura. Le thème-riff dansant, joué dans un souffle par la flûte sur un ostinato de la sanza, est repris à l’unisson ou en contrepoint par la kora. Mienniel enflamme l’ambiance avec un ostinato soufflé imposant, soutenu par le piano, la kora et les percussions. Le quartet part alors dans un échange contemporain d’une densité formidable, avec des traits fulgurants, des ostinatos lancinants, des sons excitants, des souffles haletants, des crépitements hachés, des cris saccadés… pour un final en apothéose. 

 

Jozef Dumoulin, Joce Mienniel, Chérif Soumano, Keyvan Chemirani (c) PLM

 

Les instruments migrateurs viennent du Mali, d’Iran, de Belgique, de France et d’ailleurs… mais qu’importe : musiciens de tous les pays, unissez-vous pour une musique du monde free ! C’est ce que nous pouvons souhaiter de mieux à cette humanité bien mal partie...