22 novembre 2014

Décembre 2012

2013…


Cinq fois six cordes…

Les disques d’AlbaréPierre DurandPierrejean GaucherJohn McLaughlin et Philippe Petrucciani, sortis entre juin et octobre, sont autant de preuves que la six cordes et le jazz sont loin d’en avoir terminé avec leur lune de miel !  

Long Way – Albaré

Né au Maroc, Albert Dadon, alias Albaré, passe une partie de sa jeunesse en Israël, où il débute l’apprentissage de la guitare, avant que sa famille ne s’installe à Lyon. C’est dans la ville des lumières qu’Albaré commence sa carrière professionnelle. A vingt-sept ans il émigre en Australie. Il y devient l’un des piliers de la scène acid-jazz.
En 2011, Mattias Winckelman propose à Albaré d’enregistrer un disque à New York. Long Way, le sixième disque du guitariste, sort en juin 2012 chez Enja. Pour iTD (international Travel Diary), son « carnet de voyage international », Albaré réunit un sextet de all stars avecHendrik Meurkens à l’harmonica, George Garzone au saxophone ténor, Leo Genovese au piano, l’alter ego Evripidis Evripidou à la basse et Antonio Sanchez à la batterie.
Long Way tourne autour de huit morceaux composés par Albaré et Evripidou. Les deux complices affectionnent les thèmes mélodieux (« Funky Girl », « Love Again », « Moving On »), voire accroche-cœur (« Eagle’s Way », « You Make Me Smile »). L’harmonica (« Cut To The Chase », « You Make Me Smile », « Moving On ») ou le saxophone ténor (« Long Way ») double l’exposé des mélodies ; ce qui renforce leur côté lyrique. Les morceaux reprennent la structure habituelle thème – solos – thème. La reprise finale des thèmes débouchent souvent sur un foisonnement fait d’interventions croisées (« Cut To The Chase », « Long Way »), de dialogues (« Now And Then ») ou de contrepoints (« Eagle’s Way »).
Albaré possède une sonorité claire, mise en valeur par une résonance flatteuse. Doté d’un swing incontestable (« Eagle’s Way », « Now And Then »), les phrases sinueuses (« Funky Girl ») du guitariste chantent (« Long Way », « Love Again »). Précis, habile et marqué par le bop, Meurkens se place dans la lignée de Toots Thielemans (« Cut To The Chase », « You Make Me Smile », « Moving On »). Les accords et les contre-chants (« You Make Me Smile ») de Genovese sont discrets, mais ses chorus, modernes, sont tendus (« Cut To The Chase »), avec des incursions dans la musique contemporaine (« Long Way »). Solide et régulier, Sanchez s’adapte avec souplesse aux ambiances des morceaux : binaire (« Eagle’s Way »,), latino (« Long Way »), funky (« Funky Girl »), touffu (« Now And Then », « Moving On »), subtil (« Love Again »)… Il reste un batteur puissant avec des chorus vifs (« Long Way »). Les lignes simples et dansantes d’Evripidou (« Long Way », « Funky Girl », « Now And Then », « Moving On ») sont efficaces et ses solos bien inspirés (« Eagle’s Way »). Les solos de Garzone partent d’une veine bop pour aboutir à une digression free (« Long Way », « Now And Then »), mais il sait aussi jouer les jolis cœurs (« Funky Girl »)…
Long Way est un disque homogène qui laisse la part belle aux élans mélodieux des solistes.
Le disque
Long Way
Albaré iTD
Albaré (g), Hendrik Meurkens (hca), George Garzone (ts), Leo Genovese (p), Evripidis Evripidou (b, g) et Antonio Sanchez (d).
Enja - ENJ-9582 2
Sortie en juin 2012
Liste des morceaux
01. « Cut To The Chase » (6:40).
02. « Eagle's Way » (8:16).
03. « Long Way » (10:02).
04. « Funky Girl » (6:27).
05. « Now And Then » (6:23).
06. « You Make Me Smile » (6:17).
07. « Love Again » (6:45).
08. « Moving On » (7:08).
Toutes les compositions sont signées Albaré et Evripidou.

