16 février 2025

Le Temps est parti pour rester à l’Ermitage

Voilà près de vingt-cinq ans qu’Andy Emler a formé ETE avec ses compères Claude Tchamitchian et Eric Echampard. Après cinq projets en trio – Tee Time (2003), A quelle distance sommes-nous ? (2005), Sad and Beautiful (2014), The Useful Report (2022) et There Is Another Way – ETE s’associe à un octuor de clarinettes.

La compagnie Aime l’air présente Le temps est parti pour rester au Studio de l’Ermitage le 5 février 2025, à l’occasion de la sortie du disque éponyme chez PeeWee! deux jours plus tard. L’octuor est composé de trois clarinettistes d’obédience plutôt classique, voire musique contemporaine, mais pas que... – Emmanuelle Brunat, Florent Pujuila et Nicolas Fargeix – et de cinq clarinettistes rompus au jazz, mais pas que… : Elodie Pasquier (malheureusement en arrêt maladie le soir du concert), Catherine Delaunay, Thomas Savy, Laurent Dehors et « un soliste de renom », Louis Sclavis.

Le concert reprend les neuf morceaux du disques, structurés comme une suite. Emler constate que « les différents thèmes ont tous un rapport avec la météo... Pourquoi ? Je ne sais pas ». Les titres « sont des expressions détournées » : « Des temps de ouf », « Des nuages dans la tête », « Le temps est parti pour rester », « Précipitations 12023 », « Le vent du chnord », « Chaud... et show », « Des canards en froid », « Par les champs qui... »... Et il rajoute avec dérision : « ne me demandez pas d’explication pour les titres… Je demanderai au compositeur, mais il ne le sait pas lui-même, je crois... ».


La construction « Des temps de ouf » est complexe et rebondit dans tous les sens entre les chœurs de clarinettes fulgurants et touffus, les variations nerveuses de la section rythmique, les cabrioles aériennes de Fargeix au-dessus des lignes fluides d’Emler et des contrepoints des clarinettes, ou encore les musiciens qui se mettent à parler à qui mieux mieux comme une foule... « Des nuages dans la tête » frise le rock progressif : les riffs sourds des clarinettes et la rythmique puissante plantent un décor aux petits oignons pour les envolées free débridées de Sclavis. Un duo élégant, sorte de complainte aux accents contemporains entre le cor de basset de Delaunay et la contrebasse de Tchamitchian conclut le morceau. Les clarinettes à l’unisson accueillent Dehors et sa clarinette contrebasse grave, mais facétieuse. Par la suite « 2 climatologies » s’emballe, porté par les roulements furieux d’Echampard, les vrombissements de Tchamitchian, les motifs vigoureux d’Emler et le délire des clarinettes, tandis que Savy et Fargeix, imperturbables, développent chacun à leur tour des lignes claires et entraînantes. Le piano joue « Précipitations 12023 » en solo. C’est un intermède majestueux, souligné par un chœur discret en arrière-plan. Avant d’interpréter le morceau-titre prémonitoire, « Le Temps est parti pour rester », Emler salue le travail réalisé par Vincent Mahey et son label PeeWee!, d’autant plus que, comme il le constate avec une pointe d’amertume : « on enregistre des disques pourquoi ? Parce qu’on ne les vend plus ! Mais c’est pour montrer qu’on existe encore »… Et, sur une section rythmique toujours intense et teintée de rock prog, les clarinettes caquettent à l’envi et croisent leurs voix dans tous les sens, pleine de vie, comme pour donner raison à Emler ! « Les vents du chnord » commence dans une ambiance de sonate, avec un dialogue raffiné entre la clarinette de Brunat et le piano d’Emler. Delaunay et Tchamitchian, à l’archet, prennent la suite et passent d’un mouvement ample à un rock free, soutenus par une rythmique grondante. « Chaud et… Show » porte bien son nom : un accompagnement luxuriant et un piano – contrebasse – batterie déchaîné permettent à Fargeix d’enflammer sa clarinette pour un chorus de bravoure, dans l’esprit dixieland. Des riffs entraînants, de vives harmonies et des lignes enlacées soutiennent Pujuila, puis Savy, qui soliloquent avec éloquence sur « Des canards en froid ». La coda revient encore à Delaunay et Tchamitchian, toujours aussi subtils. Le concert (et le disque) se clôture sur « Par les champs… » tendu, qui met en avant la force de frappe d’Echampard, avant un final de contre-chants dans un esprit très début XXe. Le premier bis est une bagatelle bluesy que Sclavis joue... à l’harmonica, avec Tchamitchian et Emler. Pour le deuxième bis, l’orchestre reprend un extrait de « Par les champs... » avec toujours autant de densité et de pression.

Sophistiquée mais abordable, moderne et dansante, surprenante ou familière, la musique du « Temps est parti pour rester » est brillante et s’écoute sans fin...  


Le disque

Le Temps est parti pour rester
Andy Emler
Elodie Pasquier (cl), Nicolas Fargeix (cl), Emmanuelle Brunat (cl, bcl), Florent Pujuila (cl, bcl), Louis Sclavis (cl, bcl), Catherine Delaunay (cl, cdb), Thomas Savy (bcl), Laurent Dehors (cl, bcl, cbcl), Andy Emler (p), Claude Tchamitchian (b) et Eric Echampard (d).
PeeWee! – PW1016
Sortie le 7 février 2025

 

 

Liste des morceaux

01. « Des temps de ouf » (4:26).
02. « Des nuages dans la tête » (6:20).
03. « 2 climatologies » (6:48).
04. « Précipitations 12023 » (3:58).
05. « Le Temps est parti pour rester » (7:08).
06. « Les Vents du chnord » (5:11).
07. « Chaud et... show » (6:47).
08. « Des canards en froid » (8:28).
09. « Par les chants qui... » (5:05).

Tous les morceaux sont signés Emler.