08 septembre 2018

Funk in France & Stick! - Grant Green


Créé en 2008 par George Klabin et Zev Feldman en Californie, Resonance Records s’est fait une spécialité des éditions de bandes oubliées ou rarement rééditées, de Wes Montgomery à Stan Getz, en passant par Larry Young, Bill Evans, Sarah Vaughan, Jaco Pastorius… La distribution du catalogue en Europe est confiée à Bertus, société fondée en 1971 à Rotterdam et qui fait désormais partie des leaders de la distribution musicale.

En mai 2018, Resonance Records sort deux coffrets inédits de Grant Green : le double album Funk in France et le disque Slick!



Funk in France
Grant Green

En 2017, Feldman découvre sur YouTube que Green a enregistré deux concerts en France qui n'ont pas vu le jour sur disque. Christiane Lemire et Pascal Rozat, de l'INA, lui fournissent les bandes du concert produit par André Francis dans le Studio 104 de l’ORTF, à Paris, le 26 octobre 1969, et celui d’Antibes, enregistré dans la pinède Gould, le 18 et le 20 juillet 1970. Après une restauration méticuleuse, Resonance Records publie les deux disques dans un coffret soigné, avec un livret d’une quarantaine de pages qui contient des photos, entretiens, souvenirs, récits… autour des trois concerts, de Green et de son orchestre.


The Round House

The Round House, en hommage à la Maison de la Radio, contient les six morceaux de l’ORTF avec un patchwork de thèmes : « I Don’t Want Nobody to Give Me Nothing (Open Up the Door I’ll Get It Myself) » tube de James Brown, « Oleo » et « Sonnymoon For Two » signés Sonny Rollins, « How Insensitive (Insensatez) », titre de Vinícius de Moraes, Norman Gimbel et Antônio Carlos Jobim, et le classique « Que reste-t-il de nos amours ? », de Charles Trenet et Léo Chauliac. Quant à « Untitled Blues », il a été composé par Green. Repris de Carryin’ On, disque publié chez Blue Note quelques mois avant le concert. « Upshot » complète le programme de ce premier disque, mais appartient davantage au deuxième volume, car il a été enregistré à Antibes le 18 juillet.

Le soir du concert au Studio 104, Green joue avec Larry Ridley à la contrebasse et Don Lamond à la batterie. Le guitariste Barney Kessel les rejoint pour « I Wish you Love »…
The Round House s’articule autour de six ambiances différentes avec, déjà, un fumet funk en filigrane. Epaulée par une batterie funky à la sonorité acoustique sèche et des riffs groovy de la contrebasse, la guitare fait swinguer le tube de Brown. Sur une walking et un chabada vigoureux, Green met son phrasé clair et fluide au service d’« Oleo », dans une veine bop. Le guitariste ne cite pas pour rien Charlie Christian et Wes Montgomery en références principales… Un chorus véloce de Ridley et un stop-chorus énergique de Lamond complètent le tableau. La belle bossa nova « Insensatez » est interprétée avec élégance, dans le registre grave, sur une rythmique à la fois vive et souple, typiquement latine. « Untitled Blues » porte bien son nom et, dans une atmosphère bluesy éloquente, le trio montre de l’inspiration. Le hard-bop reprend les rênes dans « Sonnymoon For Two », avec une walking ferme, un drumming qui alterne chabada et foisonnement et des lignes puissantes de la guitare. Green et Kessel jouent « I Wish You Love » tranquillement, avant de partir dans un décor latino qui permet aux deux guitaristes de laisser libre court à des envolées musclées.

Un opus brillant et spirituel, encore marqué par les prodiges du bop et de ses descendants directs, The Round House lorgne déjà vers les développements soul et funky du jazz de Green.


Haute Funk

Haute Funk est un clin d’œil au Festival de Jazz d’Antibes et à la direction prise par la musique de Green à la fin des années 60. Au programme, « Hurt So Bad », un hit de 1965, écrit par Teddy Randazzo, Bobby Weinstein et Bobby Hart, tiré du répertoire de  Carryin’ On et enregistré le 18 juillet, plus deux morceaux joués le 20 juillet : « Upshot » et « Hi-Heel Sneakers », le blues de Tommy Tucker, tube de l’année 1963.

Pour les concerts d’Antibes, Green est en compagnie de Claude Bartee au saxophone ténor, Clarence Palmer à l’orgue et Billy Wilson à la batterie.

Neuf mois après Paris, la musique de Green a changé et le guitariste s’engage sur la voie du funk : un quartet se substitue au trio, un saxophone ténor enrichit la palette sonore, la basse sourde de l’orgue remplace la contrebasse, des lignes aux sonorités churchy font leur apparition et la durée des morceaux passe de six à vingt minutes.

Jouées à deux jours d’intervalle, les deux versions d’« Upshot » se ressemblent, sans se répéter. Celle du 18 juillet est davantage churchy avec un Palmer plus présent : ligne de basse rapide et entraînante et chorus groovy. Dans les deux interprétations la batterie de Wilson foisonne et les cymbales crépitent. Green développe le côté cinématographique du thème-riff avec des phrases tendues, des chapelets de notes rapides et nerveuses. Des traits brutaux entrecoupés de motifs faussement calmes, une sonorité grasse, voire criarde, des élans de shouter, un jeu expressif… Bartee s’inscrit tout à fait dans la lignée des saxophonistes funky. Exposé à l’unisson sur une basse grondante et un back-beat entraînant, « Hurt So Bad » permet à Green de faire monter la pression par des développements ardents, parsemés de touches bluesy. Le saxophone ténor continue d’endosser la chasuble funky. Palmer encourage les solistes par des suites d’accords luxuriantes, ponctuées de couinements et Wilson les pousse avec un drumming touffu et puissant. Le quartet prend son temps pour planter les décors et faire entrer les spectateurs dans l’ambiance des morceaux. Haute Funk s’achève en apothéose avec « Hi-Heel Sneakers ».qui dure presque une demi-heure : une batterie fébrile, des motifs de basse excitants, un orgue énervé, un ténor allumé et une guitare qui joue au chat et la souris… La musique s’emballe, irrésistible, dans un tournoiement de notes et de rythmes qui laisse les auditeurs à bout de souffle.