Chapter One: NOLA Improvisations – Pierre Durand

A sept ans, Pierre Durand commence l’apprentissage de la musique au conservatoire du septième arrondissement de Paris. Il intègre ensuite le Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, dont il sort avec un prix, en 2003. Durand a également étudié à l’American School of Modern Music et suivi les cours de John Scofieldet John Abercrombie. Membre de l’ONJ de Paolo Damiani, puis deDaniel Yvinec et John Hollenbeck, Durand joue aussi au sein de l’X’tet de Bruno Régnier, le Sound Painting de François Jeanneau… et accompagne Giovanni MirabassiSylvain Cathala et Franck VaillantJean-Jacques Milteau etc. Durand a également créé Roots, un quartet avec Hugues Mayot (sax, cl), Guido Zorn (b) et Joe Quitzke (d).
Chapter One: NOLA Improvisations est sorti en septembre 2012 sur le label indépendant, Les disques de Lily. Pour le premier disque sous son nom, Durand a choisi le solo. Le répertoire de NOLA Improvisationsdonne des renseignements sur ses sources d’inspiration : un hommage à « Coltrane », un « Who The Damn’ Is John Scofield » explicite, un crochet par « When I Grow Too Old To Dream » (standard d’Oscar Hammerstein II et de Sigmund Romberg – 1934), un gospel avec les voix de John BouteNicholas Payton et Cornell Williams (« Au bord »), le tube de ZZ Top « Jesus Just Left Chicago » (1980)… Autant dire que l’éclectisme est de mise, avec une bonne dose d’originalité ! A l’instar des photos de la pochette, signées Sylvain Gripoix, qui mettent en scène Durand, seul au milieu des marais (le bayou louisianais ?), sa guitare dans son étui et des billets collés sur son pardessus… peut-être à la recherche de l’oncle américain !
Du début à la fin de NOLA Improvisations, Durand joue avec les ambiances : méditative (« Coltrane » ascendant Inde), sanza et rumba congolaise (« Emigré »), blues (« When I Grow Too Od To Dream », « Jesus Just Left Chicago »), rock et free (« Who The Damn’ Is John Scofield »), gospel emphatique (« Au bord »), étude (« MB (les amants) ») ou médiéval (« In Man We Trust (Almost) »).
Durand utilise une panoplie d’astuces et exploite habilement les possibilités de son instrument. Du ticket de métro coincé dans les cordes pour imiter une sanza à la saturation (« Who The Damn’ Is John Scofield »), en passant par le re-recording de boucles rythmiques (« Emigré »), les voix entre gospel et requiem soulignées par des motifs élégants jouée sur une guitare à la sonorité acoustique (« Au bord »), les cordes frottées et mises en résonance (« In Man We Trust (Almost) »), les accents traînants du chant bluesy (« Jesus Just Left Chicago »)…
NOLA Improvisations est un disque de recherche et développement, particulièrement varié et plein de bonnes surprises. Et Durand de conclure : « risque et naïveté. Ce sont les mots qui disent le mieux l’esprit de ce premier album. »
Le disque
Chapter One: NOLA Improvisations
Pierre Durand
Pierre Durand (g), avec John Boute, Nicholas Payton et Cornell Williams (voc).
Les disques de Lily
Sortie en septembre 2012
Liste des morceaux
01. « Coltrane » (4:47).
02. « Emigré » (7:38).
03. « When I Grow Too Old To Dream », Oscar Hammerstein II & Sigmund Romberg (4:25).
04. « Who The Damn’ Is John Scofield » (11:53).
05. « Au bord » (5:25).
06. « MB (les amants) » (7:14).
07. « In Man We Trust (Almost) » (4:15).
08. « Jesus Just Left Chicago », Billy F. Gibbons, Joe Michael Hill et Franck Lee Beard  (3:10). 
Tous les thèmes sont signés Durand sauf indication contraire.

Melody Makers II – Pierrejean Gaucher

Du dessin à la guitare, il n’y a qu’un pas quePierrejean Gaucherfranchit à l’adolescence… Après un passage au Berklee College of Music de Boston, il monte son groupe, Abus, qui tourne largement dans le monde avec, comme invités, des musiciens tels que Randy BreckerOlivier HutmanEtienne M’Bappé… En 1992, Gaucher crée le New Trio avec Daniel Yvinec etAndré Charlier. Trio qui se transforme en quintet pour jouer la musique de Franck Zappa. Dans les années deux mille, Gaucher monte le Phileas Band, forme un duo avec Christophe Godin, monte un projet autour des fables de La Fontaine, joue en solo… En parallèle, Gaucher s’est spécialisé dans la production musicale, chronique pour des revues (Jazz Hot, Jazz Magazine, Musiq…), a dirigé le département guitare du Centre des Musiques Didier Lockwood, enseigne au MAI de Nancy, écrit des ouvrages pédagogiques… En 2008, Gaucher crée un trio avec Clément Petit au violoncelle et Cédric Affre à la batterie.Melody Makers sort en 2009 et Melody Makers II en 2012.
Dans la vidéo d’une quinzaine de minutes qui accompagne le disque, Gaucher explique que c’est la première fois qu’il compose des morceaux en duo : le guitariste et le violoncelliste se sont associés pour écrire la musique de Melody Makers II. Au passage, le documentaire mérite d’être vu : le montage est agréable, avec un bon équilibre entre paroles et musique, et des commentaires instructifs.
D’ « Arcane » à « Page blanche », le trio alterne musique baroque et rock progressif ! Petit met son archet au service de phrases courbes et mélodieuses (« Arcane », « Métal Pantin »), avec parfois des accents folk (« Two Steppin’ ») ou romantiques (« So Frenchy »), mais qui restent rarement sages très longtemps ! Le violoncelle électrifié part dans des embardées proches du hard-rock (« Papy As A Toy ») et ses tourneries sourdes rappellent résolument le rock (« Asphalte »). En pizzicato, Petit passe d’une berceuse délicate (« Sleep Sweet ») à un chorus dynamique (« Warthog Race »). Le violoncelliste se double également fréquemment à la voix pour souligner ses phrases (« Arcane », « Warthog Race », « So Frenchy »). La batterie puissante et la mobilité du drumming d’Affre vont comme un gant à la musique du trio. Tour à tour violent (« Arcane », « Warthog Race »), léger et dansant (« Mamy As A Toy »), profond (« Two Steppin’ »), épais (« Page blanche »), subtil (« Arcane », « So Frenchy »)… Affre répond vite et bien aux propos du violoncelle et de la guitare. Avec une sonorité aigue éclatante et des effets électriques de guitar hero, le jeu de Gaucher est éminemment marqué par le rock. Aux fulgurances (« Arcane », « Métal Pantin ») succèdent des accords dirty (« Papy As a Toy »), une saturation bluesy (« Two Steppin’ »), un jeu tendu (« Warthog Race » - dont le démarrage rappelle « Foxy Lady » -, « Page blanche »), un chorus noisy (« Metal Pantin »)… mais toujours avec cet attachement pour les couplets mélodieux (« Papy As A Toy », « Asphalte », « Sleep Sweet »).
Une signature sonore unique, des thèmes attachants et des développements inventifs : le jazz à fort ascendant rock (ou l’inverse ?) de Melody Makers II est réjouissant !
Le disque
Melody Makers II
Pierrejean Gaucher
Pierrejean Gaucher (g), Clément Petit (violoncelle) et Cédric Affre (d).
Musiclip – MU1205
Sortie en mai 2012
Liste des morceaux
01. « Arcane » (5:57).
02. « Papy As A Toy » (5:11).
03. « Two Steppin’ » (5:20).
04. « Asphalte » (4:45).
05. « Sleep Sweet » (2:33).
06. « Mamy Has A Toy » (5:02).
07. « Warthog Race » (4:45).
08. « So Frenchy » (3:51).
09. « Métal pantin » (3:06).
10. « Page blanche » (3:40).
 Tous les thèmes sont signés Gaucher et Petit.


