25 novembre 2018

Bonnes vibrations à Malakoff et Sceaux…


En 2017, les Gémeaux, à Sceaux, et le Théâtre 71, à Malakoff, ont uni leurs efforts pour créer le festival Jazz Vibrations. Du 6 novembre au 17 novembre, six formations se succèdent sur les scènes des deux théâtres : Julien Lourau & The Groove Retrievers, Xavier Desandre Navarre, Fred Pallem & Le Sacre duTympan, Nox.3 & Linda Oláh, le Umlaut Big Band et Michel Barbaud Septet.


Julien Lourau & The Groove Retrievers
Les Gémeaux – Mardi 6 novembre

Clin d’œil à son mémorable Groove Gang des années quatre-vingts dix, Lourau a formé The Groove Retrievers en 2016. L’orchestre compte dix musiciens venus de tous horizons : Antoine Berjeaut (Surnatural Orchestra, la Société des Arpenteurs, Wasteland…) à la trompette, Céline Bonacina (Megapulse Orchestra, Didier Levallet, Nguyen Lê, Dominique Fillon…) au saxophone Baryton, Jasser Haj Youssef (Didier Lockwood, Khalil Chahine, Geoffroy De Masure, Youssou N’Dour…) au violon, Mathilda Haynes (O’Magreena, Kiala and the Afroblaster, Winston McAnuff & Fixi…) à la guitare, Robert Mitchell (Tomorrow’s Warriors, Courtney Pine, Panacea, Stéphane Payen… ) au piano, Felipe Cabrera (Gonzalo Rubalcaba, Roberto Fonseca, Harold Lopez-Nussa, Cuban Descargas… ) à la basse, Sebastian Quezada (Rumbabierta, Maxime Le Forestier, Salif Keita, Patrice Caratini,  ) et Javier Campos Martinez (Rumbabierta, Minino Garay, Sangoma Everett, La Llave,  ) aux percussions, et Jon Scott (Kairos 4Tet, George Crowley, Mulatu Astatke, Dice Factory…) à la batterie. The Groove Retrievers invite également la chanteuse haïtienne Mélissa Laveaux sur quelques titres.


Le concert reprend le répertoire du disque éponyme sorti en novembre 2017. Dans une ambiance caribéenne dansante, les thèmes aguicheurs – « Tu Mi Turbi », « Mah-Ore » – sont développés dans des solos tournoyants de Lourau (« Gafieira Universal »), Bonacina (« Mah-Ore ») et Berjeaut (« La Congo »). Haj Youssef apporte une certaine douceur et des couleurs moyen-orientales ou tziganes (« Tu Mi Turbi »). La voix médium aux accents rauques de Laveaux, son phrasé qui mâche les mots, les paroles en créole ou en anglais et une mise en place chaloupée (« Postman »), donnent un charme particulier à ses chansons folks haïtiennes. The Groove Retrievers ne porte pas son nom pour rien : le rythme est la composante centrale de la musique de l’orchestre et Lourau compte sur six musiciens pour dynamiter le tempo ! Entre la batterie de Scott et les percussions de Quezada et Campos Martinez, une polyrythmie luxuriante accompagne chaque morceau (« Baltimore »), tandis que la carrure est assurée par les lignes grondantes (« La Congo ») de Cabrera, couplée aux riffs d’Haynes (« Baltimore »). Quant à Mitchel, il complète l’ensemble avec ses accords latinos (« La gitana me ha dejado ») et autres ostinatos puissants (« Samuel »). Sans oublier le chœur des vents, qui se joint volontiers au foisonnement ambiant pour pousser les solistes (« Eddie Wildfire »).



Entre le funk, la soul, l’électro, la clave… Lourau aime depuis toujours les ambiances qui déménagent, sans pour autant sacrifier la créativité des musiciens sur l’autel de la facilité. The Groove Retrievers ne contreviennent pas à la règle et leur musique, enthousiaste, a de quoi transformer une salle de concert en dance floor !




Beat Body & Soul – Xavier Desandre Navarre
Théâtre 71 – Jeudi 8 novembre

De l’ensemble Lumière de Laurent Cugny à l’Orchestre National de Jazz de Denis Badault, en passant par les groupes de Michel Portal, Tana Maria, Franck Tortiller, Manu Dibango, Niels Lan Doky, Yves Rousseau… mais aussi en étudiant sur le terrain les rythmes iraniens et brésiliens, Desandre Navarre a multiplié les expériences.

