Installée en France depuis de nombreuses années, la plus française des percussionnistes et compositrices uruguayennes,
Mirtha Pozzi écume les scènes de l’avant-garde musicale et des spectacles pluridisciplinaires.
La sortie de Tzimx, disque en solo paru chez Nowland / TAC le 28 avril
2020, donne l’occasion de découvrir une artiste dévouée corps et âme aux rythmes
et aux sons …
La musique
Raconter mon parcours musical risque d'être un peu long si je ne veux pas laisser de
côté certains moments marquants... Mais « c'est un long et sinueux chemin »,
comme dit le titre de la chanson des Beatles...
J’ai passé mon
enfance à Montevideo et suivi l'enseignement à l'Escuela Ecuador : chant, danse, dessin,
poésie… Les études de piano classique, le candombe [1], des centaines
de joueurs de tamboriles
[2] – les défilés et autres tournées dans les scènes de rue des
quartiers au moment du carnaval… Toutes ces expériences ont été très
formatrices et ont laissé des traces. Plus tard, au Chili, j’ai pris des cours de
guitare et pratiqué la chanson folklorique. A Viña del Mar j'écoutais aussi
beaucoup de musique afro-cubaine et de la pop. C’est à cette époque que la décision de jouer des percussions
s’est clairement imposée à moi.
Fascinée par les comparsas [3] de tambours uruguayens, le candombe ainsi que par l'écoute de toutes ces musiques où la percussion est très présente, j'ai décidé de m'acheter
un bongó. À Montevideo, j’avais vu quelques années plus tôt les percussionnistes
qui accordaient les tambours dans la rue en approchant les peaux de petits
feux. Ils tapaient avec leurs doigts pour savoir à quel moment il fallait les retirer.
J'ai mis mon bongo au soleil de Viña del Mar pour tendre les peaux. Après un
moment, j’ai entendu une sorte de détonation : les lattes en bois de mon
bongo avaient explosé !
Mirtha Pozzi (c) DIGIS Muse |
C’est aussi au
Chili que j’ai eu mon premier contact avec le Jazz quand, à Santiago du Chili – ça fait pas mal de temps
! – Patricio Villarroel m’a confié sa
collection de 33 tours avant de partir s'installer en France. C’était une énorme
pile de disques : John Coltrane, Charles Mingus, Charlie
Parker, Thelonious Monk, Dizzy Gillespie, Bill Evans, Albert
Ayler... Les grands !
Par la suite, quand
je suis arrivée en France, je
me suis orientée vers des études de percussion dans ses formes les plus variées :
percussions traditionnelles avec pas mal de joueurs de tambours et percussion
contemporaine au Conservatoire Expérimental de Pantin. C’était un enseignement
d’avant-garde… sans examens, sans solfège avant l’instrument, mais avec des
ateliers de réalisations, de travail corporel, d’improvisation, d’écriture ! Le
rêve quoi... Ça n'a pas duré longtemps...
En parallèle, je
suis les ateliers de Jazz de Patricio Villarroel et pratique les congas dans des groupes
de Jazz sur des standards tirés de la bible, le Real Book, ou sur des thèmes
originaux. Toutes ces expériences se canalisent et je commence à réaliser mes
propres projets : je compose d’abord pour mes élèves des différents
conservatoires, qui jouent mes pièces pédagogiques en concerts, puis conçois
des spectacles jeune et tout public autour de la percussion et de la voix,
parfois avec des comédiens.
Ma démarche musicale
est influencée par beaucoup de compositeurs, instrumentistes, professeurs... Un
peu en vrac : John Cage, Edgard Varèse, Mino Cinelu, Jerry Gonzalez,
Los Papines (voix et percussions, afro-cubains), Belá Bartók, Patato
Valdés, Naná Vasconcelos, Patricio Villarroel, Jean-Pierre Drouet, Luc
Ferrari, François Tusques, Daniel Humair, Georges Van
Gucht des Percussions de Strasbourg...