Now Here This – John McLaughlin

Attiré par le blues et le swing, John McLaughlincommence la guitare à l’âge de onze ans. En 1968, il monte son premier groupe et enregistre Extrapolation.Tony Williams l’invite à rejoindre Lifetime pourEmergency! McLaughlin s’installe à New York en 1969. Désormais membre de l’orchestre de Miles Mavis, il participe aux enregistrements de In A Silent WayBitches Brew et A Tribute To Jack Johnson. En 1970, McLaughlin revient à la musique acoustique et s’intéresse aux musiques orientales : My Goal’s Beyond. Après un disque en solo, Devotion, il crée Mahavishnu Orchestra en 1971. Le groupe de fusion tourne et enregistre abondamment jusqu’en 1975, ce qui ne l’empêche pas d’enregistrer Love Devotion Surrender avec Carlos Santana. Ensuite, McLaughlin revient à la musique indienne avec le groupe Shakti. A la fin des années soixante-dix, le guitariste enregistre avec Al Di Meolaet Paco de Lucia. Après une brève reconstitution du Mahavishnu au milieu des années quatre-vingt, il tente quelques expériences à la croisée du classique et du jazz. Dans les années quatre-vingts dix, McLaughlin signe avec Verve et enregistre dans des groupes à géométrie variable : Time Remembered John McLaughlin Plays Bill Evans (1993), After The Rain avec Elvin Jones et Joey DeFrancesco(1995), The Promise (1996)… Heart Of Things est un retour au jazz électrique avec notamment Denis Chambers à la batterie. Le vingt-et-unième siècle marque un retour à l’Inde avec Remember Shakti: The Believer, suivi de nombreux autres concerts et albums. En 2008, McLaughlin monte Five Peace Band avec Chick CoreaKenny Garrett,Christian McBride et Vinnie Colaiuta pour une tournée mondiale et un disque éponyme (2009). Il crée ensuite le groupe 4th Dimension qui sort To The One en 2010, et Now Here This en 2012.
4th Dimension est constitué de Gary Husband aux claviers, Etienne M’Bappé à la basse et Ranjit Barrot, qui a succédé à Mark Mondesir à la batterie. Comme dans To The One, toutes les compositions de Now Here This sont signées McLaughlin.
Dès les premières notes de « Trancefusion », le ton est donné : Now Here This est placé sous le signe d’un jazz rock fusion de la plus pure souche. Avec Barrot et M’Bappé, McLaughlin a trouvé une paire rythmique à sa mesure. Barrot fait partie des « cogneurs véloces qui en mettent partout », un peu comme Billy Cobham, batteur du Mahavishnu Orchestra : une charleston sur-vitaminée (« Riff Raff »), un jeu de cymbale touffu (« Trancefusion »), des roulements supersoniques (« Call And Answer »), le tout souvent sur un rythme binaire avec une sonorité mate et puissante. 4th Dimension peut compter sur M’Bappé, le bassiste aux gants, pour assurer une ligne de basse en béton. Le son épais et sourd (« Wonderfall »), le slap massif (« Take It or Leave It »), les motifs appuyés (« Echos From Then ») et les solos fulgurants (« Riff Raff »), dans la lignée de Marcus Miller, sont en parfaite symbiose avec l’ambiance de Now Here This. Husband utilise ses claviers pour distiller des nappes électro (« Trancefusion », « Wonderfall »), servir de chœurs (« Call And answer ») ou prolonger les chorus de la guitare (« Riff Raff »),  tandis qu’il réserve le piano pour apporter une touche de douceur acoustique (« Not Here Not There »). McLaughlin se fait plaisir ! Il a écrit des thèmes séduisants (« Trancefusion », « Call And Answer », « Guitar Love »…), prends des solos virtuoses comme il en a le secret (« Riff Raff », « Guitar Love »), évoque l’héritage du rock’n roll (« Echos From Then »), s’amuse des écarts de sonorité entre sa guitare synthétiseur et le piano (« Wonderfall »), rappelle Carlos Santana (« Not Here Not There ») et s’en donne à cœur joie avec sa section rythmique (« Take It Or Leave It »).
Now Here This confirme que la fusion n’a pas encore dit sa dernière note, que 4th Dimension est un quartet excitant et que McLaughlin n’a rien perdu de sa vitalité créatrice !
Le disque
Now Here This
John McLaughlin
John McLaughlin (g), Gary Husband (kbd), Etienne M’Bappé (b) et Ranjit Barot (d).
Abstract Logix – ABLX 037
Sortie en octobre 2012
Liste des morceaux
01. « Trancefusion » (7:16).
02. « Riff Raff » (7:02).
03. « Echos From Then » (6:07).
04. « Wonderfall » (6:27).
05. « Call And Answer » (5:53).
06. « Not Here Not there » (6:17).
07. « Guitar Love » (7:08).
08. « Take It Or Leave It » (3:46). 
Tous les thèmes sont signés McLaughlin sauf indication contraire.


