En 2017, les Gémeaux,
à Sceaux, et le Théâtre 71, à Malakoff, ont uni leurs efforts pour créer le
festival Jazz Vibrations. Du 6 novembre au 17 novembre, six formations se
succèdent sur les scènes des deux théâtres : Julien Lourau & The
Groove Retrievers, Xavier Desandre Navarre, Fred Pallem & Le Sacre duTympan, Nox.3 & Linda Oláh, le Umlaut Big Band et Michel Barbaud Septet.
Julien Lourau & The Groove
Retrievers
Les Gémeaux – Mardi 6 novembre
Le concert reprend le répertoire du disque éponyme sorti en
novembre 2017. Dans une ambiance caribéenne dansante, les thèmes aguicheurs –
« Tu Mi Turbi », « Mah-Ore » – sont développés dans des
solos tournoyants de Lourau (« Gafieira Universal »), Bonacina (« Mah-Ore »)
et Berjeaut (« La Congo »). Haj Youssef apporte une certaine douceur
et des couleurs moyen-orientales ou tziganes (« Tu Mi Turbi »). La voix
médium aux accents rauques de Laveaux, son phrasé qui mâche les mots, les
paroles en créole ou en anglais et une mise en place chaloupée (« Postman »),
donnent un charme particulier à ses chansons folks haïtiennes. The Groove
Retrievers ne porte pas son nom pour rien : le rythme est la composante
centrale de la musique de l’orchestre et Lourau compte sur six musiciens pour
dynamiter le tempo ! Entre la batterie de Scott et les percussions de
Quezada et Campos Martinez, une polyrythmie luxuriante accompagne chaque morceau
(« Baltimore »), tandis que la carrure est assurée par les lignes
grondantes (« La Congo ») de Cabrera, couplée aux riffs d’Haynes (« Baltimore »).
Quant à Mitchel, il complète l’ensemble avec ses accords latinos (« La
gitana me ha dejado ») et autres ostinatos puissants (« Samuel »).
Sans oublier le chœur des vents, qui se joint volontiers au foisonnement
ambiant pour pousser les solistes (« Eddie Wildfire »).
Entre le funk, la soul, l’électro, la clave… Lourau aime
depuis toujours les ambiances qui déménagent, sans pour autant sacrifier la
créativité des musiciens sur l’autel de la facilité. The Groove Retrievers ne
contreviennent pas à la règle et leur musique, enthousiaste, a de quoi
transformer une salle de concert en dance floor !
Beat Body & Soul – Xavier
Desandre Navarre
Théâtre 71 – Jeudi 8 novembre
De l’ensemble Lumière de Laurent Cugny à l’Orchestre
National de Jazz de Denis Badault, en passant par les groupes de Michel Portal,
Tana Maria, Franck Tortiller, Manu Dibango, Niels Lan Doky, Yves Rousseau… mais
aussi en étudiant sur le terrain les rythmes iraniens et brésiliens, Desandre Navarre
a multiplié les expériences.
En 2012 il crée Beat Body & Soul, un spectacle en solo.
Aucune batterie sur scène, mais un ordinateur, des pédales et, surtout, un
fourmillement de percussions : bongos, congas, tambourins, cymbales,
berimbau, casserole, sifflets, steel tongue drum, sanzas, tube wah wah, flûte
en bambou et une multitude d’accessoires…
Les cinq morceaux du concert prouvent, s’il en est besoin,
que les percussions peuvent développer une multitude d’ambiances toutes plus
différentes les unes que les autres. Le set
démarre sur une mélodie rythmique douce et hypnotique, jouée sur un tambour à
lamelles en acier, qui évoque ça-et-là un gamelan. Desandre Navarre ajoute
ensuite une basse continue sourde qui contraste avec la sonorité cristalline du
métal. Puis, petit à petit, le percussionniste superpose des motifs en
contrepoints à base de clochettes, sifflets, vocalises… A cette musique à la
fois entraînante et méditative, succède une polyrythmie virtuose sur une base
de tambourin frotté aux balais. Après avoir joué avec une casserole remplie
d’eau, Desandre Navarre égrène des riffs sur une sanza, puis termine sur les peaux
de ses tambours. C’est plutôt vers la musique contemporaine et les percussions
de Strasbourg que penche le début du morceau suivant, mais avec le thème-riff
que joue le musicien dans une flûte à bec en bambou, il prend la route des musiques du monde. Pour l’hommage à Caetano
Veloso et Gilberto Gil, Desandre
Navarre passe au berimbau et, entre glissandos et effets bluesy, il chante à mi-chemin entre un air mélodique et des spoken words. Le dernier morceau reboucle avec
le premier : sur un décor sombre de roulements profonds et de grondements
sourds, des mélodies étouffées et vibrantes replongent l’auditeur dans un
climat de recueillement, renforcé par l’accélération rythmique. Le bis est
court car, si Desandre Navarre arrive à faire jouer au public un rythme avec les
mains, en revanche il n’arrive pas à l’entraîner dans ses jeux de beatbox.