Haute Funk marque un tournant dans la musique de Green : le hard-bop a cédé sa place au funk, mais le guitariste conserve toujours ce doigté élégant, rapide et précis dont il a fait sa marque de fabrique.

Le disque

Funk in France
Grant Green
Resonance Records – HCD 2033
Sortie en mai 2018

Liste des morceaux

The Round House
Grant Green (g), Larry Ridley (b) et Don Lamond (d), avec Barney Kessel (g).

01. « I Don’t Want Nobody to Give Me Nothing (Open Up the Door I’ll Get It Myself) » James Brown (4:34).
02. « Oleo », Sonny Rollins (4:24).
03. « How Insensitive (Insensatez) », Norman Gimbel, Antônio Carlos Jobim & Vinícius de Moraes (7:18).
04. « Untitled Blues » (8:09).
05. « Sonnymoon for Two », Sonny Rollins (7:00).
06. « I Wish You Love », Charles Trenet & Léo Chauliac (7:06).   

Les morceaux sont signés Green, sauf indication contraire.

Haute Funk
Grant Green (g), Claude Bartee (ts), Clarence Palmer (org) et Billy Wilson (d).

07. « Upshot » (18:02).
01. « Hurt So Bad », Teddy Randazzo, Bobby Weinstein et Bobby Hart (14:38).
02. « Upshot » (19:46).
03. « Hi-Heel Sneakers », Tommy Trucker (27:13).

Les morceaux sont signés Green, sauf indication contraire.



Slick!
Grant Green

Automne 1975, Green et son quintet sont à Vancouver. Le 5 septembre ils jouent au Oil Can Harry’s pour la radio CHQM-FM. Le producteur de la session, Gary Barclay, a aidé Feldman à publier ce concert. C’est le quatrième et sans doute le dernier live du guitariste sorti sur disque, car Green décède en 1979.

Green a réuni Emmanuel Riggins au piano électrique, Ronnie Ware à la basse, Gerald Izzard aux percussions et Greg Williams à la batterie. Le guitariste a déjà pris un chemin de traverse qui mêle jazz et funk. Après un « hommage » aux racines avec « Now’s The Time » de Charlie Parker, le quintet joue « Insensatez » et un « Medley » d’airs à la mode composés par Stanley Clarke (« Vulcan Princess »), The Ohio Players (« Skin Tight »), Bobby Womack (« Woman’s Gotta Have It »), Stevie Wonder (« Boogie On Reggae Woman ») et O’jays (« For The Love of Money »)…

Dans « Now’s The Time », Green et ses musiciens restent dans les clous du be-bop : thème – solos – thèmes, walking et chabada, chorus virtuoses… Seule la sonorité sourde de la basse, le son aigrelet du piano électrique et les accents bluesy rappellent que Green s’est tourné vers le jazz-funk. « Insensatez » démarre en ligne avec ses origines brésiliennes : la mélodie se développe élégamment sur le doux balancement rythmique de la bossa nova… Puis le ton monte avec les accords funky du piano électrique, la ligne de basse mate et les percussions qui s’animent. La guitare lance les hostilités et, dans une atmosphère très années 70, la rythmique s’emporte, excitée et soulful, à grand renfort de riffs grondants et de percussions. Tambourin, sifflets, slap, splash… accompagnent les solos. La danse est au rendez-vous pendant près de trente minutes. Le «  Medley » qui suit dure également une demi-heure. Même ambiance festive et entraînante, typique funk, mais la guitare se fait plus présente ; son phrasé jazz et sa sonorité chaude contrastent avec la rythmique d’autant plus formatée Motown que Green et ses compères reprennent des tubes à la mode.

A l’époque de Slick!, comme le dit Williams, Green joue de la musique « commerciale plutôt que de rester orthodoxe – il prend des mélodies au goût du jour qui passent à la radio et les interprète dans un style jazz avec une approche commerciale ». Ce qui ne l’empêche pas de toujours jouer avec subtilité...

Le disque

Slick!
Grant Green
Grant Green (g), Emmanuel Riggins (el p), Ronnie Ware (b), Gerald Izzard (perc) et Greg Williams (d).
Resonance Records – HCD 2034
Sortie en mai 2018

Liste des morceaux

01. « Now’s the Time », Charlie Parker (9:03).
02. « How Insensitive (Insensatez) » (26:04).
03. « Medley » (31:57).
. « Vulcan Princess », Stanley Clarke.
. « Skin Tight », Marvin Pierce, Clarence Satchell et James Williams.
. « Woman’s Gotta Have It », Daryl Carter, Linda Cooke et Bobby Womack.
. « Boogie On Reggae Woman », Stevie Wonder.
. « For the Love of Money », Leon Huff et Anthony Jackson.

Les morceaux sont signés Green, sauf indication contraire.