01 novembre 2025

Portraits au Studio de l'Ermitage - Jean-Marie Machado

A l'occasion des trente ans de la compagnie Cantabile, Jean-Marie Machado propose une série de portraits au Studio de l'Ermitage les 14, 15 et 16 octobre 2025. Les trois soirées sont organisées autour de deux concerts par soirée : un des projets de Machado et une scène ouverte à des musiciens amis.

Le 14 octobre commence par La saga des vagues, le duo de Machado et Keyvan Chemirani, suivi du trio Ornicar, avec Joachim Machado, Renan Richard et Côme Huveline. Le 15 octobre verra le duo de Séverine Morfin et Malik Ziad précéder le Machado Novo Trio, avec Machado, ClaudeTchamitchian et Ze Luis Nascimento. Quant au 16 octobre, il démarre avec Back on the Block, le duo de Pauline Bartissol et Jean-Charles Richard, avant Cantos Brujos, projet de l'orchestre Danzas avec Ana Pérez.


Mardi 14 octobre 2025

 

La saga des vagues
Jean-Marie Machado & Keyvan Chemirani 

Depuis 2017 et la sortie d'Impulse Songs, les chemins de Machado et Chemirani se sont souvent croisés, notamment dans Majakka, projet créé en 2020 par Machado, avec Jean-Charles Richard et Vincent Segal. En 2025, les deux musiciens se retrouvent autour d'un projet en duo : La saga des vagues.

Jean-Marie Machado & Keyvan Chemirani – Studio de l’Ermitage – 14 octobre 2025 © PLM

« Le pays des orages » évoque la région de Darjeeling, fameuse pour ses thés. Chemirani navigue entre zarb et autres percussions pour maintenir des poly-rythmes entraînants, tandis que Machado développe le thème-riff avec un lyrisme musclé, teinté de touches andalouses. « Un niño en la calle » était déjà au programme de Takiya ! Tokaya !, disque co-publié en 1997 avec Jean-Marc Padovani, en compagnie de Jean-François Jenny-Clark et Paul Motian, mais aussi de Caminando, album en duo avec David Liebman, sorti en 2008. Des ostinatos accompagnent l’exposition de cet air aux accents latinos, soutenus par des rythmes foisonnants. Le piano intercale ensuite des phrases rubatos d’allures romantiques, soulignées par les percussions, vives et légères. Chemirani troque le zarb pour le santour et demande en rigolant que les éclairages rougeoyants soient changés car il ne distingue plus les quelques soixante-douze cordes de l’instrument ! La sonorité aiguë, métallique et cristalline du santour et les cordes du piano donnent une couleur indienne au morceau. Les échanges entre les deux musiciens sont intenses, portés par des questions-réponses, unissons, riffs, ostinatos et autres motifs mélodico-rythmiques. Les ondulations de « Pluie blanche », sur des percussions luxuriantes, débouchent sur une version néo-bop dynamique de « Nardis ». « Le réveil de l’Indien » est une référence au pic de Bure, dans le massif de Dévoluy, dont la forme ressemble à un Indien couché… Vu l’énergie impressionnante du chorus de Chemirani et les contre-chants rythmiques de Machado, il n’est pas étonnant que l’Indien se soit réveillé ! C’est plutôt du côté de la musique contemporaine que lorgne « La lune des étonnements » : le jeu minimaliste, dissonant et tendu du piano est ponctué de frottements, cliquetis, frappes éparses et sonnailles des percussions. Pour conclure le set, le duo interprète « Retreat Poetry ». Une rythmique sèche, nerveuse et dense accompagne un piano qui, au gré des tableaux, se montre tantôt joueur (Erik Satie n’est pas si loin) tantôt lyrique.

Machado et Chemirani surfent sur des vagues mélodiques et rythmiques plus grisantes les unes que les autres...

 

Ornicar
Joachim Machado, Renan Richard et Côme Huveline 

Emanation du Bissap Sextet créé par le saxophoniste baryton Renan Richard-Kobel, Ornicar est un Power Trio monté en 2016 avec Joachim Machado à la guitare électrique et Côme Huveline à la batterie. Leur premier album, Maëlstrom, est sorti en janvier 2020.