Este Mundo – Philippe Petrucciani

Philippe Petrucciani apprend la guitare avec son père, Tony, et joue avec ses frères Louis à la contrebasse et Michel au piano. Il effectue un voyage aux Etats-Unis où il joue avec Michel et prend des cours avec Abercrombie. En 1980, Petrucciani monte son premier groupe et joue, entre autres, avec Jean-Sébastien SimonoviezMichel BachevalierFrédéric Monino,Alain Jean-MarieJef GilsonArchie Shepp… En 1991, il enregistre The First avec François QuilletDominique Di Piazza et Victor Joneset commence d’enseigner à l’Institut Musical de Formation Professionnel de Salon de Provence. A la fin des années quatre-vingts dix, il joue avec Tony, Michel, Louis et Mahnu Roche à la batterie, puis tourne avec ses frères en Italie et en Israël. A partir de 2000, Petrucciaini crée et participe à de nombreux groupes, dont Nathalie et Philippe Petrucciani Réunion avec Nathalie Blanc au chant, Di Piazza et Roche. Le premier disque du quartet, Este mundo, sort chez Jazz Village en octobre.
Petrucciani et Blanc ont composé neuf des quatorze morceaux. Blanc et Roche signent « Mister M.P. », hommage à Michel. Le groupe reprend trois standards : « Autour de minuit » avec les paroles de Claude Nougaro, « Summertime » et « Alone Together ». Este mundo se conclut sur « Sous le ciel de Paris », célèbre chanson du film éponyme de Julien Duvivier.
Este mundo alterne des ballades (« Mike P », « Mister M.P. », « Alone Together »), des chansons à texte (« Autour de minuit », « Le danseur »), des morceaux dans une veine bossa ou caraïbes (« Bahia », « Souvenirs d’enfance », « Nuit d’été »)… « Summertime » est pris sur un rythme funky, tandis que l’interprétation de « Sous le ciel de Paris » est une version reggae. La plupart des morceaux suit la structure du bop : thème chanté, chorus en scat, solo de la guitare, solo de la basse et reprise du thème.
Roche a les baguettes légères et joue avec beaucoup de musicalité (« Este mundo »). Il se met entièrement au service des solistes et ne prend qu’un solo (« Le danseur »). Il est aussi à l’aise avec un chabada bop (« Alone Together ») qu’avec les poly-rythmes des îles (« Bahia »), les quatre temps du reggae ou le funk. Di Piazza soutient les chorus avec des lignes de basse souples (« Mike P. », « May Be One Day ») ou une walking entraînante (« Alone Together »). Fidèle à sa réputation, ses chorus allient une virtuosité et une musicalité impressionnantes (« Bahia », « Souvenirs d’enfance »). La voix contralto, lointaine et légèrement nasale de Blanc donne un relief particulier aux chansons (« Souvenirs d’enfance », « Nuit d’été »), avec une mention spéciale pour la version reggae de « Sous le ciel de Paris ». Avec une tessiture étendue et une maitrise rythmique sûre, son scat est remarquable et rappelle celui de Sarah Vaughan (« Este mundo », « Alone Together »…). Petrucciani vient de l’école bop et a bien assimilé Wes Montgomery : sonorité limpide, doigté précis, mise en place rythmique soignée (« Mike P. »), développements inspirés (« Autour de minuit »)… Il joue également de la guitare synthétiseur pour répondre à la voix lointaine (« Este mundo »).
Este mundo entraîne l’auditeur dans un voyage où scat et bop se marient avec des chansons à texte et des rythmes des îles…
Le disque
Este mundo
Philippe Petrucciani
Philippe Petrucciani (g), Nathalie Blanc (voc), Dominique Di Piazza (b) et Manhu Roche (d).
Jazz Village
Sortie en octobre 2012
Liste des morceaux
01. « Este mundo » (5:24).
02. « I Have An Idea » (2:21).
03. « Mike P. » (4:58).
04. « Bahia » (5:19).
05. « Autour de minuit », Thelonious Monk et Claude Nougaro (3:31).
06. « Entrelacé », Petrucciani (2:49).
07. « Summertime », George Gershwin et DuBose Heyward (3:54).
08. « Mister M.P. », Blanc et Roche (3:24).
09. « Alone Together », Howard Dietz et Arthur Schwartz (5:51).  
10. « Le danseur » (4:42).
11. « Souvenirs d’enfance » (4:19).
12. « Nuit d’été » (3:10).
13. « May Be One Day » (3:04).
14. « Sous le ciel de Paris », Jean Dréjac et Hubert Giraud (6:31).
Tous les thèmes sont signés Blanc et Petrucciani sauf indication contraire.

