Sorties automnales hautes en couleurs
Les labels d’Harmonia Mundi, Jazz Village et Le chant du monde, publient des albums d’Harold López Nussa, de Laurent Courthaliacet de The Amazing Keystone Big Band : trois nouveautés, trois mondes singuliers et trois bonnes raisons de faire exploser les décibels !
New Day – Harold López Nussa
Après un premier disque consacré aux concertos d’Heitor Villa-Lobos, en 2003, et un disque de jazz en solo (Sobre el Atelier – 2007), López Nussa se tourne vers le trio. Il sort Canciones en 2007, puis rejoint Jazz Village, pour qui il enregistreHerencia (2009), El país de las maravillas (2011) et New Day.
Le pianiste joue depuis le début avec le contrebassiste Felipe Cabreraet le percussionniste Ruy Adrian López Nussa (son frère cadet), mais s’entoure également d’invités de marque tels qu’Omara Portuondo,David Sánchez, Yaroldy Abreu… Dans New Day, Gastón Joyaremplace Cabrera à la contrebasse et López Nussa invite le trompettiste Mayquel González pour deux morceaux et le chanteurKelvis Ochoa sur un bonus.
López Nussa a composé l’intégralité des morceaux de New Day. Au fil des albums, le caractère de la musique de López Nussa ne cesse de s’affirmer : un cocktail coloré de jazz, de musiques cubaines et de musique classique du début vingtième, une musique entraînante, rythmique et mélodieuse. Ce n’est pas une surprise : la couleur dominante de New Day est latine (sept des dix morceaux). Mais López Nussa élargit sa palette : « Fantasmas en caravana » frôle le rock, « Eso fue hace 20 » prend des accents debussystes et « Enero » est résolument lyrique.
Toujours aussi étincelant, López Nussa cadet joue de la batterie en percussionniste polyrythmique patenté : qu’il en mette partout (« Paseo »), qu’il joue binaire (« New Day ») ou typiquement afro-cubain (« Corriendo por los portales »), il reste léger, change fréquemment de rythmes et maintient une pression permanente. Très fluide (« Corriendo por los portales »), Joya souligne à l’unisson les phrases du piano (« A degüello »), manie l’archet avec élégance (« Paseo ») et prend des chorus véloces dans une veine latine (« Otro viaje »). L’importance du rythme est primordiale dans le jeu de López Nussa : touché percussif, pédale (« Buenos modales »), riffs syncopés (« « Corriendo por los portales »), block chords (« A dégüello ») pompe (« Cimarrón »)… Le pianiste soigne également ses introductions (« Otro viaje »), ses mélodies (« Eso fue hace 20 ») et fait une petite incursion dans le folk à la Keith Jarrett (« New Day »). Nouveauté par rapport aux précédents disques, Lopéz Nussa introduit un Fender Rhodes avec un son « sale » qui donne un caractère bluesy à « Fantasmas en caravana ».
Un nouveau trio, un enregistrement à Cuba (les deux précédents albums ont été enregistrés en France), des compositions inédites, un Fender Rhodes… New Day marque une nouvelle étape dans la carrière de López Nussa, même si l’esprit général de la musique reste dans la continuité de ses précédents disques : feu d’artifice rythmique et mélodique, joie de vivre et de jouer…
Le disque
New day
Harold López Nussa
Harold López Nussa (p, kbd), Gastón Joya (b) et Ruy Adrian López Nussa (d), avec Mayquel González (tp) et Kelvis Ochoa (voc).
Jazz Village – 570021
Sortie en octobre 2013
Harold López Nussa
Harold López Nussa (p, kbd), Gastón Joya (b) et Ruy Adrian López Nussa (d), avec Mayquel González (tp) et Kelvis Ochoa (voc).
Jazz Village – 570021
Sortie en octobre 2013
Liste des morceaux
01. « A degüello » (4:39).
02. « Cimarrón » (4:21).
03. « Paseo » (6:54).
04. « Fantasmas en caravana » (4:47).
05. « Otro viaje » (6:30).
06. « New day » (5:14).
07. « Corriendo por los portales » (5:01).
08. « Eso fue hace 20 » (5:11).
09. « Buenos modales » (4:39).
10. « Enero » (3:59).
11. « Otro güajiro en Paris (Bonus Track) » (3:41).
12. « La paz que me domina (Bonus Track) » (3:42).
02. « Cimarrón » (4:21).
03. « Paseo » (6:54).
04. « Fantasmas en caravana » (4:47).
05. « Otro viaje » (6:30).
06. « New day » (5:14).
07. « Corriendo por los portales » (5:01).
08. « Eso fue hace 20 » (5:11).
09. « Buenos modales » (4:39).
10. « Enero » (3:59).
11. « Otro güajiro en Paris (Bonus Track) » (3:41).
12. « La paz que me domina (Bonus Track) » (3:42).
Tous les morceaux sont signé López Nussa, sauf indication contraire.
Pannonica – Laurent Courthaliac Trio
A l’occasion du centenaire de sa naissance, Courthaliac rend hommage à la baronnePannonica de Koenigswarter. Le pianiste réunit un trio newyorkais de choc avec Ron Carter ouClovis Nicolas à la contrebasse et Rodney Greenà la batterie.
La baronne mérite amplement un disque-hommage. Dans les années cinquante et soixante, la baronne fut l’égérie et la protectrice d’une multitude de musiciens be-bop :Charlie Parker est mort chez elle, Thelonious Monk a passé les dernières années de sa vie à Cathouse, Bud Powell s’est aussi réfugié à Weehawken, elle a aidé Barry Harris à créer son école de musique… Les nombreuses photos et les réponses à la question « Quels sont vos trois souhaits ? » que Pannonica a posée à plus de trois cent musiciens ont été réunis dans Les Musiciens de jazz et leurs trois vœux. Ce livre posthume – la baronne est décédée en 1988 – est sorti en 2006 chez Buchet et Chastel.
Passé par le Conservatoire de Lyon, Courthaliac a d’abord participé au Collectif Mû. Installé à Paris depuis 1998, le pianiste devient le pianiste maison du Petit Opportun et du collectif des Nuits Blanches –Olivier Temime, Alex Tassel, Baptiste Trotignon… Au début des années deux mille, Couthaliac joue dans le Luigi Trussardi Quintet,Gaël Horellou / David Sauzay Quintet… puis accompagne Elisabeth Kontomanou pendant plusieurs années. En parallèle il continue de jouer en trio et sort The Scarlet Street en 2005, avec Gilles Naturel etPhilippe Soirat.
