23 novembre 2014

A la croisée des voix...

La fin de l’année approche à grands pas, l‘occasion de faire un tour de chant avec quelques disques sortis depuis le mois de janvier 2014 : de la comédie musicale de Pink Martini à l’avant-garde rap d’Antoine Berjeaut, en passant par les chansons à texte de Bruno Desplan et Roland Brival, la crooner Aurielle Sciorilli, les îles de Manuel Rocheman et le Charles Mingus de Jacques Vidal… il y en a pour tous les goûts !


Dream A Little Dream
Pink Martini & The Von Trapps


En 1994, à Portland, Oregon, Thomas Lauderdale abandonne une carrière politique pour fonder un orchestre d’une douzaine de musiciens, Pink Martini. La chanteuse China Forbes rejoint Pink Martini l’année suivante et, en 1997, ils sortent leur premier disque, Sympathique, qui est un succès en France pour sa chanson « Je ne veux pas travailler ». Depuis, Pink Martini n’a cessé de tourner autour du monde et d’enregistrer sur son label : Heinz Records. Dream A Little Dream, huitième album de Lauderdale et sa bande, sort en France chez Naïve en mars 2014.

Sur Dream A Little Dream, Pink Martini s’est associé à The Von Trapps, un trio vocal composé de Sofia, Melanie et Amanda Von Trapp, petites-filles de Maria Von Trapp, connue pour son autobiographie publiée en 1949, La famille des chanteurs Trapp, et qui est à l’origine de La mélodie du bonheur, comédie musicale aussi célèbre à Broadway (Richard Rodgers et Oscar Hammerstein II – 1959), qu’à Hollywood (Robert Wise – 1965).

Pink Martini joue quinze morceaux d’une durée moyenne de trois minutes et seize secondes, en ligne avec les canons du genre. Le répertoire est un véritable melting pot dans lequel : de « Kuroneko No Tango », reprise japonaise par Osamu Minagawa du tube italien « Volevo un gatto nero » (Framario, Armando Soricillo et Francesco Saverio Maresca – 1969), au hit suédois d’ABBA « Fernando » (1976), en passant par « Hayaldah Hachi Yafa Bagan », succès de la chanteuse israélienne Yehudit Ravitz (1976) et « Le Premier Bonheur Du Jour » chanté par Françoise Hardy (1963), le morceau titre, popularisé par The Mamas & The Papas en 1968, mais aussi un yodel bavarrois, l’hymne national rwandais (sic !), une ritournelle du nouvel an chinois, une musique de film (« Hushabye Mountain » tiré de Chitty Chitty Bang Bang)… et même, « In Stiller Nacht », un air traditionnel revu par Johannes Brahms ! Pink Martini n’oublie évidemment pas The Sound of Music, avec « Lonely Goatherd » et « Edelweiss ». Enfin, August Von Trapp, le quatrième des Von Trapp Children, propose trois morceaux de son cru.

Dream A Little Dream jongle entre des ambiances de comédie musicale (« Storm », « Hushabye Mountain »), des environnements cinématographiques (« Kuroneko No Tango »), des sambas (« Fernando »), du folklore (« Friend », « Die Dorfmusik »), des passages cross-over (« In Stiller Nacht », « Thunder ») ou des hymnes a capella (« Rwanda Nziza », « Edelweiss »). Les arrangements sont jazzy, avec une rythmique légère et entraînante, des voix claires et justes, une partition nette et précise, une prise de son flatteuse...

Pink Martini reprend des tubes à sa manière : enjouée, arrangée au cordeau et multinationale.

Le disque

Dream A Little Dream
Pink Martini & The Von Trapps
China Forbes (voc), Storm Large (voc), Amanda, Melanie et Sofia Von Trapp (voc), Robert Taylor (tb), Gavin Bondy (tp), Nicholas Crosa (v), Pansy Chang (vc), Dan Faehnle (g), Thomas Lauderdale (p), Phil Baker (cb), Timothy Nishimoto (voc, percu), Brain Lavern Davis (d, percu) et Anthony Jones (d, percu), avec Wayne Newton (voc), Jack Hanna (voc), Charmian Carr (voc) et The Chieftains.
Heinz Records – Naïve
Sortie en mars 2014

