Créé en 2008 par George Klabin et Zev Feldman en Californie, Resonance Records s’est fait une
spécialité des éditions de bandes oubliées ou rarement rééditées, de Wes Montgomery à Stan Getz, en passant par Larry
Young, Bill Evans, Sarah Vaughan, Jaco Pastorius… La distribution du catalogue en Europe est confiée
à Bertus, société fondée en 1971 à Rotterdam et qui fait désormais partie des
leaders de la distribution musicale.
En mai 2018,
Resonance Records sort deux coffrets inédits de Grant Green : le double album Funk in France et le disque Slick!
Funk in France
Grant Green
En 2017, Feldman découvre
sur YouTube que Green a enregistré deux concerts en France qui n'ont pas vu le
jour sur disque. Christiane Lemire
et Pascal Rozat, de l'INA, lui
fournissent les bandes du concert produit par André Francis dans le Studio 104 de l’ORTF, à Paris, le 26 octobre
1969, et celui d’Antibes, enregistré dans la pinède Gould, le 18 et le 20
juillet 1970. Après une restauration méticuleuse, Resonance Records publie les
deux disques dans un coffret soigné, avec un livret d’une quarantaine de
pages qui contient des photos, entretiens, souvenirs, récits… autour des trois concerts, de Green et de son orchestre.
The Round House
The Round House, en hommage à la
Maison de la Radio, contient les six morceaux de l’ORTF avec un patchwork
de thèmes : « I Don’t Want Nobody to Give Me Nothing (Open Up the Door
I’ll Get It Myself) » tube de James
Brown, « Oleo » et « Sonnymoon For Two » signés Sonny Rollins, « How Insensitive
(Insensatez) », titre de Vinícius de
Moraes, Norman Gimbel et Antônio Carlos Jobim, et le classique « Que
reste-t-il de nos amours ? », de Charles
Trenet et Léo Chauliac. Quant à « Untitled Blues », il a été composé par Green.
Repris de Carryin’ On, disque publié
chez Blue Note quelques mois avant le concert. « Upshot » complète le
programme de ce premier disque, mais appartient davantage au deuxième volume,
car il a été enregistré à Antibes le 18 juillet.
Le soir du concert
au Studio 104, Green joue avec Larry
Ridley à la contrebasse et Don
Lamond à la batterie. Le guitariste Barney
Kessel les rejoint pour « I Wish you Love »…
The Round House s’articule autour
de six ambiances différentes avec, déjà, un fumet funk en filigrane. Epaulée
par une batterie funky à la sonorité acoustique sèche et des riffs groovy de la
contrebasse, la guitare fait swinguer le tube de Brown. Sur une walking et un
chabada vigoureux, Green met son phrasé clair et fluide au service d’« Oleo »,
dans une veine bop. Le guitariste ne cite pas pour rien Charlie Christian et Wes
Montgomery en références principales… Un chorus véloce de Ridley et un
stop-chorus énergique de Lamond complètent le tableau. La belle bossa nova « Insensatez »
est interprétée avec élégance, dans le registre grave, sur une rythmique à la
fois vive et souple, typiquement latine. « Untitled Blues » porte
bien son nom et, dans une atmosphère bluesy éloquente, le trio montre de
l’inspiration. Le hard-bop reprend les rênes dans « Sonnymoon For
Two », avec une walking ferme, un drumming qui alterne chabada et
foisonnement et des lignes puissantes de la guitare. Green et Kessel jouent
« I Wish You Love » tranquillement, avant de partir dans un décor
latino qui permet aux deux guitaristes de laisser libre court à des envolées
musclées.
Un opus brillant et
spirituel, encore marqué par les prodiges du bop et de ses descendants directs,
The Round House lorgne déjà vers les
développements soul et funky du jazz de Green.
Haute Funk
Haute Funk est un clin d’œil
au Festival de Jazz d’Antibes et à la direction prise par la musique de Green à
la fin des années 60. Au programme, « Hurt So Bad », un hit de 1965,
écrit par Teddy Randazzo, Bobby Weinstein et Bobby Hart, tiré du répertoire de
Carryin’ On et enregistré le
18 juillet, plus deux morceaux joués le 20 juillet : « Upshot »
et « Hi-Heel Sneakers », le blues de Tommy Tucker, tube de l’année 1963.
Pour les concerts
d’Antibes, Green est en compagnie de Claude
Bartee au saxophone ténor, Clarence
Palmer à l’orgue et Billy Wilson
à la batterie.
Neuf mois après Paris,
la musique de Green a changé et le guitariste s’engage sur la voie du funk
: un quartet se substitue au trio, un saxophone ténor enrichit la palette
sonore, la basse sourde de l’orgue remplace la contrebasse, des lignes aux
sonorités churchy font leur apparition et la durée des morceaux passe de six à
vingt minutes.
Jouées à deux jours
d’intervalle, les deux versions d’« Upshot » se ressemblent, sans se
répéter. Celle du 18 juillet est davantage churchy avec un Palmer plus
présent : ligne de basse rapide et entraînante et chorus groovy. Dans les
deux interprétations la batterie de Wilson foisonne et les cymbales crépitent. Green
développe le côté cinématographique du thème-riff avec des phrases tendues, des
chapelets de notes rapides et nerveuses. Des traits brutaux entrecoupés de
motifs faussement calmes, une sonorité grasse, voire criarde, des élans de
shouter, un jeu expressif… Bartee s’inscrit tout à fait dans la lignée des
saxophonistes funky. Exposé à l’unisson sur une basse grondante et un back-beat
entraînant, « Hurt So Bad » permet à Green de faire monter la
pression par des développements ardents, parsemés de touches bluesy. Le saxophone
ténor continue d’endosser la chasuble funky. Palmer encourage les solistes par
des suites d’accords luxuriantes, ponctuées de couinements et Wilson les pousse
avec un drumming touffu et puissant. Le quartet prend son temps pour planter les
décors et faire entrer les spectateurs dans l’ambiance des morceaux. Haute Funk s’achève en apothéose avec « Hi-Heel
Sneakers ».qui dure presque une demi-heure : une batterie fébrile, des
motifs de basse excitants, un orgue énervé, un ténor allumé et une guitare qui
joue au chat et la souris… La musique s’emballe, irrésistible, dans un tournoiement
de notes et de rythmes qui laisse les auditeurs à bout de souffle.
