09 décembre 2023

A la découverte de Simon Charrier

Clarinettiste dans le Dadèf Quartet depuis près d’une dizaine d’années, avec deux albums à la clé – Labyrinthe (2016) et Sonnerie (2019) – Simon Charrier sort un premier disque sous son nom en 2023, Champ de béton, belle occasion pour découvrir un musicien au parcours original...


La musique

J’ai cinq ans et je commence par jouer de la batterie dans l'école de musique de mon père. Mais je ne suis ni particulièrement passionné, ni très doué pour cet instrument… donc je passe assez rapidement à la clarinette, parce que, quand j’étais petit, j'avais découvert la clarinette avec le Temps des Gitans, sur une cassette audio que j'écoutais avec ma mère dans la voiture. Pourtant, au moment de choisir un instrument, j’ai demandé un saxophone, pour faire comme les copains... Mais ma mère m’a dit : « non, tu feras de la clarinette ». Depuis, je suis en psychothérapie… [rire]

Simon Charrier © DR
J’apprends d’abord l’instrument avec un professeur de saxophone passionné de Jazz. Quelques années après – j’ai onze ans – j’entre au conservatoire de Manosque, où je suis formé par un professeur de clarinette jusqu’à mes quinze ans. Ensuite, je déménage à Marseille et arrête la musique.

Après le baccalauréat, j'intègre la classe théâtre de la faculté d'Aix-en-Provence qui me permet de rencontrer la metteure en scène Laurence Janner, passionnée de cultures Tziganes. Alors que je joue dans l’un de ses spectacles sur la thématique des Tziganes, je ressors ma clarinette, et là tout s'enchaîne, j’ai vingt ans, je quitte la fac pour rallier la classe de clarinette du conservatoire de musique classique d'Aix-en-Provence pendant deux ans, puis je pars à Toulouse pour suivre le cursus classique du conservatoire jusqu'à… la non-obtention du Diplôme d’Etudes Musicales ! Ensuite, encore un hasard vraiment improbable : je rencontre les musiciens de Dadèf, un quartet de jazz qui cherche un clarinettiste. Je rejoins le projet avec un niveau musical bien en dessous de ce que demande la musique, mais les musiciens du quartet me donnent une chance et m’aident. Mon apprentissage du Jazz et, plus généralement, de la musique improvisée en groupe, s'est donc faites littéralement avec Dadèf Quartet, et en autodidacte.

En fait, c’est vers huit ou neuf ans que j’ai découvert le mot « Jazz » et ce qu’il recouvre, notamment les combinaisons de phases improvisées et écrites. Je jouais alors de la batterie dans l'orchestre de l'école de musique, dirigé par un saxophoniste passionné de Jazz, qui nous faisait interpréter des standards.

La deuxième découverte du Jazz, un véritable électrochoc, s’est faite à travers deux musiciens. J’ai autour de quatorze – quinze ans et je trouve une copie de CD sur le poste de la cuisine. Il y a écrit « clarinette » dessus, au feutre rouge. Je ne sais d’ailleurs toujours pas comment ce disque est arrivé là ! Je commence à l’écouter... C’est l’album Live in Krakow de David Krakauer. Il se passe alors quelque chose de brutal, d’indescriptible dans mon corps… Les mots me manquent encore ! Je n’avais jamais imaginé qu’on puisse jouer une musique comme celle-là avec une clarinette. C’est le déclic : je sais que veux faire ça, jouer comme ça, avec autant de sincérité… Raconter la colère et la joie de cette manière. Quant au deuxième musicien, c’est également via un disque que j’ai découvert Steve Coleman and The Metrics : The Way Of The Cipher. J’ai seize ou dix-sept ans et c'est la première fois que j'écoute cet artiste, qui est l’un des plus grands saxophonistes que je n’ai jamais entendu. Il y a tout dans son jeu : le son, d'une maîtrise et d'une souplesse déconcertantes, une mise en place rythmique hors du commun, et, au-delà de ces qualités, sa musique est magnifique. En dehors de Krakauer et Coleman, Denis Badault est le troisième musicien qui m’a le plus influencé. Chacun, à une période différente.