Liste des morceaux

01.  « Storm » (2:56).
02.  « Kuroneko No Tango », Framario, Soricillo & Maresca (2:45).
03.  « Dream A Little Dream », Fabian Andre, Wilbur Schwandt et Gus Kahn (3:52).
04.  « Fernando », Benny Andersson et Björn Ulvaeus (3:52).
05.  « Hayaldah Hachi Yafah Bagan », Ravitz (2:53).
06.  « Friend » (4:15).
07. « Die Dorfmusik » (2:44).
08. « In Stiller Nacht » (2:01).
09. « Le Premier Bonheur Du Jour », Franck Gérald et Jean Renard (3:12).
10. « Rwanda Nziza » (3:20).
11. « Gong Xi » (2:26).
12. « Hushabye Mountain », Robert & Richard Sherman (3:18).
13. « Lonely Goatherd », Rodgers & Hammerstein II (2:40).
14. « Edelweiss », Rodgers & Hammerstein II (2:49).
15. « Thunder » (4:49).


Comet’Style
Bruno Desplan Trio

Dans les années quatre-vingts dix, Bruno Desplan se partage entre la Bretagne et la Haute-Savoie avec son groupe, Charly & Sir Hyde. Installé à Paris, Desplan se produit d’abord en solo, puis en duo avec la soprano Julie Horreaux et, en 2007, il monte un trio avec François-Pierre Camin à la contrebasse et François Porcher à la batterie (Concert aux déchargeurs – 2009). En 2011, la percussionniste Isabelle Guidon remplace Porcher. C’est avec ce trio que Desplan enregistre Comet’Style, sorti en 2014 chez CieuXRêverieSons.

Desplan est l’auteur des neuf chansons de l’album, qui s’étalent de quatre à quinze minutes. Les textes, poétiques, jouent sur les associations de mots et les sonorités des syllabes. Desplan alterne passages en voix de tête (« Globe certes »), dissonances et modulations aigües («  Paradoxe CV ») et déclamation entre chant et parole (« Illogisme »), dans un style proche de celui de Serge Gainsbourg.

La construction des morceaux ne suit pas la structure couplet – refrain, mais se rapproche davantage du thème – solo – thème caractéristique du jazz. Le trio, à dominante rythmique, interagit habilement (« (Renaitr’) sans sens »), change fréquemment de direction (« Vague de songe »), glisse quelques accents bluesy (« Ton élégance »), met des touches de valses (« Vals’étincelle »)… Les Caraïbes restent également en filigrane tout au long de Comet’Style avec, bien sûr, les congas vives et puissantes de Guidon (« Comèt’Style 1 : Une comète, un style… », « Lié »), mais aussi les rifs de Camin (« Global certes ») et les blocs d’accords dans un esprit latino de Desplan (« Paradoxe CV »).

Textes recherchés, chant sophistiqué et jazz au fumet caribéen font de Comet’Style un disque à part et du Bruno Desplan Trio un groupe à la personnalité originale.

Le disque

Comet’Style
Bruno Desplan Trio
Bruno Desplan (voc, p), François-Pierre Camin (b) et Isabelle Guidon (percu)
CieuXRêverieSons
Sortie en janvier 2014.

Liste des morceaux

01. « Vague de songe » (10:16).
02. « Ton élégance » (6:06).
03. « Paradoxe CV » (3:57).
04. «  (Renaitr’) sans sens » (14:42).
05. « Comèt’Style 1 : Une comète, un style… » (4:15).
06. « Globe certes » (7:05).
07. « Vals’étincelle » (6:00).
08. « Lié » (5:09).
09. « Illogisme » (10:35).

Tous les morceaux sont signés Desplan.


Eros Blues
Aurielle Sciorilli

Descendante d’une lignée de musiciens (son père est le chanteur Ettore Sciorilli et son grand-père, le compositeur de chansons populaires Eros Sciorilli), AurielleSciorilli est d’abord éblouie par Blue de Joni Mitchell, et s’engage sur les traces de son illustre aînée, avant d’intégrer le Sydney Conservatorium of Music. En 2011, Sciorilli enregistre Send The Wandering Girl Home et s’installe à Milan.  Elle décide alors de monter un projet basé sur les chansons de son grand-père : Eros Blues voit le jour en avril 2014.

A son quartet habituel constitué du trompettiste Daniele Raimondi, du contrebassiste Damian Nueva et du batteur Christian Djieya, s’ajoutent les pianistes Jerry Léonide ou Grégory Privat, qui se partagent également les arrangements des dix chansons choisies par Sciorilli.