J'ai monté Alguamana, groupe de Latin Jazz (cuivres, basse et percussions), puis j’ai enregistré mon premier CD : Acadacoual. Dans les textes
de cet album je joue sur le sens et le non-sens, les onomatopées… avec L'Ensemble
Transes Européennes – dix musiciens de Jazz et deux chanteurs – et le chœur
La Contemporaine. Après cette expérience, je travaille sur un autre aspect de la
relation musique/langage, avec la création du concert-spectacle La Serpiente Inmortal... et
autres mythes précolombiens. Accompagné d’un
sextet – voix, saxs /flûte, accordéon, contrebasse et deux percussions – le spectacle mêle
musique, danse et trapèze, et a été publié sur un album du même nom.
Passionnée par
le lettrisme, je me plonge dans des textes de Bernard Réquichot et présente Intime Résonance, une œuvre pour danse, électro-acoustique et
percussion, Kriti Ka Troumf en trio et K.K.O.
Pikoté en solo.
Par ailleurs j’ai
enregistré en duo avec Pablo Cueco, Percussions du Monde, Improvisations
Préméditées, avec la participation de cinq musiciens électro qui transforment
en direct nos percussions, WIWEX, un double duo avec deux jazzmen de Minneapolis,
un CD en trio avec François Tusques...
Sinon, plusieurs
de mes pièces ont été éditées : en parlé-rythmé pour ensemble vocal par les Éditions
A Cœur Joie, pour
percussions par les Éditions Alfonce Production et tout dernièrement un livre Onomatotek
qui présente dix polyrythmies en onomatopées par les Éditions Henri Lemoine.
J'arrive au présent
de ce parcours : l’enregistrement de mon album en solo Tzimx Percussions / Multiples pour percussions, poésie sonore et sons électro-acoustiques,
où composition et improvisation se répondent et se nourrissent.
Cinq clés pour le
jazz
Qu’est-ce que le
jazz ? La source d'une grande variété d'expressions musicales
métissées et libres.
Pourquoi la
passion du jazz ? J'aime son histoire, l'expression et l’intensité du
jeu des musiciens improvisateurs, les innombrables chemins qu’il ouvre dans les
arts...
Où écouter du
jazz ? Dans les concerts,
un peu partout en France, mais également dans les salles, les festivals, les
innombrables caves, sur le vif à domicile... ou dans tous les lieux alternatifs, qui se sont
multipliés avec les restrictions budgétaires pour la culture et la création imposées
par les gouvernements successifs. N’oublions pas non
plus la radio, avec les quelques programmes de
jazz qui restent à Radio France et sur les radios associatives. Enfin, il faut aussi écouter
des enregistrements, bien sûr !
Comment découvrir le jazz ? Aller aux concerts, écouter les chants afro-américains
des origines, s’intéresser à la vie des musiciens nord-américains, regarder
des images d'archives de l'INA, s'abonner au Journal des Allumés du Jazz – gratuit !
– qui présente les nouveautés proposées par les labels indépendants, une énorme variété d'albums à découvrir ! Et, d'une manière générale
et utopique, encourager les gens à pratiquer d'un instrument de musique...
Une anecdote autour du jazz ? Peu après mon arrivée en France, j’ai assisté à l’un
de mes premiers concerts de jazz, c’était Carla Bley à Châteauvallon, et
il s’est terminé dans une drôle d’ambiance : des gens dans le public ont balancé des
tomates sur scène... Elles étaient sans doute moins chères que maintenant !
Le portrait chinois
Si j'étais un animal, je
serais une hirondelle pour sa mobilité et son chant,
Si j'étais une fleur, je serais un arum, pour son élégance,
Si j’étais un
fruit, je serais une mangue, pour son goût, sa couleur, son parfum... et
parce qu'elle m'évoque la vie des indiens dans des hamacs, en Amérique Latine,
avant l'arrivée de Cristobal...
