23 janvier 2019

Kankū – Alexandra Grimal


Commandée par la scène nationale d’Orléans à l’occasion du festival Jazz Or Jazz,  Kankū est une pièce de près d’une heure composée par Alexandra Grimal. Enregistré dans la salle Vitez du Théâtre d’Orléans en septembre 2017 et cinquième disque inscrit au catalogue d’ONJ Records,  Kankū sort le 8 décembre 2017.

Kankū est placé sous le signe de l’espace. A commencer par le titre du disque, Kankū, qui, comme l’explique Grimal lors d’un entretien accordé à Ô Jazz,  « se traduit littéralement par « contempler le ciel ». Ce kata (symbole du kyokushinkai [un style de karaté – NDLR]) commence en levant les mains ouvertes avec les pouces et les index qui se touchent. L’attention est alors dirigée vers le centre des mains, afin d’unifier l’esprit et le corps. Les pointes du kankū représentent les doigts et signifient la finalité. La partie épaisse représente l’espace entre les mains et signifie l’infini, la profondeur. Les cercles intérieurs et extérieurs signifient la continuité et le mouvement circulaire ». Quant au texte psalmodié par Grimal, il s’agit de la description d’une supernova par Wikipedia…

Pour accompagner son saxophone ténor, sa voix et ses appeaux, Grimal fait appel à deux compères de l’ONJ : Sylvain Daniel à la basse et Eric Echampard à la batterie. La pièce se présente comme une série de tableaux qui s’enchaînent.

Tout commence par des pépiements et des vocalises qui se répondent dans une ambiance épurée et forment une espèce de mélopée sombre. Quand le saxophone ténor, la basse et la batterie entrent en jeu, leurs motifs mats et leurs bribes de mélodie s’insèrent entre la voix et l’appeau, puis finissent par les submerger. La basse gronde, la batterie vrombit et le saxophone ténor rugit : une montée en puissance vers un free intense, porté par le son énorme et la formidable agilité de Grimal, les lignes denses et la sonorité sourde de Daniel, les frappes puissantes et précises d’Echampard. La voix diaphane et haut perchée et les vocalises aériennes contrastent avec les cliquetis de la batterie et les riffs de la basse. Habile metteuse en sons, Grimal alterne mouvements éthérés et passages foisonnants. Des échanges à qui mieux mieux, grognements de la basse, crépitements de la batterie, et murmures de la voix, dans une atmosphère de musique contemporaine, précèdent un unisson minimaliste de Grimal et Daniel, encadré par les bruitages percussifs d’Echampard.

Ces ambiances vaporeuses deviennent presque tristes quand les psalmodies se substituent au saxophone. Mais le trio rebondit toujours avec des dialogues tendus, un volume sonore graduel et une intensité dramatique croissante, vers un paroxysme free. Kankū a des points communs avec les voies tracées par des artistes comme Tony Malaby, Tim Berne, voire Chris Speed. Même si Grimal et ses compagnons ne rechignent pas à glisser ça-et-là quelques traits be-bop, avec ses décors bourdonnants, ses jeux rythmiques, ses effets bruitistes, ses contrechants dissonants… c’est évidemment davantage du côté d’un free contemporain que lorgne le trio. Le final en est la parfaite illustration. Des frappes espacées et brutales de la batterie, des réponses heurtées et abruptes de la basse  un discours haché et rapides du ténor, coupé par les cris vifs d’un appeau, débouchent sur jardin japonais sonore : une goutte d’eau, des bruits étouffés, une note de temps en temps… Puis le trio abandonne progressivement cette sobriété expressionniste pour plonger dans un ouragan rythmico-mélodique avec un ténor emporté !

Avec sa succession de scènes intimistes et démonstratives, unies par la voix et les appeaux, Kankū est comme un poème musical sur la fugacité des instants…