A l'occasion des trente ans de la compagnie Cantabile, Jean-Marie Machado propose une série de portraits au Studio de l'Ermitage les
14, 15 et 16 octobre 2025. Les trois soirées sont organisées autour
de deux concerts par soirée : un des projets de Machado et une scène
ouverte à des musiciens amis.
Le
14 octobre commence par La saga des vagues, le duo de Machado
et Keyvan Chemirani, suivi du trio Ornicar, avec Joachim
Machado, Renan Richard et Côme Huveline. Le 15
octobre verra le duo de Séverine Morfin et Malik Ziad
précéder le Machado Novo Trio, avec Machado, ClaudeTchamitchian et Ze Luis Nascimento. Quant au 16 octobre,
il démarre avec Back on the Block, le duo de Pauline
Bartissol et Jean-Charles Richard, avant Cantos Brujos,
projet de l'orchestre Danzas avec Ana Pérez.
Mardi
14 octobre 2025
La
saga des vagues
Jean-Marie
Machado & Keyvan Chemirani
Depuis
2017 et la sortie d'Impulse Songs, les chemins de Machado et
Chemirani se sont souvent croisés, notamment dans Majakka,
projet créé en 2020 par Machado, avec Jean-Charles Richard et
Vincent Segal. En 2025, les deux musiciens se retrouvent
autour d'un projet en duo : La saga des vagues.
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| Jean-Marie Machado & Keyvan Chemirani – Studio de l’Ermitage – 14 octobre 2025 © PLM |
« Le
pays des orages » évoque la région de Darjeeling, fameuse
pour ses thés. Chemirani navigue entre zarb et autres percussions
pour maintenir des poly-rythmes entraînants, tandis que Machado
développe le thème-riff avec un lyrisme musclé, teinté de touches
andalouses. « Un niño
en la calle » était déjà au programme de Takiya !
Tokaya !, disque co-publié en 1997 avec Jean-Marc
Padovani, en compagnie de Jean-François Jenny-Clark et
Paul Motian, mais aussi de Caminando, album en duo avec
David Liebman, sorti en 2008. Des ostinatos accompagnent
l’exposition de cet air aux accents latinos, soutenus par des
rythmes foisonnants. Le piano intercale ensuite des phrases rubatos
d’allures romantiques, soulignées par les percussions, vives et
légères. Chemirani troque le zarb pour le santour et demande en
rigolant que les éclairages rougeoyants soient changés car il ne
distingue plus les quelques soixante-douze cordes de l’instrument !
La sonorité aiguë, métallique et cristalline du santour et les
cordes du piano donnent une couleur indienne au morceau. Les échanges
entre les deux musiciens sont intenses, portés par des
questions-réponses, unissons, riffs, ostinatos et autres motifs
mélodico-rythmiques. Les ondulations de « Pluie blanche »,
sur des percussions luxuriantes, débouchent sur une version néo-bop
dynamique de « Nardis ». « Le réveil de l’Indien »
est une référence au pic de Bure, dans le massif de Dévoluy, dont
la forme ressemble à un Indien couché… Vu l’énergie
impressionnante du chorus de Chemirani et les contre-chants
rythmiques de Machado, il n’est pas étonnant que l’Indien se
soit réveillé ! C’est plutôt du côté de la musique
contemporaine que lorgne « La lune des étonnements » :
le jeu minimaliste, dissonant et tendu du piano est ponctué de
frottements, cliquetis, frappes éparses et sonnailles des
percussions. Pour conclure le set, le duo interprète « Retreat
Poetry ». Une rythmique sèche, nerveuse et dense accompagne un
piano qui, au gré des tableaux, se montre tantôt joueur (Erik
Satie n’est pas si loin) tantôt lyrique.
Machado
et Chemirani surfent sur des vagues mélodiques et rythmiques plus
grisantes les unes que les autres...
Ornicar
Joachim
Machado, Renan Richard et Côme Huveline
Emanation
du Bissap Sextet créé par le saxophoniste baryton Renan
Richard-Kobel, Ornicar est un Power Trio monté en 2016 avec
Joachim Machado à la guitare électrique et Côme Huveline
à la batterie. Leur premier album, Maëlstrom, est sorti en
janvier 2020.