Jonathan Orland – Homes

Homes, le premier disque de Jonathan Orland est sorti chezBee Jazz en septembre. L’occasion de découvrir ce saxophoniste alto et soprano, rentré récemment des Etats-Unis.
Pour Homes, Orland fait appel à son « quintet américain », composé de musiciens rencontrés à Boston : Sharik Hasan au piano, Greg Duncan à la guitare, Lim Yang à la contrebasse et Jun Young Song à la batterie. Le quintet convie le saxophoniste ténor George Garzone, mentor d’Orland, sur trois morceaux.
Orland joue six de ses compositions, plus « In Your Own Sweet Way », standard composé par Dave Brubeck en 1955, et « The Touch Of Your Lips » de Ray Noble (1936).
Le répertoire met en musique des ambiances disparates : énergique (« Kalinga », « The Pope And I »), quasi boléro (« Chassidot »), bluesy (deuxième partie de « Or Not », « Yoni’s Lament »), ballade (« The Touch Of Your Lips »), incantation (« Zai Gezunt »)… Avec leurs dissonances subtiles (« Chassidot »), les mélodies d’Orland évoquent un hard-bop moderne, un peu à la Joshua Redman (« Or Not »). D’ailleurs la structure globale des morceaux suit le modèle bop – exposé du thème à l’unisson, succession de chorus et reprise du thème – et la rythmique s’appuie largement sur un chabada et une walking solides (« Kalinga », « Zai Gezunt »).
Orland est aussi à l’aise au saxophone alto qu’au soprano. A l’alto, un son droit, ferme et précis lui permet de jouer des chorus rapides (« Kalinga »). Il utilise la sonorité plus aigüe et fluette du soprano pour faire monter la pression (« Zai Gezunt »). Grâce à une mise en place efficace, ses solos balancent agréablement (« Yoni’s Lament »). Les interventions de Garzone sur trois titres (« Kalinga », « The Pope And I » et « The Touch Of Your Lips ») sont tout à fait dans son style, fait de hard-bop pimenté de free. L’accompagnement d’Hasan est varié : accords, contrepoints (« In Your Own Way »), ostinato (« Zai Gezunt »), arabesques (« Chassidot »)… Ses solos ont également du relief : il passe d’un discours dans la lignée bop (« Kalinga ») a des motifs orientaux (« Chassidot »), ou entame un duo piquant avec l’alto (« Or Not »). Sideman discret, Duncan prend des chorus vifs, faits de successions de phrases dissonantes qui rappellent un peu le jeu de Kurt Rosenwinkel (« In Your Own Way »), avec des incursions vers le blues (« Or Not ») et, bien sûr, le bop (« The Touch Of Your Lips »). La paire rythmique doit assurer la pulsation et maintenir les solistes sous tension. Yang et Song s’acquittent de leur rôle avec une efficacité redoutable (« Or Not », « The Pope And I »). Orland n’est pas tombé dans le cliché du stop-chorus, si cher au bop, et il n’y a pas de solo de batterie dans Homes. Quant à la contrebassiste, elle prend la parole dans « Chassidot » et se lance dans un développement habile, dans les aigus de son instrument.
Homes est un disque tonique bien dans l’air du temps, avec, comme fil conducteur, un hard-bop semé de dissonances et de références au free.
Jonathan Orland
Orland débute par le piano et la clarinette, mais, à l’adolescence, il découvre le jazz et passe au saxophone alto. Il apprend l’instrument avec Thomas Savy et André Villégier au Conservatoire du neuvième arrondissement de Paris. Orland passe ensuite un Diplôme d’Etudes Musicales à Orsay. En 2007, accepté au CNSMDP et au Berklee College of Music, il choisit le deuxième et s’installe à Boston et travaille, entre autres, avec Greg OsbyHal Crook, Garzone… Orland poursuit ensuite avec un Master In Jazz Performance à l‘universté McGill de Montréal. De retour à Paris en 2011, il monte un trio avec Yoni Zelnik et Louis Moutin, et un quintet avec Michael FelberbaumCédric Hanriot, Zelnik et Gautier Garrigue.
Le disque
Homes
Jonathan Orland
Jonathan Orland (as, ss), Sharik Hasan (p), Greg Duncan (g), Lim Yang (b) et Jun Young Song (d), avec George Garzone (ts). 
BEE054
Sortie en septembre 2012
Liste des morceaux
01. « Kalinga » (7:28).
02. « In Your Own Way », Brubeck (8:58).
03. « Chassidot » (7:34).
04. « Zai Gezunt » (8:04).
05. « Or Not » (6:44).
06. « Yoni’s Lament » (7:49).
07. « The Pope And I » (6:15).
08. « The Touch Of Your Lips », Noble (6:43).
Toutes les compositions sont signées Orland, sauf indication contraire.

Igloo au CWB

Le Centre Wallonie-Bruxelles  propose périodiquement des manifestations autour du jazz. En automne 2010, « 1, 2, 3 Jazz » avait permis, entre autres, d’écouter de nombreux artistes belges et de visiter une exposition qui retraçait l’histoire du jazz en Belgique. Cette année, du 5 au 8 décembre, le CWB propose « Be. Jazz ! » : un festival autour de « l’actualité du jazz belge francophone », avec notamment Philip Catherine, Rêve d’Eléphant Orchestra… et une soirée consacrée au label Igloo.
Créé en 1978 par une poignée d’amateurs bruxellois, Igloo Records propose d’abord une structure pour que les artistes puissent enregistrer en toute indépendance. Dans les années quatre-vingt Igloo fusionne avec le label LDH – lancé par des musiciens du collectif les Lundis d’Hortense. Si les enregistrements de Chet Baker et Catherine ont permis au label de se faire un nom, les quelques deux cinquante disques du catalogue ont surtout permis de découvrir une multitude de musiciens de premier plan comme Jacques PelzerSteve Houben,Nathalie LoriersEric LegniniIvan PaduartPascal Schumacher… ainsi qu’Igor Gehenot et Sal La Rocca qui se produisent le 8 décembre au CWB à l’occasion de la sortie de leur disque.
Igor Gehenot Trio
Pianiste formé d’abord au classique, Gehenot se tourne rapidement vers le jazz qu’il apprend via des master classes, puis au Conservatoire de Maastrich et au Conservatoire Royal de Bruxelles. Après avoir glané des prix dans différents concours  (Festival de Comblain, Sabam, Leffe Jazz Nigth…), ce jeune pianiste de vingt-trois ans monte un trio avecSam Gerstmans à la contrebasse et Teun Verbruggen derrière les fûts. Leur premier disque sort chez Igloo : Road Story.


