Beyond The Predictable Touch
Synaesthetic Trip02
Photographe, poète, écrivain, graphiste, peintre… et
percussionniste, Edward Perraud
touche à tout ce qui rime avec création artistique. Ce qui ne l’empêche pas, au
passage, de créer son label, Quark Records, en 2005. Label qui compte dans ses
rangs moult musiciens d’avant-garde : Jean-Luc
Cappozzo, Hasse Poulsen, Thomas de Pourquery, Jean-Luc Guionnet, Jean-Pierre Drouet, Daniel
Erdmann, Joe Rosenberg… Mais ce
n’est « qu’en » 2011 que Perraud forme son premier groupe en leader,
le quartet Synaesthetic Trip, avec Bart
Maris à la trompette et au bugle, Benoit
Delbecq au piano et Arnault
Cuisinier à la contrebasse.
Revenons sur Synaesthetic Trip. La synesthésie, d’après le
Larousse, vient du grec sunaisthêsis (sensation simultanée) et serait une
« association spontanée par correspondance de sensations appartenant à des
domaines différents » (par exemple : un Do rouge). Quant à trip,
toujours d’après le Larousse, il vient de l’anglais trip (!) – voyage – et
désigne « dans le langage des toxicomanes, [un] état hallucinatoire dû à
la prise d’une drogue, en particulier de LSD ». En bref, le Synaesthetc
Trip, c’est voir un Do rouge après avoir bu un rhum aguaquina… sur une plage du
Venezuela.
Le premier disque, éponyme, de Synaesthetic Trip sort en
2012 ; c’est un cheval qui fait la une de la pochette. Trois ans plus
tard, une nouvelle constellation est née : l’élan. La pochette de Beyond The Predictable Touch affiche la
tête d’un bel original… La photo est, évidemment, signée Perraud… Au quartet
habituel s’ajoutent le saxophone ténor de Daniel
Erdmann et l’alto de Thomas de
Pourquery. Les dix morceaux sont signés Perraud.
Avec des musiciens du calibre de ceux de Synaesthetic Trip,
il fallait s’y attendre : la musique ne ronronne pas un seul instant. En
dehors de « Democrazy », qui conclut l’album sur une ambiance électro-lounge
légèrement incongrue, tous les autres morceaux surfent sur une base mainstream,
rapidement prise de vitesse… à l’instar de « Mal pour un bien », dans
lequel Delbecq mêle contemporain et stride, soutenu par les motifs profonds de
Cuisinier et les ferraillements de Perraud, avant d’être rejoint par Maris,
dans un registre free (mesuré). En partant de mélodies séduisantes (« Nun
Kom », « Captain Universe ») ou de thèmes-riffs entraînants
(« Te Koop Te Huur »), le combo s’envole dans des contrechants
d’abord sages, mais qui se débrident vite (« Lascia fare mi »). Cette
atmosphère foisonnante, entre tradition et free, stimulée par une structure
rythmique souvent complexe (touches indiennes dans « Entrailles », alternance
binaire et composée dans « Sad Time »…), n’est pas sans rappeler Rahsaan Roland Kirk ou Charles Mingus (« Te Koop Te Huur »),
voire Albert Ayler quand les
musiciens s’emparent d’un standard qu’ils déchirent (« My Way » dans
« Captain Universe »). La musique de Beyond The Predictable Touch est à tiroirs : chaque écoute
permet de découvrir une voix (« Nun Komm »), une citation
(« Concerto For Cootie » dans « Mal pour un bien »,
« Le lac des cygnes » dans « Te Koop Te Huur », « My
Way » dans « Captain Universe »…), des climats (bluesy dans
« Lascia fare mi », répétitif dans « Suranné », légèrement
debussyste dans « Touch », vigoureux dans « Te Koop Te
Huur », majestueux comme une pavane dans « Sad Time)…
Le Synaesthetic Trip nous embarque dans un voyage bigarré et
authentique ; Beyond The Predictable
Touch se caractérise par une vitalité et une ingéniosité qui s’adressent
autant aux sens qu’à la raison.