19 octobre 2016

A la découverte de… Stéphane Tsapis

Marqué par ses racines grecques, Stéphane Tsapis joue un jazz empreint de mélodies et de rythmes des Balkans. La sortie de Border Lines, en mars 2016, donne l’occasion de partir à la découverte de ce pianiste à cheval entre deux cultures…


La musique

J'ai eu de la chance : mon grand-père était un pianiste amateur très éclairé ! Mais il n'avait pas eu l'opportunité de pouvoir en faire son métier… Mon arrière-grand-père aussi me voyait tripoter les touches du piano du salon. Ils m’ont encouragé à me mettre au piano et conseillé à ma mère de trouver un professeur... Ce ne sont pas les pianistes qui manquent dans la famille de ma mère ! Mon oncle, Jean-Louis Haguenauer, est un immense soliste classique, spécialiste, entre autres, de Claude Debussy ; quand j’étais enfant, nous allions souvent l'écouter en concert...

J’avais autour de sept ans quand ma mère m'a offert une cassette avec les enregistrements solo de Thelonious Monk pour Columbia. Le choc ! Je l’ai écouté en boucle sur mon walkman. Et j'ai d’ailleurs longtemps cru que la manière de jouer de Monk était conventionnelle... J’ai appris dans les notes de pochettes quels étaient les musiciens qui l’avaient influencé et me suis procuré des disques de James P. Johnson et Fats Waller. Puis, de fil en aiguille, j’ai écouté d'autres pianistes : Erroll Garner, Bud Powell, Hank Jones, John Lewis, Mal Waldron, Randy Weston... Je suis devenu ce qu'on appelle un fanatique ! J'ai pris beaucoup de plaisir à découvrir la grande famille du jazz et des musiques afro-américaines…

Vers dix ans, après avoir pris des cours avec quelques professeurs particuliers, j'ai mis les pieds au conservatoire du quatorzième arrondissement de Paris : une professeure de solfège m'a traumatisé ! Et je n’ai plus voulu y retourner... D’ailleurs, pendant très longtemps j’ai détesté lire la musique : j'apprenais rapidement par cœur les morceaux et faisais semblant de lire la partition... En revanche j’aimais improviser et composer mes propres morceaux... Mon grand-père improvisait dès qu’un piano se trouvait à portée de doigts… La plupart du temps c’était sur des standards de jazz qu'il avait appris d'oreille. « Caravan », « Dinah » et « Mood Indigo » étaient ses morceaux de prédilections. Il m'a transmis sa passion ! Lors des fêtes de famille il nous arrivait même de faire des quatre mains endiablées… Mes parents m’ont parfaitement compris et j'ai continué le piano avec des professeurs merveilleux qui m'ont vite orienté vers le jazz. En dehors des pianistes déjà cités, mes influences se sont élargies : Louis Armstrong, mais aussi les Doors, les Beatles, Igor Stravinsky, Béla Bartók, Nino Rota, Boby Lapointe...

Après le baccalauréat et un stage de Jazz à Barcelonnette, j'ai décidé de me consacrer à la musique... La suite s’est enchaînée : Benjamin Moussay, des cours de jazz au conservatoire, des cours de classique à Gennevilliers avec Josette Morata… Ils m'ont donné le goût du travail et du geste musical. Et, en parallèle à mes études, je suis devenu professeur à mon tour…


 Stéphane Tsapis (c) Pierrick Guidou


Cinq clés pour le jazz

Qu’est-ce que le jazz ? Une longue histoire passionnante... Asseyez-vous, mettez-vous à l'aise, nous allons passer un bon moment !

Pourquoi la passion du jazz ? Il permet d'explorer ce que nous avons au fond de nous-même : à la recherche d'un son original qui nous correspond… Et c'est cette leçon que je retiens du jazz : joue ce que toi seul peut jouer. Les étiquettes stylistiques ne sont que littérature...

Où écouter du jazz ? En live !... Dans un club, un squat, une belle salle de concert... Essayez de suivre vos groupes préférés et allez les écouter dans des lieux différents !