Pour rendre hommage à la baronne Courthaliac a sélectionné six morceaux: « Nicaragua » d’Harris, « Nica » de Sonny Clark, « Thelonica » de Tommy Flanagan, « Pannonica » de Monk, son anacyclique « Acinonnap » et une allusion aux trois vœux, « Three Wishes », deux compositions signées Courthaliac. Le trio joue aussi cinq standards : « With A Song In My Heart », écrit par Richard Rodgers et Lorenz Hart en 1929 pour la comédie musicale Spring Is Here, « I'm A Dreamer, Aren't We All? » composé par Ray Henderson,B.G. DeSylva et Lew Brown pour le film Sunny Side Up (1929), le traditionnel « Broom Street Blues », « If There Is Someone Lovelier Than You » d’Arthur Schwartz et Howard Dietz pour une autre comédie musicale, Revenge With Music (1934), et le tube de Gordon Jenkins, « Goodbye » (1935). A noter également que c’est Nadine de Koenigswarter, la petite fille de la baronne, qui a réalisé l’élégante pochette du disque.
Courthaliac a bien retenu les leçons d’Alain Jean-Marie et de Harris avec qui il a étudié : son be-bop est aux petits oignons. Les morceaux suivent les canons du genre : thème – solos – thèmes, walking inébranlable et chabada inaltérable. Les stop-chorus de Green (« Nicaragua », « Nica ») et son solo (« Acinonnap ») sont rapides et puissants. Carter (« Nicaragua ») et Nicolas (« I'm A Dreamer, Aren't We All? ») parsèment leur walking de shuffles, qui renforcent encore davantage le swing de leurs lignes de basse. Carter passe d’un solo dans la continuité de sa walking (« Nica », « Pannonica »), tout en souplesse (« With A Song In My Heart »), à un chorus raffiné (« Thelonica »). Les trois ballades swinguent tranquillement (« Thelonica », « Three Wishes » et « Goodbye »). Pendant que la main gauche plaque des accords sobres, la main droite de Courthaliac parcourt avec agilité le clavier (« With A Song In My Heart »). Ses phrases rapides (« Nicaragua »), ses accents énergiques (« Panonnica »), sa mise en place précise (« If There Someone Lovelier Than You »), ses lignes syncopées (« Broome St. Blues »)… tout concourt à rappeler le jeu des boppers.
La musique de Pannonica se situe dans la droite ligne du be-bop et Courthaliac fait sans aucun doute partie de la famille des musiciens qui passèrent du temps à Weehawken chez la baronne de Koenigswarter et ses cent vingt-deux chats…
Le disque
Pannonica
Laurent Courthaliac Trio
Laurent Courthaliac (p), Sir Ron Carter (b) ou Clovis Nicolas (b) et Rodney Green (d).
Jazz Village – 570023
Sortie en novembre 2013
Laurent Courthaliac Trio
Laurent Courthaliac (p), Sir Ron Carter (b) ou Clovis Nicolas (b) et Rodney Green (d).
Jazz Village – 570023
Sortie en novembre 2013
Liste des morceaux
01. « Nicaragua », Harris (6:08).
02. « With A Song In My Heart », Rodgers & Hart (5:16).
03. « Nica », Clark (6:57).
04. « Thelonica », Flanagan (6:31).
05. « I'm A Dreamer, Aren't We All? », Henderson, DeSylva & Brown (3:46).
06. « Pannonica », Monk (5:16).
07. « Acinonnap », Courthaliac (5:07).
08. « Three Wishes », Courthaliac (4:06).
09. « Broome Street Blues » (6:14).
10. « If There Is Someone Lovelier Than You », Schwartz & Dietz (4:09).
11. « Goodbye », Jenkins (4:30).
02. « With A Song In My Heart », Rodgers & Hart (5:16).
03. « Nica », Clark (6:57).
04. « Thelonica », Flanagan (6:31).
05. « I'm A Dreamer, Aren't We All? », Henderson, DeSylva & Brown (3:46).
06. « Pannonica », Monk (5:16).
07. « Acinonnap », Courthaliac (5:07).
08. « Three Wishes », Courthaliac (4:06).
09. « Broome Street Blues » (6:14).
10. « If There Is Someone Lovelier Than You », Schwartz & Dietz (4:09).
11. « Goodbye », Jenkins (4:30).
Pierre et le loup – The Amazing Keystone Big Band
Le plus souvent, les enfants découvrent le jazz par le biais de compilations (la collection Musiques pour petites oreilles, Le jazz raconté aux enfants…), de spectacles qui leur sont destinés, à l’instar de Jazz & Goûter au Sunside, Jazz à la Vilette for kids… ou encore, grâce à des groupes comme Les p’tits loups du jazz d’Olivier Caillard. Les disques de contes musicaux jazz sont plus rares. En 2002 Leigh Sauerwein a bien écrit Charlie et le jazz avec une musique remarquable d’Henri Texier, mais c’est l’exception qui confirme la règle. The Amazing Keystone Big Band a donc décidé de s’attaquer à Pierre et le loup, avec Leslie Menu etDenis Podalydès dans le rôle des conteurs.
Créé en 2010 par Fred Nardin, Jon Boutellier, Bastien Ballaz etDavid Enhco, The Amazing Keystone Big Band réunit dix-huit musiciens. Outre son nom qui évoque avec humour les grands orchestres de l’ère swing et le burlesque (les studios Keystone et Mack Sennett), la formation cite Count Basie, Duke Ellington et Thad Jones comme modèles.
Sergueï Prokofiev écrit Pierre et le loup en 1936, à la demande de la directrice artistique du Théâtre central pour enfants de Moscou,Natalia Saz. Qui n’a pas écouté la version de 1956 avec Gérard Philipe, accompagné par l’orchestre symphonique d’Etat d’URSS dirigé parGuennadi Rojdestvensky ? Le disque, superbement illustré par Marcel Tillard, est une madeleine pour beaucoup… Les interprétations jazz dePierre et le loup ne courent pas les rues : en 1962, les Clyde Valley Stompers, un groupe New Orleans écossais, fait du thème principal son fonds de commerce ; dans les années deux mille, quelques musiciens font jazzer le thème, à l’instar de Gunther Schuller, Claudio Ragazzi, Jon Crosse, Junya Fukumoto… mais la première version jazz digne de ce nom est signée Jimmy Smith, avec l’orchestre et les arrangements d’Oliver Nelson, dans le disque Peter & The Wolf, sorti en 1966.