Sciorilli navigue entre un medium grave (« Amore e mare »), avec une raucité qui évoque un peu les voix brésiliennes (« Non pensare a me »), et un aigu clair (« Dimmelo con un disco »), souvent aérien (« Inganno »). La trompette de Raimondi est au service de la voix et ses contrepoints astucieux la mettent particulièrement en valeur (« Due Pierrot », « Non si fa l’amore quando piove »). Dans ses chorus, le trompettiste se montre habile et inventif (« Non pensare a me »). Inutile de dire que Leonide et Privat s’y connaissent pour mettre du swing (« In cerca di te », « I colori della felicità »), dialoguer avec Sciorilli (« Dimmelo con un disco »), mettre du piment latin (« Non pensare a me »), faire danser (« L’ultimo tram »)… Nueva et Djieya assurent une rythmique entraînante (« Amore e mare ») avec des lignes de walking efficaces (« In cerca di te »)et un drumming chaloupé (« Non si fa l’amore quando piove »).

Eros Blues met en scène une crooner italienne qui chante dans une veine souvent latine, soutenue par un quartet énergique et solide.

Le disque

Eros Blues
Aurielle Sciorilli
Aurielle Sciorilli (voc), Daniele Raimondi (tp), Jerry Léonide ou Grégory Privat (p), Damian Nueva (b) et Christian Djieya (d).
Only Music
Sortie en avril 2014

Liste des morceaux

01. « Amore e mare » (10:16).
02. « Due Pierrot » (6:06).
03. « In cerca di te » (3:57).
04. « Non pensare a me » (14:42).
05. « Inganno » (4:15).
06. « Dimmelo con un disco » (7:05).
07. « Non si fa l’amore quando piove » (6:00).
08. « I colori della felicità » (5:09).
09. « L’ultimo tram » (10:35).
10. « Ispirazione » (10:35).

Tous les morceaux sont signés Sciorilli.


Cuernavaca
Jacques Vidal

Jacques Vidal commence par la batterie, puis s’oriente vers la contrebasse qu’il apprend aux Conservatoires du Xème arrondissement de Paris, puis de Versailles. En 1969, Vidal est de l’aventure de Magma, aux côtés de Christian Vander. Dans les années quatre-vingt, il commence une association au long cours avec Frédéric Sylvestre. A partir de 1994, Vidal monte un quintet – Sylvestre, Florin Niculescu, puis Eric Barret, Michel Graillier, puis Manuel Rocheman et Simon Goubert – et un septet (le quintet plus Glenn Ferris et Stéphane Guillaume). En parallèle, Vidal enseigne au C.I.M., à la National Taiwan Academy of Arts, à la Bill Evans Academy… Le contrebassiste compte plus d’une dizaine de disques sous son nom et Cuernavaca sort chez Soupir Editions en septembre.

Pour Cuernavaca, Vidal a réuni un quintet avec la chanteuse Isabelle Carpentier, le saxophoniste Pierrick Pédron, le tromboniste Daniel Zimmermann, et le percussionniste Xavier Desandre-Navarre. S’ajoutent, selon les morceaux, un chœur supplémentaire.

Cuernavaca évoque évidemment la ville Au-dessous du volcanCharles Mingus vécut les dernières années de sa vie. Cuernavaca fait aussi référence au livre éponyme d’Enzo Coremann, publié en 2003 aux éditions Rouge Profond. Cet hommage au contrebassiste s’articule autour de trois morceaux signés Vidal et sept de Mingus : « Better Git It in Your Soul » et « Goodbye Pork Pie Hat » repris de Mingus Ah Um (1959), « Wednesday Night Prayer Meeting » tiré de Blues & Roots (1959), « Devil Woman » et « Ecclusiastics » extraits de Oh Yeah (1961), « Eclipse », sorti de Pre-Bird (1960) et, l’hommage à Oscar Pettiford, « O.P. », publié dans Charles Mingus with Orchestra (1971).

