Le 30 novembre 2023, Sophie Alour fait salle comble au New Morning pour présenter Le temps virtuose, sorti le 13 octobre 2023 chez Music From the Source. La saxophoniste (et flûtiste) se produit avec Pierre Perchaud à la guitare, Guillaume Latil au violoncelle et Anne Paceo à la batterie. Le programme du premier set reprend sept des onze morceaux du Temps virtuose, tous composés par Alour.
Le quartet démarre avec un ostinato cristallin du violoncelle, sur lequel le ténor et la guitare exposent « Tout nu », mélodie nonchalante, bercée par le vent des îles... La batterie ajoute ensuite son grain de sel et lance un mouvement poly-rythmique touffu, accompagné par les motifs superposés de la guitare et du violoncelle, pendant que le ténor développe des lignes fluides. « Des lendemains qui chantent » commence par des boucles de la guitare sur les grincements, vrombissements et autres stridences du violoncelle, avant que Latil ne déroule des traits aériens, quasiment tristes… Puis, sur les roulements nerveux de la batterie, saxophone et violoncelle énoncent le thème à l’unisson. Le développement repose sur les phrases ondoyantes du ténor, soulignées en contre-chant par le violoncelle et la guitare, suivi d’un chorus de Perchaud, d’inspiration bop, mêlé de touches contemporaines. Pour un hommage au « Caravan » de Duke Ellington, Alour a composé « Roulotte »… Perchaud joue d’abord en bottleneck, avec des accents bluesy et des « cliquetis ethniques », entre blue-grass et country. Latil reste sur des riffs graves, tandis que le drumming de Paceo est tout en puissance, avec des accents africains. Dans cette ambiance dansante, guitare et saxophone échangent des questions-réponses luxuriantes, parsemées de stop-chorus du ténor, à la Sonny Rollins, et d’envolées digne d’un shouter. C’est à la guitare acoustique que Perchaud entame « Petite anatomie d’un présent qui passe » – composition d’Alour dédiée à sa fille de six ans. La ballade se déploie en douceur, légère et enlevée, portée par les pizzicato solides du violoncelle, le balancement enjoué de la batterie, le chorus élégant et tourmenté de la guitare et le discours aérien bien senti du ténor, très Getzien. La batterie attaque « Musique pour messieurs » avec des roulements furieux ponctués de splash. Après un solo mélodieux, Paceo fait monter la tension, soutenue par Perchaud qui passe en mode rock, véloce et musclé, et Latil qui fait gronder son violoncelle. La rythmique maintient cette atmosphère jazz-rock, pendant qu’Alour et Perchaud se battent en duel sonore… Après cette « Musique pour Messieurs », virile, Alour s’amuse : la « Musique pour dames », charmante, lentement égrenée par la guitare et le violoncelle, rappelle presque un rondeau médiéval. Les contrepoints, la valse, les propos raffinés et le climat chambriste, tout en délicatesse, sans batterie, sont d’une élégance rare. L’introduction de « Sous tous les toits du monde » s’apparente à une comptine africaine, avec des sonorités de sanza et le tambour à main. La guitare fait quelques incursions dans l’univers manouche, avant de lancer à l’unisson avec la flûte un thème ethnique dansant. Alour s’en empare avec brio, sur une rythmique toujours plus dense, jusqu’au solo de Paceo, trapu et évocateur de l’Afrique. « Sous tous les toits du monde » brillent des notes et des rythmes radieux !
Alour, Perchaud, Latil et Paceo s’en donnent à cœur joie et cela s’entend : la musique bouillonne dans un tourbillon irrésistible et grisant...