Comment découvrir le jazz ? Soyez curieux de toutes les musiques ! Inscrivez-vous dans une médiathèque et écoutez le plus de disques possibles…

Une anecdote autour du jazz ? Monk et Powell font un long voyage en train ensemble, ils ne se sont pas vus depuis des années. Ils n'échangent pas un seul mot. En se quittant, Monk – ou Bud – dit à l'autre : « ça m'a fait plaisir de discuter avec toi ! ».


Le portrait chinois

Si j’étais un animal, je serais un koala car je trouve sa tête sympathique,
Si j’étais une fleur, je serais un fuchsia, pour ses petites lanternes rigolotes,
Si j’étais un fruit, je serais une pastèque parce que c'est délicieux et rafraichissant,
Si j’étais une boisson, je serais une bière extrêmement fraiche, devant un coucher de soleil, au milieu de la mer Egée !
Si j’étais un plat, je serais un agneau grillé avec des pommes de terre au four, sur fond de sauce au citron, le plat magique de mon papa,
Si j’étais une lettre, je serais T, pour le nombre de fois où j'ai dû épeler mon nom de famille...
Si j’étais un mot, je serais Aman !,  l’interjection utilisée dans la musique arabe, turque, grecque et plus, si affinité... Intraduisible...
Si j’étais un chiffre, je serais 5, un chiffre magique,
Si j’étais une couleur, je serais bleu canard ?...
Si j’étais une note, je serais celle qui est jouée ou chantée avec les tripes !


Les bonheurs et regrets musicaux

Je suis heureux d'avoir écrit une pièce pour l'octuor de clarinettes de la garde républicaine : « Crna Gora ». Mais je garde aussi un souvenir ému de ma première composition, « Palme de verre », qu’Alain Vankenhove m’a permis d'arranger pour le big band de Bourg La Reine, dans lequel je tenais le poste de pianiste.

Quant à mon plus grand regret, c’est de ne pas être allé écouter Mal Waldron en concert, après la Master Class qu'il avait donné à l’université Paris VIII, en 2002 : il m'avait offert une place en coulisse, mais je n'y suis pas allé... Et il est mort quelques temps plus tard…



Sur l’île déserte…

Quels disques ? Solo Monk, Live At The Pershing d’Ahmad Jamal, le Porgy and Bess d’Oscar Peterson, l'intégrale des Beatles, la Far East Suite de Duke Ellington, le Porgy and Bess de Gil Evans et Miles Davis etc.

Quels livres ?  Toutes les enquêtes de l'inspecteur Salvo Montalbano par Andrea Camilleri, L'écume des jours de Boris Vian, Le Maître et Marguerite de Mikhaïl Boulgakov, La liberté ou la mort de Nikos Kazantzaki, Les fleurs bleues de Raymond Queneau...

Quels films ? Vertigo, Fenêtre sur cour et La mort aux trousses d’Alfred Hitchcock, toute la filmographie post 1917 de Charlie Chaplin, Les aventures de Rabbi Jacob, Huit et demi, Amarcord et La dolce vita de Federico Fellini, Asterix et Cléopâtre, Princesse Mononoké, Beetlejuice

Quelles peintures ? Johannes Vermeer, Vincent Van Gogh, Claude Monet, Marcel Gotlib, Jean-Jacques Sempé, Joann Sfar et Jacques TardI.

Quels loisirs ? La musique !


Les projets

Le gros projet du moment : une adaptation de ma pièce symphonique composée pour le film de Chaplin, L’Emigrant, qui sera jouée le 24 novembre prochain par l'orchestre d'Athènes et un petit combo de jazz dans un camp de réfugié à Lavrio, en Grèce. Ce sera un ciné-concert live. Le 27 novembre, nous le rejouerons pour une soirée caritative au Megaro Mousikis d'Athènes. Je suis impatient d'être sur place !

Sinon, j’ai trois autres projets sur le feu : un spectacle, Le piano oriental, avec la dessinatrice Zeina Abirached, un nouveau disque en trio en gestation et l'envie grandissante de jouer en solo...


Trois vœux

1. La paix. 

2. L'amour. 

3. Le bonheur.