Quatre clés pour le jazz

Qu’est-ce que le jazz ? Une aventure humaine, dans laquelle la confiance des uns dans les autres repose sur l'ensemble du collectif. Le jazz est un instant impossible à reproduire, une quête impossible à atteindre.

Pourquoi la passion du jazz ? L'improvisation et la liberté d'expression ! La beauté et la fragilité d’un instant, que peuvent ou ne peuvent pas saisir un ensemble de musiciens. Une musique qui repose sur le collectif. Et puis, j'aime son histoire, sa source, ses racines... Pour avoir beaucoup joué de musiques tziganes et klezmer, des musiques qui peuvent sembler plutôt éloignées les unes des autres, je trouve que nous y retrouvons les mêmes cris, revendications et lamentations.

Où écouter du jazz ? Le Taquin à Toulouse !

Comment découvrir le jazz ? Lire des livres : La rage de vivre de Mezz Mezzrow, Free Jazz, Black Power de Jean-Louis Comolli et Philippe Carles, Monk de Laurent de Wilde...


Le portrait chinois

Si j’étais un animal, je serais un chamois,
Si j’étais une fleur, je serais de la lavande,
Si j’étais un fruit, je serais une prune,
Si j’étais une boisson, je serais de l'eau,
Si j’étais un plat, je serais un couscous bien épicé,
Si j’étais une lettre, je serais un O,
Si j’étais un mot, je serais partage,
Si j’étais un chiffre, je serais un 8,
Si j’étais une couleur, je serais rouge,
Si j’étais une note, je serais un Mib.


Les bonheurs et regrets musicaux

Je ne parlerais pas vraiment de réussite, ou peut-être le fait de réussir à écrire de la musique, élément fondamental dans la recherche de soi. Sinon, un instant de bonheur, c’est la rencontre avec Krakauer à l'issue d'un concert. Il est venu me féliciter et me dire que la musique avait surgi au moment de mon solo de clarinette. C'est toujours important dans son parcours musical d’avoir le retour positif d'un musicien aussi important que Krakauer… Mais je regrette de n’avoir pas eu le temps de dire merci à Badault.



Sur l’île déserte…

Quels disques ? The Way Of The Cipher, Le Sacre du printemps d’Igor Stravinsky et Le silence de l'exode de Yom.

Quels livres ? La mémoire des vaincus de Michel Ragon.

Quels films ? Latcho Drom de Tony Gatlif.

Quels loisirs ? La plongée en apnée...


Les projets

Les projets ne manquent pas ! D’abord, l’écriture du deuxième répertoire pour le quintet Aram. puis celui d'un duo clarinette – contrebasse. Ensuite, l’enregistrement du troisième album de Dadèf Quartet.

Il y a également un beau projet en gestation : la mise en musique de 77, un livre de Marin Fouqué, raconté par le parolier et rappeur Thomas Ranck, sur une bande son clarinette – guitare électrique.

Sinon, je travaille aussi sur un festival de musique qui verra le jour en 2024 ou 2025. Il se déroulera dans le Lot, en partenariat avec le parc naturel régional des Causses du Quercy et mettra en avant des projets artistiques et musicaux... en pleine forêt, au cœur du parc naturel !


Trois voeux…

1. Anéantissement des multinationales aux profits indécents, et destruction de l'oppression capitaliste sur l'ensemble du vivant.

2. Retour de la paix sociale : que chaque habitant de cette terre puisse vivre décemment, dans le bonheur, le respect d'autrui et de chaque être vivant sur cette planète.

3. Continuer à pratiquer collectivement, rencontrer, transmettre et écrire de la musique le plus objectivement possible, sans obstruction sociétales ou effets de mode.