Le concert du CWB est l’occasion de présenter le répertoire de Road Story, composé en intégralité par Gehenot. Le pianiste signe des thèmes élégants, empreints de mélancolie (« Promenade », « A Long Distance Call To JC »)), mais quand le tempo s’accélère, les morceaux s’apparentent davantage au bop (le troisième morceau qui ressemble à « Billie’s Bounce », « Highway At 2 »).
La musique du trio s’inscrit dans la lignée Bill Evans et Keith Jarrett. Gerstmans joue tantôt une ligne grave et souple (« Lena »), tantôt une walking entraînante (la variation sur « Billie’s Bounce »). Ses solos mettent en avant une sonorité ample et profonde. Verbruggen appartient à la catégorie des batteurs subtils et mélodieux. Capable d’envoyer un chabada solide, il jongle avec des percussions (« Highway At 2 »), déploie un jeu touffu (« OTC Killer ») et prend des solos massifs sur les peaux. Gehenot maîtrise le vocabulaire bop (« Billie’s Bounce »), se montre volontiers intimiste (« Lena », « Nuits d’hiver »), introduit des effets contemporains (sonorité cristalline dans « OTC Killer » et jeu dans les cordes dans « Highway At 2 ») et glisse des touches pop (« Highway At 2 »). Autant de caractéristiques qui évoquent aussi les jeux de  Brad Mehldau, voire d’EST.
Minutieux et précis, Gehenot et son trio proposent une musique inspirée, dans une lignée bop aux accents modernes.
Les musiciens
Gerstmans est un musicien complet : il apprend d’abord le violon, puis la trompette, la musique de chambre, l’histoire de la musique… à l’Académie de Hannut. En parallèle il commence à jouer de la basse électrique dans un groupe de chansons. En 1997, attiré par le jazz, Gerstmans suit les cours du Jazz Studio d’Anvers, puis du Conservatoire Royal de Bruxelles, dans la classe de Michel Hatzigeorgiou. Au début des années deux mille il joue pour le théâtre et passe définitivement à la contrebasse.
A huit ans, Verbruggen débute à la batterie, suit des stages avec Dre Pallemaerts et rejoint le Conservatoire Royal de Bruxelles. A partir de 1999, à sa sortie du conservatoire, Verbruggen intègre plusieurs groupes (Alexi Tuomarila Quartet, Jeff Neve Trio, Jozef Dumoulin Trio…) et accompagne de nombreux musiciens comme Schumacher,Paolo FresuUri CaineGiovanni Mirabassi etc.
Le disque
Road Story
Igor Gehenot Trio
Igor Gehenot (p), Sam Gerstmans (b) et Teun Verbruggen (d).
IGL232
Sortie en Mars 2012
Liste des morceaux
01. « Promenade » (04:41).
02. « Lena » (05:42).
03. « A long distance call to JC » (05:52).
04. « Highway at 2 » (6:15).
05. « Rude Awakening » (03:49).
06. « Sofia's Curtains » (03:34).
07. « Nuits d'hiver » (05:02).
08. « Mister Moogoo » (05:17).
09. « Green Valley » (05:11).
10. « Vertu » (02:45).
Toutes les compositions sont signées Gehenot, sauf indication contraire

Sal La Rocca Quintet
Guitariste de rock à ses débuts, La Rocca passe à la contrebasse à vingt-trois ans. Au milieu des années quatre-vingt il fait partie du trio de Michel Grailler, avec Leo Mitchell à la batterie. La Rocca multiplie les tournées avec Steve Grossman, Houben, Charlie MarianoHarold LandLee Konitz, Loriers… Il est aussi de l’aventure Maak’s Spirit, groupe monté par Laurent Blondiau. Au début des années deux mille,Anne Ducros fait appel à ses services et il enregistre avec la chanteusePurple Songs (2000), Close You Eyes (2003) et Piano Piano (2005). C’est en 2003 qu’il sort un premier disque sous son nom : Latinea. En 2007, La Rocca intègre le groupe Vaya Con Dios et joue régulièrement avec Greg HoubenOlivier Hutman, Grossman etc.  En 2011, La Rocca monte un groupe avec Lorenzo Di Maio à la guitare, Pascal Mohy au piano, Hans Van Oosterhout à la batterie et, en invité, le saxophoniste ténor Jacques Schwarz-Bar. Le quintet publie It Could Be The End chez Igloo.


