Installé à New-York depuis 1995, Jean-Michel Pilc commence par créer un trio avec François Moutin et Ari
Hoenig (Live at Sweet Basil –
2000). Après avoir rejoint Dreyfus Jazz, c’est encore avec ce trio qu’il
enregistre Welcome Home, en 2002.
Pour Cardinal Points (2003), en plus
de Moutin et d’Hoenig, Pilc invite le bassiste James Genus, le percussionniste Abdou M’boup et le saxophoniste Sam Newsome. Trois autres disques en trio suivent chez
Dreyfus : Live at Iridium
(2004), New Dreams (2006) et True Story (2009). Passé chez Motema,
Pilc reforme son trio avec Moutin et Hoenig et sort Threedom en 2010. Côté solo, Pilc a commencé en 2004 avec Follow Me chez Dreyfus, puis Essential pour Motema en 2011, et enfin What Is This Thing Called? qui sort en
février 2015 chez Sunnyside / Naïve.
Follow Me est axé
sur des standards, des chansons françaises et quelques compositions
personnelles. Dans Essential, il y a
toujours des standards, mais les morceaux de Pilc deviennent centraux avec,
notamment, ses six « Etudes – Tableaux ». Quant à What
Is This Thing Called? c’est une suite d’improvisations autour du standard
de Cole Porter et John Hastings Turner : « What Is
This Thing Called Love? ». Composé en 1929 pour la revue musicale Wake Up and Dream, le morceau fait
partie des plus repris du Real Book et a servi de base à « Hot
House », thème emblématique du bop signé Tadd Dameron, mais aussi au « Fifth House » de John Coltrane…
Pilc laisse libre court à ses idées : les trente et une
pièces de What Is This Thing Called? vont
de moins d’une minute à plus de six minutes et sont décrites en un mot, à
l’exception du morceau-titre, du standard et de « C Scale Warm Up »
qui ouvre l’album. Pilc rend hommage à Porter (« Cole »), Coltrane
(« Giant »), Martial Solal
(« Martial ») et Duke
Ellington (« Duke ») et dédie « Grace » à Kenny Werner.
Pilc entame son disque par un échauffement sur la gamme de
do majeur – la tonalité principale de « What Is This Thing Called
Love? » – sous forme de rhapsodie très ludique (« C Scale Warm
Up »). Ensuite, « What Is This Thing Called Love? » est à peine
caressée, avec beaucoup de sensualité. Et puis, comme dans une partie d’échecs,
Pilc varie les positions en fonction du développement du jeu : « Cole »
oscille entre blues et musique classique du vingtième, avec des rebondissements
qui rappellent évidemment Solal ; dans « Dawn », l’ostinato qui
accompagne la mélodie nostalgique laisse bientôt sa place à un riff de tango ;
« Walk » revient au blues et débouche logiquement sur « Run »,
construit sur un mouvement rapide de la main droite soutenu par une main gauche
en walking, encore très Solal ; avec ses ruptures et dissonances, « Glide »
se rapproche davantage de Thelonious
Monk ; « Look » est également un blues, mais avec des
accents pop, un peu comme chez Keith
Jarrett ; comme son titre l’indique, « Cross » est un jeu d’arpèges
croisés entre le grave et l’aigu, sur un motif de trois notes ; « Giant »
est désarticulé ; « Time », une longue phrase mélodieuse jouée
rubato, lorgne vers le romantisme ; « Prelude » est plutôt dans l’esprit
de Sergei Rachmaninov ; « Duet »
est un duo à l’unisson du piano et du sifflement, autre spécialité de
Pilc ; « Vox » est construit sur un développement de trémolos ;
des notes isolés s’abattent sur des lignes arpégées fuyantes, comme des « Waves »… ;
dans « Martial », Pilc swingue joyeusement et parsème son propos de
citations (La Marche Turque, « Autumn
Leaves »…), un clin d’œil à Solal, plein d’humour ; le minimalisme bluesy
de « Duke » s’inscrit dans la lignée de The Duke Plays Ellington (1953) ; « Factor » revient
sur « What Is This Thing Called Love? » par petites touches
délicates ; « More » poursuit « Factor », mais sur un
mode déstructuré ; le phrasé bop véloce et la walking de « Quick »
rappellent la version de « What Is This Thing Called Love? » jouée
par Jarrett dans Whisper Not (2000) ;
« Odd » est heurté, un peu dans un style honky tonk ; « Grace »
est d’un raffinement mélodieux rare, accentué par le touché et la sonorité
limpides du pianiste ; « Float » se base sur un balancier grave
et une cavalcade dans les aigus ; « High » plante un décor
sombre, avec un ostinato de la main droite et des accords puissants de la
gauche ; « Ode » regarde du côté de la musique du vingtième ;
« Chimes » est une série de crépitements cristallins ; « Dance »,
une comptine qui swingue ; « Elegy » s’inspire avec beaucoup
d’élégance du Requiem de Gabriel Fauré ; dans « Bells »,
une note – la cloche – alterne avec la mélodie, légèrement dissonante et pimentée
d’accents orientaux, un peu à la Claude
Debussy ; comme il se doit, « Swing » balance sur une
walking entraînante ; « Now You Know What Love Is » est une
conclusion logique et paisible sous forme de ballade…
Pilc ne perd pas son temps en verbiage inutile et ses
morceaux, concis et denses, vont droit au but. What Is This Thing
Called? pétille de
malice !
Le disque
What Is This Thing
Called?
Jean-Michel Pilc
Jean-Michel Pilc (p)
Naïve / Sunnyside – SSC1349
Sortie en février 2015
Liste des morceaux
01. « C
Scale Warm Up » (3:41).
02. « What
Is This Thing Called Love », Cole Porter (1:20).
03. « Cole
» (4:01).
04. « Dawn
» (4:24).
05. « Walk
» (1:20).
06. « Run »
(0:44).
07. « Glide
» (0:51).
08. « Look
» (1:36).
09. « Cross
» (2:03).
10. « Giant
» (1:16).
11. « Time
» (1:42).
12. « Prelude
» (5:22).
13. « Duet » (1:05).
14. « Vox » (1:40).
15. « Waves » (2:06).
16. « Martial » (1:39).
17. « Duke » (3:05).
18. « Factor
» (1:23).
19. « More
» (0:51).
20. « Quick
» (0:34).
21. « Odd »
(3:33).
22. « Grace
» (3:38).
23. « Float
» (1:38).
24. « High
» (3:48).
25. « Ode »
(3:02).
26. « Chimes
» (0:30).
27. « Dance
» (0:39).
28. « Elegy
» (0:58).
29. « Bells
» (2:05).
30. « Swing
» (0:58).
31. « Now
You Know What Love Is » (6:35).
Tous les morceaux sont signés Pilc sauf indication
contraire.