Le conte dure une trentaine de minutes et The Amazing Keystone Big Band ajoute sept variations sur les thèmes de Pierre et le loup. Pour interpréter la musique de Prokofiev, l’orchestre joue avec les différents styles de jazz : new orleans, be-bop, cool, funk, swing, free… Côté instrumentation, The Amazing Keystone Big Band s’écarte légèrement de l’original : pour Pierre, le quatuor à cordes est remplacé par le piano, la contrebasse et la guitare ; la flûte traversière symbolise toujours l’oiseau (avec un renfort de trompettes) ; le saxophone soprano remplace le hautbois pour le canard ; le chat passe de la clarinette au saxophone ténor (avec des trompettes…) ; le loup est représenté par les trombones au lieu des cors ; le grand-père troque son basson pour un saxophone baryton ; enfin, les bois et cuivres des chasseurs laissent la place aux trompettes et à la batterie.
Menu, Podalydès et The Amazing Keystone Big Band interprètent Pierre et le loup avec beaucoup de présence et une bonne dose de vitalité. La musique pétille, fait souvent sourire et dégage une bonne humeur contagieuse. Les variations sur les thèmes permettent d’approfondir les styles : le swing avec « Bird’s Tweets », le funk dans « Soulful Cat », le blues de « Hunter’s Blues », la fusion par « Beware Of The Wolf », les brass bands sur « Peter’s March »…
Quand un big band exalté s’empare d’un conte redoutable, le résultat est explosif : Pierre et le loup par The Amazing Keystone Big Band est un condensé d’énergie et un régal pour les oreilles qui fera le bonheur des petits et des grands !
Le disque
Pierre et le loup
The Amazing Keystone Big Band
Vincent Labarre (tp), Thierry Seneau (tp), David Enhco (tp), Félicien Bouchot (tp), Bastien Ballaz (tb), Aloïs Benoit (tb), Loïc Bachevillier (tb), Sylvain Thomas (tb), Pierre Desassis (sax), Kenny Jeanney (sax), Eric Prost (sax), Jon Boutellier (sax), Ghyslain Regard (sax), Jean-Philippe Scali (sax), Thibaut François (g), Fred Nardin (p), Patrick Maradan (b) et Romain Sarron (d).
Le chant du monde – CDM 207
Sortie en octobre 2013
Vincent Labarre (tp), Thierry Seneau (tp), David Enhco (tp), Félicien Bouchot (tp), Bastien Ballaz (tb), Aloïs Benoit (tb), Loïc Bachevillier (tb), Sylvain Thomas (tb), Pierre Desassis (sax), Kenny Jeanney (sax), Eric Prost (sax), Jon Boutellier (sax), Ghyslain Regard (sax), Jean-Philippe Scali (sax), Thibaut François (g), Fred Nardin (p), Patrick Maradan (b) et Romain Sarron (d).
Le chant du monde – CDM 207
Sortie en octobre 2013
Liste des morceaux
01. « Ouverture » (0:55).
02. « Présentation des personnages » (3:52).
03. « Un beau matin, Pierre ouvrit la porte du jardin » (1:30).
04. « Sur la plus haute branche d'un grand arbre » (1:20).
05. « Un canard arriva bientôt en se dandinant » (2:36).
06. « Soudain, quelque chose attira l'attention de Pierre » (1:28).
07. « Attention ! cria Pierre » (1:07).
08. « Tout à coup, Grand-Père apparut » (2:47).
09. « Il était temps ! » (1:10).
10. « En un éclair, le chat grimpa dans l'arbre » (2:12).
11. « Et maintenant, voici où en étaient les choses » (1:28).
12. « Pendant ce temps, derrière la porte du jardin… » (1:16).
13. « Alors, Pierre dit à l'oiseau… » (1:17).
14. « Pendant ce temps, Pierre fit à la corde un nœud coulant » (1:55).
15. « C'est alors que les chasseurs sortirent de la forêt » (2:21).
16. « Et maintenant, imaginez la marche ! » (2:22).
17. « Au-dessus d'eux, l'oiseau voltigeait en gazouillant » (1:53).
18. « Bird's Tweets. Presto leggiero » (2:54).
19. « Soulful Cat. Maligno affamato » (4:31).
20. « Elegy for a Duck. Andante piangendo » (4:25).
21. « Hunter's Blues. Allegro resoluto » (3:03).
22. « Beware of the Wolf. Agitato furioso » (2:44).
23. « Grandpa's Shuffle. Moderato capriccioso » (3:04).
24. « Peter's March. Giocoso alla marcia » (3:14).
02. « Présentation des personnages » (3:52).
03. « Un beau matin, Pierre ouvrit la porte du jardin » (1:30).
04. « Sur la plus haute branche d'un grand arbre » (1:20).
05. « Un canard arriva bientôt en se dandinant » (2:36).
06. « Soudain, quelque chose attira l'attention de Pierre » (1:28).
07. « Attention ! cria Pierre » (1:07).
08. « Tout à coup, Grand-Père apparut » (2:47).
09. « Il était temps ! » (1:10).
10. « En un éclair, le chat grimpa dans l'arbre » (2:12).
11. « Et maintenant, voici où en étaient les choses » (1:28).
12. « Pendant ce temps, derrière la porte du jardin… » (1:16).
13. « Alors, Pierre dit à l'oiseau… » (1:17).
14. « Pendant ce temps, Pierre fit à la corde un nœud coulant » (1:55).
15. « C'est alors que les chasseurs sortirent de la forêt » (2:21).
16. « Et maintenant, imaginez la marche ! » (2:22).
17. « Au-dessus d'eux, l'oiseau voltigeait en gazouillant » (1:53).
18. « Bird's Tweets. Presto leggiero » (2:54).
19. « Soulful Cat. Maligno affamato » (4:31).
20. « Elegy for a Duck. Andante piangendo » (4:25).
21. « Hunter's Blues. Allegro resoluto » (3:03).
22. « Beware of the Wolf. Agitato furioso » (2:44).
23. « Grandpa's Shuffle. Moderato capriccioso » (3:04).
24. « Peter's March. Giocoso alla marcia » (3:14).
