27 décembre 2023

A la découverte de Pierre-Antoine Savoyat

Compositeur, arrangeur, chef d’orchestre, trompettiste, bugliste… aussi bien accompagnateur que Leader, du jazz à la musique classique, en passant par les Brass Band, de Villefranche-sur-Saône à Bruxelles... La vie artistique de Pierre-Anatoine Savoyat est tumultueuse et mérite qu’on parte à sa découverte...


La musique

Encore enfant, je veux faire comme mes sœurs : les classes à horaires aménagées à Villefranche-sur-Saône. Mais je n’arrête pas de changer d’instruments… D’abord le piano, puis la batterie et, lors des auditions, je déclare que je veux jouer de la guitare électrique ! De fil en aiguille mon choix se rapproche de plus en plus d’un cuivre. Je crois que j’avais besoin d’un instrument sonore, pour compenser une certaine timidité, et qu’on puisse m’entendre. Finalement je choisis le trombone, mais le professeur n’était pas disponible… Je me retrouve donc à suivre ma sœur aînée et à jouer de la trompette ! Cela dit, ma volonté de jouer du trombone est probablement restée dans un coin de ma tête, car je joue aussi du bugle !

A sept ans, je commence le cornet à piston au Conservatoire de Villefranche-sur-Saône. A l’époque, c’est le passage obligé avant de jouer de la trompette. Très vite, je prends également des cours de piano. J’ai eu la chance d’être dans un conservatoire assez novateur qui m’a permis de suivre un parcours plutôt atypique. A côté de ma formation classique, je cherche déjà d’autres moyens d’expression plus singuliers. A dix ans, je m’inscrit dans l’atelier d’improvisation libre du Conservatoire. Deux mois après, c’est le baptême du feu : nous partageons la scène avec Jacques Di Donato. A partir de là, s’inscrire dans l’atelier jazz du Conservatoire est d’autant plus une évidence que notre professeur, Georges Aubert, a eu la bonne idée de nous ouvrir à des styles très différents dés notre première année. Je crois que je me suis rapproché du jazz car c’est une source de liberté : quel que soit le contexte musical, je cherche toujours à trouver une part de liberté dans ce que je fais. Au Conservatoire, j’en profite pour suivre beaucoup d’options, des classes de jazz et d’improvisation libre, dont nous avons parlées, jusqu’aux ateliers de Musique Assistée par Ordinateur, de Musiques Actuelles et de Composition. Ce qui me permet de participer à de nombreux projets… Tout cela a vraiment développé ma curiosité !

Pierre-Antoine Savoyat © Michel Sadowski 

 

Quand je rentre au lycée, je rejoins les cours de trompette classique et d’écriture du Conservatoire de Lyon, et j’y suis le cursus Techniques de la Musique et de la Danse pendant trois ans. En parallèle, je continue le jazz au Conservatoire de Villefranche-sur-Saône, où il y a désormais un vrai département jazz avec l’arrivée, entre autres, de Christophe Metra et David Bressat. Pour moi, à cette époque, le jazz est surtout un moyen de décompresser. Après mon baccalauréat TMD, j’intègre le Conservatoire de Chalon-sur-Saône, dans les classes de trompette classique et direction d’orchestre, qui est mon projet de carrière... Ce Conservatoire ressemblait beaucoup à celui de Villefranche-sur-Saône et était aussi ouvert : je me suis même mis à l’orgue pendant quelques années ! Je passe donc mon Diplôme d’Etudes Musicales en trompette classique et direction d’orchestre. A cette période, rapidement, je noue des liens avec les étudiants du département jazz. Je jamme avec eux toutes les semaines. Cest à ce moment que j’ai rencontré Timothée Quost, Etienne Renard, Clément Merienne... pour ne citer qu’eux !

Olivier Py, directeur du département jazz, m’encourage à développer cette voie. J’ai donc également passé un DEM en jazz ! Moins convaincu par la carrière de direction d’orchestre, je tente alors le concours du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris en jazz, mais je joue tellement mal pendant l’audition que, si j’y avais été, j’aurais cassé la réputation des élève de Chalon-sur-Saône qui y rentrent… (Rires). Avec du recul, même si j’avais mieux joué, je n’y serais peut-être pas entré, surtout pas après avoir découvert Bruxelles et réussi l’examen du Koninklijke Conservatorium Brussels (KCB). C’est un mal pour un bien ! A l’époque, j’ai besoin de sortir de France, découvrir d’autres horizons, d’autres manières de penser et… de pratiquer l’anglais ! En 2016, je commence donc mon cursus, en anglais ;-) , au KCB. J’ai la chance d’y rencontrer des musiciens importants comme Thomas Mayade et Jean-Paul Estiévenart, mes professeurs de trompette, John Ruocco, Stéphane Galland - je joue aujourd’hui dans son nouveau sextet, The Rhythm Hunters - et, surtout, Diederik Wissels, qui est probablement l’un des mentors les plus inspirants que j’ai jamais rencontré. J’ai également fait un échange avec la Haute École de Musique de Lausanne pour travailler avec Matthieu Michel et Emil Spányi. En 2021, après avoir obtenu mon Master, je décide de rester à Bruxelles, pour profiter de la vitalité de sa scène culturelle. Sinon, à côté de ma carrière de musicien de jazz, j’ai aussi une carrière de compositeur de musique classique qui s’étoffe...