Occupés sur d’autres scènes, Schwarz-Bart et Van Oosterhout sont remplacés par Erwin Vann et Dré Pallemaerts pour le concert du Studio de l’Ermitage. Le quintet joue huit des neufs morceaux de It Could Be The End, tous écrits par La Rocca, sauf « Crescent », repris de John Coltrane.
« Red In Black » annonce la couleur : des thèmes d’une simplicité recherchée (celui-ci évoque « Autumn Leave »), une batterie luxuriante, un piano néo-bop, un ténor sinueux, une guitare discrètement tendue et une contrebasse grave et vive.
Très sérieux sur scène, Vann possède un son ferme avec des inflexions métalliques. Ses belles lignes mélodieuses, jouées quasi legato, ondulent d’un morceau (« Lazy Lion ») l’autre (« Season Heat »). Di Maio souligne discrètement les chorus des solistes. Ses solos voient des suites d’accords déboucher progressivement sur des envolées bien menées (« Insomnia ») ou des développements rapides (« It Could Be The End »). Sous des faux airs nonchalants, Mohy cache un phrasé bop nerveux (« Red In Black ») et des interventions véloces (« Crescent »), parfois marqués par des traits de musique contemporaine (« Lazy Lion »). Toujours attentif, Pallemaerts met sa musicalité et sa versatilité au service de ses acolytes : chabada entraînant (« Red In Black »), foisonnement (« Insomnia »), calypso dansante (« Osuna »), ponctuations puissantes (« Season Heat »)… Son jeu énergique maintient le quintet sous tension. Quant au leader, même s’il ébauche une walking bass enjouée ça-et-là (« Red In Black »), il se sert plutôt de motifs qui flottent librement (« Season Heat ») ou distillent un groove contagieux (« Lazy Lion »). Dans ses chorus, souvent rapides et mélodieux, le contrebassiste est servi par une sonorité profonde qui met en relief les graves (« Crescent »). La Rocca accentue encore la musicalité de ses chorus en doublant joliment sa ligne de basse à la voix (« Osuna »), à l’instar de Slam Stewart et Major Holley.
Be-bop, free et rock sont les trois principales sources d’inspiration du quintet de La Rocca. It Could Be The End est dynamique et équilibré, en deux mots : bien senti !
Les musiciens
Di Maio apprend la musique à neuf ans et, à l’adolescence, il s’oriente vers la guitare électrique et le jazz. En 2004, Di Maio s’inscrit au Conservatoire Royal de Bruxelles et joue dans des groupes de jazz, reggae, pop…
Après une formation classique, Mohy approche le jazz avec Benoît Sourisse et Legnini. Django d’Or des jeunes talents en 2007, il joue avec Mélanie De BiasioQuentin Liégeois, Houben, Julie Mossay
Comme Mohy, Vann commence par huit ans de musique classique avant de choisir le jazz. Outre les master classes avec Steve ColemanJoe LovanoDavid Liebman… il étudie aussi au Banff Centre for the Arts. A partir de 1985, Vann commence à travailler régulièrement comme compositeur, musicien de studio et membre du Jazz Orchestra de la Radio et Télévision Belge Francophone. En 1990, à côté d’une carrière de sideman bien remplie, Vann crée un trio avec Hatzigeorgiou et Pallemaerts. Il enregistre Some Sounds (1991), Eleven (1996) et invite des solistes comme Marc DucretJacques Pirotton, Dumoulin… Il a également monté Mother avec Pallemaerts et Otti, une formation de drum’n bass. Vann a reçu de nombreuses récompenses, compose pour le cinéma et la danse, enseigne aux Conservatoires du Luxembourg et d’Anvers…
En près de trente ans de carrière Pallemaerts a joué avec une multitude de musiciens : d’Art Farmer à John Scofield, en passant par Toots ThielemansJoe LovanoBob BrookmeyerTom Harrell… Le batteur partage son temps entre la Belgique et la France, où il enseigne au CNSMDP. Aujourd’hui, Pallemaerts fait partie du Bill Carrothers Trio, Stéphane Belmondo et Yusef Lateef Sextet, Robin Verheyen Quartet… et son propre quintet avec Mark Turner au saxophone ténor, Belmondo à la trompette, Carrothers au piano et Dumoulin au fender Rhodes.
Le disque
It Could Be The End
Sal La Rocca
Lorenzo Di Maio (g), Pascal Mohy (p), Sal La Rocca (b) et Hans Van Oosterhout (d), avec Jacques Schwarz-Bart (ts).
IGL230
Sortie en février 2012
Liste des morceaux

01. « Insomnia » (05:17).
02. « Lazy Lion » (06:53).
03. « It could be the end » (07:12).
04. « Crescent », Coltrane (09:06).
05. « Season Heat » (06:34).
06. « Stand Point » (05:43).
07. « Red In Black » (07:36).
08. « Osuna » (07:30).
09. « Bluemondo » (03:26).
Toutes les compositions sont signées La Rocca, sauf indication contraire.

PMT QuarKtet à l’Ermitage

Le 19 novembre Antoine Hervé joue avec son quartet Pierre et Marie Tuerie au studio l’Ermitage, à l’occasion de la sortie de PMT QuarKtet chez RV Productions.
Hervé est entouré de Véronique Wilmart à l’ordinateur, Jean-Charles Richard aux saxophones soprano et baryton, et Philippe « Pipon » Garcia à la batterie. Hervé et Wilmart travaillent ensemble depuis 1988, avec la création de Tutti, un ballet de Philippe Découflé. Le quartet Pierre et Marie Tuerie, lui, voit le jour en 2007. L’hommage au célèbre couple de physiciens et chimistes n’est pas anodin : déstructuration de la matière pour les uns, décomposition du son pour les autres.


