30 juin 2024

Lapse – Oxyd

Formé en 2006 au sein du collectif Onze Heures Onze, Oxyd rassemble Olivier Laisney à la trompette, Julien Pontvianne au saxophone ténor, Alexandre Herer aux claviers, Olivier Degabriele à la basse et Thibault Perriard à la batterie. Dans les deux premiers disques du quintet – Onze Heures Onze (2009) et Oblivious (2011) – Matteo Bartone est à la basse, puis à partir de Plasticity, en 2013, Degabriele prend la relève. Depuis, Oxyd a enregistré Long Now en 2016 et The Lost Animals en 2019. Quant à Lapse, sixième album du quintet, il sort le 13 septembre 2024, toujours sur le label Onze Heures Onze.

Les neufs compositions sont signées Oxyd et leurs titres résonnent avec une certaine actualité : surpopulation, théorie de l’effondrement, temps incertain, espace, problème des trois corps, abandon, pic pétrolier, écliptique…

Thématique oblige, la plupart des morceaux se déroule dans des ambiances sombres (« Three Body Theory »), voir sépulcrales (« Overcrowding ») avec, parfois, des allures d’hymnes (« Blank »), d’airs jazz punk (« Modules oubliés ») ou de rock progressif (« Collapsology »). Degabriele et Perriard se montrent denses (« Blank ») et emphatiques (« Ecliptic »), et forment une paire rythmique puissante (« Three Body Theory ») dans une veine jazz-rock (« Peak Oil »). La basse est souvent sourde (« Collapsology ») et volontiers minimaliste (« Choir »), tandis que la batterie tonne furieusement (« Collapsology ») avec des frappes mates et sèches (« Overcrowding »). Les claviers d’Herer planent au-dessus de la mêlée (« Ecliptic »), plantent des décors touffus et mystérieux (« Peak Oil ») et tapissent l’arrière-plan d’effets dans un style musique contemporaine (« Choir »). Laisney et Pontvianne se complètent parfaitement (« Peak Oil »), tantôt à l’unisson (« Modules oubliés ») ou en contre-chants (« Blank »), tantôt par des superpositions de voix foisonnantes (« Collapsology ») ou des lignes aériennes empreintes de tristesse (« Three Body Theory »). Le quintet met en avant les mouvements d’ensemble (« Modules oubliés »), avec des développements très cinégéniques (« Three Body Theory ») et tendus (« Lapso »).

Lapse n’est certes pas joyeux et sans soucis, mais la musique d’Oxyd n’en reste pas moins intense et ensorcelante.

 
Le disque

Lapse

Oxyd
Julien Pontvianne (ts), Olivier Laisney (tp), Alexandre Herer (p, kbd), Oliver Degabriele (b) et Thibault Perriard (d).
Onze Heures Onze – ff
Sortie le 13 septembre 2024

Liste des morceaux

01. « Modules oubliés », Laisney (03:50).
02. « Overcrowding », Herer & Laisney (04:50).
03. « Collapsology », Herer (07:10).
04. « Lapso », Perriard (03:10).
05. « Blank », Herer (03:00).
06. « Three Body Theory », Pontvianne (04:50).
07. « Choir », Perriard (06:00).
08. « Peak Oil », Herer & Laisney (05:05).
09. « Ecliptic », Herer (03:55).

22 juin 2024

Gaga Gundul – Peemaï

Formé en 2007 à l’initiative d’Alfred Vilayleck, le Collectif Koa crée, produit et diffuse des projets autour du jazz et des musiques improvisées. Le collectif s’appuie sur une vingtaine d’artistes et compte six groupes, dont le quartet Peemaï, monté en 2016 par Vilayleck, avec Hugues Mayot au saxophone ténor, David Vilayleck à la guitare et Franck Vaillant à la batterie. Le quartet publie un premier disque éponyme en 2017, essentiellement inspiré du Laos. En 2019, avec Gilles Coronado à la guitare et Maxime Rouayroux à la batterie, Peemaï entame une collaboration avec Gayam 16. Ce collectif javanais de joueurs de gamelan a été créé en 1995 par Sapto Raharjo (décédé en 2009), notamment connu pour ses collaborations avec André Jaume (Borobudur Suite, Merapi) et Alex Grillo (Katak Katak Bertanggo).

