22 novembre 2014

Juillet 2014

W.I.L.L.I.W.A.W

W.i.l.l.i.w.a.w, le premier disque en leader de Julien Alour, est sorti en avril 2014 sur le label du saxophonisteSamy Thiébault, Gaya Music Production. Alour joue avec son quintet « habituel » : François Théberge au saxophone ténor,Adrien Chicot au piano,Sylvain Romano à la contrebasse et Jean-PierreArnaud à la batterie.
L’enregistrement s’est déroulé dans les conditions d’un concert avec tous les musiciens dans la même pièce, comme dans un club.Christophe Dal Sasso a assuré la prise de son et le mixage. Alour a composé les huit thèmes de W.i.l.l.i.w.a.w et puise ses références dans l’Amérique du nord pour le morceau titre (le williwaw est un vent froid), l’hébreu (« Kloum » qui signifie Rien), la Bretagne et son clair de lune (« Loarwenn »), l’Ecclésiaste (« Vae Soli »)…
A l’instar de l’instrumentation du quintet, la musique deW.i.l.l.i.w.a.w s’inscrit dans le prolongement de l’ère bop. Les thèmes hard sont exposés à l’unisson par la trompette et le saxophone (« Gravity »), avec des touches dissonantes modernes et tendues (« Reflet », « Williwaw ») et des contrepoints astucieux de la trompette et du saxophone (« Vae Soli »). Les morceaux s’appuient sur la structure thème – solos – thème. La rythmique, puissante, repose sur une batterie touffue (« Kloum ») et une contrebasse qui oscille entre riff (« Reflet ») et walking (« Impulsion »). Souffle puissant, phrasé net, sonorité claire et virtuosité maitrisée, Alour nage dans le bop comme un poisson dans l’eau. Constamment mélodieux, il passe d’un chorus rapide et démonstratif (« Reflet ») à un hymne majestueux (« Song For Julia ») ou à un balancement élégant (« Loarwenn »). Théberge est lui-aussi dans son élément : son gros son, sa précision rythmique, son agilité mélodique et ses effets dirty (« Kloum ») le rapprochent des ténors de l’ère hard bop, comme Johnny GriffinJoe Henderson et autre Hank Mobley. Des ostinatos imposants d’« Impulsion » aux accords martelés de « Gravity », Chicot soutient habilement les solistes (« Kloum ») et prend des chorus vifs et entraînants (« Vae Soli »). Romano alterne en souplesse des walking rapides («Gravity »), des lignes minimalistes (« Song For Julia ») ou des motifs dynamiques (« Reflet »). Le chorus de « Loarwenn » met en avant les talents de mélodiste du contrebassiste. Un chabada impétueux (« Impulsion »), des passages binaires costauds (« loum »), un solo dense (« Williwaw »)… n’empêchent pas Arnaud de se montrer léger (« Song For Julia »), voire aérien (« Loarwenn ») quand il le faut.
Alour et son quintet proposent un « neo hard bop » moderne et convaincant. W.i.l.l.i.w.a.w trouvera naturellement sa place dans la discothèque aux côtés des albums de François ChassagniteFabien MaryAlexandre Tassel
Les musiciens
A sa sortie du conservatoire de Quimper, Alour se tourne vers le jazz au CNSMDP, dont il sort en 2007. Depuis, le trompettiste a aussi bien joué avec les frères Belmondo que Robin McKelle ou Kellylee Evans, en passant par Eric LegniniAldo RomanoLaurent de Wilde
Théberge commence sa carrière à Montréal au début des années quatre-vingt. Après un séjour à l’Eastman School of Music, il s’installe aux Etats-Unis. En 1991, engagé par l’orchestre régional Rhône-Alpes, Théberge se fixe à Paris. Il partage son temps entre l’enseignement et les concerts, sort Asteur en 1997, dirige le European Youth Jazz Orchestra en 1999… De 2000 à 2004, Théberge succède à François Jeanneau à la tête du département jazz et musiques improvisées du CNSMDP. En parallèle il collabore avec Lee KonitzMichel Donato,Piotr Wosajik etc.
Après avoir appris le piano en autodidacte, Chicot suit d’abord les cours de l’American School Modern Music avant de rejoindre l’IACP, en 2001. Il accompagne les frères Belmondo puis joue avec, entre autres,Samy ThiébaultJean-Pierre ScaliRobin Nicaise… et monte un trio avec Romano et Arnaud.
Autre musicien qui évolue dans la sphère des frères Belmondo, Romano promène également sa contrebasse aux côtés de Laurent Fickelson,Eric Le LannOlivier TemimeBaptiste HerbinThomas Encoh, Billy Hart
C’est au conservatoire de Marseille qu’Arnaud apprend les percussions classiques et dans le club de son père qu’il joue de la batterie. A quinze ans, il commence à se produire en club avec Georges ArvanitasJean-Loup LongnonEric Barret… Dans les années quatre-vingt, Arnaud joue avec Didier LockwoodChristian EscoudéBarney Willen… et, au milieu des années quatre-vingts dix, il s’installe à Paris. Dès lors Arnaud enchaîne les collaborations plus variées les unes que les autres : Johnny Giffin Quartet, Michel Legrand Trio, Olivier Hutman Trio, KAZ Trio, Emmanuel Bex Trio, l’orchestre de Patrice Caratini…
Le disque
W.I.L.L.I.W.A.W
Julien Alour
Julien Alour (tp, bugle), François Théberge (ts), Adrien Chicot (p), Sylvain Romano (b) et Jean-Pierre Arnaud (d).
Gaya Music Production – JAGCD001
Sortie en avril 2014
Liste des morceaux
01. « Reflet » (6:25).
02. « Kloum » (7:00).
03. « Williwaw » (6:48).
04. « Vae Soli » (5:38).
05. « Gravity » (5:07).
06. « Song For Julia » (3:43).
07. « Loarwenn » (4:52).
08. « Impulsion » (5:42).