Vidal reste fidèle à l’esprit de Mingus : rythmique éloquente (« O.P. »), foisonnement des voix (« Devil Woman »), développements tendus (« Ecclusiastics »), construction dense (« Ecclusiastics »), blues omniprésent (« Wednesday Night Prayer Meeting »)… Le quintet sert à merveille la musique de Mingus : les vocalises entraînantes (« Strange Man ») de Carpentier, répondent aux contrepoints vifs de l’alto et du trombone (« Strange Man ») ; ce « hard-bop dirty » correspond tout à fait au jeu ferme et nerveux de Pédron (« Good Bye Pork Pie Hat ») ; même constat pour Zimmermann, à la fois élégant, décontracté et expressif (« Cuernavaca », « O.P. ») ; parfaitement à l’écoute de ses compères, Desandre-Navarre joue constamment en finesse, avec des roulements discrets (« Cuernavaca »), des motifs de valse (« Strange Man »), une cymbale prolixe (« Ecclusiastics »)… ; quant à Vidal, il joue de sa sonorité profonde pour faire résonner sa walking (« Better Git It In Your Soul »), ses shuffle (« Strange Man ») et ses rifs (« Ecclusiastics ») et se montre majestueux, dramatique et baroque à l’archet (« For Lester »).

Dans Cuernavaca, Vidal et son quintet donnent une interprétation à la fois respectueuse et personnelle – voix, lyrisme, contrechants, développements… – de Mingus.

Le disque

Cuernavaca
Jacques Vidal
Isabelle Carpentier (voc), Pierrick Pédron (as), Daniel Zimmermann (tb), Jacques Vidal (b) et Xavier Desandre-Navarre (d, perc), avec Nathalie Jeanlys (voc), Stéphanie Bowring (voc), Allen Hoist (voc) et Thierry François (voc).
Soupir Editions – S227
Sortie en septembre 2014.

Liste des morceaux

01. « Better Git It in Your Soul & Wednesday Night Prayer Meeting », Mingus (05:38).
02. « Cuernavaca », Vidal (05:02).
03. « Devil Woman », Mingus (04:51).  
04. « Eclipse », Mingus (04:31).  
05. « Strange Man », Vidal (04:28).  
06. « O.P. », Mingus (05:11).  
07. « Ecclusiastics », Mingus (05:46).  
08. « For Lester », Vidal (05:17).  
09. « Goodbye Pork Pie Hat », Mingus (04:32).


Paris – Maurice
Manuel Rocheman

Après le conservatoire de Paris, Manuel Rocheman étudie le jazz avec Michel Sardaby, puis Martial Solal. C’est en 1983 qu’il monte son premier trio. Depuis, Rocheman a enregistré dix disques sous son nom, dont I’m Old Fashioned, avec, entre autres, George Mraz et Al Foster, et Cactus Dance avec Scott Colley et Antonio Sanchez. Outre ses trios et solos, Rocheman participe à de nombreuses sessions aussi bien aux côtés de Mélanie Dahan que de Patrice Caratini, Jacques Vidal ou Didier Levallet

Après un concert organisé par l’Institut Français de Maurice en 2012, Rocheman décide de poursuivre l’aventure avec un enregistrement : Paris – Maurice voit le jour en septembre 2014. La chanteuse mauricienne Nadine Bellombre cosigne le disque, propose trois morceaux et coécrit avec Rocheman deux thèmes... Kersley Palmyre est à la basse et Maurice Manancourt ou Christophe Bertin sont à la batterie. Au fil des morceaux, le quartet invite également la chanteuse Marie-Luce Faron, le guitariste Patrick Desvaux,  l’harmoniciste Olivier Ker Ourio et le saxophoniste alto Samuel Laval.

En plus des trois morceaux de Bellombre et des deux communs avec Rocheman, le quartet joue « Just Love », du pianiste, mais aussi « Can't Hide Love » d’Earth, Wind & Fire (Gratitude – 1975), « Come Together » des Beatles (Abbey Road – 1969), « Nature Boy », tiré du film de Joseph Losey, Le Garçon aux cheveux verts (1948), « The Island », du compositeur brésilien Ivan Lins et « A Little Night Music » de la comédie musicale éponyme (1973).

Sensuelle et plutôt ténue (« La mer la »), habile et expressive (« Ki to lé »), la voix de Bellombre est particulièrement à l’aise dans les atmosphères brésiliennes (« Ene Zoli Reve »). Le trio rythmique danse de la première à la dernière plage : Rocheman swingue efficacement (« Nature Boy ») avec une main droite agile, soutenue par des accords aussi parcimonieux que solides (« La mer la ») ; Palmyre distille des lignes légères et chaloupées, avec des successions de shuffle entraînantes (« The Island ») ; Manancourt et Bertin assurent un drumming souple et cadencé, gage de vivacité (« Ene Zoli Reve », « Can’t Hide Love »). Les invités viennent pimenter les morceaux : la guitare de Desvaux apporte une touche de blues à « Come Together », Faron met un zeste de rock dans « Can’t Hide Love », Ker Ourio et son lyrisme souignent « The Island », Laval et son alto ajoutent de la solennité à « Ki to lé »…