Pour Gaga Gundul, sorti le 26 avril 2024, Peemaï croise ses notes avec Sudaryanto, Azis Rifkyanto, Bevy Hanteriska, Azied Dewa et Bagus Ryan, cinq virtuoses des métallophones (demung, peking ou saron), gongs (bonang), tambours (kendang) et autres flûtes (suling), qui constituent un gamelan. Sept compositions sont signées Peemaï et trois, Gayam 16. En dehors de « Khonsawan », district du nord-est de la Thaïlande, les titres des morceaux évoquent l’Indonésie – « Merapi’s Party » pour le volcan, tout comme « Deep In Kanteng », du nom de la caldeira du volcan Ijen, « Sarira » pour la ville et montagne du sud de Sulawesi – ou sont en bahasa : « Terbawa Arus » (emporté par le courant), « Kemrungsung » (anxieux), « Rampak » (vol),  « Sluku Love » (surnom Love), « Gaga Gundul » (le Géant Chauve) et « Gundul In Wonderland »...

Gaga Gundul est un véritable patchwork d’ambiances : de l’extrême-orient (« Merapi’s Party ») au smooth jazz (« Terbawa Arus ») en passant par le rock (« Kemrungsung »), le groove (« Khonsawan »), une cour de récréation (« Gaga Gundul »), un chant bouffon (« Rampak »), une fête joyeuse (« Deep In Kanteng ») ou un climat solennel (« Gundul In Wonderland »). Les mélodies sont le plus souvent harmonieuses (« Rampak »), voire éthérées (« Merapi’s Party »), sous forme de thème-riff (« Khonsawan »), d’air majestueux (« Gundul In Wonderland »), de comptine (« Sluku Love ») ou de ballade sirupeuse (« Terbawa Arus »). Ce qui n’empêche évidemment pas Gaga Gundul d’être entraînant du début à la fin. Tour à tour groovy (« Merapi’s Party »), touffue (« Khonsawan »), puissante (« Kemrungsung ») et dansante (« Deep In Kanteng »), la section rythmique foisonne (« Gundul in Wonderland ») et assure une pulsation imposante (« Deep In Kanteng »). Dans les développements, les boucles imbriquées (« Deep In Kanteng »), les ostinatos (« Merapi’s Party » ) et autres frappes tintinnabulantes (« Sarira ») du gamelan répondent aux phrases véloces du saxophone ténor (« Khonsawan ») et aux motifs noisy de la guitare (« Kemrungsung »). Mayot et Coronado virevoltent entre les lignes hypnotiques de Gayam 16, tandis que Vilayleck et Rouayroux enchaînent des traits rythmiques luxuriants (« Sarira »).

Le Géant Chauve de Peemaï et Gayam 16 est un guide parfait pour partir en voyage dans les poly-rythmes et mélodies asiatiques, sur fond de blues et de ses avatars.

Le disque

Gaga Gundul

Peemaï

Hugues Mayot (ts, kbd, voc), Gilles Coronado (g, voc), Alfred Vilayleck (b, voc) et Maxime Rouayroux (d, voc), avec Sudaryanto (fl, percu), Azis Rifkyanto (percu), Bevy Hanteriska (percu), Azied Dewa (percu) et Bagus Ryan (percu).
Collectif Koa – CK07
Sortie le 26 avril 2024

Liste des morceaux

01. « Merapi’s Party » (05:16).
02. « Khonsawan » (06:40).
03. « Sarira », Sudaryanto (05:14).
04. « Terbawa Arus », Azis Rifkyanto (04:23).
05. « Kemrungsung », Bevy Hanteriska  (05:41).
06. « Gaga Gundul » (07:36).
07. « Sluku Love » (03.22).
08. « Rampak » (05:28).
09. « Deep In Kanteng » (05:38).
10. « Gundul In Wonderland » (03:35).

Tous les morceaux sont signés Peemaï, sauf indication contraire.