Au titre des influences, dans le jazz et les musiques improvisés, le premier nom qui me vient à l’esprit c’est celui du trompettiste Ambrose Akinmusire. Même si mon but n’est évidemment pas de devenir sa copie, il est le musicien auquel j’aimerais un peu ressembler sur certains aspects. Il faut dire que c’est en l’écoutant que j’ai décidé de changer de trajectoire, tant sur l’instrument que sur le reste de ma musique. Parmi les autres trompettistes, je citerais Tom Harrell, Freddie Hubbard, Lester Bowie... et des européens : Arve Henriksen, Michel, Estiévenart et Rémi Gaudillatqui est aussi originaire de Villefranche-sur-Saône... En dehors des trompettistes, je mentionnerais Wayne Shorter, Albert Ayler, John Coltrane, Carla Bley, Paul Bley, Lee Konitz, Alexandra Grimal, Wissels, sans oublier Denis Badault, que j’ai rencontré à l’Orchestre des Jeunes de l’Orchestre National de Jazz, et que j’aurais aimé connaître d’avantage. Denis était quelqu’un de tellement inspiré, dans et en dehors de la musique ! Il encourageait tous les musiciens qu’il côtoyait...

Hors jazz, je nommerais Leonard Bernstein, Gustav Malher, Igor Stravinsky, Olivier Messiaen, mais aussi Björk, Jacques Brel, Metallica, Queen… mais la liste est encore longue ! Sans compter, bien sûr, tous les musiciens que je fréquente au quotidien, surtout depuis que j’habite à Bruxelles.

Pierre-Antoine Savoyat © Michel Sadowski 


Cinq clés pour le jazz

Quest-ce que le jazz ? J’ai combien de temps pour répondre à cette question ? (rires) En fait, ma position vis à vis du terme et de sa définition est complexe. Pendant un moment je cherchais à être reconnu comme « musicien de jazz ». Mais plus j’avance dans cette musique, moins je cherche cette case ! Si nous revenons sur l’histoire du jazz, il n’y a aucun consensus sur sa définition, ni même sur le mot. Depuis toujours, de nombreux artistes remettent en question ce mot. Miles Davis disait lui-même : « lorsque j’entends le mot jazz, j’ai l’impression d’entendre le mot nègre ». Il rajoutait qu’il faisait de la Social-Music, « de la musique qui flotte dans l’air »... Beaucoup de musiciens revendiquent le terme « Black American Music », sans doute parce qu’aujourd’hui, la paternité de cette musique, qui vient de la population Noire Américaine, n’est pas encore assez reconnue. Alors, pour moi, Européen, dont la formation et les influences sont très « Blanches Européennes », j’aurais un peu du mal à dire que je joue de la « Black American Music » ! Finalement, ce n’est pas à moi de juger… Mais, dans la lignée des travaux d’Edouard Glissant, j’aime bien dire que je fais de la musique « Créole Européenne », ou « Créolisée Européenne »... Ça veut dire que c’est une musique créée en Europe, avec des racines multiples, mais principalement la musique Noire Américaine.

Sinon, j’aime bien ce que disait Grégoire Gensse à ce sujet : « Il y a aujourd’hui un débat un peu malsain autour de la notion de jazz qui me fout vraiment en rogne, car en fait, on en oublie les valeurs essentielles de cette musique et de comment elle est apparue. C’est avant tout un langage de survie artistique, inventé par les Noirs qui se retrouvent esclaves en Amérique à cueillir du coton ou construire des voies ferrées et qui s’en sortent grâce à cette musique, ce blues, ce jazz, ce cri de la vie… Voilà ce dont je me préoccupe aujourd’hui quand je joue, j’essaye tant bien que mal et avec mes moyens de prolonger ce message, certains le font avec des chabadas recyclés dans des hôtels 5 étoiles, d’autres mettent les mains dans le cambouis et s’ouvrent un peu plus les tripes pour aller chercher au fond la sincérité de leur propos musical ».

Pourquoi la passion du jazz ? Je crois que ce qui nous réunit tous, c’est cette spontanéité, cet imprévu et cette énergie, propres à cette musique. Le fait que chaque concert puisse être complètement diffèrent l’un de l’autre. C’est aussi une source d’adrénaline ! Parfois la musique est superbe, alors que ce n’est pas notre meilleur jour avec l’instrument, parfois c’est l’inverse...

Où écouter du jazz ? On peut en écouter partout et dans plein de circonstances, bien sûr, mais cette musique s’écoute d’abord en club, dans des bars... ces lieux intimistes, où il y a également des gens qui s’y retrouvent alors qu’ils n’écoutent pas forcément cette musique chez eux. Si, un jour, cette musique ne peut plus s’écouter que dans des grandes salles, nous aurons probablement perdu une certaine saveur…

Comment découvrir le jazz ? En l’écoutant dans les clubs ! Avec des gens que vous connaissez, ou même seul... Mais, autant que possible, dans un contexte où les musiciens sont proches de vous. Et, pour ceux qui aiment danser, s’initier au Lindy Hop peut être une superbe porte d’entrée dans ce monde !