Coffret La Leçon de Jazz
Les pianistes - Antoine Hervé
A partir de 2007, Antoine Hervé investit l’auditorium Saint-Germain de la Maison des Pratiques Artistiques Amateurs, en plein cœur du sixième arrondissement de Paris, pour un rendez-vous mensuel : La Leçon de Jazz. Six ans plus tard, les conférences musicales du professeur Hervé ont conquis la France, la Suisse, la Belgique… et le petit écran grâce aux DVD de RV Productions.
Seul ou accompagné, Hervé décortique la musique de quelques grands créateurs du jazz à l’instar de Charlie Parker, Duke Ellington, John Coltrane, Miles Davis, Chick Corea, McCoy Tyner... C’est en janvier 2012 qu’Hervé sort sa première Leçon de jazz en DVD : Antonio Carlos Jobim et la Bossa Nova, avec le chanteur Rolando Faria. Suivent, en février de la même année, Oscar Peterson, le swing et la virtuosité, avec François et Louis Moutin, et Wayne Shorter, jazzman extraterrestre, en duo avec Jean-Charles Richard. Présentés en solo,Keith Jarrett, pianiste sans frontière (octobre 2012), Dave Brubeck, les rythmes du diable ! (juin 213) et Bill Evans, Turn Out The Stars(septembre 2013) viennent compléter la série. Le 15 octobre, au Petit Journal Montparnasse, Hervé et les frères Moutin ont repris la Leçon sur Peterson pour présenter la sortie d’un coffret de six DVD consacrés à cinq pianistes : Brubeck, Evans, Jarrett, Peterson (deux DVD) et une nouveauté : Thelonious Monk, le Griot du Be-bop.
En dehors de Peterson qui a droit à près de trois heures, chaque DVD dure autour d’une heure et demie. Le coffret, au format CD, se fond parfaitement dans la discothèque. Comme dans toutes les Leçons de Jazz, Hervé retrace en toute simplicité la biographie des artistes et parsème son propos d’analyses de l’œuvre et du style du musicien. Il glisse ça-et-là des parenthèses plus générales sur des éléments spécifiques du jazz : le rythme, l’harmonie, les techniques… Le tout est ponctué d’interprétations de morceaux emblématiques des musiciens. Le ton est décontracté, avec des saillies espiègles et un souci didactique évident, à l’instar d’une vue de dessus du clavier qui vient s’incruster en haut de l’image pour permettre aux spectateurs de suivre les mains du pianiste.
Oscar Peterson – Le swing et la virtuosité
Né en 1925 à Montréal et mort à Mississauga en 2007, Peterson abandonne la trompette pour le piano après avoir été atteint de tuberculose. A quatorze ans, il devient musicien professionnel et écume les cabarets canadiens. Virtuose hors pair, Peterson enregistre abondamment, joue en trio et accompagne quasiment toutes les stars du jazz, notamment dans le cadre du Jazz At The Philarmonic de Norman Granz.
Dans le programme consacré à Peterson, Hervé décrit avec détail les trucs et astuces du musicien – blocks chords, ghosts notes, trumpet style, trémolos… – notamment dans les nombreux bonus (plus de trente minutes). Comme Hervé est en trio, les morceaux sont plus longs que dans les autres DVD. Pianiste à la discographie pléthorique, Peterson n’est pas un compositeur prolixe : Hervé joue huit morceaux que Peterson a regroupé dans le disque Canadiana Suite, quant au cinq autres thèmes de la Leçon, trois sont des standards et deux son signées Hervé.
Dans le premier DVD, Hervé déroule l’histoire de Peterson autour de la « Suite Canadienne ». Peterson a profondément marqué Hervé : « à douze ans je n’aimais pas du tout, à quatorze ans j’adorais… C’est comme ça que je me suis mis au jazz… ». Et Hervé d’insister sur la virtuosité, le jeu extraverti et la puissance de Peterson (« ses épaules faisaient 4 octaves »), tout en remarquant qu’il excelle également dans les ballades. Le caractère démonstratif de Peterson réside dans l’application de sa méthode dite des « cinq T » : le touché (touch), le temps (time), le ton (tone), la technique (technics) et la texture (taste). Grâce à une maîtrise exemplaire des « cinq T », Peterson fait danser sa musique et l’auditeur ne peut s’empêcher de balancer la tête en cadence. D’ailleurs, comme le souligne Hervé, « dans le jazz on n’a jamais séparé l’intellect du corps ». Il détaille ensuite l’importance de la walking bass chez Peterson et le rôle clé de ses contrebassistes, comme Niels-Henning Oersted Petersen ou Ray Brown (« le sixième doigt de Peterson »). Pour appuyer son propos, il marche de long en large sur la scène accompagné par les frères Moutin et se livre à une démonstration amusante de shuffle (tap – ta tap – tap – ta tap).
Le deuxième DVD commence par un relevé de Peterson sur « When The Lights Are Low » de Benny Carter. Hervé se penche ensuite sur « l’hyper-virtuosité » du pianiste canadien en jouant le traditionnel et périlleux « Travellin’ On ». Hervé explique comment Peterson utilise son clavier comme un big band à l’aide de tous les effets – clusters, block chords, tutti… – dont il parsème son jeu et le met en pratique dans « Sax No End ». Pour terminer sa Leçon de Jazz, Hervé pose une question abrupte : « Oscar Peterson a-t-il été utile au jazz ? ». Après avoir constaté que Peterson n’a pas été le précurseur ni le chef de file d’un genre, Hervé souligne que Peterson a néanmoins contribué à « la reconnaissance du jazz comme un art universel » et de conclure un brin grandiloquent : « il a fait passer le jazz du simple divertissement dansant à une des formes d’expression musicale les plus aboutie du vingtième siècle. […] Avec Oscar Peterson, le jazz passe du simple loisir à la culture ».
Liste des morceaux (avec un disque en référence)
01. « Blues For Oscar », Hervé.
02. Canadiana Suite, Peterson, 1964.
a. « Ballad To The East ».
b. « Laurentide Waltz ».
c. « Place St Henri».
d. « Hogtown Blues ».
e. « Blues Of The Prairies ».
f. « Wheatland ».
g. « March Past ».
h. « Land Of The Misty Giants».
03. « When The Lights Are Low », Carter, Travelin’ On, 1968.
04. « Travellin’ On », traditionnel, Travelin’ On, 1968..
05. « Sax No End », Francy Boland, Travelin’ On, 1968.