Mélodieux et dansant, Paris – Maurice respire la légèreté et la gaité, il fleure bon une certaine île de l’océan indien…

Le disque

Paris – Maurice
Manuel Rocheman
Nadine Bellombre (voc), Manuel Rocheman (p), Kersley Palmyre (b), Maurice « Momo » Manancourt ou Christophe Bertin  (d), avec Marie-Luce Faron (voc), Patrick Desvaux (g),  Olivier Ker Ourio (hca) et Samuel Laval (as).
Berlioz Production
Sortie en septembre 2014

Liste des morceaux

01.  « Ene Zoli Reve », Rocheman & Bellombre (5:22).
02.  « Just Love », Rocheman (4:11).
03.  « La mer la », Bellombre (5:11).
04.  « Can't Hide Love », Skip Scarborough (4:49).
05.  « Mo lé ou », Bellombre (6:11).
06.  « Come Together », John Lenon & Paul McCartney (5:47).
07.  « Nadine », Rocheman & Bellombre (4:49).
08.  « Ki to lé », Bellombre (4:48).
09.  « Nature Boy », Eden Ahbez (3:44).
10.  « The Island », Ivan Lins, Alan & Marilyn Bergman (5:03).
11.  « Send in the Clowns », Stephen Sondheim (4:07).


Circonstances aggravantes
Roland Brival

Roland Brival est un touche-à-tout : sculpture, peinture, littérature, théâtre, journalisme… et musique ! Circonstances aggravantes est son sixième disque après Créole Gipsy (1980), Intense (1998), Waka (2003), Kayam (2006) et Vol de nuit (2010).

Pour Circonstances aggravantes, sorti en avril 2014 chez Such Production, Brival est accompagné d’une section rythmique de haut vol, constituée de Rémy Decormeille au piano, Manu Marchès à la contrebasse et Julien Charlet à la batterie. Le quartet invite également Christophe Panzani pour des interventions au saxophone ténor et à la clarinette basse. Les douze chansons, écrites en français, en anglais et en créole, sont signées Brival.

Tour à tour poétiques (« On s'appartiendra »), accroche-cœurs (« I Do It For Your Love »), rythmiques (« Moune »), humoristiques (« Dear Lily »)… les chansons à texte de Brival ne manquent pas de piment. Sa voix grave et profonde, parfois rauque, et son chant passent d’un slam (« Mezcals ») ou d’une diction à peine modulée (« Les mots qui dansent ») à des phrases entraînantes (« Créole Love ») ou dans un style crooner (« Lago »). Il évoque tour à tour Serge Gainsbourg (« On s’appartiendra »), Alain Bashung (« Ma chère cousine ») et, parfois, un zeste de Michel Jonasz (« Les mots qui dansent ») et de Claude Nougaro (« Dear Lily »). La section rythmique, c’est du sérieux, et le trio répand un swing salutaire ! Marchès et Julien s’adaptent avec finesse à l’atmosphère des chansons : poly-rythme et motifs sourds (« Mezcals »), walking et chabada (« Sauvez Winnie »), échanges lancinants (« Les mots qui dansent »), gravité solennelle (« Lago »)… Decormeille et son jeu remarquablement ingénieux mettent en relief le chant de Brival. Il alterne contrepoints, rifs, unissons, ostinatos, lignes mélodiques et accords rythmiques avec beaucoup d’à-propos.

Un parolier adroit doublé d’un chanteur singulier, accompagné d’un trio piano – basse – batterie résolument jazz… Autant de Circonstances aggravantes qui justifient amplement d’écouter Brival.

Le disque

Circonstances aggravantes
Roland Brival
Roland Brival (voc), Rémy Decormeille (p), Manu Marchès (b) et Julien Charlet (d), avec Christophe Panzani (ts, cl b)
Such Production – SUCH008
Sortie en avril 2014

Liste des morceaux

01. « Ma chère cousine » (3:30).
02. « Les mots qui dansent » (4:13).
03. « New York Song » (6:08).
04. « Créole Love » (3:54).
05. « Mezcals » (3:55).  
06. « I Do It for Your Love » (5:04).
 07. « Sauvez Winnie » (6:02).
 08. « Moune » (3:00).
 09. « Morning Rain » (5:07).
10. « Lago » (3:34).
11. « On s'appartiendra » (4:43).
12. « Dear Lily             » (3:23).

