03 juin 2020

A la découverte de Mirtha Pozzi…


Installée en France depuis de nombreuses années, la plus française des percussionnistes et compositrices uruguayennes, Mirtha Pozzi écume les scènes de l’avant-garde musicale et des spectacles pluridisciplinaires. La sortie de Tzimx, disque en solo paru chez Nowland / TAC le 28 avril 2020, donne l’occasion de découvrir une artiste dévouée corps et âme aux rythmes et aux sons …



La musique

Raconter mon parcours musical risque d'être un peu long si je ne veux pas laisser de côté certains moments marquants... Mais « c'est un long et sinueux chemin », comme dit le titre de la chanson des Beatles...

J’ai passé mon enfance à Montevideo et suivi l'enseignement à l'Escuela Ecuador :  chant, danse, dessin, poésie… Les études de piano classique, le candombe [1], des centaines de joueurs de tamboriles [2]les défilés et autres tournées dans les scènes de rue des quartiers au moment du carnaval… Toutes ces expériences ont été très formatrices et ont laissé des traces. Plus tard, au Chili, j’ai pris des cours de guitare et pratiqué la chanson folklorique. A Viña del Mar j'écoutais aussi beaucoup de musique afro-cubaine et de la pop. C’est à cette époque que la décision de jouer des percussions s’est clairement imposée à moi.

Fascinée par les comparsas [3] de tambours uruguayens, le candombe ainsi que par l'écoute de toutes ces musiques où la percussion est très présente, j'ai décidé de m'acheter un bongó. À Montevideo, j’avais vu quelques années plus tôt les percussionnistes qui accordaient les tambours dans la rue en approchant les peaux de petits feux. Ils tapaient avec leurs doigts pour savoir à quel moment il fallait les retirer. J'ai mis mon bongo au soleil de Viña del Mar pour tendre les peaux. Après un moment, j’ai entendu une sorte de détonation : les lattes en bois de mon bongo avaient explosé !


Mirtha Pozzi (c) DIGIS Muse

C’est aussi au Chili que j’ai eu mon premier contact avec le Jazz quand, à Santiago du Chili – ça fait pas mal de temps ! – Patricio Villarroel m’a confié sa collection de 33 tours avant de partir s'installer en France. C’était une énorme pile de disques : John Coltrane, Charles Mingus, Charlie Parker, Thelonious Monk, Dizzy Gillespie, Bill Evans, Albert Ayler... Les grands !

Par la suite, quand je suis arrivée en France, je me suis orientée vers des études de percussion dans ses formes les plus variées : percussions traditionnelles avec pas mal de joueurs de tambours et percussion contemporaine au Conservatoire Expérimental de Pantin. C’était un enseignement d’avant-garde… sans examens, sans solfège avant l’instrument, mais avec des ateliers de réalisations, de travail corporel, d’improvisation, d’écriture ! Le rêve quoi... Ça n'a pas duré longtemps...

En parallèle, je suis les ateliers de Jazz de Patricio Villarroel et pratique les congas dans des groupes de Jazz sur des standards tirés de la bible, le Real Book, ou sur des thèmes originaux. Toutes ces expériences se canalisent et je commence à réaliser mes propres projets : je compose d’abord pour mes élèves des différents conservatoires, qui jouent mes pièces pédagogiques en concerts, puis conçois des spectacles jeune et tout public autour de la percussion et de la voix, parfois avec des comédiens.

Ma démarche musicale est influencée par beaucoup de compositeurs, instrumentistes, professeurs... Un peu en vrac : John Cage, Edgard Varèse, Mino Cinelu, Jerry Gonzalez, Los Papines (voix et percussions, afro-cubains), Belá Bartók, Patato Valdés, Naná Vasconcelos, Patricio Villarroel, Jean-Pierre Drouet, Luc Ferrari, François Tusques, Daniel Humair, Georges Van Gucht des Percussions de Strasbourg...

J'ai monté Alguamana, groupe de Latin Jazz (cuivres, basse et percussions), puis j’ai enregistré mon premier CD : Acadacoual. Dans les textes de cet album je joue sur le sens et le non-sens, les onomatopées… avec L'Ensemble Transes Européennes – dix musiciens de Jazz et deux chanteurs – et le chœur La Contemporaine. Après cette expérience, je travaille sur un autre aspect de la relation musique/langage, avec la création du concert-spectacle La Serpiente Inmortal... et autres mythes précolombiens. Accompagné d’un sextet – voix, saxs /flûte, accordéon, contrebasse et deux percussions – le spectacle mêle musique, danse et trapèze, et a été publié sur un album du même nom.

Passionnée par le lettrisme, je me plonge dans des textes de Bernard Réquichot et présente Intime Résonance, une œuvre pour danse, électro-acoustique et percussion, Kriti Ka Troumf en trio et K.K.O. Pikoté en solo.

Par ailleurs j’ai enregistré en duo avec Pablo Cueco, Percussions du Monde, Improvisations Préméditées, avec la participation de cinq musiciens électro qui transforment en direct nos percussions, WIWEX, un double duo avec deux jazzmen de Minneapolis, un CD en trio avec François Tusques...

Sinon, plusieurs de mes pièces ont été éditées : en parlé-rythmé pour ensemble vocal par les Éditions A Cœur Joie, pour percussions par les Éditions Alfonce Production et tout dernièrement un livre Onomatotek qui présente dix polyrythmies en onomatopées par les Éditions Henri Lemoine.

J'arrive au présent de ce parcours : l’enregistrement de mon album en solo Tzimx Percussions / Multiples pour percussions, poésie sonore et sons électro-acoustiques, où composition et improvisation se répondent et se nourrissent.


Cinq clés pour le jazz

Qu’est-ce que le jazz ? La source d'une grande variété d'expressions musicales métissées et libres.

