At Home
Fatoumata Diawara & Roberto Fonseca
Jazz Village –
JV9570080
En 2011, pour l’album Yo,
Roberto Fonseca invite Fatoumata Diawara à chanter
« Bibisa », une composition du musicien malien Baba Sissoko. De cette expérience naît le projet d’un duo autour
d’un répertoire ad hoc. C’est à Marciac, en août 2014, que Diawara et Fonseca
enregistrent At Home pour Jazz
Village.
Le quintet qui accompagne Diawara et Fonseca est constitué
de deux « fidèles » du pianiste, déjà présents sur Yo : le percussionniste Joel Hierrezuelo et le batteur Ramsés Rodriguez. La basse est confiée à
Yandy Martínez, Sekou Bah est à
la guitare électrique et Drissa Sibide
au n’goni. L’instrumentation donne des indices sur la teneur de la musique de At Home… Diawara propose trois morceaux,
Fonseca deux, et « Real Family » est co-signé.
Avec ses rythmes luxuriants, énergiques et entraînants, et
ses traits de piano fulgurants, « Sowa » annonce la couleur : At Home est placé sous le signe de la
danse ! Le public a d’ailleurs l’air d’apprécier : applaudissements
nourris et cris d’encouragement escortent le septet de bout en bout. Il faut
dire aussi que Diawara exhorte les spectateurs à frapper dans les mains
(« Clandestin ») et que Fonseca fait tout ce qu’il faut pour chauffer
la salle (« Connection »). Le quintet rythmique joue un rôle clé dans
la dynamique de At Home : riffs
croisés dans tous les sens (« Clandestin »,
clave et congas latines (« Connection »), foisonnement accentué par
les phrases nerveuses du piano (« Yemaya »), ambiance world
vigoureuse (« Neboufo »). Diawara chante en bambara avec une mise en
place souple et efficace (« Clandestin »), une voix chatoyante et
chaude. Couplets répétés (« Sowa »), récitatifs (« Real
Family »), youyous (« Clandestin »), exclamations
(« Yemaya »), conte (« Real Family », récit de sa fuite du
Mali vers la France pour éviter un mariage forcé), vocalises expressives
(« Neboufo »)… tout rappelle l’Afrique. Le jeu de Fonseca est
flamboyant : lignes arpégées supersoniques, suites d’accords puissants, phrase
dédoublées à l’unisson dans le plus pur style latino (« Neboufo »), questions-réponses
véloces (« Connection »)… Ses solos sont un mélange de virtuosité
classique, de lyrisme (le duo avec Diawara dans « Real Family ») et
d’aisance rythmique. Fonseca passe de la descarga (« Yemaya ») à l’Orient
(« Real Family »), sur fond d’Afrique.
At Home respire
une joie de vivre et un plaisir des rythmes ensorcelants…
Time Pieces
Kyle Eastwood
Jazz Village – JV9570034
En 1998, Kyle Eastwood enregistre son premier
disque, From There to Here… Vingt-cinq
ans plus tard, voici son septième opus : Time Pieces, qui sort chez Jazz Village.
Depuis le début des années 2010, Eastwood joue avec un quartet
composé de Brandon Allen aux
saxophones ténor et soprano, Quentin
Collins à la trompette et au bugle, Andrew
McCormack au piano et Ernesto Simpson
à la batterie. Sorti en 2013, The View from
Here est leur premier enregistrement.
Huit des dix morceaux sont signés Eastwood, dont une reprise
de « Letters From Iwo Jima » tirée de la musique du film éponyme de Clint Eastwood (2006), « Peace For
Silver », un hommage à Horace
Silver, « Bullet Train », clin d’œil au « Blue Train »
de John Coltrane, deux tributs à l’alcool,
« Caipirinha » et « Prosecco Smile »… Le quintet joue aussi
« Dolphin Dance » d’Herbie
Hancock (Maiden Voyage – 1965) et
« Blowin’ The Blues Away » d’Horace
Silver (disque éponyme – 1959).
La plupart des morceaux suivent a structure type du bop :
énoncé du thème à l’unisson, succession de chorus et reprise du thème à l’unisson.
Les compositions d’Eastwood sont des mélodies élégantes (« Vista »), voire
nostalgiques (« Letters from Iwo Jema »), souvent écrites sous forme
de motifs courts (« Caipirinha », « Peace For Silver »), mais
aussi parfois dissonantes (« Incantation »). Allen, Collins et
McCormack connaissent leur hard bop sur le bout des doigts : solos nerveux
néo-bop au saxophone ténor (« Incantation ») et piquant au soprano (« Bullet
Train ») ; bugle habile (« Dolphin Dance ») ou soyeux (« Nostalgique »)
et trompette inventive (« Prosecco Smile ») ; piano plein de
swing (« Caipirinha »), en trumpet style (« Blowin’ The Blues
Away ») ou en série d’accords funky (« Peace For Silver »), mais
aussi lyrique (« Vista »)… Comme à la « grande » époque
Blue Note, les riffs des soufflants accompagnent les solistes (« Prosecco
Smile », « Caipirinha ») et leurs dialogues servent de
trampoline aux stop-chorus de la batterie (« Bullet Train »)...
Simpson joue dense et mat (« Dolphin Danse »), croise les rythmes (« Caipirinha »),
glisse des chabada bien emmenés (« Blowin’ The Blues Away »)… Sa
présence solide maintient ses compères en éveil (« Prosecco Smile »).
Tour à tour groovy (« Caipirinha »), mélodieux (« Dolphin Dance »),
véloce (« Blowin’ The Blues Away »), mélancolique (« Nostalgique »,
en duo avec le piano), hypnotique (« Incantation »), entraînant (la
walking de « Bullet Train »)… Le quintet passe d’une ambiance dansantes
caribéenne (« Caipirinha ») à du hard bop typique (« Blowin’ The
Blues Away », « Bullet Train ») en faisant un crochet par du boogaloo
(« Prosecco Smile »), du funk (« Peace For Silver »), de la ballade (« Vista »,
« Letters From Iwo Jima »), du romantisme (« Nostalgique »)…
Time Pieces confirme
que la voie qu’Eastwood avait ouverte dans The
View from Here est la sienne : un néo-hard-bop dynamique pimenté de funk.