06. « Blues To Say Goodbye », Hervé.
02. Canadiana Suite, Peterson, 1964.
a. « Ballad To The East ».
b. « Laurentide Waltz ».
c. « Place St Henri».
d. « Hogtown Blues ».
e. « Blues Of The Prairies ».
f. « Wheatland ».
g. « March Past ».
h. « Land Of The Misty Giants».
03. « When The Lights Are Low », Carter, Travelin’ On, 1968.
04. « Travellin’ On », traditionnel, Travelin’ On, 1968..
05. « Sax No End », Francy Boland, Travelin’ On, 1968.
06. « Blues To Say Goodbye », Hervé.
Thelonious Monk – Le griot du be-bop
Formé à la musique en accompagnant sa mère à l'orgue pendant qu'elle chante dans une église baptiste de Manhattan, Monk commence sa carrière à dix-sept ans. En 1941, Monk est pianiste au Minton’s Playhouse : c’est dans ce laboratoire de recherche – avec le Monroe Uptown House – que naît le be-bop. Mais, à côté de tous les mouvements, Monk poursuit son propre chemin, particulièrement singulier, qui s’arrête brutalement au début des années soixante-dix, chez la baronne Pannonica de Koenigswarter, où il meurt, en 1982.
Hervé joue quatorze thèmes phares de Monk et propose, en bonus, une master class sur le style de Sphere, à partir de « Round’ Midnight ».
« Un bon jazzman doit avoir l’âme d’un danseur et l’âme d’un conteur ». La Leçon de Jazz sur Monk est placée sous cette maxime. Hervé présente évidemment Monk comme l’un des pères du be-bop aux côtés, bien entendu, de Charlie Parker, Dizzy Gillespie, Kenny Clarke, Bud Powell… Hervé insiste aussi sur un certain retour à l’Afrique avec, entre autre, l’importance de l’ellipse dans le be-bop : la musique suggère les choses, plutôt que de les dire. Et de citer Gil Evans : « Si on peut deviner la suite, ce n’est pas la peine de la jouer. Il faut la suggérer ». Après avoir décrit les chorégraphies de Monk sur scène, Hervé s’attarde sur les caractéristiques de son jeu : asymétries, résonnances, clusters, dissonances qui « agressent l’oreille » (les fameux « klaxons » des quintes diminuées), notes fantômes, stride… Hervé n’oublie pas non plus le contexte politique et social des années bop avec l’apartheid, la drogue, le maccarthysme, l’avènement du rock and roll… et finalement l’isolement quasi-volontaire du be-bop : « peu m’importe qu’on écoute ou non ma musique », disait Monk. Pour illustrer le caractère original de Monk, Hervé livre quelques anecdotes sur ses chapeaux, les titres de ses morceaux, sa bague (Monk Know)… Au final, et en évoquant l’association de John Coltrane avec Monk, Hervé constate que, pour Monk, le plus important, ce n’est pas dans les notes, mais l’esprit de la musique et le son : « le son vivant… Le son chez qui chaque note est expressive ».
Liste des morceaux (avec un disque en référence)
01. « Blue Monk », Thelonious Monk Quartet With John Coltrane At Carnegie Hall, 1957.
02. « Round Midnight », Thelonious Himself, 1957.
03. « Think Of One », Monk, 1954.
04. « Monk’s Dream », Monk’s Dream, 1962.
05. « Epistrophy », Monk & Kenny Clarke, Thelonious Monk With John Coltrane, 1961.
06. « Little Rootie Tootie », The Thelonious Monk Orchestra At Town Hall, 1959.
07. « Ruby My Dear », Thelonious Monk With John Coltrane, 1961.
08. « Ugly Beauty », Underground, 1968.
09. « Nutty », Thelonious Monk & Sonny Rollins, 1955.
10. « Pannonica », Brilliant Corners, 1957.
11. « I Mean You », Monk In Copenhagen, 1961.
12. « Trinkle Tinkle », Thelonious Monk With John Coltrane, 1961.
13. « Thelonious », The Thelonious Monk Orchestra At Town Hall, 1959.
14. « Well You Needn’t », Monk’s Music, 1957.
02. « Round Midnight », Thelonious Himself, 1957.
03. « Think Of One », Monk, 1954.
04. « Monk’s Dream », Monk’s Dream, 1962.
05. « Epistrophy », Monk & Kenny Clarke, Thelonious Monk With John Coltrane, 1961.
06. « Little Rootie Tootie », The Thelonious Monk Orchestra At Town Hall, 1959.
07. « Ruby My Dear », Thelonious Monk With John Coltrane, 1961.
08. « Ugly Beauty », Underground, 1968.
09. « Nutty », Thelonious Monk & Sonny Rollins, 1955.
10. « Pannonica », Brilliant Corners, 1957.
11. « I Mean You », Monk In Copenhagen, 1961.
12. « Trinkle Tinkle », Thelonious Monk With John Coltrane, 1961.
13. « Thelonious », The Thelonious Monk Orchestra At Town Hall, 1959.
14. « Well You Needn’t », Monk’s Music, 1957.
Bill Evans – Turn Out The Stars
Evans décède à cinquante et un ans, le 15 septembre 1980. Sa « courte » carrière révolutionne le piano jazz, et plus particulièrement le trio. Il doit surtout à George Russell son approche classique de l’harmonie qu’il transpose au jazz. Après l’enregistrement de Kind Of Blues avec Miles Davis (avecCannonball Adderley etJohn Coltrane), Evans monte l’un des trios mythiques du jazz en compagnie de Scott LaFaro et Paul Motian. Liberté, égalité et fraternité musicales sont les maîtres-mots du jazz selon Evans.
Hervé interprète onze morceaux composés par Evans et le standard « My Romance », de Lorenz Hart & Richard Rogers.