Toutes les compositions sont signées Alour.

A la découverte de… Denis Colin

Nino Ferrer, Archie Shepp, Jean-Philippe Rameau, Sun Ra, John Coltrane… l’Univers Colin est tout sauf banal…

La musique
Ma rencontre avec le jazz s’est faite en plusieurs fois. Enfant, Sydney BechetLouis Armstrong et Ray Charles me touchaient beaucoup. Un jour, en 1969, j’avais treize ans, mon frère aîné rentre à la maison complètement surexcité : il était allé à un concert de Sun Ra où il y avait eu pas mal de baston. Les CRS dehors, devant plein de gens qui voulaient aller au concert, mais sans ticket… Une ambiance chaude chaude ! A l’intérieur de la salle, le public a interrompu le concert : on ne pouvait pas laisser faire ça dehors, etc. bref ! Sun Ra prend sa grosse boule lumineuse et ses merveilleuses petites danseuses, puis il sort dans la rue entre les jeunes et les CRS et ramène tous ceux qui le souhaitent à l’intérieur. Quel événement !! Je raconte ça le lendemain au collège – j’étais en 5ème ? – à un copain dont le père travaillait dans une maison de disque. Il me répond : «Sun Ra ? Pouah !! C’est nul ! ». Le lendemain il me ramène un disque, The Futuristic Sounds of Sun Ra, que je m’empresse de mettre sur le tourne-disque dès que j’arrive à la maison, et, effectivement, je trouve ça horrible – mon frère aussi d’ailleurs ! Alors, hop !, le 33 tours se retrouve très vite tout en dessous de la pile... Trois ans plus tard, j’entends «Olé» deJohn Coltrane lors d’une soirée, et là, je flashe complètement. De retour chez moi, le disque de Sun Ra me revient à l’esprit. Je le remets sur la platine, et cette fois, j’accroche à fond. Coltrane et Sun Ra sont devenus l’un et l’autre mes plus grandes idoles pendant quelques années. Ils ont changé mon existence car ils m’ont conduit à choisir la musique pour la vie.


Mes autres idoles étaient tous des ténors : Archie SheppAlbert AylerJohn Gilmore... J’ai eu le sentiment très vif que l’histoire de la musique au sax ténor était déjà écrite. Donc pour consacrer ma vie à la musique, il me fallait un terrain à défricher. Je l’ai trouvé avec la clarinette basse. Un instrument au son envoûtant. Michel Portal avait semé lui-aussi...
Enfant, j’ai commencé la musique par quelques années de piano – ainsi que l’inévitable flûte à bec… – et un peu de chant religieux au temple, puis plus rien ! Ce n’est qu’au milieu de mes quinze ans que la musique a fait son retour, avec la clarinette. Après quelques années de conservatoire et quelques U.V. de musicologie, j’ai plongé dans la jungle du free-jazz à Paris. Ensuite, je suis resté dix ans à l’Institut Art Culture et Perception avec Alan Silva. Plein de choses complètement différentes ont suivi… A partir de 1991 et la création de mon trio, j’ai surtout travaillé comme leader ou directeur de projets, avec aussi l’écriture de pas mal de musiques pour la scène et le cinéma…

Les influences
Le sujet des influences est vaste !! Tellement de musiques m’ont influencé… et continuent de m’influencer. A chaque fois que j’aime une musique, j’en tire quelque chose. Presque tous les musiciens avec lesquels j’ai travaillé m’ont également influencé. La plupart de mes expériences musicales m’ont transformé. Elles ont approfondi mes connaissances musicales, mais aussi modifié ma représentation de la musique, de son rôle, de ses formes possibles, en me permettant de côtoyer des points de vue différents du mien. La musique est un art qui se développe à plusieurs. C’est bien sûr une contrainte, mais surtout une chance et une profonde dynamique.