Pierre et Marie Tuerie est un quartet sans basse, mais avec moult appareils électroniques : synthétiseurs, claviers en tous genres, micro-ordinateurs, « bouclophone »… Un vrai laboratoire de recherches sonores ! Hervé parle d’ailleurs d’« Akousma-jazz », en référence à l’acousmatique, et il n’est pas question ici de mathématique ni de philosophie, mais bien de musique. Comme le définissent Denis Dufour et Thomas Brando, cités par Wilmart : « l’art acousmatique est un art sonore. Les œuvres qui en sont issues sont des œuvres de support : elles ne se manifestent que par la lecture du support sur lequel elles sont enregistrées, fixées dans une forme définitive. A la fin des années quarante sur des disques souples, puis sur la bande magnétique des magnétophones et aujourd’hui sur la mémoire des ordinateurs. Ce support est au musicien acousmatique ce que la pierre est au sculpteur, la toile au peintre, l’épreuve au photographe, la pellicule au cinéaste. Comme le sculpteur son matériau, il taille dans la matière des sons, il construit, il détourne, souvent. Comme le peintre ses couleurs, il juxtapose, il mélange, il transforme, il compose. Comme le photographe, il saisit, il cadre, il éclaire, il surimprime. Comme le cinéaste enfin, il régit le temps, il crée le mouvement, il monte, il oppose, jouant de la répétition et de l’attente, de la continuité et de la rupture, de la fluidité et du heurt. » La démarche de Pierre et Marie Tuerie est donc claire : marier le jazz et la musique concrète pour explorer de nouvelles voies dans l’avant-garde musicale.
Le concert en deux sets dure près de deux heures. Le premier morceau, « Parallèle », commence par un environnement sonore sourd parsemé de craquements, une batterie qui bruisse, un clavier qui sonne un peu comme un marimba et un soprano lointain et réverbéré. Cette ambiance presqu’éthérée évolue au grès des boucles, auxquelles répondent les phrases rapides du piano et les motifs de la batterie. La tension culmine avec un solo a capella du soprano qui joue des vagues arpégées ultra-rapides, une démonstration impressionnante de souffle continu. Après cette mise en bouche acousmatique, « Sing And Swing » plonge l’auditeur dans une ambiance bluesy entraînante : le baryton alterne phrases véloces et jeux rythmiques avec les touches, les fûts et cymbales s’embrasent, le piano danse, le tout sur fonds de couches électro.


Ces deux morceaux reflètent assez bien les atmosphères que dégagent la quinzaine de pièces jouées pendant le concert : du contemplatif – accentué par les nappes d’effets électroniques, la batterie emphatique et le soprano solennel (jusqu’au bouddhisme dans « Qu’est devenu monsieur de La Pérouse ? »…) – au groove – alimenté par la puissance de Garcia, le dynamisme de Richard, le swing d’Hervé et les boucles de Wilmart. 
Le trio saxophone – piano – batterie assure la partie jazz acoustique, décompositions ternaires et envolées free, tandis que la partie électro se repose, logiquement, sur les ordinateurs et autres claviers. Les jeux électroniques portent avant tout sur la matière sonore. Le malaxage des sons penche davantage vers l’harmonie que la mélodie : il se développe par couches étirées, ondes continues, fondus enchaînés… A côté de ses mouvements, souvent arythmiques, Wilmart joue aussi avec des boucles rythmiques, ostinatos ou pédales qui plantent un décor hypnotique, voire de transe. Le troisième volet des interventions électroniques rappelle plutôt Le microphone bien tempéré : des irruptions sonores faites de stridences, de cliquetis métalliques, de chocs cristallins, de filets aigus... comme autant de bruitages qui soulignent les propos des solistes.
La musique de Pierre et Marie Tuerie évoque aussi bien les trouvailles de Pierre Schaeffer et Pierre Henry que les innovations de Bill Evanset Oscar Peterson… Plongé dans un univers volontiers cinématographique, l’auditeur passe de György Ligeti (ah ! 2001 l’Odyssée de l’espace) à Jerry Goldsmith (La planète des singes), avec un crochet par le dessin animé (« Les triplettes de Barbès », clin d’œil hilarant aux Triplettes de Belleville, le film d’animation de Sylvain Chaumet, sorti en 2003).
Décortiquer les tons, modeler les timbres, façonner les sons, se jouer des bruits… à la recherche de « la substantifique moelle » : le PMT QuarKtet invente la musique quantique !
Les musiciens
Jean-Charles Richard (c) PLM

Rien à ajouter à ce que nous connaissons déjà des parcours d’Hervé et de Richard, sauf peut-être de rappeler que Richard vient d’obtenir le grand prix de l’Académie Charles-Cros pour son disque Traces, en trio avec Peter Herbert à la contrebasse et Wolfgang Reisinger à la batterie.

Véronique Wilmart (c) PLM
En 1985, Wilmart couronne ses études au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris par un premier prix dans la classe de composition électroacoustique et recherche musicale de Guy Reibel. En parallèle elle suit les cours de piano de Vlado Perlemuteret Marcelle Heuclin. A côté de ses recherches avec Anne-Marie Cornusur la musique électroacoustique, Wilmart participe à des créations musicales avec l’ONJ et des spectacles de danse avec le Groupe de Recherche Chorégraphique de l’Opéra de Paris, Decouflé… Elle compose également pour le cinéma et le théâtre (compagnie Houdart, Polaroïd théâtre…), et, depuis 1995, enseigne la musique électroacoustique au conservatoire de Vernon.

Philippe "Pipon" Garcia (c) PLM
Garcia débute avec l’Orchestre Symphonique d’Istanbul avant de rejoindre le Collectif Mu. En 1995, il commence à s’intéresser à « la fusion électro-instrumentale » avec des groupes tels que Cosmik Connection, avec Gaël Horellou. Sorti en 2004, Kpt’n Planet est son premier disque en solo, suivi en 2006 par Grand Panache (2006). Garcia joue aussi avec Michel BénitaGianmaria TestaErik Truffaz

Antoine Hervé (c) PLM