La musique d’Evans va marquer profondément le jazz : son premier disque, produit par Orrin Keepnews en 1956, s’intitule d’ailleurs New Jazz Conception. Influencé par les compositeurs classiques du début du vingtième – Maurice Ravel, Claude Debussy, Alexandre Scriabine… – Evans est un mélodiste intimiste au jeu aérien et un harmoniste talentueux. Hervé précise que « le son du piano [d’Evans] est cristallin ». Après une digression sous la forme d’une histoire du jazz en bref, Hervé constate que « si la peinture c’est l’art de l’espace, la musique c’est l’art du temps ». Ce qui, chez Evans, se traduit par l’interplay : sur une base de mesures asymétriques et de polyrythmie, Evans, Scott LaFaro et Paul Motian imbriquent leur voix. Hervé se livre à une démonstration imagée de l’interplay : dans le registre medium du piano, les doigts de la main gauche viennent se mélanger à ceux de la main droite, comme la ligne de la contrebasse qui vient se mêler à celle du piano. Quand Evans rejoint Miles Davis, il introduit la polytonalité et la polyrythmie dans la musique du trompettiste et donne naissance au jazz modal. Hervé montre la différence entre tonal et modal en s’appuyant notamment sur des codas à la Ludwig van Beethoven, les découvertes d’Igor Stravinsky et « So What ». Puis il décline les modes : arabo-andalou, cors de chasse, blues... avant d’aboutir à Kind Of Blue…
Liste des morceaux (avec un disque en référence)
01. « Very Early », Moon Beams, 1962.
02. « Bill’s Hit Tune », Turn Out The Stars: Final Village Vanguard Recordings, 1996.
03. « Waltz For Debby », Evans & Gene Lees, Waltz For Debby, 1961.
04. « Peace Piece », Everybody Digs Bill Evans, 1958.
05. « Epilogue », Everybody Digs Bill Evans, 1958.
06. « Time Remembered », Turn Out The Stars: Final Village Vanguard Recordings, 1996.
07. « Five », We Will Meet Again, 1979.
08. « Blue In Green », Evans & Davis, Portrait In Jazz, 1959.
09. « Turn Out The Stars », California Here I Come, 1967.
10. « We Will Meet Again », We Will Meet Again, 1979.
11. « My Romance », Hart & Rogers, Waltz For Debby, 1961.
12. « Laurie », We Will Meet Again, 1979.
02. « Bill’s Hit Tune », Turn Out The Stars: Final Village Vanguard Recordings, 1996.
03. « Waltz For Debby », Evans & Gene Lees, Waltz For Debby, 1961.
04. « Peace Piece », Everybody Digs Bill Evans, 1958.
05. « Epilogue », Everybody Digs Bill Evans, 1958.
06. « Time Remembered », Turn Out The Stars: Final Village Vanguard Recordings, 1996.
07. « Five », We Will Meet Again, 1979.
08. « Blue In Green », Evans & Davis, Portrait In Jazz, 1959.
09. « Turn Out The Stars », California Here I Come, 1967.
10. « We Will Meet Again », We Will Meet Again, 1979.
11. « My Romance », Hart & Rogers, Waltz For Debby, 1961.
12. « Laurie », We Will Meet Again, 1979.
Dave Brubeck – Les rythmes du diable !
Né en 1920, Brubeck est décédé le 5 décembre 2012, la veille de ses quatre-vingt douze ans… Elève de Darius Milhaud et d’Arnold Schoenberg, Brubeck a popularisé les rythmes complexes dans le jazz (« Unsquare Dance ») et sorti « Take Five », l’un des premiers tubes planétaires du jazz, signé Paul Desmond.Mathématiques, longévité et ironie discrète, la vie de Brubeck est également marquée par la défense des droits civiques, la une de Time Magazine, la reconnaissance de la Maison Blanche et du Kremlin, d’innombrables diplômes honorifiques…
En dehors de « Take Five », les neuf morceaux que joue Hervé ont été composés par Brubeck.
Après le be-bop, à côté du hard-bop et autre cool jazz apparaît le troisième courant, un cross over entre la musique classique et le jazz, dans lequel se trouve Brubeck. Hervé souligne que les jeux avec les mesures asymétriques constituent l’une des principales caractéristiques de Brubeck. Il insiste sur le quartet avec Desmond, Eugene Wright etJoe Morello, actif de 1951 à 1967, et son engagement contre la ségrégation raciale. Hervé montre comment on est passé des marches militaires aux mesures asymétriques et comment les rythmes de l’Afrique du nord ont voyagé en Espagne (la habanera), rejoint Puerto Rico (la salsa), avant de se mélanger aux contrepoints dans le jazz de Brubeck – « Why Not ? »… Loin des modes, Brubeck suit sa propre voie : micros-insertions dans « Three To Get Ready », rythmes assymétriques dans « Unsquare Dance », rythmes composés dans « Blue Rondo A La Turk »… Avec la mort de Desmond, en 1977, Brubeck perd « sa deuxième âme », mais n’en continue pas moins ses recherches et s’attache à transmettre sa vision aux nouvelles générations car « un homme sans passé n’a pas d’avenir ». Et de conclure la Leçon sur la pulsation à cinq temps de « Take Five »…
Liste des morceaux (avec un disque en référence)
01. « In Your Own Sweet Way », The New Brubeck Quartet Live At Montreux, 1977.
02. « Unisphere » , Dave Brubeck: In Your Own Sweet Way (Jamey Aebersold), 2004.
03. « Broadway Bossa », Jazz Impressions Of New York, 1965.
04. « Why Not? », Dave Brubeck: In Your Own Sweet Way (Jamey Aebersold), 2004.
05. « Three To Get Ready », The Dave Brubeck Quartet At Carnegie Hall, 1963.
06. « The Duke », Time Out, 1959.
07. « Unsquare Dance », Time Further Out, 1961.
08. « Blue Rondo A La Turk », Time Out, 1959.
09. « Take Five », Desmond, Time Out, 1959.
02. « Unisphere » , Dave Brubeck: In Your Own Sweet Way (Jamey Aebersold), 2004.
03. « Broadway Bossa », Jazz Impressions Of New York, 1965.
04. « Why Not? », Dave Brubeck: In Your Own Sweet Way (Jamey Aebersold), 2004.
05. « Three To Get Ready », The Dave Brubeck Quartet At Carnegie Hall, 1963.
06. « The Duke », Time Out, 1959.
07. « Unsquare Dance », Time Further Out, 1961.
08. « Blue Rondo A La Turk », Time Out, 1959.
09. « Take Five », Desmond, Time Out, 1959.
Keith Jarrett – Pianiste sans frontières
Des cinq pianistes présentés par Hervé, Jarrett est le seul encore en vie. Né en 1945, le petit Keith est surdoué : premier concert à sept ans, premier récital de ses compositions à dix-sept ans, le choix entre Nadia Boulanger et la Berklee School of Music, premier enregistrement à vingt-ans, membre des Jazz Messengers en 1965, claviériste de Davis à vingt-cinq ans, chez ECM à vingt-sept ans et… The Köln Concert en 1975 puis, à partir de 1977, le trio avec Gary Peacock et Jack DeJohnette.