Beat Body & Soul est un solo mélodieux et varié :
du début à la fin, l’auditeur reste toujours à l’affût de savoir quelle
direction va prendre Desandre Navarre avec tout son attirail de percussions…
L’Odyssée – Fred Pallem & Le
Sacre du Tympan
Les Gémeaux – Vendredi 9 novembre
En 1998, Pallem monte un orchestre à géométrie variable au nom humoristique évocateur : Le Sacre du Tympan. Il sort un premier disque
éponyme chez Le Chant du Monde en 2002. Suivent : Le Retour ! chez Label Bleu (2005), La Grande Ouverture pour Atmosphériques (2008), SoundTrax chez Music Unit (2011), puis François de Roubaix (2015), Soul cinéma (2017), Cartoons (2017) et L’Odyssée
(2018) sur le label Train Fantôme.
Dans le cadre de Jazz Vibrations, Pallem joue le programme
de L’Odyssée, sorti en mai. Pendant
le concert, les œuvres psychédéliques, géométriques et colorées d’Elzo Durt, illustrateur de la pochette
du disque, sont projetées en arrière-plan. Pour l’occasion, Le Sacre du Tympan
est composé de Christine Roch
(saxophone ténor et clarinette basse), Rémi
Sciuto (flûte et saxophone baryton), Sylvain
Bardiau (trompette et bugle), Robinson Khoury (trombone), Guillaume Magne (guitare), Sébastien Palis (orgue
et clavinet), Pallem (basse) et Vincent
Taeger (batterie). L’octuor est accompagné par un quatuor à cordes : Anne Le Pape et Aurélie Branger au violon, Séverine
Morfin au violon alto et Michèle
Pierre au violoncelle.
Le Sacre du Tympan interprète cinq des sept compositions de L’Odyssée, « Les scélérates »
et la « Suite italienne », tirées de SoundTrax, « Pierre de Roubaix », de l’album éponyme et,
en bis, le thème de Taxi Driver,
signé Bernard Herrmann.
La passion de Pallem pour le cinéma et les bandes originales
de film n’est pas une nouveauté et la musique du concert en apporte une
confirmation supplémentaire. Sur la batterie de Taeger, puissante (« Death
And Life Of A Suburban Guy »), sourde (« Les scélérates »),
parfois binaire (« Suite italienne ») et le plus souvent régulière
(« L’intrus »), la basse de Pallem gronde (« Astringent Mouse
Trap »), vrombit (« Haemophilus Aphrophilus ») et maintient une
carrure solide. Les claviers de Palis apportent des touches
vintage (« Astringent Mouse Trap ») et ses riffs rappellent parfois
les séries des années quatre-vingt (« Death And Life Of A Suburban
Guy »). Les effets wah-wah de Magne renforcent encore ces évocations
nostalgiques (« L’Odyssée »), tandis que son chorus déchaîné dans
« Astringent Mouse Trap » nous entraîne vers le rock alternatif. Roch,
Sciuto et Bardiau alternent des chœurs à l’unisson (« Suite
italienne »), des chorus vifs (« L’Odyssée ») ou un foisonnement
de voix (« Haemophilus Aphrophilus »). Chaque morceau est construit
comme un mouvement d’ensemble qui se développe progressivement (« François
de Roubaix » sous influence de la musique répétitive), avec un sens
dramatique évident (« Taxi Driver », « Haemophilus
Aphrophilus »), une gestion de la tension soignée (« Suite italienne »)
et une expressivité descriptive (« L’intrus »). Le quatuor à cordes accentue
ces caractéristiques (les très Morriconiennes
« Scélérates ») et renforce encore un peu plus le côté
cinématographique de la musique du Sacre du Tympan (« Taxi Driver »,
« L’intrus »…).