Une anecdote autour du jazz ? Il y a quelques années, à Bruxelles, j’organisais des jam-sessions dans un bar, le Muntpunt. Un soir, James Farm, le quartet de Joshua Redman avec Aaron Parks, Matt Penman et Eric Harland, joue au Bozar, cinq minutes à pieds du Muntpunt, J’envoie un message Facebook à Aaron, et il arrive avec Matt et Eric. C’était fou ! Il est très naturel, demande comment fonctionne la jam et s’il peut jouer ! Mais, surtout, au moment où je vais le voir, un musicien qui ne l’a pas reconnu lui demande s’il est musicien et de quel instrument il joue... Ce à quoi Aaron répond très humblement qu’il joue du piano !


Le portrait chinois

Si j’étais un animal, je serais un koala,

Si j’étais une fleur, je serais une tulipe,

Si j’étais un fruit, je serais une banane

Si j’étais une boisson, je serais un Côte de Beaune de cinq ans d’âge,

Si j’étais un plat, je serais des ravioles de Romans sur Isère,

Si j’étais une lettre, je serais P,

Si j’étais un mot, je serais liberté,

Si j’étais un chiffre, je serais 3,

Si j’étais une couleur, je serais jaune,

Si j’étais une note, je serais Si (mais ça fait Do# ou Réb à la trompette).


Les bonheurs et regrets musicaux

Je suis fier de ma petite carrière... Mais je pense que ce qui me rend le plus satisfait, c’est d’avoir pu, en plein Covid, jouer mon concert de Master, « People Suite », avec un orchestre de vingt musiciens sur scène ! Je crois que c’est le moment où je me suis le plus dévoilé aux autres, dans toute ma vulnérabilité. Je suis vraiment allé au bout de la chose et j’espère que j’aurais l’occasion de rejouer cette musique ! J’y travaille... Ce n’est peut-être pas ma plus belle réussite, mais, pour moi, c’est la plus importante.

J’aurais probablement dû montrer plus vite ma singularité dans cette musique que nous appelons « jazz ». Oser plus tôt ! Cela dit, avoir attendu m’a aussi permis de sortir mon premier disque en leader assez tard, à trente ans, mais d’en être tellement fier, que je sens que je pourrai encore en être fier dans quarante ans !


Sur l’île déserte

Quels disques ? Si nous devons n’en garder que trois, le choix est difficile… A Rift In Decorum: Live at the Village Vanguard d’Akinmusire, la Symphonie numéro 3 en ré mineur de Mahler, dirigé par Bernstein, et Sons of Love de Thomas de Pourquery, Supersonic, pour danser...

Quels livres ? La Part de l’autre d’Éric-Emmanuel Schmitt, Le Guide du voyageur galactique de Douglas Adams et Le peuple du blues de LeRoi Jones.

Quels films ? Les VirtuosesBrassed Off - de Mark Herman, L’Attaque des Titans, d’après le manga d’Hajime Isayama, et La belle verte de Coline Serreau.

Quelles peintures ? Des dessins et peintures de mes amis !

Quels loisirs ? La musique ! J’espère que j’ai au moins le droit de prendre ma trompette, sinon je chanterai ! Mais aussi les échecs, le badminton et un petit The Legend of Zelda: Ocarina of Time sur Nintendo 64...



Les projets

Je viens de sortir Memories from a Winter Journey, mon premier disque en leader, je travaille donc sur le développement de mon quartet, Le Monde merveilleux de Pepito. En tant que sideman, il y aura notamment la sortie de l’album du nouveau sextet de Galland, The Rhythm Hunters, dont j’ai la chance de faire partie. J’ai également quelques concerts avec Aka Moon dans une version réduite de Quality of Joy. Cet été, je serai aussi dans l’Orchestre des Jeunes de l’ONJ numéro 3 à Montpellier, pour rendre hommage à Badault, dans le cadre du festival Radio France.

Dans un autre registre, je vais arranger le nouvel album de La Sido, dédié à trois chanteuses et parolières françaises, insuffisamment défendues : Barbara, Colette Magny et Anne Sylvestre. A part ça, je vais diriger le Big Band de Chalon-sur-Saône avec Michel en soliste, dans un répertoire spécialement composé pour eux. Sans oublier des projets avec Q-Some Big Band, pour lequel j’écris les arrangements. Par ailleurs, j’ai deux commandes pour des ensembles classiques ! Et, le reste du temps, je dors ! (rires)


Trois vœux...

  1. Que nos réseaux soient plus inclusifs. Qu’ils intègrent tout le monde, indépendamment des différences, en tenant compte des minorités de genres et d’origines. Et que ces réseaux soient sincèrement plus bienveillants.

  2. Que les programmateurs, notamment des grands scènes et festivals, donnent leur chance à des artistes moins connus et plus locaux.

  3. Plus d’humanité dans ce monde… Nous en avons bien besoin !