08 juin 2024

AfuriKo à la bibliohèque Andrée Chedid

En 1968, les architectes Jean-Claude Jallat et Michel Proux se voient confier la réalisation d’un immeuble de cent quatre-vingt logements, « Le Village », sur la dalle du Front de Seine. Adossé au nord à la centrale de chauffage urbain, l’immeuble est aveugle sur cinq niveaux et l’aménageur propose à la Direction des Affaires Culturelles de la Ville de Paris d’y installer une bibliothèque. Le 3 mai 1974 la bibliothèque Beaugrenelle ouvre ses portes. Forte de ses deux mille cent mètres carrés, de sa salle de projection et de ses cabines d’écoute musicale, c’est l’une des premières médiathèques en France. Pôle musical depuis la fin des années quatre-vingt dix, elle est rebaptisée bibliothèque Andrée Chedid en 2012. 


Pourquoi cette longue introduction ? Parce que d’avril à juin 2024 la bibliothèque commémore son cinquantenaire et qu’elle célèbre son anniversaire le samedi 25 mai avec, entre autres festivités, un concert d’AfuriKo.

Voilà près de quinze ans que la percussionniste Akiko Horii et le claviériste Jim Funnell ont formé AfuriKo, dont le nom est tiré d’un jeu de mots japonais : « Afurika », Afrique, et « Ko », enfant. Le duo compte trois disques à son actif : On The Far Side (2014), Style (2016) et Tao (2019).

Au programme du concert : quatre compositions originales (« Kotejuga », « Afro-Samba Funk », « No One Knows Where Willy Goes » et « Sukunya ‘s Soukous »), « Kassai », chanson de Taiji Nakamura et Ou Yoshida, immortalisée en 1972 par Naomi Chiaki, et qui figure sur Tao, « Flor de Lis » du musicien brésilien Djavan, « Pismo ti e doshlo », un chant bulgare, et « Red Dragonfly », un arrangement de deux morceaux traditionnels du Japon et de Guinée, au répertoire de Style.

Afuriko - Jim Funnell & Akiko Horii (c) PLM

Inspiré du rythme Malinke éponyme, « Kotejuga » bondit du début à la fin ! Après un démarrage abrupt et dansant basé sur des percussions tintinnabulantes, la main droite swingue sur le piano, tandis que la main gauche joue une ligne de basse sourde sur un clavier midi et que la rythmique foisonne. « Afro-Samba Funk » est un thème-riff entraînant aux accents funky porté par des poly-rythmes fougueux et puissants. Pendant que Funnell déroule des motifs mélodico-rythmiques enjoués, Horii maintient le morceau sous pression avec ses frappes sur le cajón et le djembé, des pêches sur les congas, cymbales, carillon ou autre cowbells et le tintement des grelots-charleston. Afuriko interprète la ballade mélancolique « Kassai » dans un style comptine, mais les percussions restent exubérantes et le solo du piano rappelle ça-et-là Lennie Tristano. Changement de décor avec « Flor de Lis » : une mélodie chantante sur une rythmique chaloupée, agrémentée de variations typiques latin-jazz et de dialogues animés entre Horri et Funnell. Dédié à leur chat, souvent en vadrouille, « No One Knows Where Willy Goes » est quasiment figuratif et évoque les balades du chat, avec un thème circulaire qui s’appuie sur un ostinato et une cadence régulière, mais parsemée de splash et autres coups impromptus. Les riffs du piano et les envolées poly-rythmiques des percussions créent une ambiance intense. A « Pismo ti e doshlo », air folklorique touchant, succède un hymne quasiment romantique, « Red Dragonfly » ou « Aka Tombo » en japonais, hommage à la libellule rouge ! Une mélodie solennelle aux accents extrême-orientaux, soutenue par des percussions toujours dynamiques, laisse place à des lignes aux couleurs bluesy et funky encadrées par une rythmique énergique. « Sukunya’s Soukous » s’inspire à la fois du mythe de la sorcière Sukunya de Trinidad et Tobago et de la danse congolaise. Pendant que les mains d’Horii virevoltent sur les peaux et les cymbales dans un feu d’artifice de rythmes, Funnell développe des phrases joyeuses et légères, aux parfums des Caraïbes...

Pittoresque, gaie et dansante, la musique d’Afuriko a enflammé le public venu en nombre fêter l’anniversaire de la bibliothèque Andrée Chedid.