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Renan Richard-Kobel, Côme Huveline & Joachim Machado – Studio de l’Ermitage
– 14 octobre 2025 © PLM
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Dès
le premier morceau le ton est donné : une batterie puissante et
véloce, une guitare entre ostinato et accords planants et un
saxophone baryton qui alterne lignes mélodiques et effets lointains
réverbérés. Ornicar joue dans la cour des jazz-rockeurs. Le
deuxième morceau enfonce encore davantage le clou car Huveline passe
aux pads, encore plus sourds, Machado plaque des effets électro
spatiaux, tandis que, en arrière-plan, Richard déroule des nappes
de sons digne d’un orgue. Après une introduction tonitruante de la
batterie sur une pédale du baryton, la guitare expose « Ficus »,
un thème-riff, souligné par le contre-chant du saxophone et qui
débouche sur un slow. Puis, poussé par les frappes binaires
d’Huveline et les lignes de basse de Richard, Machado part dans un
chorus de Guitar Hero dans une veine Metal. Dans le quatrième
morceau, sur une rythmique toujours puissante et une guitare
aérienne, le baryton développe une mélodie simple dans un style
plus jazz, fluide et mélodieux. « La pierre contre la vitre »
se déroule en trois tableaux : le premier dans un esprit
slow-rock avec des effets électro rêveurs sur une batterie
vigoureuse, le deuxième plutôt dans un style électro-rock, avant
un troisième mouvement minimaliste. Des ostinatos de la guitare et
des pédales du baryton accompagnent les furies de la batterie qui
propulse « Spread » dans les limbes du rock progressif,
avec Machado une nouvelle fois en Guitar Hero. Après un démarrage
dans une atmosphère éthérée avec des phrases dépouillées, le
septième morceau retrouve les chemins du rock alternatif, porté par
les frappes luxuriantes d’Huveline et les contrepoints élégants
de Machado et Richard. « IA » est dense, voire brutal –
notamment le solo final d’Huveline. Le baryton joue des lignes
intenses sur une batterie poly-rythmique entraînante et des épures
mélodieuses de la guitare.
Pour
le bis, le trio invite Machado et ils reprennent « Um Vento
Leve », air inspiré par Fernando Pessoa et au programme
de Majakka. Ornicar abandonne son jazz ascendant rock pour un
jazz moderne. La batterie, rassérénée, maintient une carrure
imperturbable, le piano, raffiné, alterne accompagnements mélodiques
et rythmiques, la guitare, adoucie, s’envole ça-et-là sur des
effets électro et le saxophone soprano illumine le morceau de ses
volutes délicates.
Qu’elle
soit jazz-rock prog ou jazz-électro-rock, la musique d’Ornicar est
musclée, et ce n’est pas de la gonflette !
Mercredi
15 octobre 2025
Séverine
Morfin et Malik Ziad
Séverine
Morfin – alto – et Malik Ziad – mandole, guembri et
banjo – se sont rencontrés lors d'une tournée du chanteur Piers
Faccini. En 2024 ils décident de monter un projet ensemble, dans
lequel ils piochent le répertoire du set.
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Séverine Morfin & Malik Ziad – Studio de l’Ermitage
– 15 octobre 2025 © PLM |
La
mélodie douce et cristallines aux modulations moyen-orientales
exposée par le mandole et mise en relief par le bourdon de l’alto
plante le décor. Morfin accompagne ensuite avec un pizzicato enlevé
les motifs dansants de Ziad. Quand c’est au tour de l’altiste de
prendre son chorus, les accords du mandole soulignent le discours de
l’alto. Le final est une suite de contrepoints entraînants. Le duo
enchaîne sur un tableau mystérieux, triolets de l’alto et ligne
minimaliste du mandole, qui monte en puissance avec un bel effet
théâtral. Dans « Raphaelle », Ziad change de tabouret –
il glissait sur la banquette piano – et passe au guembri, dont la
sonorité rappelle un mélange de guitare basse acoustique et de
contrebasse. Le riff grave et groovy de Ziad soutient une mélodie
solennelle étirée par l’archet de Morfin. Après un dialogue
rythmique pimenté, le morceau s’achève presque dans une ambiance
de dance-floor ! La belle et sobre « Lisière »
démarre sur deux riffs croisés, puis part sur une ligne mélodique
gracieuse, développée au mandole et ponctuée par les ostinatos de
l’alto. Retour au guembri et au pizzicato pour une ronde
entraînante au parfum médiéval. La ligne de basse minimaliste
et le thème en suspension évoluent crescendo, alto en doubles
cordes et riff puissant du guembri, jusqu’au final dansant, aux
accents moyen-orientaux, renforcés par le chant de Ziad. Le set se
conclut avec le bien nommé « Rituel », composition de
Ziad, au répertoire du concert des Instruments Migrateurs le 3 avril
2025 au Comptoir Halle Roublot, avec Joce Mienniel et Vincent
Peirani. Sur un air moyen-oriental particulièrement accrocheur,
Morfin alterne ronde dansante et envolées débridées, tandis que
Ziad jongle avec les maqâm au mandole et au chant, avec des
modulations typiquement arabo-andalouses.
Enjoué,
vif et sincère, le duo Morfin – Ziad propose un alliage de
Moyen-Orient, folklore et jazz qui appelle au voyage !
Como as flores
Machado Novo Trio
Machado
et le trio, ce n'est pas une nouvelle aventure : en 1988 le pianiste
enregistre son premier disque, Father Songs, en trio avec
François et Louis Moutin. Disque qui sera suivi de Kah !