En 2012 il crée Beat Body & Soul, un spectacle en solo. Aucune batterie sur scène, mais un ordinateur, des pédales et, surtout, un fourmillement de percussions : bongos, congas, tambourins, cymbales, berimbau, casserole, sifflets, steel tongue drum, sanzas, tube wah wah, flûte en bambou et une multitude d’accessoires…


Les cinq morceaux du concert prouvent, s’il en est besoin, que les percussions peuvent développer une multitude d’ambiances toutes plus différentes les unes que les autres.  Le set démarre sur une mélodie rythmique douce et hypnotique, jouée sur un tambour à lamelles en acier, qui évoque ça-et-là un gamelan. Desandre Navarre ajoute ensuite une basse continue sourde qui contraste avec la sonorité cristalline du métal. Puis, petit à petit, le percussionniste superpose des motifs en contrepoints à base de clochettes, sifflets, vocalises… A cette musique à la fois entraînante et méditative, succède une polyrythmie virtuose sur une base de tambourin frotté aux balais. Après avoir joué avec une casserole remplie d’eau, Desandre Navarre égrène des riffs sur une sanza, puis termine sur les peaux de ses tambours. C’est plutôt vers la musique contemporaine et les percussions de Strasbourg que penche le début du morceau suivant, mais avec le thème-riff que joue le musicien dans une flûte à bec en bambou, il prend la route des musiques du monde. Pour l’hommage à Caetano Veloso et Gilberto Gil, Desandre Navarre passe au berimbau et, entre glissandos et effets bluesy, il chante à mi-chemin entre un air mélodique et des spoken words. Le dernier morceau reboucle avec le premier : sur un décor sombre de roulements profonds et de grondements sourds, des mélodies étouffées et vibrantes replongent l’auditeur dans un climat de recueillement, renforcé par l’accélération rythmique. Le bis est court car, si Desandre Navarre arrive à faire jouer au public un rythme avec les mains, en revanche il n’arrive pas à l’entraîner dans ses jeux de beatbox.

Beat Body & Soul est un solo mélodieux et varié : du début à la fin, l’auditeur reste toujours à l’affût de savoir quelle direction va prendre Desandre Navarre avec tout son attirail de percussions…


L’Odyssée – Fred Pallem & Le Sacre du Tympan
Les Gémeaux – Vendredi 9 novembre

En 1998, Pallem monte un orchestre à géométrie variable au nom humoristique évocateur : Le Sacre du Tympan. Il sort un premier disque éponyme chez Le Chant du Monde en 2002. Suivent : Le Retour ! chez Label Bleu (2005), La Grande Ouverture pour Atmosphériques (2008), SoundTrax chez Music Unit (2011), puis François de Roubaix (2015), Soul cinéma (2017), Cartoons (2017) et L’Odyssée (2018) sur le label Train Fantôme.



Dans le cadre de Jazz Vibrations, Pallem joue le programme de L’Odyssée, sorti en mai. Pendant le concert, les œuvres psychédéliques, géométriques et colorées d’Elzo Durt, illustrateur de la pochette du disque, sont projetées en arrière-plan. Pour l’occasion, Le Sacre du Tympan est composé de Christine Roch (saxophone ténor et clarinette basse), Rémi Sciuto (flûte et saxophone baryton), Sylvain Bardiau (trompette et bugle), Robinson Khoury (trombone), Guillaume Magne (guitare), Sébastien Palis (orgue et clavinet), Pallem (basse) et Vincent Taeger (batterie). L’octuor est accompagné par un quatuor à cordes : Anne Le Pape et Aurélie Branger au violon, Séverine Morfin au violon alto et Michèle Pierre au violoncelle.

Le Sacre du Tympan interprète cinq des sept compositions de L’Odyssée, « Les scélérates » et la « Suite italienne », tirées de SoundTrax, « Pierre de Roubaix », de l’album éponyme et, en bis, le thème de Taxi Driver, signé Bernard Herrmann.