Tous les morceaux sont signés Brival


WasteLand
Antoine Berjeaut

Univers Nino, le projet de Denis Colin et d’Ornette autour des chansons de Nino Ferrer, la Société des Arpenteurs, le Surnatural Orchestra, Paco Sery, Sandra NkakéAntoine Berjeaut cultive son jardin ! En avril 2014, le trompettiste sort son premier disque en leader, WasteLand, sur le label catalan Fresh Sound New Talent.

WasteLand s’appuie sur un quintet constitué du poète rappeur Mike Ladd, du claviériste Jozef Dumoulin, du contrebassiste Stéphane Kerecki, du batteur Fabrice Moreau et de Berjeaut. Le groupe invite aussi le saxophoniste ténor Julien Lourau sur quatre plages. Berjeaut a composé les onze morceaux du disque, dont cinq uniquement instrumentaux.

Ladd est un rappeur expressif qui utilise son timbre medium et sa voix légèrement cassée pour mettre toutes sortes de nuances dans ses spoken words : phrasé hip-hop classique dans « J.D. » ou rapide dans « Volga to Mississippi », mélopée triste dans « High », passages en beatbox dans « Baroness », ode funèbre dans « Battle »… Avec ses nappes d’effets électroniques (« Slow Motion »), ses accords denses et lointains (« Nightshift ») ou, au contraire, ses ostinatos hypnotiques (« Baroness »), Dumoulin plante le décor. Au piano, son jeu prend des teintes de musique contemporaine avec une main droite qui crépite, tandis que la gauche décompose les accords (« Clouds »). Kerecki soutient les solistes avec des phrases imposantes (« High »), des lignes aérées (« Balcony »), voire minimalistes (« Baroness »), lance une walking rapide (« Hornet »), manie l’archet avec majesté (« Battle »), introduit « Clouds » par un superbe motif profond, en suspension... à l’écoute et efficace de bout en bout ! Même constatation pour Moreau, dont la connivence avec Ladd est d’autant plus fondamentale que le rôle du rythme est central dans le rap. A l’opposé des boîtes à rythme trop souvent envahissantes, répétitives et épaisses, Moreau joue en souplesse, sans se départir de la puissance qu’il faut pour étayer la voix (« High »). Volontiers touffu (« Volga To Mississippi »), le batteur alterne chabada (« Hornet »), rif funky (« J.D. »), roulements solennels (« Nightshift »), rythmes croisés (« Clouds »)… Berjeaut est altruiste : il laisse beaucoup d’espace pour les interactions au sein du groupe et n’accapare jamais la vedette. Il se met en arrière-plan pour accompagner Ladd (« Baroness »), se joint au piano pour des unissons (« Clouds »), joue en contrepoints avec le saxophone ténor (« Slow Motion »), participe au fonds sonore avec des effets (« Battle », « Slow Motion »)… A un solo éclatant (« Hornet ») succèdent un chorus élégant (« Clouds »), puis une intervention émouvante (« Nightshift ») et des formules sinueuses (« Entract »), mais aussi des notes de blues (« J.D. »). Quant à Lourau, il est fidèle à lui-même : son gros son, son lyrisme teinté de free et son expérience de ces ambiances alternatives – le Groove Gang n’est pas si loin – apportent une densité indéniable (« High », « J.D. »).

Wasteland marie rap et jazz avec beaucoup d’intelligence (« caractère de ce qui va au fond des choses ») et, tout au long du disque, la musique se déroule, cohérente et captivante.

Le disque

WasteLand
Antoine Berjeaut
Mike Ladd (voc), Antoine Berjeaut (tp), Jozef Dumoulin (kbd, p), Stéphane Kerecki (b) et Fabrice Moreau (d), avec Julien Lourau (ts)
Fresh Sound New Talent – FSNT 450
Sortie en avril 2014

Liste des morceaux

01. « Slow Motion (Pt. 1 & 2) » (7:02).
02. « High (Pt. 1 & 2) » (9:39).
03. « Clouds » (6:22).
04. « Balcony  » (5:22).
05. « Baroness » (5:44).
06. « Hornet » (3:09).
07. « Battle » (4:26).
08. « Volga to Mississipi » (5:16).
09. « Entract» (5:18).
10. « Nightshift » (4:59).
11. « J.D. » (2:55).

Tous les morceaux sont signés Berjeaut.