Pob ! Wah ! en 1989, puis Séquence Thmiryque en 1993. En
2007, Machado réitère l'expérience avec Jean Philippe Viret
et Jacques Mahieux pour Sœurs de sang. Huit ans plus tard, Machado y revient encore une fois en compagnie de Henning
Sieverts et François Merville. Voici donc le quatrième
trio du pianiste : Machado Novo Trio avec Claude Tchamitchian
et Ze Luis Nascimento, pour le projet Como as flores
(comme les fleurs, en portugais) et un disque qui sortira en
janvier 2026 sur le label La Buissonne.
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Claude Tchamitchian, Jean-Marie Machado & Ze Luis Nascimento – Studio de l’Ermitage
– 15 octobre 2025 © PLM
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Machado
Novo Trio reprend neuf des dix titres au programme de Como as
flores. La mélodie élégante de « De memorias e de
saudade » évoque avec justesse des souvenirs et de la
nostalgie. D’autant plus que Tchamitchian a sorti l’archet et que
Nascimento caresse ses percussions pendant que Machado déroule une
ligne romantique. Cette ambiance intimiste s’évapore avec un
chorus de contrebasse puissant, des poly-rythmes chatoyants et des
envolées arpégées, ponctuées d’« espagnolades ». La
valse de l’oursin – « Valsa ouriço » – s’appuie
sur un thème-riff cristallin et dansant. Ce morceau rythmique est
ponctué de solos mélodieux de la contrebasse et de la batterie. Le
piano, pour sa part, est au four et au moulin : jeu dans les
cordes, petits motifs aigus, pédales et riffs fusent. Machado s’est
inspiré de « nos larmes jamais pleurées », tirée d’un
texte de Christian Bobin, pour composer « Our Tears
Never Cried ». Les échanges entre les petites phrases
mélancoliques du piano, agrémentées d’appogiatures et autres
triolets, les unissons et le minimalisme de la contrebasse, et le
foisonnement aérien des percussions s’apparentent parfois à de la
musique de chambre contemporaine. Le trio lance « Nardis »,
composé en 1958 par Miles Davis (ou Bill Evans, nul de
le saura jamais…?), en mode hard-bop, avec walking, chabada et
phrasé vif. Mais, sous l’impulsion d’un motif rock prog de la
contrebasse et du climat groovy imprimé par les percussions, le trio
s’aventure dans les contrées du rock alternatif. Le morceau
suivant « est dédié à ma chérie, avec qui nous vivons
depuis quarante-deux ans » : « Romantic Spell »
« est une chanson d’amour, hein ! Donc mettez-vous en
mode relax ». La ballade, carrure minimaliste de la contrebasse
et balais tranquilles de la batterie, laisse de l’espace à des
interactions bien senties, avec une alternance de tension et détente,
toujours dans un style musique de chambre. Le trio traverse ensuite
la vie avec « Transvida », à un rythme énergique et sur
des interactions soutenues entre le piano, dans une veine
contemporaine tendue, la contrebasse, qui répond à l’archet, et
les cymbales, frémissantes. Dans ce véritable « concerto pour
percussion », Nascimento prend un solo d’anthologie dans
lequel, sur une pulsation constante, il met en scène toutes ses
percussions, des peaux et cymbales habituels de la batterie aux cow
bells, en passant par des grelots, shakers, coquilles, cymbalettes,
apeaux… tout en s’encourageant de la voix, et avec beaucoup
d’humour. Un solo énorme et solennel de Tchamitchian à l’archet
ouvre « Perdido em clareza ». Le thème, chaloupé, très
cinématographique, sert de base à des échanges soutenus et tendus,
parsemés d’accents andalous. Pour « Le voleur de fleurs »,
un morceau vif et entraînant, Machado démarre en puissance, soutenu
par le chœur de la
contrebasse et des percussions, puis le piano cavale entre la carrure
solide de Tchamitchian et le foisonnement de
Nascimento. « L’endormi », déjà au programme de
Danses enfouies, enregistré avec Keyvan Chemirani en
1998, clôture la soirée. Le piano développe la mélodie obscure et
lyrique sur les roulements des tambours et les lignes profondes de la
contrebasse.
Les
trois jardiniers du Machado Novo Trio ont tout compris aux fleurs :
Como as flores est coloré, parfumé, surprenant et séduisant,
comme un jardin au printemps...
Le disque
Como
as floresMachado
Novo TrioJean-Marie Machado
(p), Claude Tchamitchian (b) et Ze Luis Nascimento (percu)Label La Buissonne -
RJAL397052Sortie en janvier
2026Liste des
morceaux
01. « Romantic
Spell » (4:04).
02. « Valsa
ouriço » (4:55).
03. « De
memorias e de saudade » (6:52).
04. « Le
voleur de fleurs » (5:03).
05. « Our
Tears Never Cried » (4:36).
06. « Nardis »,
Miles Davis (3:55).
07. « Piuma »
(4:36).
08. « Perdido
em clareza » (8:08).
09. « Transvida »
(6:14).
10. « L’endormi »
(4:40).
Tous les morceaux
sont signés Machado, sauf indication contraire.