Haute Funk marque un tournant
dans la musique de Green : le hard-bop a cédé sa place au funk, mais le
guitariste conserve toujours ce doigté élégant, rapide et précis dont il a fait
sa marque de fabrique.
Le disque
Funk in France
Grant
Green
Resonance Records – HCD 2033
Sortie en mai 2018
Liste des morceaux
The Round House
Grant Green (g), Larry Ridley (b) et Don
Lamond (d), avec Barney Kessel (g).
01. « I Don’t Want Nobody to Give Me
Nothing (Open Up the Door I’ll Get It Myself) » James Brown (4:34).
02. « Oleo », Sonny Rollins (4:24).
03. « How Insensitive (Insensatez) »,
Norman Gimbel, Antônio Carlos Jobim & Vinícius de Moraes (7:18).
04. « Untitled Blues » (8:09).
05. « Sonnymoon for Two », Sonny Rollins
(7:00).
06. « I Wish You Love », Charles Trenet
& Léo Chauliac (7:06).
Les morceaux sont
signés Green, sauf indication contraire.
Haute Funk
Grant Green (g), Claude Bartee (ts), Clarence Palmer (org) et Billy Wilson (d).
Grant Green (g), Claude Bartee (ts), Clarence Palmer (org) et Billy Wilson (d).
07. « Upshot » (18:02).
01. « Hurt So Bad », Teddy Randazzo, Bobby
Weinstein et Bobby Hart (14:38).
02. « Upshot » (19:46).
03. « Hi-Heel Sneakers », Tommy Trucker
(27:13).
Les morceaux sont
signés Green, sauf indication contraire.
Slick!
Grant Green
Automne 1975, Green
et son quintet sont à Vancouver. Le 5 septembre ils jouent au Oil Can Harry’s
pour la radio CHQM-FM. Le producteur de la session, Gary Barclay, a aidé Feldman à publier ce concert. C’est le
quatrième et sans doute le dernier live du guitariste sorti sur disque, car
Green décède en 1979.
Green a réuni Emmanuel Riggins au piano électrique, Ronnie Ware à la basse, Gerald Izzard aux percussions et Greg Williams à la batterie. Le
guitariste a déjà pris un chemin de traverse qui mêle jazz et funk. Après un « hommage »
aux racines avec « Now’s The Time » de Charlie Parker, le quintet joue « Insensatez » et un « Medley »
d’airs à la mode composés par Stanley
Clarke (« Vulcan Princess »), The Ohio Players (« Skin Tight »),
Bobby Womack (« Woman’s Gotta
Have It »), Stevie Wonder (« Boogie
On Reggae Woman ») et O’jays (« For The Love of Money »)…
Dans « Now’s
The Time », Green et ses musiciens restent dans les clous du be-bop :
thème – solos – thèmes, walking et chabada, chorus virtuoses… Seule la sonorité
sourde de la basse, le son aigrelet du piano électrique et les accents bluesy rappellent
que Green s’est tourné vers le jazz-funk. « Insensatez » démarre
en ligne avec ses origines brésiliennes : la mélodie se développe élégamment
sur le doux balancement rythmique de la bossa nova… Puis le ton monte avec les
accords funky du piano électrique, la ligne de basse mate et les percussions
qui s’animent. La guitare lance les hostilités et, dans une atmosphère très
années 70, la rythmique s’emporte, excitée et soulful, à grand renfort de riffs
grondants et de percussions. Tambourin, sifflets, slap, splash… accompagnent
les solos. La danse est au rendez-vous pendant près de trente minutes. Le «
Medley » qui suit dure également une demi-heure. Même ambiance festive et
entraînante, typique funk, mais la guitare se fait plus présente ; son
phrasé jazz et sa sonorité chaude contrastent avec la rythmique d’autant plus formatée
Motown que Green et ses compères reprennent des tubes à la mode.
A l’époque de Slick!, comme le dit Williams, Green joue
de la musique « commerciale plutôt que de rester orthodoxe – il prend des
mélodies au goût du jour qui passent à la radio et les interprète dans un style
jazz avec une approche commerciale ». Ce qui ne l’empêche pas de toujours jouer avec
subtilité...
Le disque
Slick!
Grant Green
Grant Green (g), Emmanuel
Riggins (el p), Ronnie Ware (b), Gerald Izzard (perc) et Greg Williams (d).
Resonance Records –
HCD 2034
Sortie en mai 2018
Liste des morceaux
01. « Now’s the Time », Charlie Parker
(9:03).
02. « How Insensitive (Insensatez) »
(26:04).
03. « Medley » (31:57).
. « Vulcan Princess », Stanley Clarke.
. « Skin Tight », Marvin Pierce, Clarence
Satchell et James Williams.
. « Woman’s Gotta Have It », Daryl Carter,
Linda Cooke et Bobby Womack.
. « Boogie On Reggae Woman », Stevie
Wonder.
. « For the Love of Money », Leon Huff et
Anthony Jackson.
Les morceaux sont signés Green, sauf
indication contraire.