Dès les premières images, Hervé résume la musique de Jarrett : « il a développé un style de piano tout à fait original basé sur une grande dépense d‘énergie ». « Découvert » par Charles Lloyd, qui a également lancé Michel Petrucciani aux Etats-Unis, mal à l’aise aux claviers électriques chez Davis, célèbre en quartet avec Dewey Redman, Motian et Charlie Haden, puis en duo avec Gary Burton… Jarrett commence sa carrière avec des thèmes aux consonances rock. Il « cumule les qualités de compositeurs et de pianiste ». Après la rencontre avec Manfred Eicher (ECM et The Köln Concert), c’est le lyrisme du quartet européen, avec Jan Garbarek, Palle Danielsson etJon Christensen. Hervé montre, dans « Spiral Dance », comment Jarrett utilise les vamps, ces petits motifs rythmiques syncopés qui sont la signature d’un morceau. Repris du tanpura indien, de la cornemuse et de la plupart des musiques du monde, le bourdon est aussi un élément important de la musique de Jarrett. Tempo rock, pentatoniques africaines, accords médiévaux… Jarrett a un « style libre, ouvert, tout est bienvenu ». Hervé décrit ensuite les influences multiples du pianiste : Evans pour le touché, la dynamique des phrases, la main gauche dissonante, l’interplay avec Gary Peacock et Jack DeJohnette ; Johann Sebastian Bach, Debussy, le gamelan, la musique médiévale (et Hervé de montrer la structure harmonique d’un choral élisabéthain), le free, la musique folk… ; Paul Bley pour les phrases inachevées, les suggestions… Comme Jarrett est un multi-instrumentiste, il s’inspire aussi du phrasé de la guitare et du jeu des percussions (les bongos et congas dans The Köln Concert). Jarrett affectionne également les développements de voix en contre-chant : « ça commence à ressembler à du Rachmaninov, mais en plus rock and roll quand même ». Jarrett puise aussi dans la musique répétitive minimaliste de Michael Nyman. Comme le dit Hervé, Jarrett cherche vraiment tous azimuts : « c’est la porte ouverte à toutes les fenêtres »… Hervé évoque ensuite le blues et « Basin Street Blues ». Il explique notamment comment la main gauche imite la basse pendant que la main droite joue des notes fantômes piquées, accentuées, enchaînées… L’analyse détaillée de l’introduction de « Stella By Starlight » puis de « Over The Rainbow » lui permet de détailler l’utilisation des voicing, des contrepoints et de l’organisation des voix dans la musique de Jarrett.
Liste des morceaux (avec un disque en référence)
01. « Long As You, You’re Living Yours », Belonging, 1974.
02. « Fortune Smile », Gary Burton & Keith Jarrett, 1971.
03. « Coral », Cielo e Terra (Al di Meola), 1985.
04. « Köln Concert – Part IIc », The Köln Concert, 1975.
05. « Spiral Dance », Belonging, 1974.
06. « The Windup », Belonging, 1974.
07. « Don’t Ever Leave Me », Oscar Hammerstein II & Jerome Kern, The Melody At Night With You, 1999.
08. « Bregenz Concert – Part I », Concerts, 1982.
09. « Köln Concert – Part IIa », The Köln Concert, 1975.
10. « Bregenz Concert – Part II », Concerts, 1982.
11. « Basin Street Blues – Intro », Spencer Williams, Live In Japan 93 / 96, 2009.
12. « Stella By Starlight – Intro », Ned Washington & Victor Young,Standards Live, 1985.
13. « Over The Rainbow », Harold Arlen & Yip Harburg, La Scala, 1997.
14. « My Song », My Song, 1978.
02. « Fortune Smile », Gary Burton & Keith Jarrett, 1971.
03. « Coral », Cielo e Terra (Al di Meola), 1985.
04. « Köln Concert – Part IIc », The Köln Concert, 1975.
05. « Spiral Dance », Belonging, 1974.
06. « The Windup », Belonging, 1974.
07. « Don’t Ever Leave Me », Oscar Hammerstein II & Jerome Kern, The Melody At Night With You, 1999.
08. « Bregenz Concert – Part I », Concerts, 1982.
09. « Köln Concert – Part IIa », The Köln Concert, 1975.
10. « Bregenz Concert – Part II », Concerts, 1982.
11. « Basin Street Blues – Intro », Spencer Williams, Live In Japan 93 / 96, 2009.
12. « Stella By Starlight – Intro », Ned Washington & Victor Young,Standards Live, 1985.
13. « Over The Rainbow », Harold Arlen & Yip Harburg, La Scala, 1997.
14. « My Song », My Song, 1978.
Le prix du coffret tourne autour de trente-cinq euros, soit moins de six euros le DVD ou six centimes la minute… C’est quand même bien mieux qu’un horodateur ! Pas loin de neuf heures de leçons magistrales et passionnantes, de la première à la dernière image : La leçon de jazzsur les pianistes est un cadeau idéal pour les petits et les grands...
Le coffret
La leçon de jazz – Les pianistes
Antoine Hervé
Antoine Hervé (p) et, pour Peterson, François Moutin (b) et Louis Moutin (d).
Coffret six DVD
RV Productions
Sortie le 22 octobre 2013.
Antoine Hervé
Antoine Hervé (p) et, pour Peterson, François Moutin (b) et Louis Moutin (d).
Coffret six DVD
RV Productions
Sortie le 22 octobre 2013.
Retour sur une rencontre inédite…
Le 5 mars 2013, Improjazz et Trace Label présentent un quartet inédit : Michel Pilz à la clarinette basse, Keith Tippett au piano,Paul Rogers à la contrebasse et Jean-Noël Cognard à la batterie se retrouvent aux Instants chavirés pour une rencontre sulfureuse de près d’une heure et demie.
D’un côté Tippett et Rogers, de l’autre Pilz et Cognard : les deux paires mêlent leurs notes depuis une trentaine d’années, mais leurs chemins ne s’étaient encore jamais croisés. C’est chose faite !