Si j’étais une
boisson, je serais un rhum cubain, avec du citron vert… Je suis tout
de suite près de la mer...
Si j’étais un
plat, je serais une tortilla de papas, une omelette aux pommes de terre...
Ah ! la pomme de terre sous toutes ses formes...
Si j’étais une
lettre, je serais X, pour sa sonorité et sa forme,
Si j’étais un mot, je serais luz, la lumière, pour son contenu symbolique,
Si j’étais un
chiffre, je serais 111, on dirait une sculpture...
Si j’étais une
couleur, je serais fuchsia, parce que c'est un mélange de couleurs :
violet, rouge, mauve ...
Si j’étais une
note, je serais Si... Elle nous amène au Do,
J'ajoute : si j’étais
une pierre, je serais une azurite brute, pour sa couleur verte / bleue intense, sa texture et ses propriétés pour le corps et l'esprit…
Les bonheurs et regrets musicaux
A ce jour, ma
plus belle réussite musicale est mon dernier album en solo, Tzimx Percussions / Multiples. Ce travail m'a permis d'exprimer et de transmettre
mon attirance pour la diversité des timbres, des textures et des matières, mais
aussi de jouer avec les instruments en les « déguisant » et les
travestissant, jusqu’à les rendre inidentifiables. J'intègre dans la pochette
quatre dessins que j'ai réalisés en m'inspirant de la suite en quatre
mouvements « Insinuoso ».
Sur l'île déserte...
Quels
disques ?
Au réveil, pour bien commencer la journée et avoir « la
pêche »… Nucular d’Ursus Minor, avec Tony Hymas, Jef Lee Johnson, François
Corneloup, Stockey Williams et
la participation de Brother Ali.
A l'heure de la sieste, en même temps que les chants
des oiseaux... Kind of blue de Miles Davis
Au coucher de soleil, pour être caressée par les sons
de la flûte indienne… Fabulous
Flute de Pandit Hariprasad Chaurasia.
En regardant les étoiles… La nuit transfigurée d’Arnold
Schoenberg et l’adagio de la symphonie numéro
dix de Gustav Mahler.
Quels livres ? Archi-Made de François
Dufrêne, Race et Histoire de Claude
Lévi-Strauss et l’Anthologie de la poésie française du XXe Siècle de
Michel Décaudin.
Quels films ?
Les ailes du désir de Wim
Wenders, Frida Kahlo,
nature vivante de Paul Leduc et Le labyrinthe des passions de Pedro Almodóvar.
Quelles peintures
? Lettre d'insultes de Bernard Réquichot, Éclatements de Henri Michaux et Château Noir de Henri Cueco, d'après Paul Cézanne.
Quels loisirs ? Marcher au bord
de l'eau…
Les projets
D’abord, l'enregistrement
d'un album voix – percussions autour des poèmes de Benjamin Péret, en
duo avec Pablo Cueco. Puis la création de Miroir
Fumant, un spectacle s'inspirant de Texcatlipoca, une divinité du panthéon mexicain, multiforme et omniprésente. Le
spectacle mêle arts plastiques en direct, danse, duo de clarinettes basses, duo
de percussion et électro-acoustique. J’ai aussi en chantier d'autres pièces en
parlé-rythmé, en vue d’éditer un recueil.
Trois vœux...
1. Un vrai changement de société.
2. Du respect pour la nature.
3. Moins d'armes, plus de culture.
[1] Rythme afro-uruguayen. Expression culturelle des esclaves noirs amenés à Montevideo. Il devient un des éléments principaux de la musique populaire uruguayenne. CD de référence : Uruguay : Tambores del Candombe (Buda Musique)
[2] Tambours utilisés dans le candombe : il existe actuellement trois types de tambours : chico (aigu), repique (moyen) et piano (grave).
[3] Ensembles constitués de musiciens jouant des tambours, de danseurs et de personnages traditionnels qui animent en particulier les carnavals