La passion de Pallem pour le cinéma et les bandes originales de film n’est pas une nouveauté et la musique du concert en apporte une confirmation supplémentaire. Sur la batterie de Taeger, puissante (« Death And Life Of A Suburban Guy »), sourde (« Les scélérates »), parfois binaire (« Suite italienne ») et le plus souvent régulière (« L’intrus »), la basse de Pallem gronde (« Astringent Mouse Trap »), vrombit (« Haemophilus Aphrophilus ») et maintient une carrure solide. Les claviers de Palis apportent des touches vintage (« Astringent Mouse Trap ») et ses riffs rappellent parfois les séries des années quatre-vingt (« Death And Life Of A Suburban Guy »). Les effets wah-wah de Magne renforcent encore ces évocations nostalgiques (« L’Odyssée »), tandis que son chorus déchaîné dans « Astringent Mouse Trap » nous entraîne vers le rock alternatif. Roch, Sciuto et Bardiau alternent des chœurs à l’unisson (« Suite italienne »), des chorus vifs (« L’Odyssée ») ou un foisonnement de voix (« Haemophilus Aphrophilus »). Chaque morceau est construit comme un mouvement d’ensemble qui se développe progressivement (« François de Roubaix » sous influence de la musique répétitive), avec un sens dramatique évident (« Taxi Driver », « Haemophilus Aphrophilus »), une gestion de la tension soignée (« Suite italienne ») et une expressivité descriptive (« L’intrus »). Le quatuor à cordes accentue ces caractéristiques (les très Morriconiennes « Scélérates ») et renforce encore un peu plus le côté cinématographique de la musique du Sacre du Tympan (« Taxi Driver », « L’intrus »…).

Funk, rock, psychédélique, contemporaine… la musique de Pallem déborde de vitalité et possède ce côté farfelu qui la rend singulière.



  
Umlaut Big Band
Théâtre 71 – Jeudi 15 novembre

Le collectif Umlaut est né à Stockholm en 2004. Aujourd’hui installé à Berlin et à Paris, il réunit une douzaine de musiciens autour d’une vingtaine de projets, un festival et un label fort d’une cinquantaine de titres…

A l’initiative du collectif, Pierre-Antoine Badaroux monte le Umlaut Big Band en 2011 avec treize musiciens rencontrés pour la plupart sur les bancs du Conservatoire National Supérieur de Paris ou dans des projets communs. Dès le départ, le but de l’orchestre est de relire le répertoire du « Vieux Jazz », à partir de transcriptions et de réarrangements d’œuvres enregistrées des années vingt aux années quarante. En 2013, le Umlaut Big Band enregistre Nelson’s Jacket, un hommage à Gene Gifford, John Nesbitt, Will Hudson, Mary Lou Williams et Bennie Carter, cinq arrangeurs clés de l’ère swing. Badaroux poursuit son travail d’historien avec Euro Swing, sorti en 2015 et consacré aux musiciens de jazz européens entre 1926 et 1940. Cet opus est suivi, l’année d’après, par un deuxième volume centré sur les œuvres écrites en Europe de 1925 à 1940, par des musiciens américains.

The King of Bungle Bar, publié en septembre 2018, revisite l’œuvre de Don Redman. Le disque, enregistré sur le vif au Lavoir Moderne Parisien, s’articule autour de vingt-six morceaux, pour la plupart signés Redman. Chef d’orchestre, compositeur, multi-instrumentiste, chanteur… Redman (1900 – 1964), « the little giant of jazz » (pour sa petite taille, mais son immense talent), a donné ses lettres de noblesse à l’arrangement dans le jazz. Dans le compte-rendu du concert de Redman à la salle Pleyel le 25 décembre 1946, Boris Vian écrit : « Don Redman est un peu devin, voire météorologiste, et son cœur généreux lui a dicté sa conduite : ils sont venus pour nous réchauffer. Ils n’y ont pas manqué […] ». De Fletcher Henderson à Count Basie, en passant par Louis Armstrong, Cab Calloway, Paul Whiteman, Jimmie Lunceford… Redman a travaillé avec le gotha du jazz de l’ère swing.



Lors du concert au Théâtre 71, le Umlaut Big Band puise dans les morceaux de The King of Bungle Bar. Le titre du disque, qui pourrait se traduire par « le roi de la barre brisée », traduit bien la construction des morceaux avec les différentes sections qui se superposent, se croisent, se chevauchent, se répondent… sans trop se soucier des barres de mesure, dans des tourbillons de notes parfaitement maîtrisés et cadrés par une rythmique qui suit implacablement les quatre temps. Des breaks (« The Whiteman Stomp ») et des splash (« T.N.T. ») ponctuent les phrases de l’orchestre, tandis que les solistes envoient quelques phrases virevoltantes au-dessus de la mêlée des soufflants (« Have It Ready »).  Les questions-réponses fusent (« Blue Black Bottom Stomp ») avant que les notes ne rebondissent d’un instrument à l’autre (« Sugar Foot Stomp »). Le piano stride attise le feu (« Feeling The Way I Do ») et tout le big band est dans la danse (« The Henderson Stomp »)… 

Les syncopes sautillent, les pieds frétillent, les notes scintillent, les oreilles pétillent… Avec l’Umlaut Big Band, c’est comme si nous y étions ! Bienvenue au royaume du swing !