A chaque club, son public. Les instants chavirés ne dérogent pas à la règle : des étudiants à la recherche d’une certaine authenticité musicale se mêlent aux nostalgiques de la révolution free des années soixante-dix. Visiblement beaucoup se connaissent déjà : le public du free jazz underground est un petit monde... Et tout ce beau monde se roule des cigarettes, partage des maïs sans filtre et plaisante gentiment en attendant l’ouverture des portes du petit club de Montreuil.
Comme souvent dans le free jazz « traditionnel », le quartet ne s’embarrasse pas des contraintes de temps. Le concert s’articule autour de deux morceaux ; le premier dure environ quarante-cinq minutes, tandis que le deuxième frôle les quarante minutes. Dans les deux morceaux la musique rebondit et les ambiances changent au grès des propositions.
La première pièce commence en trio : aux phrases mystérieuses et tourmentées de la clarinette basse répondent le bruissement touffu de la batterie et les cris de l’archet sur les cordes de la contrebasse. Au bout d’une dizaine de minutes, après un solo ébouriffant de Rogers, Tippett entre dans la danse. Ses traits véloces dans les aigus brusquement interrompus par des accords plaqués dans les graves évoquent la musique contemporaine. Mais, au beau milieu, il change de direction et part dans une ligne mélodique qui rappelle un carillon, soutenu par le pizzicato très libre de Rogers et la batterie de Cognard, en mode percussions. Le trio piano, contrebasse, batterie installe ensuite une atmosphère lourde et quasi hypnotique qui débouche sur un élégant et mélodieux dialogue entre Pilz et Tippett. Poussé par le jeu explosif de Cognard, le quartet repart dans un passage typiquement free avec une rythmique foisonnante et Pilz qui fait monter la tension, avec des phrases dans le style de John Coltrane et d’Eric Dolphy. Un passage dans un esprit rock succède à cet épisode free : Tippett martèle des accords, Rogers cogne ses cordes avec son archet et Cognard en met partout... Le quartet tient l’audience en haleine de bout en bout. Le deuxième chorus de Rogers est des plus impressionnants: une sonorité exceptionnelle, chaude et profonde, et une ligne qui parcourt toute la tessiture de la contrebasse avec une fluidité remarquable !
Si la première partie mêle éléments free, contemporains et rock, la deuxième s’oriente résolument vers la musique contemporaine : démarrage bruitiste dans un style musique concrète, crépitements du piano sur motifs de contrebasse à la Krzysztof Penderecki(« Polymorphia »), enchevêtrement de boucles répétitives à la Steve Reich… Ce qui n’empêche pas Cognard de laisser parler sa puissance de frappe et son drumming luxuriant, pendant que Pilz part dans des envolées furieuses, joue une tournerie « folk free » débridée, tirée d'un thème de Mongesi Feza, qui déchaîne les amateurs de l'Afrique du Sud... et se lance même dans un chorus aux intonations bluesy…
Le concert a été enregistré et, ajouté à des séances en studio, il fait l'objet d'un coffret de quatre vinyles et d'un livret, publié en novembre par Bloc Thyristors sous le titre L'étau, Choses clandestines et distribué par Improjazz et Metamkine.
Pilz – Tippett – Rogers – Cognard sont incontestablement des chauffards : ils brûlent les feux rouges, franchissent les lignes blanches, grillent les priorités, prennent les sens interdits, dépassent les limites de vitesse, refusent d’obtempérer... et tout ça, bien entendu, sans ceinture de sécurité ! Un concert haletant qui laisse présager un disque captivant !
Les musiciens
Encore à l’école, Tippett forme KT7 son premier groupe de musique, puis, au début des années soixante-dix, il joue avec King Crimson. Par la suite, Tippett devient un agitateur majeur de l’avant-garde anglaise : il crée le big band Centipede, monte The Keith Tippett Group et Ovary Lodge, fait partie de l’Elton Dean's Ninesense, fonde Couple In Spirit avec son épouse, la chanteuse Julie Tippett, participe au Harry Miller’s Isipingo, joue souvent avec Louis Moholo, se produit en duo avec Stan Tracey ou Howard Riley, donne des concerts en solo, forme Mujician avec Paul Dunmall, Rogers et Tony Levin…
Rogers commence par la guitare, passe à la contrebasse, s’installe à Londres et rencontre Mike Osborne, qui le présente à la scène free anglaise : Dean, Tippett, Riley et Tracey, mais aussi Evan Parker,Kenny Wheeler… Dans les années quatre-vingt, Rogers et Levin accompagnent Alan Skidmore, Dunmal, Tippett… A la fin des années quatre-vingt, il déménage à New-York où il joue avec Gerry Hemingway, Don Byron, Tim Berne… De retour en Europe, Pip Pylel’enrôle dans Equip’Out, aux côtés de Dean et de Sophia Domancich, remplacée en 1991 par Francis Lockwood. Rogers participe ensuite au trio de Domancich avec Bruno Tocanne à la batterie, puis Levin. Rogers a joué avec moult jazzmen free, de John Zorn à Alexander von Schlippenbach en passant par Andrew Cyrille, Derek Bailey, Lol Coxhill…
Après avoir appris la clarinette basse classique au Conservatoire de Luxembourg, Pilz rejoint, dès la fin des années soixante, l’avant-garde européenne au sein du Manfred Schoof Quintet, avec Schlippenbach, Buschi Niebergall et Mani Neumeier. Dans les années soixante-dix et quatre-vingt, il tourne principalement avec le German All Stars, le Globe Unity Orchestra et le quintet de Schoof. Enseignant au Luxembourg, Pilz a monté un trio avec Christian Ramond et Klaus Kugel, qui accompagne aussi Itaru Oki, Cognard…
Fondateur du label Bloc Thyristors, Cognard monte de multiples projets : dans les années quatre-vingt il joue avec Pilz, qu’il retrouve à la fin des années deux-mille au sein de Ressuage, en compagnie de Oki, Benjamin Duboc, Patrick Müller et Sebastian Rivas… Auparavant Cognard a créé le collectif Salmigondis, puis Empan avecJac Berrocal, Dan Warburton, Judith Kan et Béatrice Godeau et Tankj avec Serge Adam, Jérome Noetinger et Titus Oppmann, Le batteur a également formé Tribarque avec Jean-François Pauvros et Müller. En 2011, à l’instigation de Philippe Renaud – directeur de la publication d’Improjazz – Cognard se lance dans Brigantin, qui met en musique des solos, duos, trios et quartets avec Conny Bauer,Johannes Bauer et Barry Guy…