11 novembre 2018

L’Orphicube au Studio de l’Ermitage


Créé en 2012 par Alban Darche, l’Orphicube est un orchestre à géométrie variable qui compte quatre disques à son actif : l’éponyme de 2012, my Xmas traX en 2013, Perception instantanée en 2014 et The Atomic Flonflons, sorti en mars 2018, toujours sur le label nantais Yolk, cofondé par Darche, Sébastien Boisseau et Jean-Louis Pommier en 2000.

La tournée de sortie de The Atomic Flonflons passe par le Studio de l’Ermitage où l’Orphicube se produit le 17 octobre. L’octuor du disque est réuni pour l’occasion : Chloé Cailleton  au chant, Darche aux saxophones baryton, alto et soprano et à la clarinette, Stéphane Payen au saxophone alto, Olivier Laisney à la trompette, Didier Ithursarry à l’accordéon, Nathalie Darche au piano, Sébastien Boisseau à la contrebasse et Christophe Lavergne à la batterie. L’orchestre invite également deux musiciens souvent associés à l’Orphicube : Matthieu Donarier aux saxophones ténor et soprano et Marie-Violaine Cadoret au violon.


L’instrumentation de l’Orphicube tient du big band de jazz, bien sûr, mais aussi de l’orchestre de bal musette. La formation met à sa sauce des thèmes inspirés de la musique populaire et joue de « la musique de genre détournée ». Conçu comme la « B.O. d'un film imaginaire » en deux actes de six scènes chacun, The Atomic Flonflons propose huit morceaux signés Darche, « Automne », lied de Gabriel Fauré et Armand Silvestre, « La Paloma », tango de Sebastián de Iradier, « I’m A Fool To Want You », chanson de Franck Sinatra, Jack Wolf et Joel Herron, et « I’ll Be Seing You », composé par Sammy Fain et Irving Kahal. Darche met en musique deux poèmes : « Lluvia lenta » de l’auteur chilienne Gabriela Mistral, et « Le ciel est par-dessus les toits » de Paul VerlaineLe chapiteau d’un cirque éclairé de mille feux, au milieu de la nuit, sans âme qui vive, illustre la pochette du disque et contribue également à l’univers chimérique de The Atomic Flonflons. 

Pendant le concert, l’Orphicube reprend dix des douze titres de l’album, « Opium » (Crooked House – 2015), « Paso doble » (Perception instantanée – 2014), une relecture de « Hit The Road Jack » (en bis) et « Crepusculo », un tango écrit par Eduardo Blanco, compositeur argentin tristement célèbre pour sa proximité avec les fascistes et les nazis, et à qui Joseph Goebbels a demandé de jouer devant Adolf Hitler « Plegaria », renommé « Le Tango de la Mort » quand il devient la musique qui accompagne les déportés juifs vers les chambres à gaz.

Un élégant duo entre l’accordéon et le saxophone alto introduit « Saudade », puis, sur un rythme chaloupé porté par le piano, la batterie et les shuffle de la contrebasse, Cailleton chante une mélodie aux parfums nostalgiques, soutenue par le chœur des soufflants. Le timbre médium suave et chaud de Cailleton, parfaitement au diapason du violon et du bloc des vents, répand la même atmosphère tranquille dans le mélancolique « Opium » et les deux ballades immortalisées par Billie Holiday et Sinatra, « I’ll Be Seing You » et « I’m Fool To Want You » (agrémenté d’un chorus chantant de Boisseau). C’est plutôt une ambiance de lied début XXe qui anime « L’oiseau qu’on voit chante sa plainte », avec une orchestration dense et sophistiquée. En dehors de « Crepusculo », tango de salon, interprété quasiment au pied de la lettre du début à la fin, les autres morceaux démarrent le plus souvent dans l’esprit de leur genre (« Java », « Ragtime », « Paso doble »…), pour mieux s’en éloigner ! Tambours, riffs, chœurs éclatants, vocalises et décor charleston lancent « Jungle » à la grande manière de Duke Ellington, mais très vite, tout se détraque avec une voix qui devient expressionniste et l’orchestre qui part dans des phrases débridées. Après une intro harmonico-mélodique du baryton et l’exposition de « Tango vif », les sections croisent leurs notes avec un côté musique de cirque, avant que la trompette ne prenne un solo stimulant, suivi du violon, a capella, qui conclut par des grattements, glissandos et autres crissements… comme une boîte à musique déglinguée. Emaillée de mesures de samba, la chansonnette « Rhythm Song » pétille, sur un rythme heurté, porté par les questions-réponses de la batterie et du saxophone alto ou de la clarinette. « Paso doble » est une caricature ludique de la danse espagnole avec un foisonnement bouffon, comme si tous les instruments avaient leur mot à dire. Après le démarrage du piano dans le plus pur style, « Ragtime » part dans tous les sens en gardant l’esprit original en filigrane. Le piano doublé d’un sifflement et de l’accordéon lancent « Java » sur trois temps entraînants, puis après une séquence nostalgique l’Orphicube fait exploser le morceau et « la java se fait la malle ». Même topo pour « Musette » : après un dialogue pimenté de la clarinette et de l’accordéon, l’orchestre déroule une belle valse non sans glisser des détournements et des clins d’œil amusants. La batterie commence le bis par un solo sur les peaux et une pédale de grosse caisse, vivant, musical et charnel, puis vocalises et chœurs partent sur un « Hit The Road Jack » luxuriant jusqu’à l’explosion finale qui libère tous les instruments dans un malstrom expressionniste.

Darche et l’Orphicube s’amusent sérieusement et The Atomic Flonflons porte parfaitement son nom : une musique tonitruante, joyeuse et nucléaire !