Renan Richard-Kobel, Côme Huveline & Joachim Machado – Studio de l’Ermitage – 14 octobre 2025 © PLM

Dès le premier morceau le ton est donné : une batterie puissante et véloce, une guitare entre ostinato et accords planants et un saxophone baryton qui alterne lignes mélodiques et effets lointains réverbérés. Ornicar joue dans la cour des jazz-rockeurs. Le deuxième morceau enfonce encore davantage le clou car Huveline passe aux pads, encore plus sourds, Machado plaque des effets électro spatiaux, tandis que, en arrière-plan, Richard déroule des nappes de sons digne d’un orgue. Après une introduction tonitruante de la batterie sur une pédale du baryton, la guitare expose « Ficus », un thème-riff, souligné par le contre-chant du saxophone et qui débouche sur un slow. Puis, poussé par les frappes binaires d’Huveline et les lignes de basse de Richard, Machado part dans un chorus de Guitar Hero dans une veine Metal. Dans le quatrième morceau, sur une rythmique toujours puissante et une guitare aérienne, le baryton développe une mélodie simple dans un style plus jazz, fluide et mélodieux. « La pierre contre la vitre » se déroule en trois tableaux : le premier dans un esprit slow-rock avec des effets électro rêveurs sur une batterie vigoureuse, le deuxième plutôt dans un style électro-rock, avant un troisième mouvement minimaliste. Des ostinatos de la guitare et des pédales du baryton accompagnent les furies de la batterie qui propulse « Spread » dans les limbes du rock progressif, avec Machado une nouvelle fois en Guitar Hero. Après un démarrage dans une atmosphère éthérée avec des phrases dépouillées, le septième morceau retrouve les chemins du rock alternatif, porté par les frappes luxuriantes d’Huveline et les contrepoints élégants de Machado et Richard. « IA » est dense, voire brutal – notamment le solo final d’Huveline. Le baryton joue des lignes intenses sur une batterie poly-rythmique entraînante et des épures mélodieuses de la guitare.

Pour le bis, le trio invite Machado et ils reprennent « Um Vento Leve », air inspiré par Fernando Pessoa et au programme de Majakka. Ornicar abandonne son jazz ascendant rock pour un jazz moderne. La batterie, rassérénée, maintient une carrure imperturbable, le piano, raffiné, alterne accompagnements mélodiques et rythmiques, la guitare, adoucie, s’envole ça-et-là sur des effets électro et le saxophone soprano illumine le morceau de ses volutes délicates.

Qu’elle soit jazz-rock prog ou jazz-électro-rock, la musique d’Ornicar est musclée, et ce n’est pas de la gonflette !


Mercredi 15 octobre 2025

Séverine Morfin et Malik Ziad 

Séverine Morfin – alto – et Malik Ziad – mandole, guembri et banjo – se sont rencontrés lors d'une tournée du chanteur Piers Faccini. En 2024 ils décident de monter un projet ensemble, dans lequel ils piochent le répertoire du set.

Séverine Morfin & Malik Ziad – Studio de l’Ermitage – 15 octobre 2025 © PLM

La mélodie douce et cristallines aux modulations moyen-orientales exposée par le mandole et mise en relief par le bourdon de l’alto plante le décor. Morfin accompagne ensuite avec un pizzicato enlevé les motifs dansants de Ziad. Quand c’est au tour de l’altiste de prendre son chorus, les accords du mandole soulignent le discours de l’alto. Le final est une suite de contrepoints entraînants. Le duo enchaîne sur un tableau mystérieux, triolets de l’alto et ligne minimaliste du mandole, qui monte en puissance avec un bel effet théâtral. Dans « Raphaelle », Ziad change de tabouret – il glissait sur la banquette piano – et passe au guembri, dont la sonorité rappelle un mélange de guitare basse acoustique et de contrebasse. Le riff grave et groovy de Ziad soutient une mélodie solennelle étirée par l’archet de Morfin. Après un dialogue rythmique pimenté, le morceau s’achève presque dans une ambiance de dance-floor ! La belle et sobre « Lisière » démarre sur deux riffs croisés, puis part sur une ligne mélodique gracieuse, développée au mandole et ponctuée par les ostinatos de l’alto. Retour au guembri et au pizzicato pour une ronde entraînante au parfum médiéval. La ligne de basse minimaliste et le thème en suspension évoluent crescendo, alto en doubles cordes et riff puissant du guembri, jusqu’au final dansant, aux accents moyen-orientaux, renforcés par le chant de Ziad. Le set se conclut avec le bien nommé « Rituel », composition de Ziad, au répertoire du concert des Instruments Migrateurs le 3 avril 2025 au Comptoir Halle Roublot, avec Joce Mienniel et Vincent Peirani. Sur un air moyen-oriental particulièrement accrocheur, Morfin alterne ronde dansante et envolées débridées, tandis que Ziad jongle avec les maqâm au mandole et au chant, avec des modulations typiquement arabo-andalouses.

Enjoué, vif et sincère, le duo Morfin – Ziad propose un alliage de Moyen-Orient, folklore et jazz qui appelle au voyage !