Quelques clés pour le jazz
Qu’est-ce que le jazz ? Une musique née aux Etats-Unis au début du XXème siècle par la grâce d’un mélange alchimique propre à l’histoire de ce pays, dont nous n’avons pas fini de sonder les sources et les origines, dont les créateurs sont nombreux… Dans son évolution, le jazz a pris plein de formes différentes et a influencé d’une manière ou d’une autre toutes les autres musiques du monde.
Pourquoi la passion du jazz ? Le rapport entre l’individu et le collectif, c’est l’essence du jazz. Et la place du singulier dans l’universel l’est aussi. Ces liens, dans le jazz, sont très spécifiques et le rendent passionnant.
Une anecdote autour du jazz ? Je vais vous raconter un truc perso. Vous m’excuserez de le placer dans la rubrique « Histoire du jazz »... Il y a une dizaine d’années, je jouais dans un projet dirigé et composé par la pianiste Ann Ballester. Il y avait aussi Rudi Sauvage au trombone,Wayne Dockery à la contrebasse, Steve McCraven à la batterie et le grand Archie Shepp au sax. Dans le répertoire, il y avait un morceau qui nous posait un problème à tous. Chaque soir de concert, nous faisions tous un mauvais solo sur cette pièce-là. Même Archie. De toute évidence, pour Rudi et moi, la grille était mal foutue, il aurait fallu la modifier, la réécrire, mais Ann n’était pas trop réceptive à cette idée-là. Juste avant le quatrième concert, après la balance, nous sommes allés dîner, mais Archie a interpelé Ann, en lui demandant de se pencher avec lui sur cette grille. Je me souviens de ses mots : « Ann, s’il te plaît, peux-tu m’expliquer ce que tu veux dire avec cette grille et comment elle fonctionne ? » J’ai sincèrement pensé qu’il allait lui suggérer des modifications. Nous les avons quittés, tous les deux assis devant le piano, Archie le sax à portée de main. Lorsque nous sommes revenus, ils y étaient encore… et jusqu’au dernier moment, avant l’entrée du public ! Lors du concert, ce soir-là, Archie a mis le feu sur ce morceau ! Alors que la grille était identique aux autres soirées ! Je me suis senti tellement « musicien français » ce soir-là !!... J’ai vérifié ce sentiment auprès de Rudi : il le partageait ! Qu’on se comprenne bien : je ne veux bien évidemment pas dire que nous autres Français soyons incapables de grandeur, mais nous avons des petitesses très répandues, comme par exemple d’évaluer un peu vite et de porter un jugement limitatif sur une partition qui pose problème... J’entends, par partition, une idée ou une conception musicale, quelle que soit sa forme.

Le portrait chinois
Si j’étais un animal, je serais un ours brun,
Si j’étais une fleur, je serais une pâquerette,
Si j’étais un fruit, je serais une pomme,
Si j’étais une boisson, je serais une Côte Rôtie,
Si j’étais un plat, je serais des légumes à la vapeur servis avec un grand bol d’aïoli et un petit morceau de morue,
Si j’étais une lettre, je serais M,
Si j’étais un mot, je serais mouvement,
Si j’étais un chiffre, je serais 8,
Si j’étais une couleur, je serais bleu crépuscule,
Si j’étais une note, je serais Sol.

Les bonheurs et regrets musicaux
Le bonheur, c’est de pouvoir continuer, après plus de trente-cinq ans d’exercice de ce métier, à m’aventurer dans des formes que je n’avais jamais visitées auparavant. Pouvoir continuer d’innover, de me renouveler… Et je regrette que le be-bop ne soit pas un langage plus naturel, pour moi et autour de moi.


Les projets
Aujourd’hui, Univers Nino est l’un de mes projets clés, mais il y a aussi la Société des Arpenteurs – réduite à l’état de société secrète par la grâce des temps qui courent – les ciné-concerts et, actuellement en préparation, Swinging Rameau avec l’ensemble baroque des concerts de l’Hostel Dieu. Je souhaite monter aussi un petit ensemble aussi avecJocelyn Mienniel. Et puis je relance mon activité pédagogique autour de trois thèmes indépendants les uns des autres : « l’improvisation musicale », « le corps du musicien » et « la clarinette basse ». J’ai consacré une grande partie de ma vie de musicien à la création. Maintenant, je souhaite transmettre.

Trois vœux…
  1. Un renouvellement perpétuel.
  2. Le retour des abeilles, même en Chine.
  3. La victoire de la beauté dans son combat contre la laideur.