Funk, rock, psychédélique, contemporaine… la musique de Pallem
déborde de vitalité et possède ce côté farfelu qui la rend singulière.
Umlaut Big Band
Théâtre 71 – Jeudi 15 novembre
Le collectif Umlaut est né à Stockholm en 2004. Aujourd’hui installé à Berlin et à Paris, il réunit une douzaine de musiciens autour d’une
vingtaine de projets, un festival et un label fort d’une cinquantaine de titres…
A l’initiative du collectif, Pierre-Antoine Badaroux monte le Umlaut Big Band en 2011 avec treize
musiciens rencontrés pour la plupart sur les bancs du Conservatoire National
Supérieur de Paris ou dans des projets communs. Dès le départ, le but de l’orchestre
est de relire le répertoire du « Vieux Jazz », à partir de
transcriptions et de réarrangements d’œuvres enregistrées des années vingt aux
années quarante. En 2013, le Umlaut Big Band enregistre Nelson’s Jacket, un
hommage à Gene Gifford, John Nesbitt, Will Hudson, Mary Lou Williams et Bennie Carter, cinq arrangeurs clés de l’ère swing. Badaroux
poursuit son travail d’historien avec Euro Swing, sorti en 2015 et consacré aux
musiciens de jazz européens entre 1926 et 1940. Cet opus est suivi, l’année d’après,
par un deuxième volume centré sur les œuvres écrites en Europe de 1925 à 1940, par
des musiciens américains.
The King of Bungle Bar, publié en septembre 2018, revisite
l’œuvre de Don Redman. Le
disque, enregistré sur le vif au Lavoir Moderne Parisien, s’articule autour de
vingt-six morceaux, pour la plupart signés Redman. Chef d’orchestre, compositeur,
multi-instrumentiste, chanteur… Redman (1900 – 1964), « the little giant of
jazz » (pour sa petite taille, mais son immense talent), a donné ses lettres de
noblesse à l’arrangement dans le jazz. Dans le compte-rendu du concert de
Redman à la salle Pleyel le 25 décembre 1946, Boris Vian écrit : « Don Redman est un peu devin, voire
météorologiste, et son cœur généreux lui a dicté sa conduite : ils sont
venus pour nous réchauffer. Ils n’y ont pas manqué […] ». De Fletcher Henderson à Count Basie, en passant par Louis Armstrong, Cab Calloway, Paul Whiteman,
Jimmie Lunceford… Redman a travaillé
avec le gotha du jazz de l’ère swing.
Lors du concert au Théâtre 71, le Umlaut Big Band puise dans
les morceaux de The King of Bungle Bar.
Le titre du disque, qui pourrait se traduire par « le roi de la barre
brisée », traduit bien la construction des morceaux avec les différentes
sections qui se superposent, se croisent, se chevauchent, se répondent… sans trop
se soucier des barres de mesure, dans des tourbillons de notes parfaitement
maîtrisés et cadrés par une rythmique qui suit implacablement les quatre temps.
Des breaks (« The Whiteman Stomp ») et des splash (« T.N.T. »)
ponctuent les phrases de l’orchestre, tandis que les solistes envoient quelques
phrases virevoltantes au-dessus de la mêlée des soufflants (« Have It
Ready »). Les questions-réponses fusent (« Blue Black Bottom
Stomp ») avant que les notes ne rebondissent d’un instrument à l’autre (« Sugar
Foot Stomp »). Le piano stride attise le feu (« Feeling The Way I
Do ») et tout le big band est dans la danse (« The Henderson
Stomp »)…