Como as flores
Machado Novo Trio

Machado et le trio, ce n'est pas une nouvelle aventure : en 1988 le pianiste enregistre son premier disque, Father Songs, en trio avec François et Louis Moutin. Disque qui sera suivi de Kah ! Pob ! Wah ! en 1989, puis Séquence Thmiryque en 1993. En 2007, Machado réitère l'expérience avec Jean Philippe Viret et Jacques Mahieux pour Sœurs de sang. Huit ans plus tard, Machado y revient encore une fois en compagnie de Henning Sieverts et François Merville. Voici donc le quatrième trio du pianiste : Machado Novo Trio avec Claude Tchamitchian et Ze Luis Nascimento, pour le projet Como as flores (comme les fleurs, en portugais) et un disque qui sortira en janvier 2026 sur le label La Buissonne.

Claude Tchamitchian, Jean-Marie Machado & Ze Luis Nascimento – Studio de l’Ermitage – 15 octobre 2025 © PLM

Machado Novo Trio reprend neuf des dix titres au programme de Como as flores. La mélodie élégante de « De memorias e de saudade » évoque avec justesse des souvenirs et de la nostalgie. D’autant plus que Tchamitchian a sorti l’archet et que Nascimento caresse ses percussions pendant que Machado déroule une ligne romantique. Cette ambiance intimiste s’évapore avec un chorus de contrebasse puissant, des poly-rythmes chatoyants et des envolées arpégées, ponctuées d’« espagnolades ». La valse de l’oursin – « Valsa ouriço » – s’appuie sur un thème-riff cristallin et dansant. Ce morceau rythmique est ponctué de solos mélodieux de la contrebasse et de la batterie. Le piano, pour sa part, est au four et au moulin : jeu dans les cordes, petits motifs aigus, pédales et riffs fusent. Machado s’est inspiré de « nos larmes jamais pleurées », tirée d’un texte de Christian Bobin, pour composer « Our Tears Never Cried ». Les échanges entre les petites phrases mélancoliques du piano, agrémentées d’appogiatures et autres triolets, les unissons et le minimalisme de la contrebasse, et le foisonnement aérien des percussions s’apparentent parfois à de la musique de chambre contemporaine. Le trio lance « Nardis », composé en 1958 par Miles Davis (ou Bill Evans, nul de le saura jamais…?), en mode hard-bop, avec walking, chabada et phrasé vif. Mais, sous l’impulsion d’un motif rock prog de la contrebasse et du climat groovy imprimé par les percussions, le trio s’aventure dans les contrées du rock alternatif. Le morceau suivant « est dédié à ma chérie, avec qui nous vivons depuis quarante-deux ans » : « Romantic Spell » « est une chanson d’amour, hein ! Donc mettez-vous en mode relax ». La ballade, carrure minimaliste de la contrebasse et balais tranquilles de la batterie, laisse de l’espace à des interactions bien senties, avec une alternance de tension et détente, toujours dans un style musique de chambre. Le trio traverse ensuite la vie avec « Transvida », à un rythme énergique et sur des interactions soutenues entre le piano, dans une veine contemporaine tendue, la contrebasse, qui répond à l’archet, et les cymbales, frémissantes. Dans ce véritable « concerto pour percussion », Nascimento prend un solo d’anthologie dans lequel, sur une pulsation constante, il met en scène toutes ses percussions, des peaux et cymbales habituels de la batterie aux cow bells, en passant par des grelots, shakers, coquilles, cymbalettes, apeaux… tout en s’encourageant de la voix, et avec beaucoup d’humour. Un solo énorme et solennel de Tchamitchian à l’archet ouvre « Perdido em clareza ». Le thème, chaloupé, très cinématographique, sert de base à des échanges soutenus et tendus, parsemés d’accents andalous. Pour « Le voleur de fleurs », un morceau vif et entraînant, Machado démarre en puissance, soutenu par le chœur de la contrebasse et des percussions, puis le piano cavale entre la carrure solide de Tchamitchian et le foisonnement de Nascimento. « L’endormi », déjà au programme de Danses enfouies, enregistré avec Keyvan Chemirani en 1998, clôture la soirée. Le piano développe la mélodie obscure et lyrique sur les roulements des tambours et les lignes profondes de la contrebasse.

Les trois jardiniers du Machado Novo Trio ont tout compris aux fleurs : Como as flores est coloré, parfumé, surprenant et séduisant, comme un jardin au printemps...

Le disque

Como as flores
Machado Novo Trio
Jean-Marie Machado (p), Claude Tchamitchian (b) et Ze Luis Nascimento (percu)
Label La Buissonne - RJAL397052
Sortie en janvier 2026

Liste des morceaux 

01. « Romantic Spell » (4:04).
02. « Valsa ouriço » (4:55).
03. « De memorias e de saudade » (6:52).
04. « Le voleur de fleurs » (5:03).
05. « Our Tears Never Cried » (4:36).
06. « Nardis », Miles Davis (3:55).
07. « Piuma » (4:36).
08. « Perdido em clareza » (8:08).
09. « Transvida » (6:14).
10. « L’endormi » (4:40).

Tous les morceaux sont signés Machado, sauf indication contraire.