Pourquoi la passion du jazz ? J'aime son histoire, l'expression et l’intensité du jeu des musiciens improvisateurs, les innombrables chemins qu’il ouvre dans les arts...

Où écouter du jazz ? Dans les concerts, un peu partout en France, mais également dans les salles, les festivals, les innombrables caves, sur le vif à domicile... ou dans tous les lieux alternatifs, qui se sont multipliés avec les restrictions budgétaires pour la culture et la création imposées par les gouvernements successifs. N’oublions pas non plus la radio, avec les quelques programmes de jazz qui restent à Radio France et sur les radios associatives. Enfin, il faut aussi écouter des enregistrements, bien sûr !

Comment découvrir le jazz ? Aller aux concerts, écouter les chants afro-américains des origines, s’intéresser à la vie des musiciens nord-américains, regarder des images d'archives de l'INA, s'abonner au Journal des Allumés du Jazz – gratuit ! – qui présente les nouveautés proposées par les labels indépendants, une énorme variété d'albums à découvrir ! Et, d'une manière générale et utopique, encourager les gens à pratiquer d'un instrument de musique...

Une anecdote autour du jazz ? Peu après mon arrivée en France, j’ai assisté à l’un de mes premiers concerts de jazz, c’était Carla Bley à Châteauvallon, et il s’est terminé dans une drôle d’ambiance : des gens dans le public ont balancé des tomates sur scène... Elles étaient sans doute moins chères que maintenant !





Le portrait chinois

Si j'étais un animal, je serais une hirondelle pour sa mobilité et son chant,
Si j'étais une fleur, je serais un arum, pour son élégance,
Si j’étais un fruit, je serais une mangue, pour son goût, sa couleur, son parfum... et parce qu'elle m'évoque la vie des indiens dans des hamacs, en Amérique Latine, avant l'arrivée de Cristobal...
Si j’étais une boisson, je serais un rhum cubain, avec du citron vert… Je suis tout de suite près de la mer...
Si j’étais un plat, je serais une tortilla de papas, une omelette aux pommes de terre... Ah ! la pomme de terre sous toutes ses formes...
Si j’étais une lettre, je serais X, pour sa sonorité et sa forme,
Si j’étais un mot, je serais luz, la lumière, pour son contenu symbolique,
Si j’étais un chiffre, je serais 111, on dirait une sculpture...
Si j’étais une couleur, je serais fuchsia, parce que c'est un mélange de couleurs : violet, rouge, mauve ...
Si j’étais une note, je serais Si... Elle nous amène au Do,
J'ajoute : si j’étais une pierre, je serais une azurite brute, pour sa couleur verte / bleue intense, sa texture et ses propriétés pour le corps et l'esprit…



Les bonheurs et regrets musicaux

A ce jour, ma plus belle réussite musicale est mon dernier album en solo, Tzimx Percussions / Multiples. Ce travail m'a permis d'exprimer et de transmettre mon attirance pour la diversité des timbres, des textures et des matières, mais aussi de jouer avec les instruments en les « déguisant » et les travestissant, jusqu’à les rendre inidentifiables. J'intègre dans la pochette quatre dessins que j'ai réalisés en m'inspirant de la suite en quatre mouvements « Insinuoso ».

Au titre des regrets, j’aurais aimé avoir appris à jouer du violoncelle et de la basse électrique.





Sur l'île déserte...

Quels disques ?
Au réveil, pour bien commencer la journée et avoir « la pêche »… Nucular d’Ursus Minor, avec Tony Hymas, Jef Lee Johnson, François Corneloup, Stockey Williams et la participation de Brother Ali.
A l'heure de la sieste, en même temps que les chants des oiseaux... Kind of blue de Miles Davis
Au coucher de soleil, pour être caressée par les sons de la flûte indienne… Fabulous Flute de Pandit Hariprasad Chaurasia.
En regardant les étoiles… La nuit transfigurée d’Arnold Schoenberg et l’adagio de la symphonie numéro dix de Gustav Mahler.

Quels livres ? Archi-Made de François Dufrêne, Race et Histoire de Claude Lévi-Strauss et l’Anthologie de la poésie française du XXe Siècle de Michel Décaudin.

Quels films ? Les ailes du désir de Wim Wenders, Frida Kahlo, nature vivante de Paul Leduc et Le labyrinthe des passions de Pedro Almodóvar.

Quelles peintures ? Lettre d'insultes de Bernard Réquichot, Éclatements de Henri Michaux et Château Noir de Henri Cueco, d'après Paul Cézanne.

Quels loisirs ? Marcher au bord de l'eau…


Les projets

D’abord, l'enregistrement d'un album voix – percussions autour des poèmes de Benjamin Péret, en duo avec Pablo Cueco. Puis la création de Miroir Fumant, un spectacle s'inspirant de Texcatlipoca, une divinité du panthéon mexicain, multiforme et omniprésente. Le spectacle mêle arts plastiques en direct, danse, duo de clarinettes basses, duo de percussion et électro-acoustique. J’ai aussi en chantier d'autres pièces en parlé-rythmé, en vue d’éditer un recueil.



Trois vœux...

1.   Un vrai changement de société.

2.   Du respect pour la nature.

3.   Moins d'armes, plus de culture.






[1] Rythme afro-uruguayen. Expression culturelle des esclaves noirs amenés à Montevideo. Il devient un des éléments principaux de la musique populaire uruguayenne. CD de référence : Uruguay : Tambores del Candombe (Buda Musique)
[2]  Tambours utilisés dans le candombe : il existe actuellement trois types de tambours : chico (aigu), repique (moyen) et piano (grave).
[3] Ensembles constitués de musiciens jouant des tambours, de danseurs et de personnages traditionnels qui animent en particulier les carnavals