Spring Roll
Printemps
Sylvaine Hélary
Ayler Records – AYLCD
144-145
Sylvaine Hélary
fait incontestablement partie des artistes d’avant-garde. Avec La Société des
Arpenteurs de Denis Colin, le
Surnatural Orchestra, Flute Fever de Michel
Edelin, les Voix Croisées de Didier Levallet…
et ses propres formations, comme le SHT avec Antonin Rayon et Emmanuel
Scarpa (Opaque – 2010), la flûtiste,
vocaliste, bassiste… n’a de cesse d’explorer de nouveaux territoires.
Chez Ayler Records, la musicienne sort un double album qui
regroupe le projet Printemps, créé à
l’Atelier du Plateau en décembre 2011, et Spring
Roll, monté en 2014. Le quartet d’Hélary est composé de Rayon au piano et
synthétiseur, Hughes Mayot aux
saxophones et clarinettes et Sylvain
Lemêtre au vibraphone et percussions. Dans Printemps, la flûtiste invite également Julien Boudart au Korg ms-20 et Aalam Wassef et Xavier
Papaïs aux voix. Dans Spring Roll,
ce sont les voix de Yumiko Nakamura
et Jean Chaize qui se joignent au quartet.
Printemps
Les quinze morceaux de Printemps
– tous d’Hélary, sauf les trois « lieux communs », signés Rayon –
font référence au printemps arabe en Egypte (« Ouverture »). La suite
commence par un bref appel téléphonique sur un fonds sonore indistinct (« Appel
au Caire »). Suit une sorte de
gamelan que des bribes de liaisons téléphoniques, moteurs et autres bruits divers…
viennent perturber (« Pas de crépuscule »). Les quatre « Rondes »
(en incluant la « Ronde Michelson ») sont des comptines sautillantes
(« Ronde 1 » et « Ronde 2 »), avec clochettes, flûtes et
clavier (« Ronde Michelson »), ou une tournerie (« Ronde 4 »)
au piano et marimba (?). Dans « Les lieux communs » I et II, le
récit sur la révolution égyptienne se superpose d’abord sur des sonnailles,
puis sur un duo délicat entre Hélary et Mayot. Le quartet n’hésite pas à jouer
la carte du réalisme : dans « La production du milieu » le
synthétiseur émet des sons qui évoquent des tirs, des explosions, des machines...
comme sur la place Tahrir ; le coup de téléphone et les bruits de fonds (« Dans
le taxi ») transportent l’auditeur près du Palais Présidentiel, à
Héliopolis, sur la route de l’aéroport ; le texte historique sur « La
révolte des puritains d’Ecosse » est récité sur fonds de feu de cheminée et
d’orgue d’église… Bruitisme minimaliste (« Le désert blanc sale dure assez »),
pédale et ostinato (« La danse de l’horloge »), dialogues entrelacés (« Les
lieux Communs III ») ou dissonants (« La danse de l’horloge »),
textes décalés (« Grand écart »)… Printemps
tient autant de la musique contemporaine
que des musiques improvisées et, en l’absence des artistes sur scène, la
musique fait souvent penser à une bande-son sans image.
Spring Roll
Si Printemps fait la
part belle à la narration, Spring Roll
se concentre sur les instruments. Seuls trois textes viennent émailler les
mélodies : dans « Ailes », le haïku que Matsuo Bashô a dit à ses disciples sur son lit de mort (« Malade
à mi-parcours / au-dessus des champs flétris / mes rêves vagabondent » -
traduction libre…) ; le huitième sonnet de William Shakespeare (« Îles ») ; et un texte tiré de
Heimkehr im Schnee, écrit en 1917 par
l’auteur suisse Robert Walser (« Légers
errements », passé au pluriel parce que le singulier n’est pas français).
Tous les morceaux sont d’Hélary et Spring Roll reste dans l’esprit de la musique contemporaine. Lemêtre
jongle avec ses percussions : les cloches sonnent mystérieusement (« Îles »),
les roulements fusent (« Ailes »), les gongs résonnent avec majesté (« Bruissements
du monde »), le vibraphone joue les chœurs (« Deux »), l’ensemble
des percussions foisonne et claque (« L’esquive »)… le tout,
davantage dans la lignée des Percussions de Strasbourg que de « Papa » Jo Jone. Rayon a un
jeu plutôt minimaliste (« Ailes ») et d’une élégance mélodique indiscutable
(« Trop près », « Légers errements »). Les lignes de basse qu’il
ajoute au synthétiseur (« Deux », une walking dans « L’esquive »)
cimentent la musique du quartet. Mayot et Hélari croisent leur voix (« Deux ») :
leurs lignes évoluent de contrepoints sinueux (« L’esquive ») à des unissons
abrupts (« Trop près »), en passant par des caquètements virtuoses (« Deux »).
Ils jouent également avec leur souffle et les touches de leurs instruments pour
répondre au piano (« Ailes »). Varié, dynamique, et imprévisible, Spring Roll est un disque de musique
improvisée contemporaine réussi.