30 avril 2015

Le bloc des notes : Elina Duni, Andy Sheppard

Dallëndyshe
Elina Duni Quartet
ECM – 470 9282

La chanteuse suisse d’origine albanaise Elina Duni crée son quartet en 2005, avec Colin Vallon au piano, Patrice Moret à la contrebasse (qui a remplacé Lukas Traxel) et Norbert Pfammatter à la batterie. L’Elina Duni Quartet sort Baresha (2008) et Lume Lume (2010) chez Meta Records, puis Matanë Malit (2012) et Dallëndyshe chez ECM.

Dans Dallëndyshe, Duni continue sa relecture du répertoire traditionnel avec douze chansons tirées du folklore albanais, mais aussi de la diaspora albanaise avec des chants arbëresh d’Italie et arvanites de Grèce, ainsi qu’un titre signé Isak Muçolli.

Les chansons folkloriques (« Bukuroshe »), rythmées (« Ti ri ti ti klarinatë ») et teintées d’accents moyen-orientaux (« Ylberin ») ou de glissando (« Kur të pash+e »), apportent une touche de couleur dans l’atmosphère plutôt sombre de Dallëndyshe – il est vrai que l’exil, thème du disque, se prête davantage au drame qu’au comique... Timbre velouté (« Delja rude ») et doux (« Dallëndyshe »), parfois aérien (« Sytë »), avec les intonations si typiques de la musique des balkans (« Unë në kodër, ti në kodër »), la voix de Duni est incontestablement séduisante. Réfléchie et profonde, elle évoque des chants religieux (« Dallëndyshe »),  des incantations (« Nënë moj »), des berceuse (« Unë do të vete »)… Le jeu de piano lyrique (« Delja rude ») et fringant (« Fellënza ») de Vallon met d’autant plus en relief le chant de Duni, qu’il sait glisser avec habileté des effets rythmiques – ostinato dans « Sytë », ligne minimaliste dans « Ylberin », contre-chants dans « Bukuroshe » – et sonores – piano préparé (« Unë në kodër, ti në kodër »), jeu dans les cordes (« Nënë moj »)… Quant à Moret et Pfammatter, ils forment une section rythmique élégante (« Unë do të vete ») et discrète (« Sytë »), souple (« Fellënza ») ou emphatique (« Kur të pashë »), mais toujours subtile, à l’instar de la pédale de contrebasse dans « Kur të pashë » et des contrepoints rythmiques de la batterie de « Taksirat ».

L’Elina Duni Quartet poursuit son exploration du folklore albanais sous le prisme d’un jazz world raffiné.


Surrounded by Sea
Andy Sheppard Quartet
ECM – 471 4273


En 2008 Andy Sheppard monte le Trio Libero en compagnie de Michel Benita à la contrebasse et Sebastian Rochford à la batterie. Ils sortent un album éponyme en 2011. Pour Surrounded By Sea, leur deuxième opus, toujours chez ECM, Sheppard invite le guitariste Eivind Aarset (déà présent sur Movements In Colour) et transforme ainsi le trio en quartet.

Le canevas de Surrounded By Sea est une chanson traditionnelle gaélique, « Aoidh, Na Dean Cadal Idir, Part I », dont le quartet donne trois interprétations. « I Want To Vanish » d’Elvis Costello figure également au répertoire. Par ailleurs Sheppard propose cinq morceaux, Benita apporte « A Letter », ils co signent « Tipping Point » et Rochford a composé « They Aren’t Perfect And Neither Am I ».

La sonorité profonde et douce de Sheppard au saxophone ténor sert à merveille les chants langoureux (« Tipping Point »), intimes (« Aoidh, Na Dean Cadal Idir, Part I ») ou dissonants (« Looking For Ornette », hommage à Ornette Coleman), et un zeste de réverbération souligne délicatement les lignes mélodiques (« They Aren’t Perfect And Neither Am I »). Même constat quand Sheppard passe au soprano : son timbre soyeux et élégant met en relief les ballades (« I Want To Vanish »), les morceaux paisibles (« A Letter ») et autres thèmes aériens (« Aoidh, Na Dean Cadal Idir, Part I »). Les mouvements d’ensemble majestueux (« I See Your Eyes Before Me »), les mélodies incantatoires (« Origin Of Species ») et les ambiances solennelles (« Tipping Point ») rappellent l’esprit de Charles Lloyd. Benita adapte son jeu à cette atmosphère méditative : lignes minimalistes (« Medication »), motifs agiles et sinueux (« Origin Of Spieces »), phrases mélodieuses (« A Letter »), riffs à l’archet (« Aoidh, Na Dean Cadal Idir, Part II »), contrechants raffinés (« The Impossibility Of Silence »)… Rochford joue avec une légèreté, souvent foisonnante («  Looking For Ornette »), mais toujours entraînante (comme les shuffle de « Medication »). Les interactions entre Sheppard, Benita et Rochford sont fignolées, à l’instar du trilogue de « I See Your Eyes Before Me ». La guitare d’Aarset est constamment en arrière-plan avec des accords et des notes tenues lointains (« Tipping Point »), un peu comme les nappes de sons d’un synthétiseur (« Origin Of Species »).

Surrounded by Sea est un disque mélodieux, calme, sophistiqué… dans lequel Sheppard et ses compagnons s’intéressent davantage à la cohérence des décors qu’à la mise en avant des acteurs.